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La Voisine Idéale
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La Voisine Idéale

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Après ce rendez-vous, il avait une réunion à sa fondation récemment créée, le PIC, le Projet pour les Injustement Condamnés. Il répartissait des fonds parmi des organisations caritatives qui fournissaient une aide juridique aux prisonniers qui luttaient contre des accusations injustes. Ce projet permettait aussi à Kyle d’effectuer quelques tours de passe-passe comptables grâce auxquels il finirait par aider des amis qu’il avait rencontrés derrière les barreaux.

Après cela, il avait une interview sur la fondation avec une station de nouvelles locales. Il avait consulté un expert en relations avec les médias qui lui avait appris comment ne parler que de la fondation sans se laisser entraîner par des questions désagréables sur la raison de sa condamnation originale, toute cette histoire avec Jessie. Cela serait sa première tentative de traversée de ces eaux houleuses.

Quand l’interview de la station de nouvelles serait finie, il aurait un rendez-vous d’une autre sorte. Ce serait un entretien d’embauche avec une entreprise de gestion de fortune basée à Rancho Cucamonga, pas loin de sa maison de ville de Claremont. Il avait déménagé dans cette charmante ville universitaire, à cinquante kilomètres du centre-ville de Los Angeles, pour que personne ne puisse l’accuser de manière crédible d’essayer d’intimider son ex-épouse. Ainsi, si l’entretien se passait bien (il avait été assuré par ses amis de Monterrey qu’il se passerait bien), il en retirait une légitimité qui serait cruciale pour ce qu’il avait prévu de faire dans les semaines et les mois suivants.

Il avait besoin de la crédibilité qui allait avec un poste dans une firme bien réputée. De plus, même s’il n’avait pas envie de l’admettre, il avait également besoin de l’argent. Il avait beaucoup gagné avant toute cette histoire de meurtre, mais le divorce avec Jessie et ses frais d’avocat avaient épuisé une bonne partie de ses ressources. Il avait encore accès à des fonds qu’il avait habilement fait disparaître pendant sa vie de couple, mais cela ne suffirait pas à faire tourner la fondation, à lui payer le style de vie qu’il voulait et à financer la destruction totale du monde de son ex-épouse. Il lui fallait tout simplement un plus grand revenu.

Alors qu’il finissait son petit déjeuner, on sonna à la porte. Il vérifia la caméra de sécurité avec son téléphone et vit que c’était son agent de probation. Il ne fut pas si étonné que cela. On l’avait averti que les visites à domicile imprévues étaient monnaie courante et qu’il devait s’y préparer.

– Bonjour, M. Salazar, dit-il en ouvrant la porte. Je croyais que nous étions censés nous retrouver à votre bureau à neuf heures. Étiez-vous impatient à ce point ?

– Vous savez que les visites à domicile imprévues sont autorisées, n’est-ce pas, M. Voss ? demanda sèchement Salazar.

– Bien sûr, dit Kyle comme s’il s’était attendu à sa venue. Je me disais que, comme j’étais venu vous voir si souvent, vous me retourneriez la faveur un jour ou l’autre. J’étais en train de terminer mon petit déjeuner. Puis-je vous proposer quelque chose ? Du café ? Mes œufs brouillés au fromage ne sont pas si mauvais.

– Non, merci. Inutile d’y passer trop de temps. Je voulais juste voir ce que vous aviez prévu pour la semaine afin de m’assurer que vous remplissiez vos obligations fixées par la cour.

– Bien sûr, dit chaleureusement Kyle en se retournant et en repartant dans la maison. Mon calendrier est dans la cuisine.

Salazar le suivit prudemment. Kyle continua à se comporter comme s’ils étaient juste de vieux copains qui échangeaient des nouvelles. Il versa à l’homme une tasse de café et la posa sur la table en face de lui. Malgré son refus initial, Salazar sirota son café.

Kyle présenta à Salazar les projets qu’il avait évalués quelques moments auparavant, en omettant quelques détails, bien sûr. En quelques minutes, il vit que Salazar était satisfait mais continua quand même à décrire en détail tous ses rendez-vous de la semaine. Son but était d’en dire assez pour que Salazar ne ressente plus le besoin de lui rendre visite chez lui dans un avenir proche.

