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Le Chevalier de Maison-Rouge
Le Chevalier de Maison-Rouge

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Le Chevalier de Maison-Rouge

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Marie-Antoinette tressaillit au contact de cette voix qu'elle sembla fuir, en se reculant le plus qu'elle put sur sa chaise. Mais elle ne répondit pas plus à cette question qu'aux deux autres, pas plus à Santerre qu'au municipal.

– Vous ne voulez donc pas répondre? dit Santerre en frappant violemment du pied. La prisonnière prit sur la table un troisième volume.

Santerre se retourna; la brutale puissance de cet homme, qui commandait à 80, 000 hommes, qui n'avait eu besoin que d'un geste pour couvrir la voix de Louis XVI mourant, se brisait contre la dignité d'une pauvre prisonnière, dont il pouvait faire tomber la tête à son tour, mais qu'il ne pouvait pas faire plier.

– Et vous, Élisabeth, dit-il à l'autre personne, qui avait un instant interrompu sa tapisserie pour joindre les mains et prier, non pas ces hommes, mais Dieu, – répondrez-vous?

– Je ne sais ce que vous demandez, dit-elle; je ne puis donc vous répondre.

– Eh! morbleu! citoyenne Capet, dit Santerre en s'impatientant, c'est pourtant clair, ce que je dis là. Je dis qu'on a fait hier une tentative pour vous faire évader et que vous devez connaître les coupables.

– Nous n'avons aucune communication avec le dehors, monsieur; nous ne pouvons donc savoir ni ce qu'on fait pour nous, ni ce qu'on fait contre nous.

– C'est bien, dit le municipal; nous allons savoir alors ce que va dire ton neveu.

Et il s'approcha du lit du dauphin. À cette menace, Marie-Antoinette se leva tout à coup.

– Monsieur, dit-elle, mon fils est malade et dort… Ne le réveillez pas.

– Réponds, alors.

– Je ne sais rien.

Le municipal alla droit au lit du petit prisonnier, qui feignait, comme nous l'avons dit, de dormir.

– Allons, allons, réveille-toi, Capet, dit-il en le secouant rudement. L'enfant ouvrit les yeux et sourit. Les municipaux alors entourèrent le lit.

La reine, agitée de douleur et de crainte, fit un signe à sa fille, qui profita de ce moment, se glissa dans la chambre voisine, ouvrit une des bouches du poêle, en tira le billet, le brûla, puis aussitôt rentra dans la chambre, et, d'un regard, rassura sa mère.

– Que me voulez-vous? demanda l'enfant.

– Savoir si tu n'as rien entendu cette nuit?

– Non, j'ai dormi.

– Tu aimes fort à dormir, à ce qu'il paraît?

– Oui, parce que quand je dors, je rêve.

– Et que rêves-tu?

– Que je revois mon père que vous avez tué.

– Ainsi, tu n'as rien entendu? dit vivement Santerre.

– Rien.

– Ces louveteaux sont, en vérité, bien d'accord avec la louve, dit le municipal furieux; et, cependant, il y a eu un complot.

La reine sourit.

– Elle nous nargue, l'Autrichienne, s'écria le municipal. Eh bien, puisqu'il en est ainsi, exécutons dans toute sa rigueur le décret de la Commune. Lève-toi, Capet.

– Que voulez-vous faire? s'écria la reine s'oubliant elle-même. Ne voyez-vous pas que mon fils est malade, qu'il a la fièvre? Voulez-vous donc le faire mourir?

– Ton fils, dit le municipal, est un sujet d'alarmes continuel pour le conseil du Temple. C'est lui qui est le point de mire de tous les conspirateurs. On se flatte de vous enlever tous ensemble. Eh bien, qu'on y vienne. – Tison!.. – Appelez Tison.

Tison était une espèce de journalier chargé des gros ouvrages du ménage dans la prison. Il arriva.

C'était un homme d'une quarantaine d'années, au teint basané, au visage rude et sauvage, aux cheveux noirs et crépus descendant jusqu'aux sourcils.

– Tison, dit Santerre, qui est venu, hier, apporter des vivres aux détenus? Tison cita un nom.

– Et leur linge, qui le leur a apporté?

– Ma fille.

– Ta fille est donc blanchisseuse?

– Certainement.

– Et tu lui as donné la pratique des prisonniers?

– Pourquoi pas? autant qu'elle gagne cela qu'une autre. Ce n'est plus l'argent des tyrans, c'est l'argent de la nation, puisque la nation paye pour eux.

