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Henri IV en Gascogne (1553-1589)
Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

Язык: Французский
Год издания: 2017
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La reine de Navarre n'en était pas encore arrivée, en 1563, à ces violentes manifestations de l'esprit de secte, mais elle s'y acheminait, quand la cour de Rome, inquiète des bouleversements religieux qui s'accomplissaient en Béarn, la cita, au mois de septembre, devant le tribunal de l'inquisition. Jeanne devait comparaître dans un délai de six mois, sous peine, disait le monitoire, d'être déclarée «convaincue du crime d'hérésie, privée de la dignité royale, et son royaume et ses Etats adjugés au premier qui s'en saisirait». La cour de France ne pouvait arguer contre l'accusation d'hérésie formulée par le monitoire; «mais le roi très chrétien, dit Mézeray, jugeant de la conséquence, comme il le devait, en montra un très grand ressentiment…» Les ambassadeurs français à Rome reçurent l'ordre de faire au Pape des remontrances dont le texte offre de l'interêt, sous plusieurs rapports9. Ce document se terminait par une protestation formelle et une supplication au Saint-Père de vouloir bien, par acte public, révoquer la sentence fulminée contre la reine de Navarre. Pie IV, qui, au moment de son élévation, avait dit: «Il me faut la paix!» usa de prudence et de modération: la sentence fut annulée. Ce résultat produisit quelque attiédissement dans l'esprit de l'ardente Navarraise. Elle se rendit à la cour de France pour remercier Charles IX de l'avoir défendue, elle et ses Etats, contre les décrets pontificaux et les arrêts de déchéance des parlements de Toulouse et de Bordeaux. Elle retrouva son fils entre les mains dévouées de La Gaucherie, et, avec l'agrément du roi, le ramena avec elle en Béarn.

Lorsque Jeanne rentra dans ses Etats, le comte de Gramont, son lieutenant-général, était aux prises avec les mécontents catholiques, dont il eut raison. Elle réprima ce soulèvement, provoqué par ses hostilités contre la religion traditionnelle, mais sans la passion qu'elle devait apporter plus tard à la défense de ses droits ou de ses prétentions abusives. Cet orage passé, Jeanne paraît avoir gouverné avec sagesse. Ses actes sont inspirés par une vive sollicitude pour les intérêts du pays. Elle diminue les impôts, publie de bons règlements, établit une police bien entendue, reprend la tâche paternelle de Henri d'Albret. Quoique vouée, corps et âme, à la Réforme, qu'elle favorise publiquement, elle impose des bornes aux empiétements des ministres du nouveau culte: ses lettres-patentes du 28 mai 1564 refrènent leur zèle oppressif et interdisent toute espèce de contrainte pour le choix d'une religion. En même temps, elle s'occupait sans relâche de l'éducation de Henri et de sa sœur Catherine, noble devoir qui domina toujours ses préoccupations. Il y eut là, enfin, pour les membres de la famille royale et pour les Etats de Jeanne, une courte période de paix et de prospérité. Et, cependant, une étrange conspiration s'ourdissait, au loin, contre elle, sa Maison et son pays.

On a voulu faire remonter l'idée première de cette conspiration, niée par plusieurs historiens, aux jours qui suivirent la mort d'Antoine de Bourbon. A ce moment, a-t-on prétendu, les ennemis des Maisons de Bourbon et d'Albret, d'accord avec Philippe II et inspirés par François de Guise, auraient préparé un projet d'enlèvement de Jeanne d'Albret et de ses enfants, jugeant que, ce coup fait, il serait plus aisé de venir à bout des partisans français de la Réforme. On va même jusqu'à parler d'une armée rassemblée par Philippe II à Barcelone, et dont un corps léger, transporté secrètement à Tarragone, devait arriver à Pau par les montagnes. Là, aidés, au besoin, de Montluc et de quelques hauts affidés, les Espagnols eussent enlevé la famille royale pour la mettre au pouvoir de Philippe II. Un capitaine béarnais, nommé Dimanche, servait d'entremetteur aux conjurés. Tout était prêt, et il ne restait plus qu'à échanger les dernières instructions, lorsque François de Guise fut assassiné. Il y eut un temps d'arrêt. Reprise en 1563, la ténébreuse affaire échoua par un remarquable concours de circonstances: le capitaine Dimanche, tombé malade en Espagne, confia son secret à un valet de chambre de la reine Elisabeth, qui fit agir l'ambassadeur de France et prévenir la reine de Navarre10.

