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Henri IV en Gascogne (1553-1589)
Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Cette même année 1567 vit, en France, des essais de ligue catholique, dont les calvinistes s'autorisèrent pour s'exciter à la lutte et parler à la cour sur un ton plus hardi. Charles IX, dans cette occurrence, eut un colloque très vif avec Coligny. L'amiral voulait se mettre à la tête de la noblesse pour aller combattre le duc d'Albe, dont la politique d'extermination inondait de sang les Pays-Bas. « – Il n'y a pas longtemps», dit le roi à Coligny, «que vous vous contentiez d'être soufferts par les catholiques; maintenant, vous demandez à être égaux; bientôt vous voudrez être seuls et nous chasser du royaume.» Les calvinistes se crurent à la veille d'être attaqués et résolurent de prendre l'offensive. Leur prise d'armes débuta par la tentative de Meaux contre le roi et la cour. Elle échoua, grâce à la bravoure des gardes suisses, et les troupes de Condé et de l'amiral ayant fait devant Paris un simulacre de siège, il s'ensuivit la bataille de Saint-Denis, où l'action resta indécise, quoique La Noue accorde l'avantage à l'armée royale. Le vieux connétable de Montmorency y fut mortellement blessé. « – Votre Majesté n'a pas gagné la bataille», dit au roi le maréchal de Vieilleville; «encore moins le prince de Condé. – Qui donc?» demanda Charles IX. – «Le roi d'Espagne, Sire; car il y est mort, d'une part et d'autre, tant de valeureux seigneurs, si grand nombre de noblesse, tant de vaillants capitaines et braves soldats, tous de la nation française, qu'ils étaient suffisants pour conquêter la Flandre et tous les pays sortis autrefois de votre royaume!»

La fin de l'année 1567 et les premiers mois de l'année suivante sont pleins d'émeutes et de prises d'armes partielles dans le midi, depuis le Dauphiné jusque dans le Poitou. Condé et l'amiral, s'affaiblissant autour de Paris, poussèrent leur armée vers la frontière d'Allemagne, pour donner la main aux reîtres levés par eux dans ce pays. La jonction se fit à Pont-à-Mousson, malgré la poursuite de l'armée royale. Fortifiés, mais ne se jugeant pas en état de tenir la campagne dans l'Ile-de-France, les réformés se dirigèrent sur Orléans, prirent Blois et mirent le siège devant Chartres. Là, les incessantes négociations de Catherine de Médicis les trouvèrent disposés à conclure une paix que leur rendait salutaire l'indiscipline des mercenaires allemands. Ce fut la paix de Chartres ou de Lonjumeau. Signé au mois de mars, ce traité, aussi mal observé, de part et d'autre, que les précédents, multiplia et envenima les griefs réciproques: au mois d'août suivant, il n'en restait plus vestige.

En Guienne et en Gascogne, Montluc était le geôlier politique et militaire de Jeanne d'Albret. Nous avons dit que, à raison de la jeunesse de Henri, les fonctions de sa charge de gouverneur de Guienne étaient exercées par le maréchal, qui ne péchait pas, envers les «Navarrais», par excès de bienveillance. La reine jugea opportun de réclamer pour son fils un pouvoir plus effectif, et elle en écrivit à Charles IX, accompagnant sa requête d'une lettre de Henri, dans laquelle il priait le roi de France de ne pas écouter «ceux qui se voulaient fonder sur son bas âge» pour l'empêcher d'être employé en sa charge de gouverneur de Guienne. Il y a déjà, dans cette lettre, un accent de juste revendication et de légitime amour-propre: «Qu'il vous plaise», dit-il au roi en parlant de sa charge purement nominale, «de ne laisser pourtant de permettre et de me commander que je commence d'y vaquer et entendre selon que madite dame et mère le vous remontre et requiert. Car il me semble, Monseigneur, pour l'honneur que j'ai d'être le premier prince de votre sang, et sentant en moi une extrême affection au service de V. M., ensuivant celle de mes prédécesseurs, que je tarde trop à faire paraître ma bonne volonté…»