– On t'a dit d'examiner le linge avec attention.

– Eh bien, est-ce que je ne m'acquitte pas de mon devoir? à preuve qu'il y avait hier un mouchoir auquel on avait fait deux nœuds, que je l'ai été porter au conseil, qui a ordonné à ma femme de le dénouer, de le repasser, et de le remettre à madame Capet sans lui rien dire.

À cette indication de deux nœuds faits à un mouchoir, la reine tressaillit, ses prunelles se dilatèrent, et Madame Élisabeth et elles échangèrent un regard.

– Tison, dit Santerre, ta fille est une citoyenne dont personne ne soupçonne le patriotisme; mais, à partir d'aujourd'hui, elle n'entrera plus au Temple.

– Oh! mon Dieu! dit Tison effrayé, que me dites-vous donc là, vous autres? Comment! je ne reverrais plus ma fille que lorsque je sortirais?

– Tu ne sortiras plus, dit Santerre.

Tison regarda autour de lui sans arrêter sur aucun objet son œil hagard; et soudain:

– Je ne sortirai plus! s'écria-t-il. Ah! c'est comme cela? Eh bien! je veux sortir pour tout à fait, moi. Je donne ma démission; je ne suis pas un traître, un aristocrate, moi, pour qu'on me retienne en prison. Je vous dis que je veux sortir.

– Citoyen, dit Santerre, obéis aux ordres de la Commune, et tais-toi, ou tu pourrais mal t'en trouver, c'est moi qui te le dis. Reste ici et surveille ce qui s'y passe. On a l'œil sur toi, je t'en préviens.

Pendant ce temps, la reine, qui se croyait oubliée, se rassérénait peu à peu et replaçait son fils dans son lit.

– Fais monter ta femme, dit le municipal à Tison. Celui-ci obéit, sans mot dire. Les menaces de Santerre l'avaient rendu doux comme un agneau. La femme Tison monta.

– Viens ici, citoyenne, dit Santerre; nous allons passer dans l'antichambre, et pendant ce temps, tu fouilleras les détenues.

– Dis donc, femme, dit Tison, ils ne veulent plus laisser venir notre fille au Temple.

– Comment! ils ne veulent plus laisser venir notre fille?

Mais nous ne la verrons donc plus, notre fille? Tison secoua la tête.

– Qu'est-ce que vous dites donc là?

– Je dis que nous ferons un rapport au conseil du Temple et que le conseil décidera. En attendant…

– En attendant, dit la femme, je veux revoir ma fille.

– Silence! dit Santerre; on t'a fait venir ici pour fouiller les prisonnières, fouille-les, et puis après nous verrons…

– Mais… cependant!..

– Oh! oh! dit Santerre en fronçant les sourcils; cela se gâte, ce me semble.

– Fais ce que dit le citoyen général! fais, femme; après, tu vois bien qu'il dit que nous verrons. Et Tison regarda Santerre avec un humble sourire.

– C'est bien, dit la femme; allez-vous-en, je suis prête à les fouiller. Ces hommes sortirent.

– Ma chère madame Tison, dit la reine, croyez bien…

– Je ne crois rien, citoyenne Capet, dit l'horrible femme en grinçant des dents, si ce n'est que, c'est toi qui es cause de tous les malheurs du peuple. Aussi, que je trouve quelque chose de suspect sur toi, et tu verras.

Quatre hommes restèrent à la porte pour prêter main-forte à la femme Tison, si la reine résistait. On commença par la reine.

On trouva sur elle un mouchoir noué de trois nœuds, qui semblait malheureusement une réponse préparée à celui dont avait parlé Tison, un crayon, un scapulaire et de la cire à cacheter.

– Ah! je le savais bien, dit la femme Tison; je l'avais bien dit aux municipaux, qu'elle écrivait, l'Autrichienne! L'autre jour, j'avais trouvé une goutte de cire sur la bobèche du chandelier.

– Oh! madame, dit la reine avec un accent suppliant, ne montrez que le scapulaire.

– Ah bien, oui, dit la femme, de la pitié pour toi!.. Est-ce qu'on en a pour moi, de la pitié?.. On me prend ma fille. Madame Élisabeth et madame Royale n'avaient rien sur elles.

La femme Tison rappela les municipaux, qui rentrèrent, Santerre à leur tête; elle leur remit les objets trouvés sur la reine, qui passèrent de main en main et furent l'objet d'un nombre infini de conjectures: le mouchoir noué de trois nœuds, surtout, exerça longuement l'imagination des persécuteurs de la race royale.