A la suite des explications que provoqua cette tentative, Catherine de Médicis, émue ou feignant de s'émouvoir des dangers qu'avaient courus Jeanne et ses enfants, insista auprès de la reine pour qu'elle lui confiât de nouveau le jeune prince, qui, placé directement sous la protection du roi de France, serait désormais à l'abri de semblables accidents. Le refus était difficile: Jeanne accéda au désir de la reine-mère, d'autant mieux qu'elle connaissait le projet de la cour de faire prochainement un voyage en France, et jusque dans les provinces méridionales. Henri retourna donc auprès du roi, et ce fut avec la cour qu'il partit de Fontainebleau pour ce voyage, dont l'histoire a noté l'influence considérable sur les événements politiques du règne de Charles IX. En l'ordonnant, Catherine obéissait à une double pensée: elle comptait assurer, dans une certaine mesure, l'exécution de l'édit d'Amboise, expédient inspiré par la mort du duc de Guise, en même temps qu'attirer les sympathies populaires sur la personne du jeune roi. L'édit d'Amboise, daté du 19 mars 1563, avait fait remettre l'épée au fourreau, mais non rétabli la paix dans les esprits. Il autorisait l'exercice du nouveau culte dans une ville par bailliage, dans quelques seigneuries et dans l'intérieur de chaque maison noble. A ce prix, les réformés rendaient les villes et les églises dont il s'étaient emparés. Exclus des charges publiques, comme précédemment, ils étaient amnistiés pour tous leurs actes antérieurs. Cet édit, œuvre ingénieuse du chancelier de l'Hospital, était considéré par les deux partis comme la préface d'une nouvelle politique, et Catherine eût bien voulu qu'il devînt la loi fondamentale de la paix définitive dont elle sentait le besoin.

Charles IX, en quittant Fontainebleau après un séjour de deux mois, se rendit à Sens, puis à Troyes, où il signa, le 11 avril 1564, avec l'Angleterre, un traité avantageux, par lequel furent atténuées quelques-unes des conséquences onéreuses de la paix de Cateau-Cambrésis. La cour fut retenue à Troyes par une chute du prince de Navarre. Catherine de Médicis écrivit à Jeanne d'Albret pour la rassurer sur les suites de cet accident et lui transmettre une invitation du roi. «Vous le trouverez (Henri) à votre contentement, disait-elle, car tous ceux qui le voient en sont bien contents, et le trouvent, comme il est, le plus joli enfant que l'on vît jamais. Je m'assure que vous ne le trouverez pas empiré en mes mains.» Jeanne joignit la cour à Lyon, et voyagea quelque temps avec elle; mais, arrivée dans le midi, la reine de Navarre, peu satisfaite de ce qu'elle voyait ou entendait, et d'ailleurs assez gravement atteinte dans sa santé, repartit pour ses Etats, en recommandant au jeune prince de visiter, sur son passage, tous les domaines de la couronne de Navarre. Suivant cet avis, il parcourut le comté de Foix, et séjourna à Pamiers et à Mazères, accompagné de ses gouverneurs et d'un nombreux cortège de gentilshommes.