La tactique fonctionna. Moins de dix minutes plus tard, l’agent de probation s’en allait en emportant une tasse de café et une part d’œufs au fromage dans un emballage en plastique, ayant changé d’avis sur ces derniers.

– À vendredi, rappela-t-il à Kyle. À neuf heures pile dans mon bureau.

– Ce sera un plaisir.

Cinq minutes plus tard, Kyle sortit lui aussi. Quand il monta dans sa voiture et fit signe aux agents du FBI garés de l’autre côté de la rue, où ils restaient par intermittence depuis qu’il avait emménagé, il se répéta intérieurement son emploi du temps. Il savait que, avec toutes ses réunions et tous ses entretiens, il aurait du mal à organiser la destruction métaphorique et physique de Jessie Hunt, mais il était certain qu’il pourrait le faire. Après tout, il avait déjà orchestré la quasi-destruction de sa carrière alors qu’il était derrière les barreaux.

Avec l’aide impressionnante du cartel de la drogue basé à Monterrey, il avait coordonné toute sorte de cauchemars pour Jessie. Il avait commencé modestement en demandant aux soldats du cartel de crever les pneus de sa voiture. Après, il était passé au stade supérieur en faisant placer des médicaments dans la voiture de Ryan et en effectuant des appels anonymes aux services sociaux pour suggérer que Jessie avait maltraité sa sœur. Enfin, cerise sur le gâteau, il avait fait pirater les comptes de médias sociaux de Jessie, où il avait fait publier des diatribes racistes. Cette dernière attaque avait encore des effets, car, ainsi, son ex-épouse était persona non grata chez beaucoup d’habitants de Los Angeles, même après avoir été exonérée dans les faits.

Le cartel s’assurait qu’il y ait encore des manifestations devant le poste où elle travaillait. Il était prévu de recouvrir sa voiture de graffitis bientôt. Ensuite, le meilleur pourrait commencer.

D’abord, il y aurait l’élimination de tous ses proches. Ensuite, quand elle serait au plus vulnérable sur le plan émotionnel, il viendrait s’en prendre à elle et il lui ferait ce qu’il rêvait de lui faire depuis des années. D’abord, il avait prévu de l’éventrer et de regarder son visage se remplir d’horreur quand il découperait ses organes et les brûlerait devant elle mais, depuis, il avait trouvé une idée encore pire pour elle. Il allait lui faire payer l’addition, à cette salope.

CHAPITRE CINQ

Jessie grignotait nerveusement son muffin.

Assise dans le café-restaurant Nickel Diner de South Main Street, où elle attendait que Garland Moses arrive, elle avait l’impression étrange que quelqu’un trichait. D’habitude, elle travaillait avec Ryan, mais Ryan avait enquêté sur une affaire avec Garland la veille au soir à Manhattan Beach. Est-ce que leur front commun était une violation personnelle d’une sorte ou d’une autre ? Est-ce que leur petit déjeuner partagé de ce matin en était une ? Elle savait que, logiquement, c’était ridicule, et pourtant, cette sensation la taraudait.

Finalement, Garland arriva sans se presser à 8 h 30, une bonne demi-heure après leur heure de rendez-vous. Ses cheveux blancs paraissaient encore plus sauvages et encore plus décoiffés que d’habitude. Ses lunettes à double foyer semblaient être en danger de tomber du bout de son nez. Quand il se rendit au box que Jessie savait qu’il préférait, il ne leva même pas le regard.

Elle attira l’attention de la serveuse et lui fit signe de lui apporter du café pour Garland, qui avait l’air épuisé. Après avoir travaillé si tard, elle l’aurait été, elle aussi, et elle avait trente ans, pas soixante-et-onze.

– La nuit a été dure ? demanda-t-elle quand il se glissa sur son siège.

Il sourit tristement.

– Je me suis couché bien plus tard que d’habitude, admit-il, comme ton petit copain le sait forcément. J’aurais vraiment besoin de caf—

Il s’arrêta de parler quand on plaça une tasse devant lui et qu’on la remplit.

– Vous avez lu dans mes pensées, dit-il à la serveuse.

Alors, la serveuse désigna Jessie.

– En fait, c’est elle qui y a pensé.

– C’est du profilage de grande qualité, dit-il en goûtant prudemment le café.

– Ce n’est pas du profilage, Garland. Savoir que tu voudras boire du café quand tu entreras ici, c’est comme savoir que le soleil se lève à l’est.

