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Henri IV en Gascogne (1553-1589)
Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Les négociations et les pourparlers préliminaires avec Jeanne furent très laborieux, et durèrent depuis la fin de l'année 1570 jusqu'au mois d'avril 1572: elle mit sur les dents toute la diplomatie de Catherine de Médicis, aidée en cela par les répugnances de son fils pour l'union projetée. Henri, en effet, ne semble pas s'être jamais fait illusion sur les conséquences de son mariage, bien qu'il fût loin, sans doute, d'en prévoir les plus extrêmes. Il partageait, du reste, la méfiance de sa mère, et des historiens ont prétendu que, livré à lui-même, il n'eût pas voulu s'allier aux Valois dans les circonstances où il en était sollicité. On trouve l'expression personnelle de ses sentiments dans une lettre au roi de France, datée du 13 janvier 1571. Quelques semaines auparavant, Charles IX avait épousé Elisabeth d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien II. Avant de rentrer à Paris avec la reine, il souhaita la présence du prince de Navarre, qui répondit: «Le maréchal de Cossé m'a dit de bouche, de votre part, l'honneur que me faites de me désirer près de vous, et me trouver à votre entrée à Paris… Il se pourrait que cela servît à l'établissement de la paix, ainsi que vous le mandez à la reine de Navarre, ma mère, laquelle n'en a moindre affection que moi… Mais les pratiques et les menées de ceux qui ne peuvent vivre sans remuer et brouiller, et les évidentes contraventions qui se font à votre édit nous font craindre que l'on nous veuille encore tromper…»

Jeanne d'Albret, par écrit ou verbalement, énuméra en détail ses griefs, sans en omettre un seul: restitutions, réparations, garanties, pour elle, pour son fils, pour ses coreligionnaires, elle ne fit grâce de rien à Catherine ou à ses envoyés. Elle stipula même qu'on obligerait Bordeaux, qui avait refusé ses portes à Henri et à Condé allant en Béarn, à reconnaître et à honorer comme son gouverneur le prince de Navarre. On discutait ses prétentions, mais on les admettait; plus elle retardait la conclusion du traité matrimonial, plus on lui faisait d'avances ou de concessions. Enfin, pressée de toutes parts, forcée de reconnaître que ses amis étrangers, comme ses partisans français, l'amiral en tête, comme ses propres sujets, se déclaraient en faveur du mariage, elle donna sa parole, promettant de se rendre à la cour pour arrêter les détails du contrat. Le 26 novembre 1571, Jeanne partit de Pau, accompagnée de son fils, de Catherine, sa fille, de Louis de Nassau, son cousin, et d'une grande partie de sa cour. Elle fit un assez long séjour à Nérac et dans plusieurs villes de Guienne, de Saintonge et de Poitou, et, se séparant de son fils, qu'elle ne devait plus revoir, elle arriva, dans les premiers jours du printemps, à Blois, où la cour de France s'était rendue pour lui faire accueil. Reçue avec toutes sortes de caresses, elle put croire, un instant, à la sincérité de ses hôtes: cette illusion ne dura pas longtemps. Dès que les affaires furent mises sur le tapis, ses tribulations commencèrent. Laissons-la les raconter au prince de Navarre dans cette longue lettre où, tout en se peignant elle-même, sans y songer, elle trace le tableau de la cour et peut-être aussi, quand on y regarde de près, celui de toute une époque. La lettre de Blois est un des plus précieux documents du XVIe siècle:

«Mon fils, je suis en mal d'enfant, et en telle extrémité, que si je n'y eusse pourvu, j'eusse été extrêmement tourmentée. La hâte en quoi je dépêche ce porteur me gardera de vous envoyer un aussi long discours que celui que je vous ai envoyé. Je lui ai seulement baillé des petits mémoires et chefs sur lesquels il vous répondra. Je vous eusse renvoyé Richardière; mais il est trop las, et aussi que lors, comme les choses se manient, il y pourra aller bientôt après ce porteur que je dépêche exprès pour une chose: c'est qu'il me faut négocier tout au rebours de ce que j'avais espéré et que l'on m'avait promis; car je n'ai nulle liberté de parler au roi ni à Madame, seulement à la reine-mère, qui me traite à la fourche, comme vous verrez par les discours de ce présent porteur. Quant à Monsieur, il me gouverne et fort furieusement, mais c'est moitié en badinant, moitié dissimulant. Quant à Madame, je ne la vois que chez la reine, lieu malpropre, d'où elle ne bouge, et ne va en sa chambre que aux heures qui me sont malaisées à parler; aussi que Madame de Curton ne s'en recule point; de sorte que je ne puis parler qu'elle ne l'ouïe. Je ne lui ai point encore montré votre lettre, mais je la lui montrerai. Je le lui ai dit, et elle est fort discrète, et me répond toujours en termes généraux d'obéissance à vous et à moi, si elle est votre femme. Voyant donc, mon fils, que rien ne s'avance, et que l'on veut faire précipiter les choses et non les conduire par ordre, j'en ai parlé trois fois à la reine, qui ne se fait que moquer de moi, et, au partir de là, dire à chacun le contraire de ce que je lui ai dit. Mes amis m'en blâment; je ne sais comment démentir la reine, car je lui ai dit: «Madame, vous avez dit et tenu tel et tel propos.» Encore que ce soit elle-même qui me l'ait dit, elle me le nie comme beau meurtre et me rit au nez, et m'use de telle façon, que vous pouvez dire que ma patience passe celle de Griselidis. Si je cuide avec raison lui montrer combien je suis loin de l'espérance qu'elle m'avait donnée de privauté et négocier avec elle de bonne façon, elle me nie tout cela. Et par ce que le présent porteur a par mémoire les propos, vous jugerez par là où j'en suis logée. Au partir d'elle, j'ai un escadron de huguenots qui me viennent entretenir, plus pour me servir d'espions que pour m'assister, et des principaux, et de ceux à qui je suis contrainte dire beaucoup de langage que je ne puis éviter sans entrer en querelle contre eux. J'en ai d'une autre humeur, qui ne m'empêchent pas moins, mais je m'en défends comme je puis, qui sont hermaphrodites religieux. Je ne puis pas dire que je sois sans conseil, car chacun m'en donne un, et pas un ne se ressemble.

«Voyant donc que je ne fais que vaciller, la reine m'a dit qu'elle ne se pouvait accorder avec moi, et qu'il fallait que de nos gens s'assemblassent pour trouver des moyens. Elle m'a nommé ceux que vous verrez tant d'un côté que d'autre; tout est de par elle. Qui est la principale cause, mon fils, qui m'a fait dépêcher ce porteur en diligence, pour vous prier m'envoyer mon chancelier, car je n'ai homme ici qui puisse ni qui sache faire ce que celui-ci fera. Autrement je quitte tout; car j'ai été amenée jusqu'ici sous promesse que la reine et moi nous accorderions. Elle ne fait que se moquer de moi, et ne veut rien rabattre de la messe, de laquelle elle n'a jamais parlé comme elle fait. Le roi, de l'autre côté, veut que l'on lui écrive. Ils m'ont permis d'envoyer quérir des ministres, non pour disputer, mais pour avoir conseil. J'ai envoyé quérir MM. d'Espina, Merlin et autres que j'aviserai; car je vous prie noter qu'on ne tâche qu'à vous avoir, et pour ça, avisez-y, car si le roi l'entreprend, comme l'on dit, j'en suis en grande peine.

«J'envoye ce porteur pour deux occasions, l'une pour vous avertir comme l'on a changé la façon de négocier envers moi que l'on m'avait promise, et pour cela qu'il est nécessaire que monsr de Francourt vienne comme je lui écris; vous priant, mon fils, s'il faisait quelque difficulté, le lui persuader et commander; car je m'assure que si vous saviez la peine en quoi je suis, vous auriez pitié de moi, car l'on me tient toutes les rigueurs du monde et des propos vains et moqueries, au lieu de traiter avec moi avec gravité, comme le fait le mérite. De sorte que je crève, parce que je me suis si bien résolue de ne me courroucer point, que c'est un miracle de voir ma patience. Et si j'en ai eu, je sais comme j'en aurai encore affaire plus que jamais; et m'y résoudrai aussi davantage. Je crains bien d'en tomber malade, car je ne me trouve guère bien.