Avant le séjour à Lyon, qui fut d'un mois, la cour avait visité Bar-le-Duc et la Lorraine, et Catherine, profitant du voisinage, avait entamé avec les princes allemands des négociations destinées, dans sa pensée, à les tenir à l'écart des mouvements calvinistes en France. Chassé de Lyon par la peste, Charles IX s'établit au château de Roussillon, en Dauphiné, d'où furent datés plusieurs actes de gouvernement et d'administration, tels que la destruction d'un grand nombre de citadelles élevées pendant la guerre civile, la fortification de diverses places, et la restriction, sur quelques points, des immunités accordées aux calvinistes par l'édit d'Amboise. Il reçut dans ce château la visite des ducs de Savoie et de Ferrare.

Après avoir visité le Dauphiné, surtout les contrées de cette province où la guerre civile avait laissé le plus de traces, le roi se rendit à Orange et à Avignon. Il donna audience, dans la ville pontificale, à un envoyé du Pape: le Saint-Siège et l'Italie sollicitaient, d'un commun accord, la cour de France de prendre contre l'hérésie des mesures sévères et décisives. Charles IX entrait et séjournait dans presque toutes les villes importantes. Il fut reçu à Aix, à Marseille, à Nîmes, à Montpellier, et il passa l'hiver à Carcassonne. Là, lui parvinrent les plaintes des calvinistes du Languedoc contre Damville-Montmorency, gouverneur de cette province, le même qui devait plus tard protéger et embrasser leur cause. En traversant la Provence, le prince de Navarre fut l'objet d'une curieuse prédiction du fameux Nostradamus. «Henri n'avait que dix à onze ans, rapporte P. de L'Estoile, et il était nommé prince de Navarre ou de Béarn, lorsqu'au retour du voyage de Bayonne, que le roi Charles IX fit en 1564, étant arrivé avec Sa Majesté à Salon du Crau, en Provence, où Nostradamus faisait sa demeure, celui-ci pria son gouverneur qu'il pût voir ce jeune prince. Le lendemain, le prince étant nu à son lever, dans le temps que l'on lui donnait sa chemise, Nostradamus fut introduit dans sa chambre; et, l'ayant contemplé assez longtemps, il dit au gouverneur qu'il aurait tout l'héritage. «Et si Dieu, ajouta-t-il, vous fait grâce de vivre jusque-là, vous aurez pour maître un roi de France et de Navarre.» Ce qui semblait lors incroyable est arrivé en nos jours: laquelle histoire prophétique le roi a depuis racontée fort souvent, même à la reine; y ajoutant par gausserie qu'à cause qu'on tardait trop à lui bailler la chemise, afin que Nostradamus pût le contempler à l'aise, il eut peur qu'on voulût lui donner le fouet.»

Le roi tint un lit de justice à Toulouse, le 1er février 1565, et séjourna longtemps dans cette ville. Il fit son entrée à Bordeaux le 9 avril, y tint un autre lit de justice et accorda aux Bordelais l'institution d'un tribunal consulaire semblable à celui de Paris. Les protestants de la Guienne profitèrent du passage de la cour pour se plaindre d'une ligue formée par le comte de Candale et favorisée par le maréchal de Bourdillon. Toute décision sur cette affaire fut ajournée: elle devait se lier, dans la pensée de la cour, aux entreprises de même nature que faisaient, en divers lieux, les catholiques, à l'imitation de l'association protestante. En passant à Mont-de-Marsan, Charles IX, dévoilant cette pensée, décida, en conseil, que toute prise d'armes non soumise à la volonté royale serait considérée comme un crime de lèse-majesté.

La cour, arrivée à Bayonne le 3 juin, s'y rencontra avec la reine Elisabeth, sœur de Charles IX, accompagnée du duc d'Albe. Philippe II avait accrédité ce personnage dominant pour influer sur les décisions qui pourraient être prises ou préparées dans l'entrevue des deux cours.

