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La Voisine Idéale
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La Voisine Idéale

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Il était clair que Hannah voulait que Jessie soit heureuse, mais il était tout aussi évident qu’elle n’adorait pas l’idée de partager un appartement à deux chambres avec un couple amoureux, particulièrement parce que ces deux-là étaient tous deux membres de la police.

Alors que Jessie réfléchissait à ce problème, Hannah approcha, sortit les tartelettes du four et, sans un mot, posa la plus petite, qui était aussi un peu brûlée, sur le plan de travail mouillé à côté de Jessie.

– Bon appétit, marmonna-t-elle.

– Merci, dit Jessie en décidant de mettre l’accent sur le cadeau plutôt que sur la manière dont il était offert.

Parfois, la légère rancœur de Hannah s’exprimait sous la forme de remarques adolescentes passives-agressives ou, dans ce cas, de tartelettes aux poires brûlées. Parfois, elle se manifestait par un silence renfrogné. Ce n’était pas constant, mais cela se produisait assez souvent pour être visible. Ses yeux verts se faisaient ombrageux, son grand corps prenait une posture voûtée et ses cheveux blond roux se retrouvaient soudain attachés en une queue de cheval austère et dédaigneuse.

Les circonstances n’étaient pas non plus idéales pour Jessie et Ryan. Aucun des deux ne sentait qu’il pouvait se laisser aller sur le plan amoureux quand une fille de dix-sept ans était présente dans une chambre située juste de l’autre côté du salon. Cela faisait moins d’un mois qu’ils vivaient ensemble comme cela, mais il devenait déjà clair qu’une conversation sur l’avenir de leur vie commune allait s’avérer inévitable.

– Avec toute la sécurité que tu as ici, nous pourrions peut-être investir dans l’isolation sonore de la chambre.

C’était le seul trait d’humour que Ryan avait formulé sur ce sujet. Ensuite, il y avait l’autre question, celle qui les concernait tous. Hannah Dorsey était-elle stable ? Jessie avait récemment décidé d’assurer la garde de la demi-sœur dont elle n’avait découvert l’existence que lorsque son père tueur en série avait assassiné les parents adoptifs de Hannah. Ensuite, un autre tueur du nom de Bolton Crutchfield avait massacré ses parents adoptifs, kidnappé Hannah et tenté de l’endoctriner pour qu’elle devienne comme lui. Cela exigeait beaucoup de résilience pour qui que ce soit, surtout pour une jeune lycéenne.

– Fais attention avec ce couteau, je te prie, dit-elle quand Hannah s’en servit imprudemment pour détacher les tartelettes restantes du papier cuisson qui couvrait le plateau.

– Merci, maman, marmonna Hannah à voix basse tout en continuant d’utiliser la lame en acier comme brosse à récurer.

Jessie soupira sans répondre. Voir sa demi-sœur tenir un long couteau-scie était déconcertant. Alors qu’elle essayait de lui créer un environnement sûr, Jessie craignait qu’un résidu de pulsions homicides n’ait été implanté dans cette fille. Avait-elle secrètement acquis une soif de sang après avoir découvert la puissance cruelle que la violence offrait à ceux qui s’y adonnaient ? Est-ce qu’un gène d’instinct meurtrier avait d’une façon ou d’une autre été transmis du père à la fille ? Enfin, si tel était le cas, est-ce que Jessie l’avait aussi ?

C’était une question sur laquelle elle avait ruminé pendant des mois. Elle l’avait soumise à la thérapeute, la docteure Janice Lemmon, qui avait aussi examiné Hannah. C’était une question qu’elle avait même posée à son mentor, le célèbre profileur criminel Garland Moses, mais personne ne pouvait fournir de conclusion définitive sur la nature de Hannah, tout comme Jessie semblait incapable de fournir une réponse certaine sur son propre caractère.

La plupart du temps, Hannah ressemblait à une adolescente ordinaire avec toutes ses humeurs et réactions hormonales prévisibles mais, vu les traumatismes qu’elle avait subis dans les derniers mois, parfois, même la « normalité » paraissait louche.

Jessie secoua la tête en essayant de se débarrasser de ces pensées. Pour l’instant, les choses se passaient assez bien. Sa sœur avait fait le dessert, même si elle lui avait donné la tartelette brûlée. Tout le monde était gentil. Jessie était supposée repartir exécuter des tâches administratives la semaine prochaine et espérait reprendre ses fonctions complètes de profileuse criminelle la semaine d’après. Les choses progressaient.