Cette réclamation et bien d'autres, que provoquèrent, quelques semaines après, de la part de Jeanne, de Condé et de Coligny, les flagrantes violations de la nouvelle paix, furent impuissantes à prolonger celle-ci. De graves incidents en bornèrent étroitement la durée, tels que l'attentat commis, par les ordres du parlement de Toulouse, sur la personne de Rapin, gentilhomme du prince de Condé. Envoyé dans cette ville pour faire enregistrer l'édit, Rapin fut condamné à mort et sommairement exécuté. Le parlement n'enregistra l'édit, et encore avec des restrictions, qu'après la quatrième lettre de jussion. Nul ne se fiant à la paix de Lonjumeau, Condé et Coligny moins que tout autre, ces deux chefs, retirés dans leurs terres, continuèrent à entretenir d'actives correspondances avec leurs alliés français et étrangers, jusqu'au jour où, informés que la reine-mère avait donné des ordres pour les arrêter, eux et d'autres personnages importants de leur parti, ils prirent la fuite et se dirigèrent du côté de La Rochelle. Ce malheureux coup de force, indice de tant de faiblesse, amena le chancelier de l'Hospital, le modérateur systématique de cette époque, à faire à la cour de sévères remontrances, auxquelles on ne put rien objecter de raisonnable, mais qui lui attirèrent l'animadversion des conseillers du roi et de sa mère. Se voyant à la veille d'une disgrâce, il la prévint par sa retraite. C'était un contre-poids qui disparaissait de la scène: dorénavant, les événements vont se précipiter.

La reine de Navarre n'avait pris aucune part à la guerre de 1567-1568, quoiqu'elle en eût ressenti les contre-coups. Nous avons vu qu'elle s'en était plainte au roi. Dans ses négociations à ce sujet, elle eut à expliquer ses griefs et à défendre ses intérêts devant La Mothe-Fénelon, chargé de lui transmettre les paroles royales et de rapporter les siennes à la cour. Fénelon, qui devait s'illustrer, en 1587, par la belle défense de Sarlat contre Turenne, était un esprit généreux et modéré. Il déplorait sincèrement les nouvelles perspectives de guerre civile. « – Ce feu dévorateur,» dit-il à la reine de Navarre, «embrasera les deux royaumes.» – «Bah! Monsieur,» répliqua Henri avec l'impétuosité et le ton narquois qui accentuèrent souvent ses discours, «c'est un feu à éteindre avec un seau d'eau!» – «Eh! comment, Monseigneur?» reprit Fénelon stupéfait. – «En faisant boire ce seau au cardinal de Lorraine, jusqu'à en crever!» Ce prélat passait, en effet, pour être le plus impitoyable adversaire des huguenots et le conseiller ardent des mesures de violence.

Jeanne d'Albret, à la nouvelle de la fuite de Condé et de Coligny, avait compris que ces mesures finiraient par l'atteindre elle-même. Déjà Catherine lui avait fait redemander son fils, comme si elle eût pressenti que le jeune prince aurait bientôt à jouer un rôle personnel et prépondérant. Cette sollicitude de la reine-mère était plutôt de nature à effrayer Jeanne qu'à la rassurer. Elle répondit à ses avances d'une façon évasive, et conçut un dessein qui devait avoir sur la présente crise une redoutable influence. Elle savait que les chefs calvinistes étaient en marche vers La Rochelle; que cette ville, où l'esprit de la Réforme était vivace, leur tendait les bras et aspirait à devenir le boulevard du parti. Elle résolut de s'y transporter avec ses enfants et son trésor. L'entreprise était difficile sous les yeux de Montluc; elle semblait même téméraire, puisque, au moment où Jeanne y songeait, de nouveaux soulèvements commençaient à agiter ses Etats. Mais comment apaiser des troubles que Montluc avait peut-être reçu la mission de provoquer par-dessous main ou de favoriser, ne fût-ce que par son attitude, souvent malveillante à l'égard de la reine? Elle n'hésita pas longtemps; mais l'exécution de son projet exigeait la force ou la ruse. Une armée régulière, si elle l'eût possédée, Montluc l'aurait défaite; or, elle n'avait que des serviteurs disséminés un peu partout. Elle se confia aux uns, le plus petit nombre, pour l'escorter et pour acheminer, plus tard, les autres vers des lieux désignés; puis elle tendit à Montluc un vrai piège de femme et d'héroïne.