– Merci quand même, dit-il.

– Comment est-ce que ça s’est passé hier soir ? demanda-t-elle.

– Hernandez ne te l’a pas dit ?

– Quand je me suis levée, il s’en allait. Il ne voulait pas me réveiller. Il me dit tout le temps que je dois me reposer et tout ça.

– Tu devrais peut-être l’écouter, suggéra Garland d’un ton protecteur. Tu te remets quand même de plusieurs brûlures et d’une commotion cérébrale. Quant à ton os de l’entêtement, il en a pris un coup, lui aussi.

– Est-ce que tu essaies d’être drôle, Garland ? demanda-t-elle. Parce que, si c’est ça, tu devrais absolument en rester à ton travail de jour qui, maintenant, semble aussi être un travail de nuit.

– N’essaie pas de changer de sujet, répliqua Garland. Je sais que tu essaies de reprendre le travail avant la date conseillée par le docteur. Tu ne devrais pas. Attends que ton corps soit prêt.

– Comment pourrais-tu savoir si j’essaie de reprendre le travail en avance ? demanda-t-elle.

– C’est facile, répondit-il avec un sourire espiègle. À chaque fois que tu te penches ou que tu te retournes, tu fais involontairement une petite grimace, ce qui m’indique que tu prends une dose d’antalgiques inférieure à celle qui a été prescrite. De plus, tu te penches tout le temps en avant comme une écolière qui craint que la bonne sœur ne te gifle la main parce que tu t’es laissée aller à ton bureau.

– Quel rapport avec le reste ?

– Tu crains que ton dos ne heurte le fond du box parce qu’il est encore sensible. Donc, tu as adopté la posture la plus guindée que j’aie jamais vue en dehors des romans d’E.M. Forster.

Elle secoua la tête, partagée entre l’agacement et l’étonnement.

– Tu devrais presque en faire ton métier.

– La flatterie, ça mène à tout, dit-il en prenant une autre gorgée de café. Cela dit, je parle sérieusement. Tu devrais lever le pied aussi longtemps que possible. De plus, si tu te fais oublier par le public, cela pourrait laisser le temps au déferlement de haine qui a suivi ces messages racistes de diminuer un peu.

– Les messages que je n’ai pas écrits ? lui rappela Jessie.

– Cela ne compte plus, dit-il d’un ton résigné. Même si tu prouves amplement que ton compte a été piraté, certaines personnes voudront encore imaginer le pire à ton sujet.

– Donc, tu penses que je devrais faire profil bas jusqu’à ce que les gens oublient qu’ils me prennent pour une raciste ? dit Jessie d’un ton sceptique.

Garland soupira mais refusa de mordre à l’hameçon.

– C’est peut-être ce que ton amie Kat fait, suggéra-t-il.

L’amie de Jessie, la détective privée Katherine « Kat » Gentry, était en train de bénéficier d’un bilan de santé neurologique complet à la Mayo Clinic de Phoenix. Elle avait été avec Jessie pendant que cette dernière sauvait la femme kidnappée de la maison en feu. Elles avaient toutes deux subi plusieurs commotions cérébrales quand une bombe avait explosé dans cette maison.

Pour Kat, qui avait été Ranger de l’armée américaine en Afghanistan et ignorait fièrement ses cicatrices, les internes comme les externes, c’était au moins la sixième fois. Elle avait finalement consenti à passer un bilan quand les maux de tête et les sifflements dans les oreilles n’avaient pas diminué au bout de deux semaines complètes. Elle devait encore rester cinq jours en Arizona, puis elle reviendrait ce week-end.

– Kat est une vétérane de l’armée qui souffre de troubles de stress post-traumatique, de troubles liés à des engins explosifs improvisés et probablement d’encéphalopathie traumatique chronique, lui dit Jessie. Moi, j’ai juste quelques brûlures.

Garland lui sourit d’un air paternel.

– Quels mots barbares ! Certes, ton amie doit affronter des problèmes potentiellement graves, mais toi aussi. Tu as subi plusieurs commotions cérébrales et tu as plus de cicatrices, physiques et émotionnelles, que la plupart des soldats. Combien de ces hommes ont été torturés par leur propre père biologique après l’avoir regardé assassiner leur mère ?

– Probablement quelques-uns, répondit sèchement Jessie.

