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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV
Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Le Roi prononça ces dernières paroles avec tant d'émotion et tant de véhémence que la comtesse en parut touchée, et ne put s'empêcher de laisser couler quelques larmes. Elle ne doutoit plus de l'amour du Roi; ses regards, ses démarches, ses actions, et ce qu'elle venoit de voir et d'entendre, lui faisoit assez connoître, que ce monarque aimoit jusqu'à la fureur. Elle en fut fort affligée, et pour l'amour d'elle-même, et peut-être même pour l'amour de son amant, qu'elle ne pouvoit pas s'empêcher de plaindre. Quand elle se fut un peu rassurée, elle dit au Roi: – «Sire, vous pouvez juger de la surprise où je suis, après ce que je viens d'entendre de la bouche d'un grand Roi; et s'il est vrai que votre état soit tel que vous venez de le dire, je puis bien vous assurer que, s'il ne falloit que ma vie pour vous rendre heureux, je suis prête à vous la sacrifier. Mais comme Votre Majesté prétend autre chose, je veux qu'elle sache que je renoncerois à mille vies, si je les avois, plutôt que d'abandonner ce qui m'est plus cher que la vie, et que le repos de mon Roi.» Elle accompagna ces paroles d'un ton si ferme, que le cœur du Roi en trembla, voyant qu'on ôtoit à son amour toute sorte d'espérance. Ce qu'il y avoit ici de rare, c'est que l'un et l'autre crurent ce qu'ils se disoient d'obligeant; mais ni l'un ni l'autre n'en furent contents. La comtesse étoit persuadée que le Roi l'aimoit autant qu'on le peut, mais cela ne faisoit que l'inquiéter. Le Roi, de son côté, ne douta pas que la comtesse n'eût pitié de ses maux; quelques larmes qu'il vit couler de ses beaux yeux en étoient des témoins fidèles; il crut sans peine que la protestation qu'elle lui faisoit de sacrifier sa vie pour son repos, partoit du fond de son cœur; mais aussi il ne croyoit que trop ce qu'elle avoit ajouté, que son honneur lui étoit plus cher que tout le reste, et c'est là où il ne trouvoit pas son compte. Il dissimula néanmoins, et, suivant la méthode qu'il avoit déjà marquée à son confident, il confirma à cette vertueuse comtesse ce que le duc de La Feuillade lui avoit protesté de sa part: qu'il bornoit tous ses désirs au seul plaisir de la voir, de l'aimer, et de lui parler de son amour. – «Vous m'offrez votre vie, pour procurer mon repos, lui dit ce prince amoureux; c'en est trop, généreuse comtesse; vous me puniriez au lieu de m'obliger; je ne vous demande ni cette vie qui m'est plus chère que la mienne, ni cet honneur qui vous est plus cher que la vie, et que vous croyez être l'unique objet de mes prétentions; je ne veux que vous voir, vous aimer, et vous le dire. – Eh! de quoi vous peut servir cette vue? lui dit la comtesse; pourquoi voulez-vous entretenir une passion dont vous n'espérez aucun fruit? A quoi bon un entretien qui ne fera que troubler votre repos et me rendre malheureuse? – Ah! que vous savez peu, Madame, lui dit le Roi, en la regardant avec des yeux qui marquoient toute sa tendresse, que vous savez peu ce qui se passe dans le cœur des vrais amants! Une parole, un souris, un regard, la plus petite chose, un rien les contente, lorsque ce rien vient de la part de leur maîtresse. Ne me demandez donc plus quel fruit je prétends retirer de votre vue et de votre conversation; et n'est-ce pas beaucoup pour un amant que de voir et d'entretenir sa maîtresse? – Mais un amant en peut-il demeurer là? reprit la comtesse. Ne sait-on pas qu'ils ne sont jamais satisfaits; que, quand ils ont une chose, ils en veulent obtenir une autre? Au nom de Dieu, Sire, ne me mettez pas, et ne vous mettez pas vous-même à une si cruelle épreuve. – Ce que vous dites-là, dit le Roi, ne se voit que dans les passions ordinaires, et quand on aime des beautés communes; mais vous ne devez rien craindre de semblable; et quand vous le craindriez, et que je serois assez téméraire pour prétendre quelque chose au-delà de ce que je vous demande, n'êtes-vous pas toujours en droit de me la refuser, et de m'interdire même la grâce que vous m'aurez accordée, de vous voir et de vous parler de mon amour?»