Certes, c’était frustrant de regarder Ryan partir tous les matins pour aller au Poste Central de la Police de Los Angeles, où ils travaillaient tous les deux, mais elle le rejoindrait bientôt. Alors, elle pourrait retrouver le monde qu’elle aimait, où elle parvenait à attraper les tueurs en plongeant dans leur esprit.

Pendant une demi-seconde, la nature troublante de son amour pour ce monde l’obséda, mais elle digéra vite cette inquiétude avec une bouchée de l’excellente tartelette aux poires de Hannah. Même légèrement brûlée, elle était délicieuse. Alors qu’ils finissaient tous le dessert, le téléphone portable de Ryan sonna. Même avant qu’il ne regarde l’écran, tout le monde avait compris de quoi il s’agissait. À cette heure-là, c’était presque certainement une affaire.

– Allô ? répondit Ryan.

Il écouta silencieusement pendant presque une minute. Jessie distinguait à peine la voix qui venait de l’autre bout de la ligne mais, vu son élocution rauque et nonchalante, elle était sûre de savoir qui c’était.

– Garland ? demanda-t-elle quand Ryan raccrocha.

– Ouais, dit-il en hochant la tête et en se levant pour commencer à rassembler ses affaires. Il s’occupe d’une affaire à Manhattan Beach et il pense qu’elle correspond au profil de la SSH. Il veut que je l’aide.

– Manhattan Beach ? insista Jessie. C’est un peu hors de notre juridiction, n’est-ce pas ?

– Apparemment, le mari de la victime est un cadre important de l’industrie pétrolière. Il a entendu parler de Garland et a demandé qu’il s’occupe de l’affaire. Comme le mari de la victime est censé être un gros con, les policiers du coin acceptent volontiers de laisser la police de Los Angeles s’occuper de cette affaire.

– L’ambiance a l’air sympa, dit Jessie.

– C’est le plus étrange, dit Ryan en s’adressant non pas à Jessie mais à Hannah en se mettant sa veste de sport et son arme avec sa ceinture. La plupart des gens le diraient sur un ton sarcastique, mais ta sœur le pense vraiment. Elle est jalouse de ne pas pouvoir me suivre. Ça la ronge.

Il avait raison de plus d’un point de vue.

CHAPITRE TROIS

Garland Moses se sentait coupable.

Il avait conduit vite pour essayer d’arriver à la scène de crime aussi rapidement que possible. En passant sur Manhattan Beach Boulevard pour aller vers l’océan, il avait franchi le sommet d’une colline juste au moment où les derniers rayons du soleil couchant diffusaient une lueur orange rosâtre sur la ville de bord de mer et, au-delà, sur l’Océan Pacifique.

Dans ce paysage, quelque chose avait détendu l’anxiété qui lui envahissait la poitrine. La plupart des gens voyaient en lui le profileur vétéran bourru qui affichait rarement la moindre émotion et encore moins une chose comme de l’émerveillement mais, seul dans sa voiture, il était libre de contempler bouche bée les surfeurs dont la silhouette se découpait sur fond de soleil cramoisi et de bateaux à voile. Cependant, alors même qu’il s’émerveillait devant la beauté de cette scène façon carte postale, la culpabilité avait commencé à monter en lui pour lui dire qu’il n’était pas ici pour jouir de la vue mais pour travailler.

Pourtant, quand il parcourut la dernière partie de la route avant qu’elle ne finisse sur le quai, il jeta un coup d’œil jaloux aux foules de gens qui parcouraient les rues en tenue estivale. Alors qu’il était presque 20 heures, il portait encore son uniforme officieux, un manteau de sport gris usé et une chemise élégante blanc cassé terne. En temps normal, il y aurait aussi ajouté un sweat mais, par cette journée de chaleur, cela aurait été trop, même pour lui. Toutefois, il portait quand même son pantalon bleu marine délavé traditionnel et ses mocassins marron gravement éraflés. Sa tenue était comme un costume conçu pour que les suspects et les témoins se détendent face à ce gentleman âgé en apparence distrait qui leur posait des questions personnelles.