– Maintenant, dit Santerre, nous allons te lire l'arrêté de la Convention.

– Quel arrêté? demanda la reine.

– L'arrêté qui ordonne que tu seras séparée de ton fils.

– Mais c'est donc vrai que cet arrêté existe?

– Oui. La Convention a trop grand souci d'un enfant confié à sa garde par la nation, pour le laisser en compagnie d'une mère aussi dépravée que toi…

Les yeux de la reine jetèrent des éclairs.

– Mais formulez une accusation, au moins, tigres que vous êtes!

– Ce n'est parbleu pas difficile, dit un municipal, voilà…

Et il prononça une de ces accusations infâmes, comme Suétone en porte contre Agrippine.

– Oh! s'écria la reine, debout, pâle et superbe d'indignation, j'en appelle au cœur de toutes les mères.

– Allons! allons! dit le municipal, tout cela est bel et bien; mais nous sommes déjà ici depuis deux heures, et nous ne pouvons pas perdre toute la journée; lève-toi, Capet, et suis-nous.

– Jamais! jamais! s'écria la reine s'élançant entre les municipaux et le jeune Louis, et s'apprêtant à défendre l'approche du lit, comme une tigresse fait de sa tanière; jamais je ne me laisserai enlever mon enfant!

– Oh! messieurs, dit Madame Élisabeth en joignant les mains avec une admirable expression de prière; messieurs, au nom du ciel! ayez pitié de deux mères!

– Parlez, dit Santerre, dites les noms, avouez le projet de vos complices, expliquez ce que voulaient dire ces nœuds faits au mouchoir apporté avec votre linge par la fille Tison, et ceux faits au mouchoir trouvé dans votre poche; alors on vous laissera votre fils.

Un regard de Madame Élisabeth sembla supplier la reine de faire ce sacrifice terrible. Mais celle-ci, essuyant fièrement une larme qui brillait comme un diamant, au coin de sa paupière:

– Adieu, mon fils, dit-elle. N'oubliez jamais votre père qui est au ciel, votre mère qui ira bientôt le rejoindre; redites, tous les soirs et tous les matins, la prière que je vous ai apprise. Adieu, mon fils.

Elle lui donna un dernier baiser; et, se relevant froide et inflexible:

– Je ne sais rien, messieurs, dit-elle; faites ce que vous voudrez.

Mais il eût fallu à cette reine plus de force que n'en contenait le cœur d'une femme, et surtout le cœur d'une mère. Elle retomba anéantie sur une chaise, tandis qu'on emportait l'enfant, dont les larmes coulaient et qui lui tendait les bras, mais sans jeter un cri.

La porte se referma derrière les municipaux qui emportaient l'enfant royal, et les trois femmes demeurèrent seules.

Il y eut un moment de silence désespéré, interrompu seulement par quelques sanglots. La reine le rompit la première.

– Ma fille, dit-elle, et ce billet?

– Je l'ai brûlé, comme vous me l'avez dit, ma mère.

– Sans le lire?

– Sans le lire.

– Adieu donc, dernière lueur, suprême espérance! murmura Madame Élisabeth.

– Oh! vous avez raison, vous avez raison, ma sœur, c'est trop souffrir! Puis, se retournant vers sa fille:

– Mais vous avez vu l'écriture, du moins, Marie?

– Oui, ma mère, un moment.

La reine se leva, alla regarder à la porte pour voir si elle n'était point observée, et, tirant une épingle de ses cheveux, elle s'approcha de la muraille, fit sortir d'une fente un petit papier plié en forme de billet, et, montrant ce billet à madame Royale:

– Rappelez tous vos souvenirs avant de me répondre, ma fille, dit-elle; l'écriture était-elle la même que celle-ci?

– Oui, oui, ma mère, s'écria la princesse; oui, je la reconnais!

– Dieu soit loué! s'écria la reine en tombant à genoux avec ferveur. S'il a pu écrire, depuis ce matin, c'est qu'il est sauvé, alors. Merci, mon Dieu! merci! un si noble ami méritait bien un de tes miracles.

– De qui parlez-vous donc, ma mère? demanda madame Royale. Quel est cet ami? Dites-moi son nom, que je le recommande à Dieu dans mes prières.