Jeanne et ses enfants quittent le Béarn vers la fin du mois d'août 1568, emportant avec eux tout ce que la reine put réunir d'argent, de joyaux et d'objets précieux. Arrivée à Nérac, Jeanne feint de s'occuper des préparatifs d'une grande fête à laquelle sont invités Montluc et sa famille. Elle endort à moitié la vigilance du rude capitaine, et tout à coup, le 6 septembre, elle part de Nérac avec son fils et sa fille et une escorte de cinquante gentilshommes, laissant derrière elle toute sa cour avec des instructions précises. Prévenu un peu tard, Montluc court après la reine, la manque de quatre heures à Casteljaloux, la suit, la voit, impuissant, entrer dans Bergerac, où la nouvelle lui parvient de la prise de Mazères par Caumont La Force. Chemin faisant, l'escorte de la reine est devenue une petite armée. Montluc et d'Escars, gouverneur de Périgord et de Limousin, la serrent de près, mais n'osent l'attaquer. Bien plus, Montluc, par une étrange fortune, se voit dans la nécessité de rendre, en quelque sorte, les honneurs militaires à Jeanne et aux royaux enfants. Il s'en tire en Gascon, et fait supplier la reine de s'employer à contenir les protestants, jurant, de son côté, de maintenir les catholiques dans la bonne voie. Jeanne poursuit son voyage; elle passe à Mussidan, s'arrête quelques jours à Archiac pour attendre le prince de Condé, qui avait dû forcer les portes de Cognac, et enfin elle entre dans La Rochelle, le 26 septembre, suivie de toute sa cour. Les Rochelais lui firent une réception triomphale.

Elle avait déjà écrit, de Bergerac, le 16 septembre, au roi, à la reine-mère, au duc d'Anjou, au cardinal de Bourbon, des lettres dans lesquelles elle expliquait les motifs de son voyage et de son attitude, qui était manifestement celle d'une belligérante. Le ton en était mesuré, quoique vif. A La Rochelle, exaltée par l'acte qu'elle venait d'accomplir et aussi par l'émotion de son entourage, elle rédigea un manifeste dont ses panégyristes eux-mêmes regrettent la forme violente. Elle écrivit aussi à la reine Elisabeth d'Angleterre pour lui donner des explications et lui demander son appui et ses secours. «Ce n'est point contre le ciel et contre le Roi, comme le disent nos ennemis, que la pointe de nos épées est tournée. Grâce à Dieu, nous ne sommes point criminels de lèse-majesté divine ni humaine; nous sommes fidèles à Dieu et au Roi.» Pendant ses longs démêlés avec la cour de France, et même au plus fort de ses luttes armées contre elle, le roi de Navarre tint constamment le même langage.

Au milieu des épanchements qui signalèrent la réception de la reine de Navarre à La Rochelle, on remarqua la réponse du jeune prince à la pompeuse harangue du maire, Jean de Labèze. «Je ne me suis pas tant étudié pour parler comme vous, dit-il; je ferai mieux: je sais beaucoup mieux faire que dire.» Le commandement de l'armée était dû à Henri, et Condé s'empressa de le lui remettre; mais Jeanne et son fils ne l'acceptèrent que comme un honneur, et, dans une déclaration publique, Condé fut prié par la reine de rester à la tête des troupes, «étant, elle et ses enfants, prêts à lui obéir en tout et partout». On sut gré, de toutes parts, au fils et à la mère, de ce désistement prudent et politique. Un incident caractéristique donna la mesure de la supériorité d'esprit et de l'influence de la reine de Navarre. Condé la supplia d'accepter le gouvernement civil de l'armée, tandis qu'il en assumerait le gouvernement militaire. Elle accepta cette mission bien difficile pour une femme, et y déploya ses rares qualités d'ordre, de prévoyance et de résolution. Le jeune prince de Condé devint le compagnon d'armes de Henri, que Jeanne voulut elle-même revêtir de sa première armure, à Tonnay-Charente, au milieu d'une cérémonie militaire. «Toute l'Europe a les yeux fixés sur vous, lui dit-elle: vous cessez d'être enfant. Allez, en obéissant, apprendre, sous Condé, à commander un jour.» A la veille des combats et des périls qu'on prévoyait, aucun signe de faiblesse: «Le contentement de soutenir une si belle cause, dit-elle plus tard, surmontait en moi le sexe, en lui l'âge.»

Henri eût bien voulu se jeter sans délai dans cette nouvelle existence. Fatigué de l'inaction qui lui était imposée pendant que se faisaient les préparatifs de guerre, il cherchait partout le mouvement. Il faillit trouver la mort dans une promenade en mer, où il eût péri sans la vigueur d'un marin de La Rochelle, qui le ramena au rivage. L'armée protestante, renforcée à chaque instant, bien armée et approvisionnée, grâce aux sacrifices de Jeanne d'Albret et aux secours de toute espèce qu'elle avait obtenus d'Elisabeth, devenait de jour en jour plus puissante. Ce n'était plus, à vrai dire, une armée, c'en était trois, sans compter les enfants perdus et les bandes de toute sorte. Il y avait, d'abord, la grande armée de Condé et de Coligny, puis un corps nombreux, commandé par Dandelot, frère de l'amiral, et enfin quinze ou vingt mille religionnaires, levés par Jacques de Crussol, comte d'Acier, en Dauphiné, en Provence et en Languedoc.