Il tourna à droite dans Ocean Drive, à juste un pâté de maisons de la plage. C’était plus une ruelle qu’une rue et il dut se faufiler entre des voitures mal garées pour rejoindre l’adresse qu’on lui avait fournie. Quand il arriva, il se gara dans une zone de chargement, mit son insigne de la police de Los Angeles sur le tableau de bord et descendit.

Il fut immédiatement submergé par le mélange de brise rafraîchissante et d’odeur salée de l’air, ce qui le changeait beaucoup de ses lieux de fréquentation habituels du centre-ville, qui sentaient plutôt les gaz d’échappement et l’asphalte. Marchant rapidement, il arriva au sentier que les gens du coin appelaient le Strand. Un demi-pâté de maisons vers le nord, il vit les rubans de la police et plusieurs agents qui empêchaient les piétons d’accéder à une partie du Strand.

Quand il partit dans cette direction, ses instincts d’enquêteur prirent le dessus sur son appréciation des environs. Il vit quand même les gens jouer au volley sur le sable après leur journée de travail et les mères faire leur promenade du soir avec des poussettes, mais il examina aussi les maisons qui se trouvaient près de la scène de crime.

Elles faisaient toutes face à la plage et leurs portes n’étaient qu’à quelques mètres des passants. Très peu avaient une cour et presque aucune n’avait de portail de protection. Dans ce quartier, les habitants semblaient mettre l’accent sur l’accès facile à la plage plutôt que sur les mesures de sécurité.

Il se sentait légèrement hors de son élément, dans cet environnement. Même s’il habitait dans le centre de Los Angeles, il devait admettre, non sans embarras, qu’il se rendait rarement à la plage parce qu’il passait le plus clair de son temps aux alentours du poste du centre-ville où il travaillait.

Dans cette partie de la ville, tout propriétaire ou locataire de logement avait une mesure de sécurité, que ce soit un portail, des barres aux fenêtres, un système de sécurité ou tout cela. Son amie et collègue profileuse, Jessie Hunt, avait tout cela, avec des caméras, des vigiles sur site, un garage surveillé et plus de serrures à ses portes que d’interrupteurs pour la lumière. Bien sûr, elle avait ses raisons pour cela. Pourtant, Garland n’était pas habitué au laisser-faire de ce quartier de bord de mer, mais il faudrait qu’il s’y fasse. On ne lui avait pas vraiment donné le choix.

En temps normal, Garland Moses choisissait ses affaires. Après tout, pendant des décennies, il avait été un célèbre profileur du FBI dans la section des Sciences Comportementales. Comme il avait été veuf jeune et n’avait pas eu d’enfants, il avait travaillé sans relâche. Quand il avait finalement déménagé en Californie du Sud pour sa retraite, on l’avait persuadé de travailler pour la police de Los Angeles en tant que consultant, mais seulement à la condition qu’il puisse choisir ses affaires.

Pourtant, tel n’était pas le cas aujourd’hui. Dans ce cas, le capitaine du Poste Central, Roy Decker, l’avait supplié de faire une exception. Le mari de la victime, un cadre riche de l’industrie pétrolière et gazière du nom de Garth Barton, avait donné plus de 400 000 dollars au syndicat de la police au cours des trois dernières années. Même si le couple vivait maintenant à Manhattan Beach, qui avait ses propres services de police, Barton travaillait dans le centre-ville et il connaissait tout à fait la réputation de Garland Moses, le profileur légendaire.

– Barton insiste pour que vous travailliez sur cette affaire, lui avait dit Decker au téléphone. Il suggère qu’il pourrait cesser de financer le syndicat si vous refusez. J’aimerais que vous me fassiez cette faveur personnelle, Garland.

Comme c’était la première faveur que le capitaine lui ait jamais demandée, il était tenté de la lui accorder. Quand il avait accepté, Decker avait continué à parler vite, comme s’il avait craint que Garland ne change d’avis.

– Je promets que la police de Manhattan Beach vous obéira, à vous et à votre équipe préférée, lui avait assuré le capitaine. En fait, on dirait que cette perspective les enthousiasme. Apparemment, Barton a la réputation d’être un véritable emmerdeur et ils sont plus que contents de laisser quelqu’un d’autre traiter avec lui, particulièrement quand il est sous le coup de l’émotion, comme il l’est maintenant d’après eux.

