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Le feu
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Le feu

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Язык: Французский
Год издания: 2017
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– Vous n’êtes pas malade, des fois! lui crie Eudoxie.

– Non!.. gémit le malheureux, déconcerté, atterré, affolé.

– N’y revenez pas, vous savez! dit-elle.

Et elle s’en va, toute pantelante, et il ne la regarde même pas s’en aller: il reste les bras ballants, béant devant la place où elle était, martyrisé dans sa chair, réveillé d’elle et ne sachant plus de prière.

Je l’entraîne. Il me suit, muet, tumultueux, en reniflant, essoufflé comme s’il avait fui pendant longtemps.

Il baisse le bloc de sa grosse tête. Dans la clarté impitoyable de l’éternel printemps, il est pareil au pauvre cyclope qui rôdait sur les antiques rivages de Sicile, bafoué et dompté par la force lumineuse d’une enfant, tel un jouet monstrueux, au commencement des âges.

Le marchand de vin ambulant, poussant sa brouette bossuée d’un tonneau, a vendu quelques litres aux hommes de garde. Il disparaît au tournant de la route, avec sa face jaune et plate comme le camembert, ses rares cheveux légers, effilochés en flocons de poussière, si maigre dans son pantalon flottant qu’on dirait que ses pieds sont rattachés à son torse par des ficelles.

Et entre les poilus désœuvrés du corps de garde, au bout du pays, sous l’aile de la plaque indicatrice, ballottante et grinçante qui sert d’enseigne au village, il s’établit une conversation à propos de ce polichinelle errant.

– Il a une sale bougie, dit Bigornot. Et pis, veux-tu que je te dise? On ne devrait pas laisser tant de civelots se baguenauder sur le front, en douce poil-poil, surtout des mecs dont on ne connaît pas bien l’originalité.

– Tu abîmes, pou volant, répond Cornet.

– T’occupe pas, face de semelle, insiste Bigornot, on s’méfie pas assez. J’ sais c’ que j’ dis quand je l’ouvre.

– Tu sais pas, dit Canard, Pépère va à l’arrière.

– Les femmes ici, murmura La Mollette, a sont laides, c’est des r’mèdes.

Les autres hommes de garde, promenant leurs regards braqués dans l’espace, contemplent deux avions ennemis et l’écheveau embrouillé de leurs lacis. Autour des oiseaux mécaniques et rigides, qui, suivant le jeu des rayons, apparaissent dans les hauteurs, tantôt noirs comme des corbeaux, tantôt blancs comme des mouettes – des multitudes d’éclatements de shrapnells pointillent l’azur et semblent une longue volée de flocons de neige dans le beau temps.

** *

On rentre. Deux promeneurs s’avancent. Ce sont Carassus et Cheyssier.

Ils annoncent que le cuisinier Pépère va s’en aller à l’arrière, cueilli par la loi Dalbiez et expédié dans un régiment territorial.

– V’la un filon pour Blaire, dit Carassus, qui a au milieu de la figure un drôle de grand nez qui ne lui va pas.

Dans le village, des bandes de poilus passent, ou des couples, liés par les liens entre-croisés du dialogue. On voit des isolés se joindre deux à deux, se quitter, puis, pleins encore de conversations, se rejoindre à nouveau, attirés l’un vers l’autre comme par un aimant.

Une cohue acharnée: au milieu, des blancheurs de papier ondoient. C’est le marchand de journaux qui vend, pour deux sous, les journaux à un sou. Fouillade est arrêté au milieu du chemin, maigre comme la patte d’un lièvre. A l’angle d’une maison, Paradis présente dans le soleil sa face rose comme le jambon.

Biquet nous rejoint, en petite tenue: veste et bonnet de police. Il se lèche les babines.

– J’ai rencontré des copains. On a bu un coup. Tu comprends; demain, va falloir se remettre à gratter; et, d’abord, nettoyer ses frusques et son lance-pierres. Rien qu’ma capote, ça va être quéqu’chose, à tirer au clair! C’est pus une capote, c’est une doublure d’une manière de cuirasse.

Moutreuil, employé au bureau, surgit, et hèle Biquet:

– Eh, l’ chiard! Une lettre. V’la une heure qu’on t’ cherche après! T’es jamais là, œuf!

– J’ peux pas être ici z’et là, gros sac. Donne voir.

Il examine, soupèse, et annonce en déchirant l’enveloppe:

– C’est d’ ma vieille.

On ralentit le pas. Il lit en suivant les lignes avec son doigt, en hochant la tête d’un air convaincu, et en remuant les lèvres comme une dévote.

A mesure qu’on gagne le centre du village, l’affluence augmente. On salue le commandant, et l’aumônier noir qui marche à côté, comme une promeneuse. On est interpellé par Pigeon, Guenon, le jeune Escutenaire, le chasseur Clodore. Lamuse semble être aveugle et sourd, et ne plus savoir que marcher.

Bizouarne, Chanrion, Roquette, arrivent en tumulte annonçant une grande nouvelle:

– Tu sais, Pépère va s’en aller à l’arrière.

– C’est drôle, c’ qu’on s’ gourre! dit Biquet en levant le nez hors de sa lettre. La vieille s’en fait pour moi!