– Et combien ont dû affronter ce même père dans un combat jusqu’à la mort ? Et plus tard tuer son protégé tueur en série ? Et affronter un ex-mari sociopathe et assassin ? Et …

– Je comprends, Garland, interrompit Jessie.

Il resta assis en silence pendant un moment.

– Je dis seulement que tu dois prendre soin de toi. Si tu ne veux pas le faire pour toi-même, pense à ta petite sœur et à ce bel inspecteur que tu aimes. Si tu ne ralentis pas ton activité, ces relations vont inévitablement en souffrir. Si tu fais attention à toi, cela t’aide à faire attention à eux.

Elle hocha la tête et prit une autre petite bouchée du muffin qui ne l’intéressait plus.

– J’ai remarqué que tu avais changé de sujet, toi aussi, signala-t-elle.

– Quoi ?

– L’affaire ? L’as-tu résolue ?

– Ça ne devrait pas tarder, dit-il avec ironie.

– Comptes-tu me dire quoi que ce soit sur cette affaire ? demanda-t-elle, agacée.

– On a trouvé une femme morte dans la maison d’une voisine, dit-il d’un ton neutre. Nous avons exclu le mari de la liste des suspects. Ça m’a déçu parce que c’est un homme vraiment déplaisant. J’aurais adoré le coincer pour ce crime mais, au moins, comme ça, je n’aurai plus besoin d’interagir avec lui. Il me faisait penser à un ulcère sur pattes doué de la parole.

– Quoi d’autre ? demanda-t-elle.

Il la regarda avec une expression bizarre, comme s’il voulait lui demander quelque chose mais ne trouvait pas comment aborder au mieux le sujet.

– Te considères-tu comme une gravure de mode ? demanda-t-il finalement.

La question prit Jessie au dépourvu.

– Je sais m’habiller, dit-elle, mais je ne suis pas abonnée à Vogue. Pourquoi ?

Il commença à parler, puis s’arrêta et prit une gorgée de café.

– C’est tout ? demanda-t-elle. Tu ne pourrais pas expliquer ?

– Je ne crois pas, lui dit-il. J’en ai déjà dit plus que je n’aurais dû. Je crains que, si j’en dis plus, tu ne sois tentée d’en demander encore plus. Tu es supposée récupérer et je ne veux pas t’en empêcher. Si tu veux vraiment les détails, demande-les à Hernandez.

– Beurk, dit Jessie. C’était la seule raison pour laquelle je t’avais demandé de me retrouver ici.

– Et moi qui croyais que tu voulais juste jouir de ma compagnie ! Ça fait très mal.

Garland avait l’air blessé, mais Jessie voyait un sourire commencer à se former aux coins de sa bouche.

– Tu es très déplaisant, dit-elle. Tu le sais, n’est-ce pas ?

Il prit une autre gorgée de café et se permit de sourire entièrement, cette fois-ci.

– Voulais-tu parler de sujets non liés à l’affaire ? demanda-t-il. J’ai l’impression que tu te retiens de dire quelque chose.

– Qu’est-ce que je me retiens de dire ? répondit-elle d’un ton plus acerbe que prévu.

– Cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé de Hannah. Comment va-t-elle ?

Jessie expira profondément.

– Parfois, elle est adorable. Parfois, morose. Parfois, désopilante. Parfois, vache. Parfois, muette. C’est un cauchemar ordinaire.

– Mais sans meurtres, n’est-ce pas ? dit Garland.

– Quoi ?

– La demi-sœur que tu crains de voir se transformer en tueuse en série sociopathe débutante n’a encore assassiné personne, n’est-ce pas ?

– Pas que je sache, répondit Jessie.

– Dans ce cas, si elle est morose, par rapport à ça, ce n’est pas si grave, fit-il remarquer.

Jessie haussa les épaules pour signifier son approbation.

– Vu comme ça, d’accord.

– Tu devrais peut-être apprécier ta bonne fortune, dit-il doucement. Vu la vie que tu mènes, tout pourrait être largement pire.

Jessie ne pouvait pas le nier. Elle allait lui demander ce qu’il pensait sur un autre sujet quand son téléphone sonna. Elle baissa les yeux. C’était son ami agent du FBI Jack Dolan, qui avait demandé à ses hommes de surveiller son ex-mari, Kyle.

– Il faut que je réponde, dit-elle.