«J'ai trouvé votre lettre fort à mon gré; je la montrerai à Madame, si je puis. Quant à sa peinture, je l'enverrai quérir à Paris. Elle est belle, bien avisée et de bonne grâce, mais nourrie en la plus maudite et corrompue compagnie qui fut jamais; car je n'en vois point qui ne s'en sente. Votre cousine la marquise en est tellement changée qu'il n'y a apparence de religion, si non d'autant qu'elle ne va point à la messe, car au reste de la façon de vivre elle fait comme les papistes, et la princesse ma sœur encore pis. Je vous l'écris privément. Ce porteur vous dira comme le roi s'émancipe; c'est pitié. Je ne voudrais pas, pour chose du monde, que vous y fussiez pour y demeurer. Voilà pourquoi je désire vous marier, et que vous et votre femme vous retiriez de corruption; car encore que je la croyais bien grande, je la vois davantage. Ce ne sont pas les hommes ici qui prient les femmes, ce sont les femmes qui prient les hommes. Si vous y étiez, vous n'en échapperiez jamais sans une grande grâce de Dieu. Je vous envoie un bouquet pour mettre sur l'oreille, puisque vous êtes à vendre, et des boutons pour un bonnet. Les hommes portent à cette heure force pierreries, mais on en achète pour cent mille écus et on en achète tous les jours. L'on dit que la reine s'en va à Paris, et Monsieur. Si je demeure ici, je m'en irai en Vendômois.

«Je vous prie, mon fils, me renvoyer ce porteur incontinent, et quand vous m'écrirez, me mander que vous n'osez écrire à Madame, de peur de la fâcher, ne sachant comment elle a trouvé bon celle que vous lui avez écrite. Votre sœur se porte bien. J'ai vu une lettre que monsr de La Case vous a écrite. Je serais d'avis que vous connussiez pour qui il parle. Je vous prie encore, puisqu'on m'a retranché ma négociation particulière et qu'il faut parler par avis et conseil, m'envoyer Francourt. Je demeure en ma première opinion, qu'il faut que vous retourniez vers Béarn. Mon fils, vous avez bien jugé, par mes premiers discours, que l'on ne tâche qu'à vous séparer de Dieu et de moi; vous en jugerez autant par ces dernières, et de la peine en quoi je suis pour vous. Je vous prie, priez bien Dieu, car vous en avez bien besoin en tout temps et même en celui-ci, qu'il vous assiste. Et je l'en prie, et qu'il vous donne, mon fils, ce que vous désirez. – De Blois, ce VIIIe de mars.

«De par votre bonne mère et meilleure amie.

«Jehanne.»

Jeanne patienta longtemps; mais, à la fin, jugeant qu'elle ne gagnerait rien à jouter avec la reine-mère sur le terrain des finesses diplomatiques, elle changea de ton et d'allure, et voulut que les questions en suspens fussent tranchées, à défaut de quoi elle menaçait de rompre toute négociation. Combattue de la sorte, Catherine céda sur tous les principaux points contestés, et le contrat fut signé le 11 avril. En voici les stipulations essentielles:

A part les villes et domaines, Marguerite reçoit pour dot trois cent mille écus d'or au soleil, l'écu évalué à cinquante-quatre sols. La reine-mère lui donne deux cent mille livres tournois; les ducs d'Anjou et d'Alençon, chacun vingt-cinq mille livres. Ces sommes ne furent pas payées comptant, mais constituées en achat de rentes, au denier douze, sur la ville de Paris. Jeanne d'Albret déclare son fils héritier de tous ses biens acquis et à venir; lui abandonne, dès à présent, les revenus, offices et bénéfices de l'Armagnac, son domaine, douze mille livres de rentes assises sur le comté de Marle, et les biens qu'elle tenait du cardinal de Bourbon, son beau-frère. Le prince s'oblige à fournir le château de Pau de meubles et ustensiles, jusqu'à concurrence de trente mille livres. Pour les bagues et joyaux, la reine de Navarre fera ce qu'elle jugera convenable.

La reine de Navarre se rendit à Paris, le 14 mai, et, avec son activité ordinaire, s'occupa des préparatifs du mariage, en attendant l'arrivée de son fils, encore dans ses Etats, et dont les messages de Charles IX pressaient le départ. Depuis plusieurs années, la santé de Jeanne dépérissait; les préoccupations et les soucis qui avaient rempli son séjour à Blois, et qu'elle retrouva, sous une autre forme, à Paris, brisèrent ses forces et hâtèrent une catastrophe qu'avaient pu prévoir les confidents de sa vie privée. «Etant arrivée le quinzième de mai, dit André Favyn, le premier jour de juin ensuivant, elle se trouva malade d'une lassitude de membres sur le soir, pour avoir été par la ville tout le long du jour; nonobstant cela elle ne laissa de traîner jusques au cinquième jour qu'elle alita, et mourut le dixième dudit mois de juin sur les trois heures après minuit, en l'hôtel du prince de Condé (dit aujourd'hui de Montpensier), rue de Grenelle. Elle décéda en l'âge de quarante-trois ans; son corps embaumé et mis dans un cercueil de plomb, couvert d'un velours noir, sans croix, flambeaux, ni armoiries, selon la nouvelle religion, fut porté en la chapelle de Vendôme, auprès de son mari.

