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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV
Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Après cela, cette malicieuse femme, qui vouloit se réjouir aux dépens de sa rivale, dit que si son mari étoit jaloux, il n'avoit qu'à faire voir sa femme toute nue, et qu'il ne devoit pas craindre qu'il lui arrivât jamais ce qui arriva à cet ancien roi de Lydie. Le Roi, qui ne se pique pas fort de lecture, pria la Montespan de lui raconter cette histoire. – «La voici, dit-elle, Sire, en peu de mots, telle que je l'ai lue dans Hérodote. Candaulès, qui étoit le nom de ce prince, avoit une femme extrêmement belle, et, par une bizarrerie dont on ne sait pas la cause, il la fit voir toute nue à Gigès son favori, qu'il avoit fait cacher dans la chambre de la Reine. – C'étoit sans doute, dit le Roi, pour lui faire voir que son corps étoit aussi beau que son visage. – Il l'étoit en effet, dit la comtesse, et Gigès en devint amoureux; mais je ne crois pas que le comte doive craindre rien de semblable, de ceux qui verroient sa femme dans le même état. – Je n'aurai jamais cette curiosité, dit le Roi, voulant dissimuler sa passion; mais je suis fâché pourtant, pour l'amour de cette comtesse, que les apparences soient si trompeuses, et que, sous un si beau dehors, il y ait des choses si dégoûtantes. – Si Votre Majesté y prenoit la moindre part, je serois bien fâchée, dit la Montespan, de vous avoir dit une chose qui pût vous faire quelque chagrin. Mais en cas qu'il vous prît jamais envie de l'aimer, ajouta-t-elle, avec un souris forcé, il est bon que votre Majesté en soit avertie, de peur qu'elle n'allât trop avant, et qu'elle ne voulût voir des choses qui ne lui feroient pas plaisir. – Je vous sais gré de ce bon avis, lui dit le Roi, mais cela ne m'arrivera jamais.»

La Montespan ne fut pas plus tôt sortie, que le Roi fit de profondes réflexions sur ce qu'elle lui avoit dit. C'est un terrible embarras pour un amant qui aime une femme jusques à l'adoration, quand on lui vient dire qu'elle a des défauts cachés. Le Roi ne remarquoit rien en la comtesse qui ne l'assurât que c'étoit une beauté achevée. Sa gorge et son visage démentoient déjà le discours de la Montespan, et s'il n'avoit pas vu tout le reste, il en avoit assez vu, le jour de sa dernière chasse, pour lui faire juger que tout ce qu'on venoit de lui dire n'étoit qu'une calomnie. Il soupçonna même que la Montespan, ayant eu quelque connaissance de l'inclination qu'il avoit pour la comtesse, pourroit avoir inventé toute cette fable pour l'en dégoûter. Il savoit qu'elle étoit fort audacieuse, et d'une humeur fort jalouse. Enfin, il alla se ressouvenir que le même jour qu'il avoit laissé tomber le billet de la comtesse, après qu'il se fut endormi, on lui dit que la Montespan étoit entrée dans sa chambre, et qu'après avoir demeuré quelque temps à la ruelle du lit, elle s'étoit retirée, de peur d'éveiller le Roi. Faisant réflexion à toutes ces choses, il ne douta point que tout ce que la Montespan venoit de lui dire ne fût de son invention: de sorte que tous ses stratagêmes furent inutiles, et ne firent aucun mal à sa rivale. Elle vécut toujours le mieux du monde avec son mari qui n'eut pas le moindre soupçon de sa fidélité, et le Roi l'aima plus que jamais.