– Pas de problème, dit Garland en posant un billet de cinq dollars sur la table. De toute façon, il faut que j’aille au bureau. Je manque probablement à ton petit copain.

– Tu veux que je t’emmène ?

– Non. Tu as ton appel. En outre, tu sais que j’aime marcher.

– OK, dit-elle en répondant au téléphone. Bonjour, Dolan.

– Hé, Jessie, ajouta Garland à voix basse en se levant.

– Une seconde, Dolan, dit-elle dans le téléphone avant de lever les yeux vers l’homme bourru qui se tenait devant elle. Oui, Garland ?

– Souviens-toi seulement que tu es en charge de ta vie, pas de celle de Decker, de Hannah, de Hernandez ou d’un quelconque tueur en série. Parfois, il est difficile de voir les choses comme ça, mais tu as toujours le choix.

– Merci, Confucius, dit-elle en lui envoyant un clin d’œil. On en reparlera, c’est d’accord. Il faut que je réponde. C’est à propos de Kyle.

Garland sourit, baissa légèrement la tête et partit. Sa touffe de cheveux blancs mal coiffés disparut au loin quand il se mêla nonchalamment à la foule des personnes qui se ruaient vers leur destination.

– Je suis là, dit Jessie. Qu’as-tu pour moi, Jack ?

– De mauvaises nouvelles. C’est à propos de ton ex-mari.

CHAPITRE SIX

– Attends un peu, dit Jessie tout en sentant le découragement l’envahir. Il faut que je trouve un endroit tranquille pour parler.

Jessie regretta presque d’attendre. Les trois minutes qu’il lui fallut pour payer sa consommation, quitter le café-restaurant et entrer dans sa voiture lui parurent interminables. Dolan était un cynique endurci dont l’attitude ne s’adoucissait que lors de ses séances de surf de début de matinée. Il n’était pas connu pour aimer les exagérations. S’il disait que la situation était grave, elle était en général encore pire que ça. Jessie se dit qu’elle allait peut-être vomir le quart de muffin qu’elle avait mangé.

– Raconte-moi tout, dit-elle brusquement quand elle reprit la conversation.

– En bref, nous n’avons rien.

– Cela fait plus de trois semaines, protesta-t-elle. Tu me dis qu’il a été un citoyen modèle pendant tout ce temps-là ?

– Ouais, dit Dolan, et c’est louche. Il n’a même pas brûlé un feu rouge. Bien sûr, il sait parfaitement bien qu’on le surveille. Quand il passe devant nos agents, il leur fait signe de la main.

– Ils n’essaient pas de rester discrets ?

– Au début, ils l’ont fait, mais il est très malin, comme tu le sais. Comme il a repéré notre camionnette dès la première semaine, nous avons pensé qu’il serait inutile de s’en servir après ça. Depuis, nous employons des berlines banalisées. En fait, mes patrons pensent que je gaspille des ressources. Ils ne tarderont pas à me réduire à un seul agent. Si nous ne trouvons rien avant la fin de la semaine, je ne serais pas surpris qu’ils abandonnent complètement la surveillance. Ce jour-là, nous aurons passé un mois sans trouver quoi que ce soit.

– Mais c’est exactement ce qu’il attend, insista Jessie. Il se retient de faire quoi que ce soit d’important tant que vous n’avez pas retiré vos agents.

Jessie sentait une anxiété familière remonter à la surface. Elle se souvenait que son ex-mari savait très bien se présenter comme un homme charmant afin de dissimuler la laideur qui se trouvait derrière.

– Tu le sais et je le sais, dit Dolan, visiblement agacé, mais cela ne signifie pas grand-chose pour les huiles. Ils veulent des résultats et nous n’en avons pas à leur montrer. Il faut que tu comprennes leur point de vue.

– Que veux-tu dire ? demanda Jessie.

– Souviens-toi que, théoriquement, ton ex-mari a été relâché à cause de malversations effectuées par un professionnel de la justice. Ils ne veulent pas être accusés de s’acharner sur un homme qui a déjà été maltraité par le système. C’est un problème politique. Le fait qu’il soit un assassin passe au second plan. Donc, dans l’état actuel des choses, nous avons dû procéder discrètement. Bientôt, nous n’aurons plus aucun espoir de le prendre la main dans le sac à cause de la mauvaise presse qui risquera de nous tomber dessus. Nous pourrions atteindre ce point de non-retour aujourd’hui.