«Quelques écrivains, pour taxer la mémoire des défunts rois de France Charles IX et Henri III d'heureuse mémoire, ont, par une extrême impudence, laissé par écrit, poussés plutôt d'un zèle inconsidéré de leur religion que de la vérité, que cette grande et docte princesse était morte ayant senti des gants empoisonnés; d'autres, qu'elle avait été empoisonnée d'un boucon qu'on lui donna, priée de souper chez le duc d'Anjou, depuis roi Henri troisième du nom. Ecrivains convaincus de mensonge par le témoignage des officiers domestiques de la feue reine, par la relation desquels l'on apprend qu'elle mourut pulmonique. Elle avait donné charge à ses médecins qu'après sa mort elle fût ouverte, et sa tête particulièrement, pour savoir le sujet d'une démangeaison qu'elle avait ordinairement sur icelle, à ce que si cette maladie était héréditaire aux prince et princesse de Navarre ses enfants, on y pût remédier. Son test (crâne) fut donc scié par un chirurgien de Paris nommé Desneux, en la présence de Caillart, médecin ordinaire de ladite reine Jeanne, et de sa religion: y furent trouvées certaines petites bulbes pleines d'eau entre le crâne et la taie du cerveau, sur laquelle s'épandant, elles causaient cette démangeaison. Au reste, cette taie du cerveau était belle et nette, ce qui n'eût été si on l'eût empoisonnée par des gants parfumés. Son corps fut pareillement ouvert, toutes les parties nobles lui furent trouvées saines et entières, les poumons exceptés, lesquels se trouvèrent gâtés du côté droit, avec une dureté et callosité extraordinaire et une apostème assez grosse, laquelle s'étant crevée dans le corps, fut cause de la mort de la reine.»

La version du vieil écrivain sur les derniers moments de Jeanne d'Albret est celle que l'histoire sérieuse a retenue, celle qui prévaut aujourd'hui, à travers les controverses passionnées de trois siècles. L'accusation d'empoisonnement aurait pu se produire, avec quelque apparence de raison, après le mariage de Henri: commis à ce moment, le crime eût été peut-être profitable; auparavant, il était nuisible et absurde. Il fut soupçonné, pourtant, et longtemps encore après l'événement; et même de nos jours, la thèse qui en fait la preuve contre la vérité et la raison se perpétue dans plus d'un livre nouveau. Il y a une école d'historiens, recrutée dans tous les camps, qui semble s'être vouée à la réhabilitation des anciennes erreurs.

La reine de Navarre mourut en pleine possession d'elle-même. Elle comprit, dès la première atteinte du mal, qu'elle allait, selon son expression, «entrer du tout (entièrement) dans l'autre vie», et se prépara avec résignation à ce terrible passage. Son testament porte l'empreinte d'une âme forte et religieuse13. La conscience humaine a pu hésiter, en d'autres temps, devant cette femme extraordinaire. Aujourd'hui que, sans l'emporter peut-être sur les générations du XVIe siècle, nous sommes loin des passions qui les armaient les unes contre les autres, nous ne saurions nous abandonner ni au dénigrement systématique, ni à l'admiration sans bornes. La mère de Henri IV eut un grand cœur et une âme royale, double héritage que recueillit et fit fructifier son fils. L'esprit de fanatisme lui dicta des actes iniques et attentatoires à la liberté humaine, qu'elle s'imaginait servir mieux que les catholiques; mais qui donc, à cette époque, surtout parmi les têtes couronnées, respecta toujours la liberté, fut constamment fidèle à la justice? Les deux auteurs du démembrement du royaume de Navarre furent un pape et un roi, Jules II et Ferdinand le Catholique, le souverain laïque agissant avec l'épée, le souverain religieux fulminant l'interdit, tous deux d'accord pour punir Jean, roi de Navarre, aïeul de Jeanne d'Albret, de n'avoir pas voulu trahir le roi de France, son allié et leur adversaire. Le souvenir de cette double iniquité, qui vécut toujours au cœur des petits souverains de Pau, ne suffirait pas, néanmoins, pour expliquer l'apostasie et le fanatisme de Jeanne d'Albret; mais il faut rappeler aussi les caresses prodiguées par Marguerite de Valois à la Réforme, et dont Jeanne fut témoin; il faut relire l'histoire des palinodies d'Antoine de Bourbon, contre qui Jeanne défendit, quelque temps, ses croyances traditionnelles, et qu'elle suivit enfin dans l'Eglise calviniste, mais lentement, à mesure que la conviction et la passion la maîtrisaient, et pour n'en plus sortir, pour en sortir d'autant moins que son mari en sortit lui-même, un peu avant sa mort, par ambition personnelle, au moment où ses fausses vues politiques et les scandaleux dérèglements de sa vie frappaient deux fois au cœur la reine de Navarre. L'histoire ne doit ni amnistier, ni excuser, mais expliquer. A la lumière de ses explications, Jeanne d'Albret nous apparaît comme une statue qui, vue de profil, resplendirait de beautés héroïques, et vue de face, attristerait le regard par ses difformités.