Ce monarque ne pouvoit plus contenir son feu; les divers assauts qu'il avoit donnés à sa maîtresse, et qui avoient toujours échoué, ne servoient qu'à l'enflammer davantage, et à rendre ses désirs plus violents. Ce beau fruit qu'il n'avoit goûté que du bout des lèvres, ne faisoit qu'aiguiser, s'il faut ainsi dire, son appétit, et échauffer son imagination. Enfin, il lui tardoit de savoir comment la comtesse étoit faite, non pas pour s'éclairer de ce que la Montespan lui avoit dit, mais pour apaiser l'ardeur de sa flamme. Quelque expert qu'il fût en l'art d'aimer, il étoit au bout de sa science, et il ne savoit plus que faire, après avoir manqué la plus belle occasion que l'amour puisse offrir à un amant. Être seul avec sa maîtresse au milieu d'un bois, apprendre de sa bouche qu'on est aimé, profiter d'un si doux aveu, presser vivement la place, monter jusques à la brèche, et se voir repousser à l'entrée: c'est ce qu'il ne pouvoit pas comprendre. – «Il faut, disoit-il, ou que cette femme soit tout à fait insensible, ou qu'elle ait une vertu plus qu'humaine. Mais puisque les charmes de l'amour n'y peuvent rien, il faut se servir de quelque vieille ruse. Cette femme se fait un crime de ce que l'amour a de plus doux; il faut que l'hymen vienne ici à notre secours, et que nous nous servions du même stratagême dont se servit Jupiter pour jouir de la chaste et belle Alcmène. Puisqu'un amant, et un amant aimé, ne peut pas vaincre une vertu si farouche, tâchons de nous transformer et de prendre la figure du mari pour tromper une femme trop fidèle. Ce qui acheva de déterminer le Roi à prendre un dessein si périlleux, fut une aventure singulière qui venoit d'arriver depuis peu de jours, qui servit longtemps de divertissement à la Cour, et dont le bruit se répandit assez loin.

Deux gentilshommes, à peu près du même âge et de même taille, avoient épousé depuis quatre ans deux femmes bien faites, qu'ils aimoient beaucoup et dont ils étoient tendrement aimés, mais dont ils n'avoient eu aucun enfant. Comme ils avoient de grands biens et qu'ils craignoient de ne laisser point de successeurs, il n'est rien qu'ils ne tentassent pour rendre leurs femmes fécondes: remèdes, purgations, eaux minérales, tout étoit mis en usage, et, parce que les médecins leur dirent qu'il falloit réitérer ces remèdes à diverses fois, ces Messieurs ne manquoient pas d'aller tous les ans avec leurs épouses aux eaux de Bourbon22. Ils y furent cet été que le Roi étoit à Fontainebleau. Comme le temps étoit fort beau, il y eut plus de foule qu'à l'ordinaire: toutes les hôtelleries étoient remplies; et ces deux gentilshommes ne purent trouver qu'une chambre, où il y avoit pourtant deux lits; cela suffisoit pour eux et leurs femmes; car, pour leurs valets, ils couchèrent où ils purent. S'étant donc mis en possession de leur chambre, et ayant soupé en très-bonne compagnie, ils proposèrent à leurs femmes d'aller prendre un peu le frais, et de jouir du plaisir de la promenade. Mais elles dirent qu'elles étoient fatiguées du voyage, et qu'étant obligées de se lever de bon matin pour prendre les eaux, elles seroient bien aises de se délasser et de se coucher bientôt; mais que pourtant ils ne se privassent pas eux-mêmes de ce plaisir. Ces bons maris, qui ne vouloient point contraindre leurs femmes ni se contraindre eux-mêmes, firent tout ce qu'elles voulurent; ils allèrent se promener; ils virent là tout ce qu'il y avoit de beau monde de l'un et de l'autre sexe, et ce temps leur parut si court qu'il étoit près de minuit quand ils arrivèrent à leur logis. Leurs femmes étoient couchées il y avoit deux heures; elles dormoient profondément, et leurs maris, de peur de les éveiller, firent le moins de bruit qu'ils purent en se couchant; ils se déshabillèrent, ils éteignirent eux-mêmes la chandelle, et chacun d'eux se mit le plus doucement qu'il put au lit, où il croyoit de trouver sa femme. On ne sait pas bien si leurs épouses n'avoient pas bien distingué les lits qui avoient été arrêtés par leurs maris, ou si ces Messieurs eux-mêmes, distraits par les différents objets qu'ils avoient vus à la promenade, ou peut-être accablés de sommeil, prirent un lit pour un autre; quoi qu'il en soit, car cela ne fait rien à l'affaire, chacun de ces deux gentilshommes, au lieu de s'aller mettre auprès de sa femme, s'alla coucher avec celle de son ami.