– Oui, vous avez raison ma fille; ne l'oubliez jamais, ce nom, car c'est le nom d'un gentilhomme plein d'honneur et de bravoure; celui-là n'est pas dévoué par ambition, car il ne s'est révélé qu'aux jours du malheur. Il n'a jamais vu la reine de France, ou plutôt la reine de France ne l'a jamais vu, et il voue sa vie à la défendre. Peut-être sera-t-il récompensé, comme on récompense aujourd'hui toute vertu, par une mort terrible… Mais… s'il meurt… oh! là-haut! là-haut! je le remercierai… Il s'appelle…

La reine regarda avec inquiétude autour d'elle et baissa la voix:

– Il s'appelle le chevalier de Maison-Rouge… Priez pour lui!

VII

Serment de joueur

La tentative d'enlèvement, si contestable qu'elle fût, puisqu'elle n'avait eu aucun commencement d'exécution, avait excité la colère des uns et l'intérêt des autres. Ce qui corroborait, d'ailleurs, cet événement, de probabilité presque matérielle, c'est que le comité de sûreté générale apprit que, depuis trois semaines ou un mois, une foule d'émigrés étaient rentrés en France par différents points de la frontière. Il était évident que des gens qui risquaient ainsi leur tête ne la risquaient pas sans dessein, et que ce dessein était, selon toute probabilité, de concourir à l'enlèvement de la famille royale.

Déjà, sur la proposition du conventionnel Osselin, avait été promulgué le décret terrible qui condamnait à mort tout émigré convaincu d'avoir remis le pied en France, tout Français convaincu d'avoir eu des projets d'émigration; tout particulier convaincu d'avoir aidé dans sa fuite, ou dans son retour, un émigré ou un émigrant, enfin tout citoyen convaincu d'avoir donné asile à un émigré.

Cette terrible loi inaugurait la Terreur. Il ne manquait plus que la loi des suspects.

Le chevalier de Maison-Rouge était un ennemi trop actif et trop audacieux pour que sa rentrée dans Paris et son apparition au Temple n'entraînassent point les plus graves mesures. Des perquisitions, plus sévères qu'elles ne l'avaient jamais été, furent exécutées dans une foule de maisons suspectes. Mais, hormis la découverte de quelques femmes émigrées qui se laissèrent prendre, et de quelques vieillards qui ne se soucièrent pas de disputer aux bourreaux le peu de jours qui leur restaient, les recherches n'aboutirent à aucun résultat.

Les sections, comme on le pense bien, furent, à la suite de cet événement, fort occupées pendant plusieurs jours, et, par conséquent, le secrétaire de la section Lepelletier, l'une des plus influentes de Paris, eut peu de temps pour penser à son inconnue.

D'abord, et comme il l'avait résolu en quittant la rue vieille Saint-Jacques, il avait tenté d'oublier; mais, comme lui avait dit son ami Lorin:

En songeant qu'il faut qu'on oublie,On se souvient.

Maurice, cependant, n'avait rien dit ni rien avoué. Il avait renfermé dans son cœur tous les détails de cette aventure qui avaient pu échapper à l'investigation de son ami. Mais celui-ci, qui connaissait Maurice pour une joyeuse et expansive nature, et qui le voyait maintenant sans cesse rêveur et cherchant la solitude, se doutait bien, comme il le disait, que ce coquin de Cupidon avait passé par là.

Il est à remarquer que, parmi ses dix-huit siècles de monarchie, la France a eu peu d'années aussi mythologiques que l'an de grâce 1793.

Cependant, le chevalier n'était pas pris; on n'entendait plus parler de lui. La reine, veuve de son mari et orpheline de son enfant, se contentait de pleurer, quand elle était seule, entre sa fille et sa sœur.

Le jeune dauphin commençait, aux mains du cordonnier Simon, ce martyre qui devait, en deux ans, le réunir à son père et à sa mère. Il y eut un instant de calme.

Le volcan montagnard se reposait avant de dévorer les girondins.

Maurice sentit le poids de ce calme, comme on sent la lourdeur de l'atmosphère en temps d'orage, et, ne sachant que faire d'un loisir qui le livrait tout entier à l'ardeur d'un sentiment qui, s'il n'était pas l'amour, lui ressemblait fort, il relut la lettre, baisa son beau saphir, et résolut, malgré le serment qu'il avait fait, d'essayer d'une dernière tentative, se promettant bien que celle-là serait la dernière.