CHAPITRE IX

Henri roi de Navarre. – Ses hésitations à Chaunai. – Il entre dans Paris avec huit cents gentilshommes. – Son mariage. – La Saint-Barthélemy. – Le «Discours de Cracovie». – La préméditation. – Le roi de Navarre et le prince de Condé sommés d'abjurer. – Conséquences de l'abjuration. – Abjuration forcée, comédie obligatoire. – Comment Henri joua son rôle. – Révolte de La Rochelle. – Siège de La Rochelle. – Défense héroïque. – Le duc d'Anjou élu roi de Pologne. – Accommodement avec les Rochelais. – L'édit par ordre. – Le massacre de Hagetmau. – Naissance du parti des «Malcontents». – Le duc d'Alençon et ses complots. – La conspiration de 1574. – La déposition du roi de Navarre. – Les calvinistes reprennent les armes et sont combattus par trois armées royales. – Mort de Charles IX. – Ses dernières paroles au roi de Navarre. – Henri III fait bon accueil à son beau-frère. – Autres complots du duc d'Alençon. – Il s'échappe de la cour et se ligue avec les protestants. – Le roi de Navarre médite un projet d'évasion.

Henri, désormais roi de Navarre, reçut à Chaunai, petite ville du Poitou, la nouvelle de la mort de sa mère. Terrassé par ce coup inattendu, le prince fut saisi de telles angoisses, qu'une fièvre violente s'empara de lui et l'empêcha de se remettre en route. Le 13 juin, il n'avait pas encore quitté Chaunai, d'où il écrivait la lettre suivante au baron d'Arros, lieutenant-général en ses Etats souverains. Il avait déjà pris connaissance du testament de Jeanne d'Albret, et il fait allusion à ce document: «J'ai reçu en ce lieu la plus triste nouvelle qui m'eût dû advenir en ce monde, qui est la perte de la reine ma mère, que Dieu a appelée à lui ces jours passés, étant morte d'un mal de pleurésie qui lui a duré cinq jours et quatre heures. Je ne vous saurais dire, Monsieur d'Arros, en quel deuil et angoisse je suis réduit, qui est si extrême que m'est bien malaisé de le supporter. Toutefois, je loue Dieu du tout. Or, puisque, après la mort de ladite reine ma mère, j'ai succédé à son lieu et place, il m'est donc de besoin que je prenne le soin de tout ce qui était de sa charge et domination; qui me fait vous prier bien fort, Monsieur d'Arros, de continuer, comme vous avez fait en son vivant, la charge qu'elle vous avait baillée en son absence, en ses pays de là, de la même fidélité et affection que vous avez toujours montrée, et tenir principalement la main à ce que les édits et ordonnances faites par Sa Majesté soient à l'avenir, comme je désire, gardés et observés inviolablement, de sorte qu'il ne soit rien attenté ni innové au contraire; à quoi je m'assure que vous vous emploierez de tout votre pouvoir…»