Ces quatre personnes passèrent ainsi toute la nuit, sans qu'aucune d'elles s'aperçût de cet étrange quiproquo. On peut bien croire que ces Messieurs, qui souhaitoient tant d'avoir des enfants, et qui étoient allés là pour cette seule raison, ne passèrent pas toute la nuit sans rien faire, et qu'ils travaillèrent de toute leur force à la propagation de leur espèce. Leurs belles épouses, qui avoient le même désir, s'y employèrent aussi avec affection et avec toute l'ardeur de leur sexe. Enfin, le matin étant venu, on voit paroître le jour, on songe à se lever, on tire le rideau, on se parle; mais qui pourroit exprimer la surprise de ces deux femmes et de ces deux maris, à la vue d'une si étrange métamorphose? Ils demeurent tout confus, ils sont tous quatre muets et interdits, personne n'ose parler, aucun n'a la force d'interroger son voisin ni de lui demander comment il a passé la nuit, de peur d'en trop apprendre; chacun se flatte que son compagnon a dormi toute la nuit; chacun se console d'avoir au moins tiré parti d'une affaire si délicate et de n'être pas la dupe. Chacun savoit bien ce qu'il avoit fait de son côté, mais il étoit en peine d'apprendre ce qui s'étoit passé à l'autre bout de la chambre. Aucune de ces femmes n'osoit regarder son mari, et encore moins celui qui venoit d'occuper sa place, et les maris n'osoient pas regarder leurs femmes, de peur de voir sur leur visage des marques trop certaines d'un affront irréparable. Il se passa une scène muette qui exprima plusieurs passions différentes. Enfin, il y en eut un plus impatient, qui, tirant brusquement sa femme par le bras, lui dit tout en colère: – «Pourquoi vous allâtes-vous coucher dans ce lit? Ne saviez-vous pas que c'étoit celui-ci que j'avois arrêté pour nous deux? – J'avois cru, dit-elle, que c'étoit l'autre, et je vous prie de ne pas me quereller pour une chose dont j'ai plus de chagrin que vous, et dont je ne me consolerai de ma vie. – Tant pis,» lui dit son mari, qui ne connut que trop, au langage de sa femme, ce qui s'étoit passé entr'elle et son voisin; mais il n'étoit pas juste aussi que les rieurs ne fussent que d'un côté. La femme de celui qui n'avoit pas encore parlé, paroissant toute honteuse, donnoit assez à connoître qu'elle n'étoit pas plus nette que sa voisine. – «Enfin, dit ce mari, qui parut plus raisonnable, ce qui est fait est fait, et tous les hommes ne le sauroient empêcher. Nous sommes à deux de jeu; nous avons fait, comme on dit, troc de gentilhomme23 sans nous demander de retour; laissons passer doucement la chose; la volonté fait tout dans ces affaires; c'est un pur effet du hasard; nous sommes assurés de la chasteté de nos femmes; plaignons-les, et les consolons, au lieu de les porter au désespoir. Que savons-nous si Dieu s'est voulu servir de ce moyen pour nous donner un enfant à l'un et à l'autre, et si cela arrive, qu'y a-t-il à faire qu'à compter de cette nuit? Et si nos femmes sont enceintes, quand leur fruit sera mûr, et que le terme d'accoucher sera venu, chacun prendra ce qui lui appartiendra; et ces enfants ne seront pas moins à nous, que si nous les avions eus de nos propres femmes.» Il y en eut une qui voulut répliquer, et qui dit que cela leur seroit bien fâcheux qu'on leur arrachât un enfant qu'elles auroient nourri et porté neuf mois dans leur sein, et qu'on leur en donnât un autre, où elles n'auroient aucune part. On leur ferma la bouche, en leur disant que c'étoit pour les punir de la bévue qu'elles avoient faite en changeant de lit, qu'il falloit que la chose allât ainsi; que l'enfant qu'on leur donneroit seroit celui de leur mari; que, puisque les hommes regardoient souvent comme leurs des enfants qui n'appartenoient qu'à leurs femmes, elles pouvoient bien une fois en recevoir un de la main de leurs maris, et qu'elles auroient un avantage que les hommes n'avoient pas: c'est qu'elles pourroient toujours distinguer leur propre enfant de celui qu'on leur supposoit, et lui donner leur bien si elles le jugeoient à propos. Un jugement si sage apaisa d'abord le tumulte; tout le monde se tut, chacun fut content, et au bout de neuf mois ces deux femmes accouchèrent chacune d'un garçon, qui donna bien de la joie à ces deux familles.