La comtesse trouvoit cette proposition assez raisonnable; mais cela n'empêchoit pas que l'exécution ne lui en parût difficile pour le Roi, et l'essai périlleux pour elle. Cependant elle n'osoit trop le témoigner, de peur que ce prince ne la soupçonnât de quelque foiblesse dont il pourroit tirer avantage. Elle voulut donc lui laisser croire qu'elle avoit assez de vertu pour se défendre de ses poursuites, quand même il les voudroit pousser trop loin; mais elle prit un autre tour pour détourner le Roi de ce dessein où il persistoit toujours. Elle dit à ce monarque que, bien qu'elle pût s'assurer de sa discrétion, et qu'elle ne craignît rien de sa propre vertu, elle avoit le monde à ménager; qu'on ne manqueroit pas de mal interpréter les visites d'un grand roi à une simple comtesse; que de quelque manière qu'il la vit, ou chez elle ou ailleurs, on ne manqueroit pas de le remarquer et de faire là-dessus des réflexions qui lui seroient désavantageuses; et qu'enfin le Roi, venant à bout de toutes les dames qu'il entreprenoit, s'il en falloit croire le bruit commun, elle se voyoit perdue de réputation, si le Roi persistoit dans son dessein. – «Laissez parler le monde, lui dit le Roi, croyez-vous vous mettre à couvert de la médisance, de quelque manière que vous viviez? Les mauvaises langues n'épargnent personne; la vertu même ne peut pas se garantir de leurs traits; ainsi ne ménageons point un monde qui nous ménage si peu; faisons seulement notre devoir et moquons-nous de tout le reste.»

La comtesse, qui voyoit que le Roi lui rabattoit tous ses coups, lui opposa son dernier retranchement, et, reprenant les dernières paroles de ce prince: – «Je conviens, dit-elle, de ce que vous venez de dire, qu'en faisant son devoir on peut se moquer de tout. Mais le ferai-je mon devoir, en écoutant des discours qui blessent le lien conjugal? Une femme mariée peut-elle entendre une déclaration d'amour d'un autre que de son mari? Que direz-vous, Sire, là-dessus, ajouta-t-elle en souriant, si je vous prends pour mon casuiste, et pour le directeur de ma conscience? – Je vous dirai, dit le Roi, que vous avez l'esprit trop fort pour vous effaroucher de ce fantôme; que vous savez trop bien le monde, pour vous faire un crime d'une chose si innocente. Il faut laisser ces vaines terreurs, ajouta-t-il, aux plus petites bourgeoises; mais les dames comme vous, qui ont l'esprit épuré par l'air de la Cour, ne s'arrêtent pas à ces bagatelles. – Vous croyez bien pourtant, dit-elle, que le comte mon époux, qui a respiré toute sa vie ce même air, en jugeroit autrement si je le consultois là-dessus? – Je suis sûr, Madame, répliqua le Roi, qu'il en jugeroit comme moi, quoique peut-être il ne vous dît pas sa pensée, et la qualité de mari qui veut faire la cour à sa femme, lui feroit tenir un autre langage. – Mais enfin, dit la comtesse, quand le comte, mon époux, seroit un de ces maris commodes qui laissent faire à leurs femmes tout ce qu'elles veulent, sans s'en mettre en peine, ne dois-je compter pour rien la modestie de mon sexe, ma propre vertu, ma pudeur et les mouvements de ma conscience, qui répugnent à je ne sais quel commerce que vous demandez de moi, et qui ne peut aboutir à rien de bon? Encore une fois, Sire, je vous le demande pour dernière grâce, si vous avez quelque considération pour moi, demandez-moi des choses plus raisonnables. – Et que vous puis-je demander de plus raisonnable, dit alors le Roi, dans la triste situation où je me trouve? Je brûle d'un feu qui me dévore, j'aime sans espérance, je soupire, je meurs d'amour pour vous, et je ne vous demande que de vous voir et de vous parler; et vous trouvez que ce que je vous demande est déraisonnable? Peut-on vous demander moins? et la vertu la plus sévère s'en pourroit-elle offenser?