Le jeune homme avait bien pensé à une chose: c'était de s'en aller à la section du Jardin des Plantes, et là, de demander des renseignements au secrétaire, son collègue. Mais cette première idée, et nous pourrions même dire cette seule idée qu'il avait eue que sa belle inconnue était mêlée à quelque trame politique, le retint; l'idée qu'une indiscrétion de sa part pouvait conduire cette femme charmante à la place de la Révolution, et faire tomber cette tête d'ange sur l'échafaud, faisait passer un horrible frisson dans les veines de Maurice.

Il se décida donc à tenter l'aventure seul et sans aucun renseignement. Son plan, d'ailleurs, était bien simple. Les listes placées sur chaque porte devaient lui donner les premiers indices; puis des interrogatoires aux concierges devaient achever d'éclaircir ce mystère. En sa qualité de secrétaire de la section Lepelletier, il avait plein et entier droit d'interrogatoire.

D'ailleurs, Maurice ignorait le nom de son inconnue, mais il devait être conduit par les analogies. Il était impossible qu'une si charmante créature n'eût pas un nom en harmonie avec sa forme: quelque nom de sylphide, de fée ou d'ange; car, à son arrivée sur la terre, on avait dû saluer sa venue comme celle d'un être supérieur et surnaturel.

Le nom le guiderait donc infailliblement. Maurice revêtit une carmagnole de gros drap brun, se coiffa du bonnet rouge des grands jours, et partit, pour son exploration, sans prévenir personne.

Il avait à la main un de ces gourdins noueux qu'on appelait une constitution, et, emmanchée à son poignet vigoureux, cette arme avait la valeur de la massue d'Hercule. Il avait dans sa poche sa commission de secrétaire de la section Lepelletier. C'était à la fois sa sûreté physique et sa garantie morale.

Il se mit donc à parcourir de nouveau la rue Saint-Victor, la rue vieille Saint-Jacques, lisant, à la lueur du jour défaillant, tous ces noms écrits d'une main plus ou moins exercée sur le panneau de chaque porte.

Maurice en était à sa centième maison, et par conséquent à sa centième liste, sans que rien eût pu lui faire croire encore qu'il fût le moins du monde sur la trace de son inconnue, qu'il ne voulait reconnaître qu'à la condition que s'ouvrirait à ses yeux un nom dans le genre de celui qu'il avait rêvé, lorsqu'un brave cordonnier, voyant l'impatience répandue sur la figure du lecteur, ouvrit sa porte, sortit avec sa courroie de cuir et son poinçon, et, regardant Maurice par-dessus ses lunettes:

– Veux-tu avoir quelque renseignement sur les locataires de cette maison? dit-il. En ce cas, parle, je suis prêt à te répondre.

– Merci, citoyen, balbutia Maurice, mais je cherchais le nom d'un ami.

– Dis ce nom, citoyen, je connais tout le monde dans ce quartier. Où demeurait cet ami?

– Il demeurait, je crois, vieille rue Saint-Jacques; mais j'ai peur qu'il n'ait déménagé.

– Mais comment se nommait-il? Il faut que je sache son nom.

Maurice surpris resta un instant hésitant; puis il prononça le premier nom qui se présenta à sa mémoire.

– René, dit-il.

– Et son état? Maurice était entouré de tanneries.

– Garçon tanneur, dit-il.

– Dans ce cas, dit un bourgeois qui venait de s'arrêter là et qui regardait Maurice avec une certaine bonhomie, qui n'était pas exempte de défiance, il faudrait s'adresser au maître.

– C'est juste, ça, dit le portier, c'est très juste; les maîtres savent les noms de leurs ouvriers, et voilà le citoyen Dixmer, tiens, qui est directeur de tannerie et qui a plus de cinquante ouvriers dans sa tannerie, il peut te renseigner, lui.

Maurice se retourna et vit un bon bourgeois d'une taille élevée, d'un visage placide, d'une richesse de costume qui annonçait l'industriel opulent.

– Seulement, comme l'a dit le citoyen portier, continua le bourgeois, il faudrait savoir le nom de famille.

– Je l'ai dit: René.

– René n'est qu'un nom de baptême, et c'est le nom de famille que je demande. Tous les ouvriers inscrits chez moi le sont sous leur nom de famille.

– Ma foi, dit Maurice que cette espèce d'interrogatoire commençait à impatienter, le nom de famille, je ne le sais pas.

– Comment! dit le bourgeois avec un sourire dans lequel Maurice crut remarquer plus d'ironie qu'il n'en voulait laisser paraître, comment, citoyen, tu ne sais pas le nom de famille de ton ami?

– Non.