Cette affaire ne put pas être si secrète qu'elle ne vînt à la connaissance du monde, et le Roi, qui en avoit ouï parler, trouvoit cela si plaisant qu'il souhaita plus d'une fois de tromper ainsi la comtesse, puisqu'il n'en pouvoit pas jouir autrement. Il communiqua son dessein au duc de La Feuillade. Le duc lui dit que cela étoit fort bien imaginé, et qu'il ne falloit que songer aux moyens de l'exécuter. – «Tout ce que j'y trouve, Sire, de fâcheux pour vous, c'est d'être obligé de faire le rôle du mari pour jouir d'une maîtresse; et comme vous avez, sans doute, toutes les délicatesses des amants, vous ne goûterez qu'imparfaitement un plaisir qui ne s'adressera point à vous et qu'elle croira donner à son mari. – Je sais tout cela, dit le Roi, mais il n'importe; il faut tirer de l'amour tout ce qu'on peut; j'ai déjà le cœur de cette fière comtesse, et elle ne veut pas m'accorder le reste; mais si je le puis avoir une fois, j'aurai tout ce qu'un amant peut souhaiter, et enfin elle pourra m'accorder de son bon gré ce que j'aurai une fois obtenu par cette ruse. Il n'est donc question que d'exécuter un dessein qui peut seul me rendre heureux.»

Cet habile confident dit au Roi qu'il alloit y travailler de ce pas; qu'il savoit que le comte, comme la plupart des gens de qualité, couchoit dans un lit séparé de sa femme, d'où il l'alloit trouver quand il lui prenoit envie; il lui dit encore qu'il croyoit, à force d'argent, gagner celui qui gardoit la porte de la chambre, et de l'obliger à se défaire adroitement des autres domestiques, et d'introduire le Roi vers les onze heures du soir à la chambre du comte de L… Et pour ce qui est du comte, dont la présence étoit le plus grand obstacle, il l'engageroit à une partie de jeu, où ils passeroient une bonne partie de la nuit. Le Roi fut ravi de l'expédient que le duc lui proposoit, et il lui sembloit déjà qu'il étoit entre deux draps avec sa chère comtesse. Il lui commanda d'aller travailler promptement à ce dessein, et de venir aussitôt la rendre réponse.