La comtesse, qui vit que le Roi persistoit toujours dans le dessein de la voir, ne voulut pas lui répliquer davantage, de peur de l'aigrir, et, sans lui accorder sa demande, elle se contenta de cesser de lui contredire; mais comme les amants prennent avantage de tout, le Roi ne manqua pas d'expliquer en sa faveur le silence de la comtesse. C'est ainsi qu'ils se séparèrent; le Roi continua sa promenade avec ceux qui l'accompagnoient, et la comtesse reprit le chemin du château avec ses deux femmes.

C'est une maxime certaine en fait d'amour que les femmes vont toujours plus loin qu'elles ne pensent, et les hommes au contraire se flattent d'avoir fait plus de chemin qu'ils n'ont fait en effet. Cela ne manqua pas d'arriver au Roi et à la comtesse, après leur dernier entretien. Ce monarque fut assez satisfait de sa maîtresse, et il ne jugea plus cette conquête aussi difficile qu'il avoit cru au commencement; au moins il ne la jugea pas impossible. La comtesse lui parut assez traitable, et il ne remarqua pas en elle cette même sévérité qui lui avoit fait tant de peur. Cependant cet amant se flattoit, et l'heure d'aimer de la comtesse n'étoit pas encore venue. Mais aussi cette vertueuse dame, qui n'y entendoit point de finesse, s'étoit plus avancée qu'elle ne croyoit, ce qui fut la cause de l'erreur du Roi. Ils reconnurent bientôt l'un et l'autre qu'ils s'étoient trompés, lui de croire qu'on le regardoit favorablement; elle, de s'imaginer qu'elle avoit soutenu jusques au bout sa première sévérité. Ce prince impatient, et par l'excès de son amour et par la facilité qu'il avoit trouvée dans toutes ses autres maîtresses, et parce qu'un roi se lasse bientôt d'attendre, chercha une nouvelle occasion de voir la comtesse, et de pousser plus loin les affaires.

Comme les principaux de la Cour avoient un appartement dans le grand et magnifique palais de Fontainebleau, le comte de L… et la comtesse sa femme y avoient aussi le leur. Cela fournissoit au Roi la commodité de la voir, et fit naître l'occasion qu'il attendoit avec tant d'impatience. Un jour que ce prince vit la porte de l'appartement de la comtesse entr'ouverte, il eut la curiosité d'y regarder, et, ne voyant personne, il entra comme à la dérobée. Il ne se fut pas plus tôt approché d'un lit de repos qu'il y avoit dans cette chambre, qu'il vit la comtesse tout endormie. C'étoit dans les plus grandes chaleurs de l'été; et ses filles, voyant leur maîtresse qui reposoit, prirent ce temps pour s'écarter un petit moment. Cette charmante personne étoit étendue négligemment sur ce lit; elle étoit seule dans sa chambre, et on auroit dit que tout cela s'étoit fait de concert, pour donner le moyen au Roi de surprendre une place qu'il n'osoit attaquer ouvertement. Son cœur fut agité de mille différentes pensées; il craignoit et il désiroit tout à la fois. Il ne savoit s'il se contenteroit de regarder sa maîtresse qui dormoit si tranquillement. Il ne savoit s'il ne devoit lui dérober un baiser et profiter d'une occasion si favorable, qui peut-être ne reviendroit jamais; d'un autre côté, il craignoit de l'offenser, et que la comtesse venant à s'éveiller ne lui pardonnât jamais cet attentat, et lui défendît absolument de la voir.