– En ce cas, il est probable que tu ne le retrouveras pas. Et le bourgeois, saluant gracieusement Maurice, fit quelques pas et entra dans une maison de la vieille rue Saint-Jacques.

– Le fait est que, si tu ne sais pas son nom de famille… dit le portier.

– Eh bien, non, je ne le sais pas, dit Maurice, qui n'aurait pas été fâché, pour avoir une occasion de faire déborder sa mauvaise humeur, qu'on lui cherchât querelle, et même, il faut le dire, qui n'était pas éloigné d'en chercher une exprès. Qu'as-tu à dire à cela?

– Rien, citoyen, rien du tout; seulement, si tu ne sais pas le nom de ton ami, il est probable, comme te l'a dit le citoyen Dixmer, il est probable que tu ne le retrouveras point.

Et le citoyen portier rentra dans sa loge en haussant les épaules.

Maurice avait bonne envie de rosser le citoyen portier, mais ce dernier était vieux: sa faiblesse le sauva. Vingt ans de moins, et Maurice eût donné le spectacle scandaleux de l'égalité devant la loi, mais de l'inégalité devant la force.

D'ailleurs, la nuit allait tomber, et Maurice n'avait plus que quelques minutes de jour.

Il en profita pour s'engager d'abord dans la première ruelle, ensuite dans la seconde; il en examina chaque porte, il en sonda chaque recoin, regarda par-dessus chaque palissade, se hissa au-dessus de chaque mur, lança un coup d'œil dans l'intérieur de chaque grille, par le trou de chaque serrure, heurta à quelques magasins déserts sans avoir de réponse, enfin consuma près de deux heures dans cette recherche inutile.

Neuf heures du soir sonnèrent. Il faisait nuit close: on n'entendait plus aucun bruit, on n'apercevait plus aucun mouvement dans ce quartier désert, d'où la vie semblait s'être retirée avec le jour.

Maurice, désespéré, allait faire un mouvement rétrograde, quand tout à coup, au détour d'une étroite allée, il vit briller une lumière. Il s'aventura dans le passage sombre, sans remarquer qu'au moment même où il s'y enfonçait, une tête curieuse qui, depuis un quart d'heure, du milieu d'un massif d'arbres s'élevant au-dessus de la muraille, suivait tous ses mouvements, venait de disparaître avec précipitation derrière cette muraille.

Quelques secondes après que la tête eut disparu, trois hommes, sortant par une petite porte percée dans cette même muraille, allèrent se jeter dans l'allée où venait de se perdre Maurice, tandis qu'un quatrième, pour plus grande précaution, fermait la porte de cette allée.

Maurice, au bout de l'allée, avait trouvé une cour; c'était de l'autre côté de cette cour que brillait la lumière. Il frappa à la porte d'une maison pauvre et solitaire; mais au premier coup qu'il frappa, la lumière s'éteignit.

Maurice redoubla, mais nul ne répondit à son appel; il vit que c'était un parti pris de ne pas répondre. Il comprit qu'il perdait inutilement son temps à frapper, traversa la cour et rentra sous l'allée.

En même temps, la porte de la maison tourna doucement sur ses gonds; trois hommes en sortirent et un coup de sifflet retentit.

Maurice se retourna et vit trois ombres à la distance de deux longueurs de son bâton.

Dans les ténèbres, à la lueur de cette espèce de lumière qui existe toujours pour les yeux depuis longtemps habitués à l'obscurité, reluisaient trois lames aux reflets fauves.

Maurice comprit qu'il était cerné. Il voulut faire le moulinet avec son bâton; mais l'allée était si étroite que son bâton toucha les deux murs. Au même instant, un violent coup, porté sur la tête, l'étourdit. C'était une agression imprévue faite par les quatre hommes qui étaient sortis de la muraille. Sept hommes se jetèrent à la fois sur Maurice, et, malgré une résistance désespérée, le terrassèrent, lui lièrent les mains et lui bandèrent les yeux.

Maurice n'avait pas jeté un cri, n'avait pas appelé à l'aide. La force et le courage veulent toujours se suffire à eux-mêmes et semblent avoir honte d'un secours étranger.

D'ailleurs, Maurice eût appelé que, dans ce quartier désert, personne ne fût venu.

Maurice fut donc lié et garrotté sans, comme nous l'avons dit, qu'il eût poussé une plainte.

Il avait réfléchi, au reste, que si on lui bandait les yeux, ce n'était pas pour le tuer tout de suite. À l'âge de Maurice, tout répit est un espoir.

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