En approchant de la zone délimitée du Strand, Garland oublia les problèmes politiques et se concentra à nouveau sur le crime lui-même. Il ne savait que peu de choses. Priscilla Barton avait été trouvée morte dans la maison d’une voisine et on soupçonnait que c’était un meurtre. Garland arriva à la scène de crime et regarda autour de lui pour voir si Ryan Hernandez, l’inspecteur de la SSH qu’il avait demandé comme collaborateur pour cette affaire, était arrivé.

Ne le voyant pas, il approcha de l’agent de la police de Manhattan Beach le plus proche et lui montra son badge.

– Garland Moses, consultant en profilage criminel pour la police de Los Angeles. Qui est le chef, ici ?

L’agent, dont le badge nominatif indiquait Timms et qui semblait avoir tout juste vingt-deux ans, déglutit avec difficulté.

– C’est le sergent Breem qui s’occupe de tout jusqu’à ce que l’inspecteur arrive, dit-il d’une voix tremblante d’anxiété. Il est à l’intérieur en ce moment.

– Puis-je aller le voir ? demanda Garland.

– Oui, monsieur. Il est dans le hall. C’est là que se trouve le corps.

– Merci, dit Garland.

Il partit dans cette direction puis s’arrêta et se retourna.

– Connaissiez-vous les Barton, agent Timms ?

– Pas vraiment, dit Timms. Je n’ai jamais interagi avec eux en personne, mais je les connaissais par réputation.

– C’est-à-dire ?

– M. Barton appelait souvent pour se plaindre de ses voisins, des problèmes de bruit, de ce genre de choses.

– Et Mme Barton ? insista Garland en gribouillant frénétiquement sur son minuscule bloc-notes.

– Je ne veux pas dire de mal d’une personne décédée, dit Timms avec hésitation.

– Vous ne faites rien de la sorte. Vous partagez seulement des informations et c’est grâce aux informations que nous attraperons son assassin.

Timms hocha la tête, apparemment convaincu.

– OK, dit-il en baissant la voix jusqu’à un murmure. Elle avait la réputation d’être un peu obsédée par les célébrités, de façon inoffensive mais agaçante. À quelques reprises, des habitants célèbres des lieux se sont plaints qu’elle avait l’habitude de les suivre, sinon même d’essayer de s’en faire des amis, de s’asseoir avec eux pour boire un verre. Ce n’était rien de grave. Ce n’est pas comme si elle s’était introduite chez les gens pour les attendre au lit.

– Est-ce que nous en sommes sûrs ? demanda Garland d’un air sceptique. Ce n’est pas sa maison, n’est-ce pas ?

Timms rougit.

– Je n’y avais pas pensé comme ça, dit-il, visiblement embarrassé.

– Comme quoi ? demanda quelqu’un derrière eux.

Garland se retourna et vit l’inspecteur Ryan Hernandez qui lui souriait.

– Peu importe, dit-il. Comment allez-vous, inspecteur ?

– Comme on m’a arraché aux plaisirs de la maison et de la compagnie de celle que j’aime, disons que ça va. Et vous-même ?

– En fait, j’apprécie beaucoup ce changement de décor, avoua Garland. Je n’ai presque pas envie d’entrer.

– Et pourtant … dit Ryan à contrecœur.

– … nous le devons, finit Garland en agitant un bras pour indiquer que l’inspecteur devait passer en premier.

Quand Hernandez passa devant lui pour se diriger vers la porte d’entrée, Garland s’émerveilla de son jeune collègue. Même au début de sa trentaine, Garland n’avait jamais eu l’air autant en forme que Ryan Hernandez. Bien sûr, il n’avait pas non plus son charme.

De temps à autre, il avait taquiné Jessie en lui disant que, si l’on associait sa taille qui approchait celle d’une Amazone, ses yeux vert profond, ses cheveux bruns ondulés et ses pommettes bien découpées aux cheveux noirs courts, aux yeux marron et aux pectoraux bien sculptés de son petit copain, cela garantirait que leurs enfants à naître auraient un jour ou l’autre la place qu’ils méritaient sur le Mont Olympe. Cela faisait presque toujours rougir Jessie. Garland décida de ne pas essayer la même plaisanterie avec Hernandez.