Il étoit dans cette cruelle incertitude, lorsque la gorge de cette belle comtesse venant à se découvrir par quelque mouvement qu'elle fit en dormant, acheva de le déterminer, et n'écoutant plus que l'excès de sa passion, il posa ses mains sur ces deux boules de neige, et les baisa trois ou quatre fois de sa bouche royale. La comtesse, qui sentit d'abord cet attouchement dans une partie si délicate, s'éveilla en sursaut et fit un grand cri; et voyant que c'étoit le Roi, et que ses filles s'en étoient allées, elle crut qu'on l'avoit trahie, et qu'on vouloit la prostituer à ce monarque. Cette pensée lui fit tant d'horreur, qu'elle ne put s'empêcher de le témoigner: – «Allez, lui dit-elle, monstre exécrable, ôtez-vous pour jamais de devant mes yeux, ou faites-moi promptement mourir, puisqu'en vous parlant ainsi, je suis criminelle de lèse-Majesté.»

Le Roi, qui vit bien la faute qu'il avoit faite, voulut essayer de l'apaiser; mais elle ne lui donna pas le temps de parler, et, se débarrassant des bras du Roi, elle gagna d'abord la porte, et laissa cet amant plus mort que vif. Cependant le cri que la comtesse avoit fait avoit été ouï de plusieurs personnes, et particulièrement du comte de L… qui, reconnaissant la voix de sa femme, accourut en diligence pour voir ce que cela pouvoit être. Il ne fut pas plus tôt à la porte de sa chambre qu'il en vit sortir le Roi, et, ne voyant point sa femme, il ne savoit que penser de cette aventure. Le Roi, qui ne douta pas que le comte n'entrât dans des soupçons qui pourroient faire tort à la comtesse et traverser son amour, aima mieux lui dire la chose comme elle étoit, que de le laisser dans cette cruelle incertitude. Mais il n'eut garde de lui parler de la passion qu'il avoit pour la comtesse. Il lui dit donc sans façon: – «Comte, je vois que tu es en peine de ta femme, et que tu veux savoir la cause de ce grand cri qu'elle a fait. Je te dirai que je suis entré fortuitement dans sa chambre, et, la voyant endormie, j'ai voulu lui donner un baiser, ce qui l'a fait lever en sursaut. Va, comte, tu dois te féliciter d'avoir une femme si chatouilleuse; j'en connois bien d'autres qui, au lieu de s'éveiller, se seroient d'abord rendormies, ou en auroient fait le semblant.»

Le comte, qui se crut obligé de répondre galamment au Roi, lui dit: «Sire, ma femme n'est pas d'une meilleure trempe que les autres, et si elle eût su que c'étoit votre Majesté, infailliblement elle auroit fait semblant de dormir; mais son sommeil l'a trompée, et l'a empêchée de vous reconnoître quand elle a jeté ce grand cri. – Elle m'a fort bien reconnu, reprit le Roi, et je t'assure que si ta femme est toujours si franche, tu n'as pas sujet d'en être jaloux.»

La chose ne fut pas poussée plus loin; le Roi se retira dans son cabinet et congédia le comte, qui n'eut pas le moindre soupçon de l'amour du Roi, et la comtesse, revenue de sa frayeur, retourna dans son appartement, après avoir bien grondé ses filles de ce qu'elles l'avoient laissée toute seule.

Cependant le Roi, qui voyoit que cette affaire n'auroit point de suite fâcheuse, puisque celui qui y avoit le plus d'intérêt la traitoit de bagatelle, et qu'il espéroit de faire bientôt la paix avec la comtesse, ne put s'empêcher de faire un couplet de chanson sur cette aventure, et, quoiqu'elle se chantât en ce temps-là, on n'en a su le véritable sujet que quelques années après. Quoique ces vers soient presque connus de tout le monde, je ne laisserai pas de les rapporter ici:

Jamais Iris ne me parut si belle,Que l'autre jour dans un profond sommeil;Sa cruauté sommeilloit avec elle,Et je baisai son teint blanc et vermeil,Quand, par malheur,Je vis à son réveilRéveiller sa rigueur.