Dès que le Roi eut congédié le duc, il entra dans la chambre de la Reine, où il trouva sa chère comtesse et plusieurs autres dames de la première qualité. Il ne l'avoit pas vue, il y avoit quelques jours, et il fut bien aise de voir qu'elle reprenoit son embonpoint. Son mal, dont on craignoit de fâcheuses suites, étoit tout-à-fait guéri, et il ne lui avoit laissé qu'une certaine langueur dans les yeux et sur son visage, qui la rendoit plus aimable, et surtout au Roi, qui n'y voyoit plus, ce lui sembloit, cette même sévérité qu'il avoit toujours si fort redoutée. – «A ce que je vois, Madame, lui dit le Roi tout bas, nous sommes tombés malades en même temps, et je sens qu'à mesure que vous guérissez, ma santé reprend de nouvelles forces. – Si cela étoit comme vous me le dites, je prendrois encore plus de soin de ma santé que je ne fais, répliqua cette comtesse. – Si ma santé vous étoit chère, lui dit ce prince, en tournant sa tête vers la fenêtre, afin qu'elle en fit autant, et qu'ils pussent parler sans être entendus, vous me traiteriez un peu plus doucement. – Et comment voudriez-vous qu'on vous traitât, dit-elle? – Comme on doit traiter un homme qu'on veut conserver, et que vos rigueurs font mourir, lui dit le Roi. – Quand on fait ce qu'on peut, ajouta-t-elle, on n'en doit pas demander davantage. – Que le comte est heureux, dit alors le Roi, puisque vous pouvez faire pour lui ce que vous ne sauriez faire pour moi! – C'est un bonheur, Sire, lui dit-elle, que vous ne voudriez pas acquérir à ce prix-là. – Non-seulement à ce prix, si je le pouvois, lui dit ce prince passionné, mais au péril de mille vies. – Eh bien! lui dit-elle, puisque cela ne se peut pas, il n'y faut plus penser, et nous consoler, vous et moi.» Après cela, elle se tourna du côté de la compagnie, et le Roi trouva ces dernières paroles si obligeantes, qu'elles le rendirent content tout le reste du jour.

Le Roi sortit quelque temps après, et il rencontra bientôt le duc de La Feuillade qui alloit trouver Sa Majesté pour lui rendre compte de sa commission. Il lui dit d'abord que les choses alloient comme il auroit pu le souhaiter; qu'il s'étoit assuré de ce domestique; que personne ne paroîtroit que lui dans le temps qu'il lui avoit marqué, et que le Roi pouvoit venir incognito, entrer dans la chambre du comte, et, quand il le trouveroit à propos, dans celle de la comtesse; que, pour le comte, ils devoient souper ensemble chez le prince de Marcillac24, et qu'ils avoient fait une partie de jeu, où il y auroit plusieurs dames. – «Et comme je lui ai demandé si la comtesse son épouse en seroit, il m'a répondu que non; que depuis sa maladie elle n'aimoit point à veiller, mais se couchoit toujours à dix heures. – Cela va le mieux du monde, dit le Roi; pour moi, je vais dire qu'on me laisse seul, et je me déguiserai si bien, quand il sera nuit, que je sortirai sans qu'on s'en aperçoive. Il n'y a que cent pas à faire pour être à l'appartement de la comtesse.

Toutes choses étant ainsi disposées, le Roi se prépara à cette grande expédition; il comptoit les heures et les minutes, et jamais jour ne lui a paru si long. Enfin, la nuit vint, cette nuit tant désirée, et qui est si favorable aux amants.