Ils passèrent à l’intérieur, où le sergent Breem, un homme de la quarantaine dégingandé et très bronzé que Garland soupçonnait d’être surfeur, attendait avec deux autres agents en uniforme et une équipe de scène de crime. Un médecin légiste assistant prenait des photos du corps. Le mari était absent.

Garland inspecta le vestibule et observa tous les détails en prenant des notes sur son bloc-notes. Ce ne fut que lorsqu’il fut sûr de s’être fait son impression de la pièce qu’il regarda la victime. Priscilla Barton était allongée sur le dos avec ce qui semblait être un bas enroulé autour du cou.

Dans ses yeux écarquillés, on voyait des veines éclatées, ce qui indiquait qu’elle avait dû être étranglée. Elle portait un soutien-gorge de sport rouge, un pantalon de yoga et une seule sandale. L’autre gisait, solitaire, plus loin dans le hall. Il n’y avait aucune rigidité cadavérique ; elle n’était pas encore gonflée et sa peau n’était que légèrement décolorée. Tout cela suggérait que sa mort était très récente et ne remontait probablement pas à plus de deux heures.

– Sergent Breem, dit Hernandez en tendant une main pour le saluer, je suis l’inspecteur Ryan Hernandez de la police de Los Angeles. Voici notre profileur, Garland Moses. Nous apprécions que vous nous laissiez participer à l’enquête.

– Vous plaisantez ? dit Breem en riant presque. Nous sommes contents de rester en retrait. Je ne veux pas être cruel, mais Barton n’est pas facile à supporter. Depuis qu’il a emménagé ici avec son épouse, il ne nous a apporté que des ennuis. Nous vous donnerons tout le soutien dont vous aurez besoin mais, quand il s’agira de traiter avec ce gars, nous vous laisserons formellement prendre le relais.

– Où est M. Barton ? demanda Hernandez.

– Il est chez lui, juste à côté. Si vous écoutez bien, vous l’entendrez probablement crier sur mon agent en ce moment.

– Dans ce cas, nous attendrons un peu pour lui parler, dit Hernandez en se tournant vers le médecin légiste, un homme assez jeune du nom de Pugh. Qu’avez-vous jusque-là ?

– La température corporelle indique qu’elle est morte il y a moins de trois heures. Les marques de liens et l’hémorragie sous-conjonctivale suggèrent fortement la strangulation. Il y a quelques bleus sur les bras et la poitrine et cela indique qu’il y a peut-être eu une lutte avant la mort. Aucun signe d’agression sexuelle jusque-là.

– Rien d’autre ? demanda Hernandez.

Le sergent Breem intervint.

– Nous avons trouvé une bouteille de vin avec un message dans la cuisine. On dirait qu’elle avait apporté un cadeau pour accueillir les nouveaux arrivants. Le message suggérait que la victime pensait qu’elle avait une nouvelle voisine, mais le couple qui possède cette maison n’a pas déménagé. Ils sont en vacances mais ne louent pas leur maison.

– C’est bizarre, dit Hernandez.

Breem exprima son approbation d’un hochement de tête.

– Nous pensons que quelqu’un était peut-être en train de dévaliser la maison quand elle est arrivée. Ou alors, quelqu’un l’a vue entrer et l’a suivie.

Hernandez se tourna vers Garland, qui ne formula aucun commentaire sur cette théorie. Au lieu de parler, il se pencha près du corps et examina le bas qui était encore légèrement enroulé autour du cou de Mme Barton.

C’était un choix bizarre pour tuer quelqu’un. Garland avait vu des quantités de strangulations. Dans de nombreux cas, le meurtrier avait utilisé des fils métalliques, des rallonges électriques et même ses mains nues, mais Garland ne se souvenait pas avoir vu qui que ce soit se faire étouffer jusqu’à la mort avec un bas.

Ce bas a l’air de coûter cher.

Il leva les yeux. Il allait demander si quelqu’un connaissait la marque mais, quand il constata que le vestibule ne contenait que des hommes, il se dit qu’il faudrait qu’il cherche lui-même plus tard.

– Est-ce que quelqu’un peut mettre ça dans un sac ? demanda-t-il.

Un technicien de scène de crime arriva pour le faire. Il prit le bas avec une pince et le mit dans un sac à éléments de preuve.