Le comte ne vit pas plus tôt sa femme, qu'il lui fit mille railleries sur ce qui venoit de lui arriver. Elle ne savoit d'abord comment y répondre; elle ne traitoit point comme son mari cette affaire de bagatelle; elle connoissoit le cœur du Roi et le motif qui le faisoit agir ainsi; tout cela changeoit la nature de l'affaire; mais c'étoient des mystères pour le comte. Sa femme le reconnut d'abord, quand elle vit qu'il le prenoit sur un ton railleur. De sorte que, revenue de sa première émotion, elle crut qu'elle devoit feindre, dissimuler son juste ressentiment, et prendre le tour que son mari donneroit à cette aventure. Il fallut pourtant qu'elle se fît une grande violence, la liberté que le Roi s'étoit donnée, après les protestations qu'il lui avoit faites, étoit une chose qu'elle ne pouvoit pas lui pardonner et qui lui tenoit fort au cœur. Mais elle voyoit qu'il étoit pour elle de la dernière importance de cacher à son mari une chose si délicate, et qui auroit pu troubler le bonheur de leur mariage. Le voyant donc heureusement prévenu par le discours que le Roi lui avoit tenu en sortant de sa chambre, elle répondit comme elle devoit à toutes ses railleries, et en femme qui entend son monde: – «Je vous trouve fort plaisant, dit-elle au comte, de me railler d'une chose où vous avez pour le moins autant d'intérêt que moi. Il falloit pour la rareté du fait que je fisse toujours semblant de dormir, et que je laissasse pousser l'affaire jusqu'au bout; vous auriez vu si les rieurs seroient de votre côté. – Vous auriez agi en femme prudente, lui dit le comte, qui sait accommoder ses plaisirs avec son honneur; car, ayant toujours dit que vous étiez endormie, on n'avoit rien à vous reprocher; c'est la volonté qui fait tout en ces affaires, et la vôtre n'y ayant point de part, vous étiez innocente au jugement du monde. – Sans mentir, lui dit la comtesse, vous me donnez là de belles leçons; il me prend envie d'en profiter une autre fois. – Il n'est plus temps, Madame, lui dit le comte, qui étoit toujours en humeur de railler; on sait déjà que vous êtes extrêmement chatouilleuse, et que vous avez le dormir fort délicat, et que le mouvement d'une mouche suffit pour vous éveiller. Et puis, ajouta-t-il, qui osera désormais vous approcher, puisque vous ne pouvez souffrir les caresses du Roi? – Voulez-vous que je vous dise ce qui en est? répliqua la comtesse, qui vouloit plaisanter à son tour. Quand on dort, on ne sait ce qu'on fait; mais si le Roi se fût présenté à moi quand j'étois éveillée, peut-être que je n'aurois pas été si cruelle, et que j'aurois mieux reçu ses caresses. Je vous prie, Monsieur le comte, de lui en faire mes excuses. – Vous ferez cela mieux que moi, répondit le comte, ou, pour mieux dire, il n'y a point ici d'excuse à faire. Que savez-vous si le Roi trouveroit en vous les mêmes agréments quand vous seriez éveillée, qu'il a pu y remarquer lorsque vous dormiez? vous savez que ces sortes de choses dépendent entièrement du caprice; un certain air négligé ravit quelquefois un cœur que toute la parure d'une dame ne sauroit jamais attraper. Ainsi consolez-vous, vous avez manqué votre coup; le Roi trouvoit alors de certains charmes en vous, qu'il n'y remarquera plus; vous voilà déchue de vos prétentions, si tant est que vous ayez aspiré à cette gloire, tant recherchée des dames, d'être la maîtresse du Roi.»