La cour, inquiète de cette affluence sous les drapeaux de la Réforme, s'avisa d'écrire aux gouverneurs et lieutenants-généraux que le roi n'entendait pas faire une guerre systématique aux réformés. A rester chez eux, ils ne risquaient rien, ils étaient sous la protection du Roi. Il y eut quelques défections, mais de peu d'importance, et ce fut alors qu'on recourut aux mesures de rigueur. L'édit de Saint-Maur défend, sous peine de mort, l'exercice de la religion réformée, ordonne à tous les ministres de sortir du royaume dans un délai de quinze jours, et aux magistrats de n'épargner que ceux des dissidents qui abjureraient l'hérésie. Un autre édit, qui suit, prononce la confiscation des biens des réformés, et enfin, par lettres-patentes, Charles IX, sous prétexte que Jeanne et ses enfants sont prisonniers des rebelles, ordonne au baron de Luxe de s'emparer du Béarn. Les réformés, par la voix de Jeanne et de leurs chefs, publièrent des protestations et des apologies, sans se faire illusion sur l'efficacité de ces démonstrations. La parole était à l'épée.

L'armée de Saintonge avait des chefs entreprenants, qui la mirent bientôt en campagne. La cour n'était pas prête à soutenir la grande guerre qu'elle prévoyait. Le duc de Montpensier, chargé d'arrêter les religionnaires commandés par Crussol, les avait battus, le 14 octobre 1568, à Mensignac, près de Périgueux, mais sans pouvoir les empêcher de rejoindre le prince de Condé. En moins de trois semaines, le généralissime calviniste comptait autour de lui dix-huit mille arquebusiers et trois mille chevaux. Une seconde armée royale se formait, dont le duc d'Anjou, frère du roi, devait prendre le commandement. Avant qu'elle fût en marche, les huguenots avaient pris Niort, Meslay, Fontenay, Saint-Maixent et nombre de petites places dans le Poitou. Angoulême, réputée imprenable, repoussa victorieusement un assaut de Montgomery, mais fut forcée de se rendre au prince de Condé, menant avec lui son neveu, le prince de Navarre: ce fut le premier siège auquel assista Henri de Bourbon. Dans la Saintonge, les armées protestantes faisaient tout plier: reddition de Saint-Jean-d'Angély, reddition de Saintes, prise de Pons. Quand l'armée du duc d'Anjou se mit en mouvement vers la fin du mois d'octobre, le duc de Montpensier pouvait à peine tenir la campagne du côté de Châtellerault, et de toutes les grandes places du Poitou, il ne restait au roi que Poitiers, où commandait le maréchal de Vieilleville.

CHAPITRE VI

L'armée du duc d'Anjou. – Temporisation. – Escarmouche de Loudun. – Les renforts attendus. – Bataille de Bassac ou de Jarnac. – Mort du prince de Condé. – Son éloge par La Noue. – Jeanne d'Albret à Tonnay-Charente. – Henri proclamé généralissime. – Affaires de Béarn. – Arrivée des reîtres en Limousin. – La campagne de Montgomery en Gascogne et en Béarn. – Combat de La Roche-Abeille. – Siège de Poitiers, désapprouvé par le prince de Navarre. – Tactique du duc d'Anjou. – Combat de Saint-Clair. – Mesures de proscription contre Coligny. – L'avis avant la bataille. – Bataille de Moncontour. – L'inaction de Henri et la grande faute de l'amiral. – Héroïsme de Jeanne d'Albret.