Le roi de Navarre débattit assez longtemps en lui-même et avec ses conseillers la résolution qu'il convenait de prendre. La prolongation de son séjour à Chaunai menaçait de ruiner tant de projets, du côté des huguenots comme du côté de la cour, que, des deux parts, il était assailli de sollicitations. Enfin, pressé par Coligny lui-même, il partit, accompagné du prince de Condé et de huit ou neuf cents gentilshommes, et entra dans Paris, le 20 juillet. Malgré la cordialité de l'accueil qu'il y reçut du roi, de la reine-mère et de leur entourage, Henri partagea difficilement la confiance et la satisfaction de ses coreligionnaires: des incidents de toute sorte surgissaient à chaque instant, qui, à trois siècles de distances, nous semblent avoir été de clairs avertissements. L'inaltérable bienveillance de Catherine, la débonnaireté subite et imperturbable de Charles IX à l'égard des huguenots, les indiscrétions qui se colportaient, mille bruits, mille indices, avant comme après le mariage, rien ne put dessiller les yeux, faire évanouir le rêve; à peine fut-il troublé, de temps à autre, chez les plus avisés.

La question du mariage avait offert de grandes difficultés: Rome s'y opposait. Avant l'arrivée des dispenses, Charles IX, impatient, donna des ordres absolus. Les fiançailles eurent lieu au Louvre, le 17 août, et, le 18, le mariage fut célébré, grâce aux aventureuses complaisances du cardinal de Bourbon, «sur un haut échafaud dressé devant la principale entrée» de la cathédrale de Paris. Après la bénédiction nuptiale, les catholiques entrèrent dans le chœur pour entendre la messe, et les calvinistes se tinrent ostensiblement à l'écart. Ainsi fut conclu le pacte jugé nécessaire pour l'exécution des desseins qui aboutirent à la Saint-Barthélemy.

Le récit de cette terrifiante journée n'exige pas sa place dans notre étude. Il est de ceux que le monde entier connaît, ce massacre ayant eu le triste don, par ses dramatiques péripéties, de fasciner la curiosité humaine, souvent cruelle dans ses investigations. Parmi les documents célèbres qui abondent sur la Saint-Barthélemy, nous n'en connaissons pas de plus riche en révélations poignantes, en aveux effrayants, en clartés terribles, que la relation du duc d'Anjou, roi de Pologne, que l'histoire a enregistrée sous le nom de «discours de Cracovie14». Nous la mentionnons parmi les pièces recueillies à la fin de cet ouvrage. Ici, la probité dicte quelques réflexions.

L'œuvre sanglante de la Saint-Barthélemy a été, dans ces derniers temps, le sujet d'éclatantes controverses. On a écrit des volumes, d'ailleurs instructifs, sur cette question: «La Saint-Barthélemy a-t-elle été préméditée?» Par quel étrange abus de mots, par quel goût malsain pour les discussions byzantines, en est-on arrivé à transformer en problème ce qui, pendant trois siècles, n'a réclamé aucune démonstration? Depuis la paix de Saint-Germain jusqu'à l'attentat contre l'amiral, pendant plus de deux années, il n'y a pas, dans la politique de Catherine de Médicis, un seul acte qui ne tende visiblement à endormir la méfiance des calvinistes, à encourager leurs espérances, à flatter, sinon à satisfaire leurs ambitions; la cour leur promet tout, leur offre tout, leur donne tout; les Valois orthodoxes jettent leur fille dans les bras du Bourbon hérétique; toutes les amorces partent du Louvre et y ramènent l'élite de la France protestante: la voilà qui accourt au son des cloches de l'hymen royal. Et il n'y a pas eu de préméditation dans ce qui s'est fait, et il n'y en aura pas dans ce qui va suivre! C'est donc pour livrer la monarchie et le pays aux calvinistes qu'on les a rassemblés, leurs chefs en tête, autour du trône; ou bien, c'est par hasard que mille manœuvres inconscientes ont rempli deux années pour aboutir à l'immense manœuvre des derniers jours! Certes, une Saint-Barthélemy a été préméditée, longuement et savamment préméditée, si jamais quelque chose le fut en ce monde. Qu'on ait réglé, six mois, six semaines ou six jours auparavant, la mise en scène de l'effroyable dénouement; qu'on ait fait d'avance, dans l'œuvre de destruction, la part du feu, du poison et des cachots; qu'on ait condamné les uns, gracié les autres; que le nom de l'amiral ait figuré le premier ou le dernier sur la liste de proscription; qu'on ait hésité longtemps sur les mesures à prendre, sur les têtes à frapper, sur les agents à employer, sur l'économie du sinistre cérémonial, ce sont là des sujets précieux pour l'historiette, mais qui n'enlèvent rien à la réalité de ce grand fait caractérisant un grand crime: la préméditation.

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