La confiance que le comte avoit en la vertu de sa femme le faisoit parler ainsi. Il avoit raison de s'y confier; mais s'il avoit su que le Roi brûloit pour elle, et qu'elle en étoit bien informée, il n'auroit pas eu tant d'assurance, connoissant, comme il faisoit, la fragilité du sexe.

Cette petite aventure qui venoit d'arriver au Roi et à la comtesse, servit d'entretien à la cour durant quelques jours; mais tout ce qui s'en dit ne fit aucun tort à la vertu de cette dame, et personne ne soupçonna que le Roi en fût amoureux. On crut seulement qu'il vouloit se divertir, par l'occasion agréable qui s'offrit à lui, sans avoir d'autre dessein. Il n'en étoit pas de même du duc de La Feuillade, qui savoit l'attachement du Roi pour cette comtesse. Il n'ignoroit pas pourquoi le Roi s'étoit ainsi émancipé; mais il regrettoit pour ce prince d'avoir si mal réussi, et il blâmoit dans son cœur la cruauté de la dame. Le lecteur peut bien juger qu'il y en avoit un assez grand nombre à la cour, qui auroient voulu être à sa place, qui n'auroient pas eu tant de honte qu'elle de se montrer en cet état aux yeux du Roi, ou qui, pour cacher cette honte, auroient fait semblant de dormir.

Tandis que les Messieurs et les Dames s'entretenoient de cette affaire, et que chacun en jugeoit selon son humeur, le Roi étoit fort inquiet, et il ne savoit comment se raccommoder avec sa fière maîtresse. Au fond, l'offense n'étoit pas d'une nature qui méritât une grande punition, et qui dût si fort irriter le cœur d'une dame. Mais il connoissoit l'humeur de la comtesse, et il craignoit toujours cette vertu austère qu'il avoit remarquée en elle. Avant que de se déterminer de quelle manière il devoit se comporter avec elle, il voulut la voir en public, et tâcher de connoître dans ses yeux et par ses manières, quel étoit l'état de son cœur. Il ne l'eut pas plus tôt vue, qu'il jugea d'abord qu'elle n'étoit pas si irritée qu'elle lui avoit paru lorsqu'il s'émancipa de la manière que j'ai déjà dit, et qu'elle dit au Roi ces grosses injures. En effet sa pensée étoit, comme je l'ai remarqué, que ses filles l'avoient trahie et l'avoient abandonnée pour la livrer aux desseins du Roi, et ce fut la cause qu'elle ne put pas retenir son ressentiment. Mais quand elle eut reconnu par les discours de ses filles, qu'elles étoient innocentes d'une si noire trahison, et que ce qui étoit arrivé étoit un effet du hasard, sa plus grande colère fut amortie; et, dans son âme, elle ne pouvoit condamner la liberté d'un amant qui trouvoit une occasion si favorable. Elle joignoit à cela les paroles choquantes qu'elle avoit dites au Roi, et que ce monarque avoit doucement avalées. Toutes ces confidences servoient à désarmer la comtesse. Elle étoit dans cet état, quand le Roi la vit dans une compagnie de dames; et, comme il est bon physionomiste, comme le sont presque tous les amants, il connut d'abord ce qui se passoit dans le cœur de sa maîtresse. Il la vit rougir, dès qu'elle aperçut le Roi, puis baisser doucement les yeux par une espèce de honte, tourner quelquefois la tête d'un autre côté, parler à bâtons rompus, paroître distraite, inquiète, interdite; avec tout cela, il n'y remarqua rien d'ennemi, et il jugea seulement que le souvenir de ce qui s'étoit passé le jour précédent la déconcertoit un peu.

Ce fut la cause que le Roi se priva quelques jours de la voir, pour lui donner le temps de se remettre. Mais ne pouvant vivre si longtemps sans l'entretenir de quelque manière, il lui écrivit ce billet:

«Quelque envie que j'aie de vous parler, je n'ose pas l'entreprendre; les derniers discours que vous me tîntes sont si terribles pour moi, que je n'oserai jamais me présenter devant vous, si je n'en ai une permission signée de votre main, qui porte l'absolution de mon crime. Je l'appelle ainsi par rapport à vous; mais si vous consultez l'amour, si vous consultez votre miroir, au lieu de blâmer mon trop de hardiesse, vous louerez ma discrétion et ma retenue. Je veux bien pourtant soumettre mon jugement au vôtre, et je l'attends avec impatience afin de m'y conformer et de régler ma conduite là-dessus.»