L'armée royale comptait plus de vingt mille hommes, tant Français que Suisses, Allemands et reîtres. Le duc d'Anjou, ayant sous ses ordres Tavannes et Sansac, recueillit les troupes de Montpensier et fut bientôt en présence de l'ennemi. Mais, soit qu'il y eût, de part et d'autre, comme un parti pris de temporisation, soit que le duc d'Anjou voulût attendre des renforts qui, en effet, vinrent, plus tard, grossir son armée, l'automne de 1568 se passa en manœuvres et en escarmouches. Dans une de ces rencontres, près de Loudun, Henri eut l'occasion de prouver qu'il avait acquis déjà le sens militaire. Les réformés étaient en force: le prince de Navarre s'étonna qu'on ne marchât point résolûment à l'ennemi. « – Si le duc d'Anjou, dit-il, se croyait assez fort, il ne manquerait pas de nous attaquer. Marchons donc sans délai: la victoire est certaine.» Elle était, du moins, probable, et les deux chefs principaux, Condé et Coligny, auraient pu suivre un plus mauvais conseil. Les rigueurs de l'hiver interrompirent les opérations. Les catholiques s'établirent dans le Poitou septentrional et le Limousin; les calvinistes, dans le Bas-Poitou, l'Angoumois et la Saintonge. La reine de Navarre et son fils passèrent le reste de l'hiver à Niort, d'où partirent les ordres et les messages en vue de la rentrée en campagne. Les deux armées nourrissaient également l'espoir d'être renforcées en temps opportun: les catholiques pressaient l'arrivée de nouvelles troupes, qui ne leur firent pas défaut, et les protestants attendaient avec impatience des renforts du Quercy, qui ne vinrent pas, et les auxiliaires allemands en marche sous les ordres du duc de Deux-Ponts. Ceux-ci arrivèrent trop tard.

Le duc d'Anjou, instruit du demi-désarroi de l'armée calviniste, prit l'offensive, dès les premiers jours du mois de mars 1569. Le 13, par une marche rapide, il arrive dans le voisinage de l'ennemi, qui occupait Cognac, Jarnac et les ponts de la Charente. Le duc jette un pont, pendant la nuit, près de l'abbaye de Bassac, non loin du logis de l'amiral. Coligny, surpris, veut se retirer; le désordre se met dans ses troupes, elles combattent en fuyant; l'arrière-garde est enveloppée; La Noue tombe au pouvoir de l'armée royale, et le prince de Condé, en chargeant les reîtres, la jambe cassée d'un coup de pied de cheval, est tué par Montesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou, au moment où il venait de rendre son épée à deux gentilshommes catholiques.

Sans la mort de ce chef intrépide, la défaite de Jarnac n'eût été qu'un simple échec pour les protestants: leur infanterie était intacte, et elle se mit, en grande partie, à l'abri derrière les hautes murailles de Cognac. Mais en perdant Condé, les calvinistes perdaient plus qu'une armée: outre le courage et l'esprit de décision, il avait mis au service de la cause un vrai talent de généralissime, que rehaussait encore sa qualité de prince du sang. «En hardiesse, dit François de La Noue dans ses Mémoires, aucun de son siècle ne l'a surpassé, ni en courtoisie. Il parlait fort disertement, plus de nature que d'art, était libéral et très affable à toutes personnes; et avec cela excellent chef de guerre, néanmoins amateur de paix. Il se portait encore mieux en adversité qu'en prospérité.» Condé laissait un vide où menaçaient de s'engloutir les espérances du parti, malgré les mérites reconnus de l'amiral. Jeanne d'Albret et son fils firent bientôt oublier ce moment de défaillance.

A la nouvelle de la défaite de Jarnac, la reine de Navarre quitte La Rochelle. Comme elle avait «un grand cœur et un esprit mâle», dit de Thou, elle ne s'arrêta point à déplorer ce malheur. Elle court à Tonnay-Charente, où s'était rassemblée une partie de l'armée rompue. Elle parle en reine affligée, mais en héroïne indomptable; elle offre sa vie, celle de son fils; elle provoque le serment des résistances suprêmes. De longues acclamations accueillent ses paroles. Henri parle à son tour: « – Votre cause est la mienne; vos intérêts sont les miens. Je jure, sur mon âme, honneur et vie, d'être à jamais tout à vous.» Le fils de Condé s'associe à ce serment, que les chefs et l'armée prêtent à leur tour. Henri sera généralissime avec Condé pour lieutenant et Coligny pour lieutenant-général. Jeanne réunit les chefs. L'argent manque: elle donne tout ce qu'elle a; on l'imite; les pierreries, les bijoux seront mis en gage en Angleterre. Mais cela sauvegarde seulement le présent, il faut songer à l'avenir: on battra monnaie par la vente des biens ecclésiastiques dans les provinces conquises. C'est la guerre à outrance. Pauvre pays! que d'épreuves lui sont réservées! On aime à voir, du moins, le prince de Navarre, à peine revêtu d'un titre officiel à l'armée, s'occuper de venir en aide à quelques victimes de la guerre. Le 18 mars, il écrit au duc d'Anjou pour recommander à sa bienveillance les prisonniers calvinistes et lui offrir ses bons offices pour les prisonniers catholiques. «Nous avons en nos mains quelques prisonniers des vôtres, comme aussi vous en avez bien des nôtres; s'il vous plaît trouver bon de les mettre à rançon ou d'en faire échange, nous y entendrons volontiers, et vous plaira m'en mander votre volonté.»