Il me montre un passage de la missive maternelle: «Quand tu recevras ma lettre, épèle-t-il, tu seras sans doute dans la boue et le froid, à n’avoir rien, privé de tout, mon pauvre Eugène…»

Il rit.

– Y a dix jours qu’elle m’a marqué ça. Elle n’y est pas du tout! On n’a pas froid, puisqu’i’ fait beau depuis c’ matin. On n’est pas malheureux, puisqu’on a une chambre où boulotter. On a eu des misères, mais on est bien maintenant.

Nous regagnons le chenil dont nous sommes locataires, en méditant cette phrase. Sa touchante simplicité m’émeut et me montre une âme, des multitudes d’âmes. Parce que le soleil s’est montré, parce qu’on a senti un rayon et un semblant de confort, le passé de souffrance n’existe plus, et l’avenir terrible n’existe pas non plus… «On est bien maintenant.» Tout est fini.

Biquet s’installe à la table, comme un monsieur, pour répondre. Il dispose avec soin et vérifie le papier, l’encre, la plume, puis promène bien régulièrement, en souriant, sa grosse écriture le long de la petite page.

– Tu rigolerais, me dit-il, si tu savais c’ que j’y écris, à la vieille.

Il relit sa lettre, s’en caresse, se sourit.

VI

HABITUDES

Nous trônons dans la basse-cour.

La grosse poule, blanche comme le fromage à la crème, couve dans un fond de panier, près de la cabane dont le locataire enfermé farfouille. Mais la poule noire circule. Elle dresse et rentre, par saccades, son cou élastique, s’avance à grands pas maniérés; on entrevoit son profil où cligne une paillette, et sa parole semble produite par un ressort métallique. Elle va, chatoyante de reflets noirs et lustrés, comme une coiffure de gitane, et, en marchant, elle déploie çà et là sur le sol une vague traîne de poussins.

Ces légères petites sphères jaunes, sur qui l’instinct souffle et qu’il fait refluer toutes, se précipitent sous ses pas par courts crochets rapides, et picorent. La traîne reste accrochée: deux poussins, dans le tas, sont immobiles et pensifs, inattentifs aux déclics de la voix maternelle.

– C’est mauvais signe, dit Paradis. Le poulet qui réfléchit est malade.

Et Paradis décroise et recroise ses jambes.

A côté, sur le banc, Volpatte allonge les siennes, émet un grand bâillement qu’il fait durer paisiblement et il se remet à regarder; car, entre tous les hommes, il adore observer les volailles pendant la courte vie où elles se dépêchent tant de manger.

Et on les contemple de concert, et aussi le vieux coq dégarni, usé jusqu’à la corde, et dont, à travers du duvet décollé apparaît à nu la cuisse caoutchouteuse, sombre comme une côtelette grillée. Celui-là approche de la couveuse blanche qui tantôt détourne la tête, d’un «non» sec, en donnant quelques coups assourdis de crécelle, tantôt l’épie avec les petits cadrans bleus émaillés de ses yeux.

– On est bien, dit Barque.

– Vise les petits canards, répond Volpatte. I’s sont boyautants.

On voit passer une file de canetons tout jeunes – presque encore des œufs à pattes, – et dont la grande tête tire en avant le corps chétif et boiteux, très vite, par la ficelle du cou. De son coin, le gros chien les suit aussi de son œil honnête, profondément noir, où le soleil, posé sur lui en écharpe, met une belle roue fauve.

Au delà de cette cour de ferme, par l’échancrure du mur bas, se présente le verger, dont un feutrage vert, humide et épais, recouvre la terre onctueuse, puis un écran de verdure avec une garniture de fleurs, les unes blanches comme des statuettes, les autres satinées et multicolores comme des nœuds de cravate. Plus loin, c’est la prairie, où l’ombre des peupliers étale des rayures vert noir et vert or. Plus loin encore, un carré de houblons, debout, suivi d’un carré de choux assis en rang par terre. On entend dans le soleil de l’air et dans le soleil de la terre, les abeilles qui travaillent musicalement, en conformité avec les poésies, et le grillon qui, malgré les fables, chante sans modestie et remplit à lui seul tout l’espace.

Là-bas, du faîte d’un peuplier descend, toute tourbillonnante, une pie qui, mi-blanche, mi-noire, semble un morceau de journal à moitié brûlé.

Les soldats s’étirent délicieusement sur un banc de pierre, les yeux demi-clos, et s’offrent au rayon qui, dans le creux de cette vaste cour, chauffe l’atmosphère comme un bain.

– Voilà dix-sept jours qu’on est là! Et on croyait qu’on allait s’en aller du jour au lendemain!

– On n’sait jamais! dit Paradis, en hochant la tête et en claquant la langue.

Par la poterne de la cour ouverte sur le chemin, on voit se promener une bande de poilus, le nez en l’air, gourmands de soleil, puis, tout seul, Tellurure: au milieu de la rue, il balance le ventre florissant dont il est propriétaire, et déambulant sur ses jambes arquées comme deux anses, crache tout autour de lui, abondamment, richement.

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