Quand les onze heures sonnèrent, qui étoit l'heure du signal, il sortit de son cabinet en robe de chambre avec un simple gentilhomme qui l'accompagnoit. Dès qu'il fut à la porte de l'appartement du comte, il dit à ce gentilhomme de l'attendre, et de ne dire à personne où il étoit, sous peine de la vie. Les courtisans étoient assez accoutumés à voir faire au Roi de semblables équipées, qui marche en cela sur les traces de son aïeul Henri le Grand. Le Roi ne paroît pas plus tôt, qu'il rencontre un homme qui, sans lui dire «qui va là?» le fait entrer dans la chambre du comte, comme si c'eût été son maître, et, sans s'informer d'autre chose, ferme la porte après lui. Le Roi ne fut pas plus tôt entré qu'il se reposa sur le lit du comte, et on auroit dit qu'il vouloit imiter en toutes choses le mari de la comtesse. Il est vrai qu'il ne s'amusa pas à dormir, mais il attendoit que le lièvre le fût, afin de tirer à coup sûr et qu'il pût le prendre au gîte. Quand il jugea que la comtesse pouvoit être endormie, il s'approcha tout doucement de son lit, et, laissant sa robe de chambre, il se glissa dans les draps du lit de sa maîtresse, sans qu'elle en sentît rien. Cet heureux amant, voyant qu'il avoit si bien réussi jusques-là, commença de prendre avec la comtesse toutes les privautés que prenoit le comte, dont il représentoit alors le personnage; il voulut faire en tout le mari; mais peut-être qu'il le voulut faire trop bien, comme dit La Fontaine, sur un sujet semblable25. Il n'eut pas plus tôt pris sa place qu'il reconnut d'abord que ce que la Montespan lui avoit dit de ces ulcères prétendus, n'étoit qu'une calomnie; il trouva un corps net et uni comme le cristal, et une peau la plus douce et la plus fine qu'il eût encore touchée. Après avoir reconnu tous les endroits de la place, et sentant que la comtesse étoit éveillée par le chatouillement que venoit de lui causer ce prétendu mari, il se mit en état de pousser l'affaire jusques au bout. La comtesse se tourna un peu de son côté, et, comme on ne s'amuse pas à parler dans ces occasions, et qu'il ne lui seroit jamais venu en pensée qu'autre que le comte la fût venu trouver dans son lit, elle ne rejeta point du tout ses premières caresses; mais, les recevant comme un doux fruit de leur mariage, elle y alloit répondre de son côté comme une bonne et fidèle épouse; mais il arriva une chose qui troubla les plaisirs qu'ils se préparoient de goûter. Comme elle avança un de ses bras pour embrasser celui qu'elle avoit pris jusques-là pour son mari, elle rencontra à l'endroit de ses reins une grosse verrue26 qu'elle n'avoit jamais trouvée sur le corps du comte, quoique sa main se fût promenée mille fois en cet endroit. Cela la surprit un peu, non pas qu'elle crût qu'un autre homme fût venu occuper sa place; mais cette nouvelle verrue lui fit rompre un silence qu'elle avoit gardé jusque-là. – «D'où vient, monsieur le comte, dit-elle, que vous avez là cette verrue que je n'avois pas remarquée? Parlez, dit-elle, vous ne me répondez point?» Ce silence parut suspect à la comtesse, et, voyant qu'on ne lui répondoit que par des embrassements, elle fit un grand effort pour se débarrasser de celui qui la tenoit; et, comme il la venoit rejoindre: – «Si tu ne me laisses, dit-elle, qui que tu sois, je t'arracherai les yeux, et je ferai venir mes gens.» Et, en disant cela, elle lui donna un coup d'ongle entre l'œil droit et la temple27, dont le Roi porta les marques qui parurent durant quelques jours, et dont peu de gens savoient la cause.

Quand il vit que la comtesse alloit faire du bruit et appeler du monde, il crut que le plus sûr étoit pour lui de se retirer et de sortir comme il étoit entré. Le même homme qui lui avoit ouvert la porte en entrant, la lui ouvrit quand il vit qu'il vouloit sortir; et il trouva son gentilhomme qui l'attendoit, et qui l'accompagna jusques à l'entrée de la chambre de la reine, que le Roi fut trouver au lit, et qui profita sans doute de ce que ce prince avoit destiné pour la comtesse. Cette dernière ne dormit guère le reste de la nuit. Elle étoit en peine comment elle devoit se gouverner en cette rencontre. Elle ne douta point que ce ne fût le Roi qui l'étoit venu trouver au lit, qui, n'ayant pu jusqu'alors satisfaire son amour, s'étoit servi de ce dernier stratagême. Son premier dessein fut d'abord d'appeler ses domestiques, de leur dire qu'un homme étoit entré dans sa chambre, qu'elle vouloit savoir absolument qui l'y avoit introduit, la chose n'ayant pu se faire sans leur participation, et que, dès que le coupable lui seroit connu, elle en vouloit faire un exemple. Un peu après elle considéra l'éclat que cela feroit, les conséquences malignes que quelques-uns en pourroient tirer pour ternir sa réputation, le chagrin, et peut-être les soupçons qu'une affaire si délicate causeroit à son mari, et l'affront que le Roi lui-même en alloit recevoir, quand la chose seroit divulguée; enfin, plusieurs autres considérations de cette nature la déterminèrent à laisser passer la chose, sans en parler à personne. Cette prudente dame savoit encore, que la réputation de celles de son sexe est extrêmement délicate, que le plus sûr pour elles est de conserver leur honneur et de se défendre contre tous ceux qui l'attaquent, sans en faire tant de bruit; que l'éclat est ce qui les perd dans l'esprit des gens, lors même qu'elles sont les plus innocentes, et qu'enfin n'ayant rien à se reprocher, elle ne craignoit les reproches de personne, puisque celui qui l'étoit allé trouver au lit s'en étoit retourné comme il étoit venu, et que ceux qui lui avoient prêté la main avoient pu juger, par son prompt retour et par le bruit qu'elle avoit fait, du peu de succès de son entreprise.