Les historiens se sont partagés en deux camps, au sujet de cette entrevue. Les calvinistes ont voulu y voir des négociations formelles tendant à l'extirpation violente de l'hérésie dans les Etats de France et d'Espagne, et qui auraient abouti à un traité secret, préliminaire de la Saint-Barthélemy. La plupart des écrivains catholiques des siècles précédents se sont élevés avec énergie contre cette interprétation; selon eux, les deux cours se rencontrèrent à Bayonne sans aucun but politique. Les mêmes divergences subsistent de nos jours, mais seulement chez les esprits voués aux thèses absolues. L'histoire digne de sa mission ne peut adopter ni l'ancienne version calviniste, ni la version contraire: des faits authentiques ont démenti celle-ci, et de celle-là les preuves manquent. Ajoutons que la vraisemblance témoigne contre l'une et l'autre.

La vérité, comme il arrive souvent, paraît être à égale distance des deux opinions extrêmes. L'entrevue de Bayonne ne pouvait être qu'essentiellement politique: il y fut question des vœux communs que faisaient les cours de France et d'Espagne pour la ruine ou l'abaissement d'un parti religieux et politique dont l'existence seule menaçait, à chaque instant, la paix dans les deux royaumes. Nul n'a vu le «traité secret», le «pacte de sang»; nul ne saurait mettre au jour un seul protocole, à plus forte raison, le texte d'un «projet arrêté»; mais il y eut certainement des velléités d'accord et de ligue, un échange de vues générales, de doléances et de paroles courroucées contre la Réforme: on n'a pas inventé les témoignages qui abondent sur ces divers points; François de la Noue, Pierre Mathieu, le duc de Nevers et de Thou sont dignes de foi quand ils les reproduisent, et tombent dans l'erreur seulement lorsqu'ils concluent. Le propos du duc d'Albe, entendu par le prince de Navarre, «qu'une tête de saumon vaut mieux que mille têtes de grenouilles», n'est qu'un propos, mais des plus caractéristiques. Il s'en tint bien d'autres de ce genre, on peut l'affirmer, et si, tous ensemble, ils ne suffisent pas pour inscrire une conjuration de plus dans l'histoire, pareillement ils démontrent l'inanité de la thèse qui refuse à l'entrevue de Bayonne tout caractère d'hostilité contre les protestants.

Le prince de Navarre, malgré son extrême jeunesse, ne passa pas inaperçu dans cette réunion des cours de France et d'Espagne. Jeanne était venue à Bordeaux visiter Charles IX et la reine-mère, et les prier de s'arrêter à Nérac, au retour de Bayonne. Elle avait pris des mesures pour que le prince de Navarre parût sur la frontière d'Espagne avec l'appareil qui convenait à son rang: il importait, selon elle, que l'héritier des débris du royaume de Navarre se montrât avec éclat, à côté du roi de France, devant les représentants de la nation ennemie. Une lettre de Henri, datée de Bazas, 8 mai 1565, porte les traces de cette maternelle et royale préoccupation: «Monsieur d'Espalungue, ayant délibéré de m'accompagner, au voyage de Bayonne, des plus notables et apparents gentilshommes que je pourrai aviser, je vous ai bien voulu avertir que, pour la bonne confiance que j'ai eue toute ma vie en vous, je vous ai choisi et élu pour me faire compagnie audit voyage».

Pendant les fêtes de Bayonne, qui durèrent dix-sept jours, le prince de Navarre, dit Favyn, «tint toujours son rang de premier prince du sang, magnifique en son train, splendide en son service, doux et agréable à tous, mais avec une telle majesté, qu'il était admiré des Français et redouté par les Espagnols, qui, en un âge si tendre de ce prince, jugeaient bien que cet aigle presserait, quelque jour, de ses serres leur lion, pour lui faire démordre son royaume de Navarre. C'est pourquoi le duc de Rio-Secco, ambassadeur de Philippe II, ayant considéré les actions de ce prince de plus près que les autres, dit ces paroles, qui furent depuis bien remarquées: «Ce prince est empereur ou le doit être. —Mi parece este principe o es imperador, o lo ha de ser.» Ce succès un peu théâtral répondit aux sollicitudes de Jeanne d'Albret et des gentilshommes béarnais dont elle avait formé le cortège de son fils; malheureusement, leur joie ne fut pas sans mélange: Charles IX, pour plaire à la reine sa sœur, consentit, en faveur de l'Espagne, au démembrement du diocèse de Bayonne, qui fut amoindri de tout le Guipuscoa.