– Je crains que nous ne puissions en tirer aucune empreinte digitale, marmonna Breem. Cet endroit a été complètement nettoyé. De grandes sections de la maison ne comportent aucune empreinte, même pas celles des propriétaires. Le meurtrier a assidûment nettoyé les lieux et on dirait qu’il a porté des gents tout le temps.

– Serait-il possible de trouver des morceaux de peau ou de cheveux sur le bas ? demanda Garland au technicien.

– Peut-être, mais je vois des morceaux de tissu dessus, ce qui suggère aussi que le coupable portait peut-être des gants. Nous vous tiendrons au courant.

Garland laissa Hernandez et la police de Manhattan Beach se concentrer sur les détails de la scène de crime et erra partout dans la maison en essayant de comprendre ce qui avait pu se passer. Il n’y avait de signe de lutte nulle part ailleurs, ce qui le poussait à soupçonner que la théorie de Breem (on l’avait suivie à l’intérieur, ou alors, elle avait surpris un voleur) avait ses mérites. Il savait qu’elle avait au moins réussi à entrer dans la cuisine avant qu’il n’arrive quelque chose, mais il ne savait pas à quels autres endroits de la maison elle avait pu aller.

– Garland ! entendit-il Hernandez appeler.

Il repartit dans le hall, où tout le monde le regardait avec impatience.

– Oui ?

– Garth Barton veut te parler, dit Hernandez. Il insiste pour le faire et il paraît qu’il s’impatiente.

– Allons-y, dit Garland avec un soupir. Pas question de faire attendre le VIP. Où était-il au moment des faits, d’ailleurs ?

– Il a dit qu’il était en train de rentrer en voiture et qu’il était en conférence téléphonique tout le temps, leur dit Breem. Il dit qu’il lui faut entre soixante-dix et quatre-vingts minutes par jour pour rentrer du travail. Nous sommes en cours de confirmation mais, s’il est honnête avec nous, il aura un alibi pour le moment de la mort.

– Si c’est vrai, c’est dommage, marmonna Garland dans sa barbe.

– Pourquoi ? demanda Breem.

– Parce que, si ce n’est pas le mari, nous avons un vrai défi à relever : le trafic est intense par ici, les maisons sont peu sécurisées et les preuves physiques sont minimes.

Alors, incapable de cacher son cynisme fatigué, il ajouta :

– Je n’envie pas les gens qui devront résoudre cette affaire.

CHAPITRE QUATRE

Le lendemain matin, quand Kyle Voss se réveilla, il bondit hors du lit.

Il se mit à terre et fit immédiatement cent pompes. Alors, il fit une planche de trois minutes suivie de cinquante sauts de grenouille. Baigné de sueur et tout joyeux après seulement quinze minutes d’éveil, il se rendit à la salle de bains et se déshabilla.

Quand il se contempla dans le miroir, il ne put s’empêcher d’admirer son physique. Ces deux années de prison avaient peut-être interrompu sa vie professionnelle, mais elles avaient fait des miracles pour son corps. Il était plus solide et en meilleure forme que depuis ses jours de football au lycée. À un mètre quatre-vingt-sept et avec un poids constant de 97 kilos, il pensait honnêtement qu’il pourrait être garde du corps pour la ligue nationale de football. Ses cheveux blonds étaient encore assez courts à cause de la boule à zéro de ses jours de prison. Ses yeux bleus étaient clairs.

Il bondit dans la douche, qu’il régla au maximum du froid. Il s’assura de se nettoyer chaque centimètre carré de peau, refusant de se presser et refusant de frissonner. Quand il eut terminé, il s’essuya avec la serviette et se mit son costume préféré. C’était un jour important et il voulait avoir l’air beau.

Il avait fait profil bas depuis sa sortie de prison afin de préparer ses projets sans trop attirer l’attention sur sa personne, mais tout cela allait changer aujourd’hui. C’était le début de sa résurrection publique. Dans le cadre de son plan, c’était crucial et il fallait que ça se passe bien. Il sentit un étrange frisson dans son estomac et réussit finalement à comprendre que c’était de la nervosité.

Il avait un emploi du temps chargé pour la journée. Même si le juge l’avait gracié, Kyle devait encore aller retrouver un agent de probation deux fois par semaine. Ça ne le gênait pas. Il fallait qu’il soit excellent pendant ces séances, car cela lui rapporterait beaucoup quand on remettrait inévitablement sa bonne foi en doute par la suite.

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