La comtesse donc, satisfaite de s'être bien défendue, ne voulut point prôner sa victoire. Qui sait encore si l'Amour ne se mêla pas là-dedans, et si la tendresse qu'elle ne pouvoit s'empêcher d'avoir pour le Roi, ne l'empêcha pas aussi de publier une chose dont elle pourroit se repentir un jour, n'étant pas assurée si elle n'auroit pas enfin pour ce prince des sentiments plus humains? et, quoiqu'elle n'appuyât pas beaucoup sur cette dernière considération, il est certain qu'elle y entra.

Le Roi, après cette honteuse retraite, perdit entièrement l'espérance de gagner jamais une telle dame; il résolut même de n'y penser plus; mais il ne savoit pas bien lui-même s'il seroit capable de tenir sa résolution. L'image de tant de beautés qui étoient répandues sur le corps de la comtesse, et dont ses yeux et même ses mains avoient été les témoins, lui revenoit toujours dans l'esprit. Il ne put s'empêcher de convoiter une chair si ferme et une peau si blanche et si délicate. – «Je vois bien, ajouta-t-il en lui-même, que la Montespan craignoit la touche d'un bijou si précieux, qu'elle vouloit me faire passer pour une happelourde28. Mais je n'ai que trop vu l'effet de sa jalousie, qui vouloit me dégoûter de la plus charmante beauté qui soit dans l'univers. Oui, je n'ai que trop vu que la comtesse a le plus beau corps du monde, et il vaudroit bien mieux pour mon repos avoir ajouté foi aux discours de la Montespan, me dégoûter de cette dame, et n'y penser jamais. Mais mon malheur a voulu que j'aie vu, et que j'aie touché moi-même des beautés qui m'ont charmé et dont je n'ai pu me réjouir.»

C'est ainsi que le grand Alcandre entretenoit ses pensées. Après avoir demeuré tout le reste de la nuit au lit de la reine29, il s'en retourna dans le sien, selon la coutume, qui étoit à la chambre prochaine. L'heure de se lever étant venue, ceux que leur devoir appeloit auprès du Roi ne manquèrent pas de s'y rendre, et particulièrement le duc de La Feuillade, qui s'y trouva des premiers. Dès que le Roi eut paru en robe de chambre30, on remarqua d'abord cette petite égratignure qu'il avoit au visage. Les courtisans se regardèrent tous, pour se demander les uns aux autres la cause de ce qu'ils voyoient; mais personne n'osa en parler au Roi. Ce monarque, qui connut d'abord le sujet de leur étonnement, et qui avoit assez près de lui le duc de La Feuillade, lui dit à l'oreille: «la belle a été cruelle.» Ce mot fut entendu de quelques-uns des courtisans, et il fut su à la cour et jusques dans les provinces; mais personne ne devina quelle étoit cette cruelle qui avoit ainsi traité le Roi, et qui lui faisoit porter des marques de sa rigueur. Il n'y eut que le duc de La Feuillade qui comprît d'abord ce que c'étoit.

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