– Pourquoi ? demanda Jessie alors qu’elle devinait déjà que Kyle allait entamer une opération de séduction du public.

– Parce que, plus tard dans la matinée, il doit participer à une interview à une station de nouvelles, dit Dolan, confirmant son intuition. L’interview est supposée parler de sa fondation, mais je ne serais pas surpris s’il évoquait sa situation personnelle actuelle. Donc, mon responsable craint qu’il ne parle de la surveillance que nous menons.

Jessie se rendit compte qu’elle transpirait, même si elle ne savait pas si c’était à cause de ce que disait Dolan ou de la montée rapide de la température matinale. Elle alluma le contact et monta l’air conditionné.

– Et les soupçons que nous avons sur son implication avec le cartel Monzon ? demanda-t-elle. S’ils arrêtent la surveillance, ne craignent-ils pas qu’il puisse contacter le cartel sans qu’ils le sachent ?

– Nous avons d’autres moyens potentiels de le surveiller. Nous avons l’autorisation judiciaire de placer un tracker sur sa voiture, d’installer des micros et des caméras dans sa maison et même de surveiller ses appels mais, comme un juge vient de réprimander un procureur pour en avoir trop fait —

– Un procureur qui a sûrement été menacé par le cartel, interrompit-elle.

– Nous ne pouvons pas le prouver, répliqua Dolan. Mes patrons craignent que le juge qui a autorisé les micros n’ait peur de prolonger la surveillance s’il pense que cela pourrait entacher sa réputation. Nous sommes dans une situation délicate.

Jessie secoua la tête, alors même que personne ne pouvait la voir. Au bout de moins d’un mois, Kyle était déjà en train de manipuler le système à ses propres fins. Elle sentit monter la fureur en elle quand elle imagina ce qu’il pourrait faire avec un autre mois de liberté.

– C’est exactement ce qu’il voulait, tu sais, signala Jessie. Il sait que vous le surveillez, mais il ne s’en est pas encore plaint. Il garde cette possibilité comme une épée de Damoclès, qu’il suspend au-dessus de vos têtes pour s’en servir quand il en aura le plus besoin. Il reste clean tant que ça peut lui servir. S’il peut vous pousser à arrêter la surveillance sans se plaindre à la presse, il évitera de se plaindre. Il conserve cet atout. Cela fait partie de sa stratégie.

Elle entendit Dolan pousser un soupir peiné dans le téléphone.

– Tu prêches un converti, Jessie, lui assura-t-il. Je suis avec toi. Ce que je me demande, c’est si nous ne devrions pas arrêter la surveillance maintenant avant qu’il ne formule des accusations. Alors, nous pourrons déclarer en toute légitimité que nous ne le surveillons pas, que nous ne le harcelons pas. Je peux rédiger un message pour la presse en leur disant que nous demandons seulement à des agents de le surveiller de temps en temps. S’il donne l’impression de s’effrayer pour un rien, sa crédibilité en souffrira. Il sait jouer à ce jeu-là ? Il n’est pas le seul.

– Non, mais il est meilleur que la plupart des gens que je connais. Ne le sous-estimez pas.

– Aucun risque, promit Dolan. Écoute, nous savons que Kyle est sorti de prison parce qu’il a convaincu le cartel qu’il valait la peine qu’on lui consacre du temps et quelques efforts. Nous savons qu’ils ont même accepté de l’aider à détruire ta vie. Un jour ou l’autre, il va devoir leur renvoyer l’ascenseur. Bientôt, ce gars sera brisé par de gros ennuis.

– Oui, mais j’espère qu’il les aura avant qu’il n’ait trouvé le moyen de me briser, moi.

*

Jessie voyait que Ryan essayait de ne pas remuer le couteau dans la plaie.

– Avez-vous passé une bonne journée ? demanda-t-il à Jessie et à Hannah tout en lavant les brocolis pour le dîner et en évitant manifestement de parler de l’affaire.

Hannah préparait une marinade pour l’agneau pendant que Jessie cherchait la poêle.

Il était clair que Ryan espérait que, en évitant de parler de sa propre journée, il ne la rendrait pas jalouse parce qu’il enquêtait sur des meurtres alors qu’elle était coincée dans l’appartement. Elle pensa que c’était gentil de sa part, mais qu’il apprendrait bientôt que c’était en pure perte.

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