Pendant que les calvinistes se relevaient en Saintonge, ils étaient écrasés dans la Navarre, surtout en Béarn. Antoine de Lomagne-Terrides, à la tête des catholiques, et avec l'agrément de Charles IX, avait conquis rapidement le pays. Il n'eut bientôt plus devant lui d'autre obstacle que Navarrenx, qui résista héroïquement. Pour recouvrer le Béarn, Jeanne comptait sur l'armée des quatre vicomtes, Gourdon, Paulin, Montclar et Bruniquel, qui opérait dans le Quercy et le Haut-Languedoc, et sur l'appui des auxiliaires allemands, que Coligny attendait aussi pour prendre l'offensive. Ceux-ci arrivèrent enfin. Après avoir traversé la France, presque sans coup férir, grâce à la mésintelligence des deux armées chargées de les arrêter, l'une commandée par Montpensier, l'autre par le duc d'Aumale, les reîtres passèrent la Loire à la Charité, et Coligny marcha à leur rencontre; mais leur chef, le duc de Deux-Ponts, mourut, le 11 juin, à Nexon, petite ville à trois lieues de Limoges.

Jeanne d'Albret se rendit à Chalus, au-devant des renforts allemands, dont le comte de Mansfeld avait pris le commandement. Elle distribua aux principaux chefs, en signe d'alliance, des médailles d'or, frappées à La Rochelle, suspendues à des chaînes de même métal. On voyait, d'un côté, son portrait et celui du prince de Navarre; de l'autre, cette inscription: Pax certa, victoria integra, mors honesta. Elle venait de recevoir d'Elisabeth les secours accordés sur la garantie de ses joyaux, et elle en avait fait passer sur-le-champ une partie à l'armée des vicomtes, avec ordre de se tenir prêts à entrer dans le Béarn; mais ces chefs n'étant pas suffisamment d'accord, elle fit appel au comte de Montgomery, le meurtrier involontaire de Henri II. Après avoir conféré avec la reine et ses conseillers habituels, il accepta la périlleuse mission qui lui était offerte, et se mit presque seul en route pour cette campagne à travers le royaume de Navarre, merveilleuse de vigueur et de rapidité, mais odieuse par les excès auxquels se livrèrent les troupes calvinistes. Navarrenx est délivré; Orthez, emporté d'assaut, est saccagé et noyé dans son sang. Le 23 août 1569, Montgomery fait son entrée à Pau, où il se déshonore et marque d'avance d'une tache de sang la mémoire de Jeanne d'Albret, en faisant massacrer, le lendemain, les chefs catholiques, que la capitulation du château d'Orthez mettait formellement à l'abri de tout acte de rigueur.

A peine Jeanne d'Albret avait-elle sujet de se féliciter des succès de Montgomery, que le désastre de Moncontour vint menacer d'une ruine absolue et sa couronne et le parti calviniste tout entier.

Quoique l'armée royale, qui avait beaucoup souffert, et que la reine-mère était venue encourager par sa présence, se fût grossie de quelques corps allemands, italiens et espagnols, les conseillers du duc d'Anjou le dissuadèrent longtemps de chercher la bataille: ses trente mille hommes de diverses nationalités ne semblaient pas de force à venir aisément à bout des vingt-cinq mille hommes de Coligny, pliés à une sévère discipline par cet habile capitaine. Les deux partis s'observèrent longtemps dans le Limousin. Enfin, les huguenots, plus portés que leurs adversaires à en venir aux mains, engagèrent, le 23 juin, à La Roche-Abeille, près de Saint-Yrieix, une affaire d'avant-garde qui tourna à leur avantage: plus de quatre cents catholiques restèrent sur le terrain. La présence du prince de Navarre à cette sanglante escarmouche ne put empêcher les calvinistes, irrités des nouvelles du massacre de quelques chefs béarnais par les troupes de Terrides, de faire main basse sur la plupart des prisonniers. Ce fut, dit-on, à la suite de cette affaire que des catholiques firent tracer les vers suivants au bas d'un de ses portraits:

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