La cour de France revint de Bayonne par Condom et Nérac. Jeanne d'Albret lui avait préparé une réception royale: il y eut quatre jours de gala11, pendant lesquels la reine de Navarre fut vivement sollicitée, mais en vain, de rentrer au giron de l'Eglise. Quelques historiens placent à cette époque sa hautaine réponse à Catherine de Médicis sur l'inflexibilité de ses nouvelles convictions religieuses. Elle dut, cependant, faire une importante concession. La liberté du culte catholique n'existait plus dans la capitale de l'Albret, et comme ce duché n'était pas un pays souverain, mais un fief, Jeanne, se rendant au vœu de Charles IX, leva son interdiction. Il fut convenu, en outre, que les magistrats municipaux seraient mi-partis, et Montluc, lieutenant-général en Guienne, reçut l'ordre de tenir la main à cet arrangement.

Après avoir quitté la Gascogne et la Guienne, Charles IX traversa Angoulême, Niort, Thouars, Angers, Tours, et il arriva à Blois à l'entrée de l'hiver. Il rapportait de ce long voyage beaucoup d'impressions pénibles et de souvenirs irritants. Frappé, de tous côtés, du spectacle des églises, des châteaux, des hameaux dévastés par les réformés, il en conçut contre eux, au rapport de Davila, une sorte d'aversion et de dégoût. Au mois de janvier 1566, la cour se rendit à Moulins, où le chancelier de l'Hospital avait convoqué, avec les personnages les plus considérables du royaume, les présidents de tous les parlements de France. Il s'agissait de réconcilier solennellement les Maisons de Guise et de Châtillon, de reviser l'édit d'Amboise, déjà modifié, et de discuter quelques projets de réforme judiciaire ou administrative préparés par le chancelier. La réconciliation eut lieu, et personne ne la tint pour sincère; les projets de réforme furent approuvés, en attendant que la guerre les rendît illusoires; quant à la révision de l'édit d'Amboise, elle occupa les esprits sans les apaiser.

Vers ce temps-là, Jeanne fut rappelée à la cour par diverses affaires, entre autres un procès qu'elle soutenait contre son beau-frère le cardinal de Bourbon, au sujet de ses domaines du Vendômois. Elle comprit bientôt, au premier aspect des choses, que la guerre allait sortir de tous les instruments de paix forgés sur le pupitre du chancelier. Elle avait laissé elle-même, dans ses Etats, des ferments de discorde qui lui inspiraient peu de confiance en l'avenir. D'un autre côté, le prince de Navarre touchait à un âge critique, et la cour des Valois n'était guère le lieu où se pût achever son éducation. Jeanne prit le parti de le ramener en Béarn. Ce fut presque un enlèvement, nécessité, il faut le dire, par la persistance de Catherine de Médicis à conserver son otage. Epiant le moment favorable, Jeanne, avec l'agrément de Charles IX, partit, accompagnée de son fils, pour ses domaines de Picardie, d'où elle passa dans le Vendômois, et de là en Anjou. De La Flèche, elle écrit au roi pour excuser son départ précipité, alléguant les troubles qui venaient d'éclater dans la Navarre; elle gagne le Poitou, traverse la Guienne et la Gascogne, et arrive à Pau. Son allégation au roi n'était que trop exacte: elle trouva une partie du Béarn soulevée, et il fallut, peu de temps après, recourir aux armes pour avoir raison de ces nouveaux désordres, provoqués, comme les précédents, par les dissensions religieuses.