La comtesse reçut ce billet, et y répondit ce peu de mots:

«On vous pardonne tout, parce que vous êtes Roi. Je récuse le tribunal de l'amour, c'est un petit étourdi qui ne juge que par caprice. Si vous me voulez voir, ne consultez plus un si méchant conseiller. Consultez plutôt la sagesse, la justice et la raison, et l'on vous écoutera.»

Quoique ce billet n'eût rien de tendre, le Roi parut en être satisfait, et c'étoit assez que la comtesse lui permît encore de la voir, sauf à lui à tenir les conditions où elle l'engageoit. Mais en amour, on promet tout, et souvent on ne tient rien.

Le Roi se voyant ainsi rétabli dans les bonnes grâces de sa maîtresse, ne songea qu'à pousser son premier dessein. Ce ne furent que bals, que festins, que carrousels, que parties de chasse, pendant le séjour du Roi à Fontainebleau; et tout cela se faisoit en faveur de la comtesse. Quoiqu'elle n'eût aucun dessein de rien accorder au Roi, elle n'étoit pas fâchée d'en être aimée; elle sentoit même que, si elle étoit capable de quelque engagement, ce seroit plutôt pour le Roi que pour toute autre personne; elle admiroit sa bonne mine, son port, et ces manières nobles qui accompagnoient tout ce qu'il faisoit; elle trouvoit qu'il faisoit tout en Roi, et ce dernier caractère étoit plus propre pour gagner une dame qui étoit fière naturellement. Mais sa vertu lui étoit d'un grand secours, qui arrêtoit le penchant qu'elle avoit pour le Monarque. Elle l'aimoit peut-être autant qu'aucune de ses maîtresses, qui n'avoient rien de réservé pour ce prince; et si le Roi eût pu voir son cœur, il y auroit peut-être vu autant de tendresse qu'en pouvoit avoir la Montespan et La Valière même. Mais, comme je viens de dire, sa vertu étoit un frein qui retenoit ses désirs, et qui lui faisoit un crime d'une tendresse qu'elle chérissoit dans le fond, et qu'elle ne put jamais étouffer.

Combien de fois a-t-elle souhaité de n'avoir jamais vu le Roi! Elle cherchoit en lui des défauts qu'elle pût haïr; mais elle n'y en trouvoit pas; de quelque manière qu'elle regardât ce Monarque, elle le trouvoit toujours charmant. Elle l'auroit voulu voir toujours, et elle ne craignoit rien tant que sa vue. Il lui sembloit que toute sa vertu l'abandonnoit quand elle voyoit paroître ce prince. «Pourquoi se contraindre, disoit-elle quelquefois en elle-même? Suivons un penchant si doux: serai-je la seule ennemie de mon contentement? Je suis adorée de ce que j'aime; j'ai un mari commode17; ma réputation est si bien établie que je n'ai rien à craindre de la médisance, et pourquoi donc ne suivre pas une passion qui a tant de charmes pour moi?» Mais un moment après, elle se reprenoit, et faisant réflexion sur les suites funestes de ce fatal engagement: «Je serai, disoit-elle, l'une des maîtresses du Roi; j'en suis aimée, j'en suis estimée aujourd'hui, et demain j'en serai méprisée. Il se dégoûtera de moi comme il a fait des autres; et quand cela ne seroit pas, pourrai-je me résoudre à vivre sans honneur dans le monde, abandonnée de mon mari, méprisée de tous les honnêtes gens, et travaillée d'un cruel remords qui me dévorera jour et nuit? Je mourrai plutôt, ajoutoit-elle, avant que de tomber dans ce malheur.»

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