CHAPITRE V

La popularité du prince de Navarre. – Florent Chrestien. – L'éducation littéraire, militaire et politique. – Voyage de Henri dans les Etats de sa mère. – Son séjour à Bordeaux. – Reprise des hostilités entre les protestants et la cour. – La tentative de Meaux. – Bataille de Saint-Denis. – Paix de Lonjumeau. – Le geôlier politique et militaire de Jeanne d'Albret. – Henri réclame vainement le gouvernement effectif de Guienne. – Autres griefs des réformés. – Projet d'arrestation de Condé, de Coligny et de plusieurs autres chefs calvinistes. – Ils se sauvent à La Rochelle. – Retraite du chancelier de l'Hospital. – Boutade du prince de Navarre contre le cardinal de Lorraine. – Jeanne quitte ses Etats, malgré Montluc, et se retire à La Rochelle avec ses enfants. – Ses lettres à la cour de France et à la reine d'Angleterre. – L'organisation militaire du parti calviniste. – La première armure de Henri. – Essai de pacification. – Edit de Saint-Maur contre les protestants. – Les forces des calvinistes et leurs succès.

Le retour du prince de Navarre dans son pays natal fut un événement pour le petit royaume: les visites et les députations se succédèrent longtemps au château; mais ce fut surtout le pays de Coarraze qui afflua autour du donjon de Gaston-Phœbus. Duflos raconte qu'un beau jour, tous les habitants de ce coin de terre, endimanchés, les mains pleines de fleurs, de galettes et de fromages, se mirent en route pour aller voir «lou nousté Henric». Ils traversent Pau, soulevé de joie et de curiosité sur leur passage, abordent le château et font tumultueusement irruption dans la cour d'honneur. Henri et sa mère paraissent au milieu d'eux, salués de vivats tels qu'en savent faire retentir les robustes poumons des montagnards pyrénéens. Il y eut des harangues et des embrassades, des attendrissements et des enthousiasmes indescriptibles, le tout couronné par un banquet homérique. C'était la popularité du Béarnais qui commençait: elle devait aller grandissant jusqu'à l'heure de l'immortalité.

Après les joies du retour, le prince de Navarre se remit à l'étude, sous l'œil vigilant de sa mère. Il avait perdu son précepteur La Gaucherie, à qui venait de succéder Florent Chrestien, bien digne d'achever l'œuvre de son devancier. C'était un homme docte, de bonnes mœurs, mais d'un esprit plus vif que La Gaucherie. Il passe pour avoir formé le goût littéraire de son élève, ce qui est croyable, car Florent Chrestien était un écrivain de talent: on lui attribue une part considérable de collaboration dans cette fameuse Satire Ménippée qui aida puissamment Henri IV à conquérir la population parisienne. Mais, sans abandonner les livres, Henri dut porter son attention sur d'autres objets. Son gouverneur militaire, le baron de Beauvais, ne le laissait pas chômer d'exercices virils et d'études pratiques; Florent Chrestien le nourrissait de bonne littérature; Jeanne d'Albret voulut contribuer à cet apprentissage par une sorte de lieutenance du royaume, dont elle l'investit. Il écrivit des lettres d'affaires, donna des audiences, représenta la reine partout où elle jugeait qu'une délégation de son pouvoir n'offrait pas d'inconvénients. Il fit même son début sous les armes, un semblant de première campagne, à l'occasion des troubles d'Oloron, en 1567. Jeanne d'Albret l'envoya contre les rebelles, pour les ramener à la soumission par sa présence, ou, au besoin, pour les combattre. Il s'acquitta de cette mission avec un plein succès. A l'approche de ce généralissime de treize ans, les révoltés se retirèrent dans les montagnes; mais quelques-uns étant tombés au pouvoir du prince, il les employa comme négociateurs, les chargeant de dire à leurs compagnons que, s'ils voulaient recourir à la clémence de la reine, ils n'auraient pas sujet de s'en repentir. Ils suivirent ce conseil et mirent bas les armes. Quelques exemples furent faits, mais la modération l'emporta dans les conseils de la reine.

Jeanne d'Albret, recherchant toutes les occasions de donner un but à l'activité déjà exubérante de son fils et de compléter son éducation politique, lui traça l'itinéraire d'un grand voyage à travers ses Etats et dans le gouvernement de Guienne, dont il était investi, quoique le véritable gouverneur de cette province fût le maréchal Blaise de Montluc.

Le voyage eut lieu en 1567. Henri partit de Pau, accompagné de Florent Chrestien, du baron de Beauvais et d'une suite digne de son rang. Quelques souvenirs de ce voyage nous ont été conservés par Duflos, qui s'est aidé des Mémoires de Nevers, de relations manuscrites et des traditions locales. Le prince y fit un bon apprentissage de patience et de diplomatie. Il dut parler souvent, et plus souvent écouter. Parfois il se trouva dans une situation difficile. L'Éducation de Henri IV rapporte que, dans une petite ville de Guienne, où il n'y avait guère que des calvinistes, Henri prit part à un banquet dont les vins généreux délièrent les langues au point de les faire toutes médire du roi et de la cour de France. Le prince invite les convives à plus de réserve; les propos continuent; il proteste formellement et sort, ne voulant pas paraître complice.

A Lectoure, un épisode touchant. Le prince arrive sous les murs de cette place; un malentendu fait qu'on ne vient pas au-devant de lui; des pauvres gens, des mendiants même, lui font accueil à leur manière, le suivent et entrent avec lui dans la ville. Il marchait avec ce cortège, lorsque les magistrats de Lectoure le rencontrent, stupéfaits et honteux de leur maladresse. « – Qu'auriez-vous dépensé, Messieurs, pour me fêter aujourd'hui? – Six cents livres et plus, Sire. – Eh bien! donnez six cents livres à ces bonnes gens, et demain vous serez mes convives.»

A Bordeaux, Henri eut une réception magnifique, tous les succès et toutes les admirations. On lit, sur son séjour, dans les Mémoires de Nevers, l'extrait suivant d'une lettre écrite par un des principaux magistrats de Bordeaux: «Nous avons ici le prince de Navarre. Il faut avouer que c'est une jolie créature. A l'âge de treize ans, il a toutes les qualités de dix-huit et dix-neuf; il vit avec tout le monde d'un air si aisé, qu'on fait toujours la presse où il est; il agit si noblement en toutes choses, qu'on voit bien qu'il est un grand prince; il entre dans les conversations comme un fort honnête homme; il parle toujours à propos, et quand il arrive qu'on parle de la cour, on remarque qu'il est fort bien instruit et qu'il ne dit jamais rien que ce qu'il faut dire en la place où il est. Je haïrai, toute ma vie, la nouvelle religion de nous avoir enlevé un si digne sujet.» Une autre lettre, citée dans ces Mémoires, ajoute de curieux détails sur sa façon de vivre et les penchants auxquels il semblait déjà destiné à se livrer: «Le prince de Navarre aime le jeu et la bonne chère. Quand l'argent lui manque, il a l'adresse d'en trouver, et d'une manière toute nouvelle et toute obligeante pour les autres aussi bien que pour lui-même: il envoie à ceux qu'il croit de ses amis une promesse écrite et signée de lui; il prie qu'on lui envoie le billet ou la somme qu'il porte: jugez s'il y a maison où il soit refusé! On tient à beaucoup d'honneur d'avoir un billet de ce prince.» Il n'eut pas, plus tard, à beaucoup près, autant de facilités pour battre monnaie, surtout lorsque, au milieu des camps, il manquait de chemises et portait le pourpoint troué. Il faut reproduire encore un trait de caractère, daté de cette époque, et qui prophétisait la passion dominante de ce prince. Les historiens citent cette note d'un contemporain anonyme: «Le prince de Navarre acquiert tous les jours de nouveaux serviteurs. Il s'insinue dans les cœurs avec une adresse incroyable. Si les hommes l'honorent et l'estiment beaucoup, les dames ne l'aiment pas moins. Il a le visage fort bien fait, le nez ni trop grand, ni trop petit, les yeux fort doux, le teint brun, mais fort uni; et cela est animé d'une vivacité si peu commune, que, s'il n'est bien avec les dames, il y aura bien du malheur.»

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