
Полная версия
Vies des dames galantes
Punition de Dieu, certes; car il ne s'ouyt jamais guères parler d'un mariage ainsi fait; qui est un grand cas, et énorme, de faire et accorder un second mariage, estant le premier encor en son entier.
J'aymerois autant d'une, qui est grande, mais non tant que l'autre que je viens de dire, laquelle, estant pourchassée d'un gentilhomme par mariage, elle l'espousa, non pour l'amour qu'elle luy portoit, mais parce qu'elle le voyoit maladif, atténué et allanguy, et mal disposé ordinairement, et que les médecins lui disoient qu'il ne vivroit pas un an, et mesme après avoir cogneu cette belle femme par plusieurs fois dans son lict: et, pour ce, elle en esperoit bientost la mort, et s'accommoderoit tost après sa mort de ses biens et moyens, beaux meubles et grands advantages qu'il luy donnoit par mariage: car il estoit très-riche et bien-aisé gentilhomme. Elle fut bien trompée; car il vit encore, gaillard, et mieux disposé cent fois qu'avant qu'il l'espousast; depuis elle est morte. On dict que ledict gentilhomme contrefaisoit ainsi du maladif et marmiteux, afin que connoissant cette femme très-avare, elle fust émue à l'espouser sous esperance d'avoir tels grands biens: mais Dieu là-dessus disposa tout au contraire, et fit brouster la chevre là où elle estoit attachée en despit d'elle.
Que dirons-nous d'aucuns qui espousent des putains et courtisannes qui ont esté très-fameuses, comme l'on fait assez coustumièrement en France mais, surtout en Espagne et en Italie, lesquels se persuadent de gaigner les œuvres de miséricorde, por librar una anima christiana del infierno35, comme ils disent, en la sainte voye.
Certainement, j'ai veu aucuns tenir cette opinion et maxime, que s'ils les espousoient pour ce saint et bon sujet, ils ne doivent tenir rang de cocus; car ce qui se fait pour l'honneur de Dieu ne doit pas estre converty en opprobre: moyennant aussi que leurs femmes, estant remises en la bonne voye, ne s'en ostent et retournent à l'autre; comme j'en ay veu aucunes en ces deux pays, qui ne se rendoient plus pécheresses après estre mariées, d'autres qui s'en pouvoient corriger, mais retournoient broncher dans la première fosse.
– La première fois que je fus en Italie, je devins amoureux d'une fort belle courtisanne à Rome, qui s'appeloit Faustine; et d'autant que je n'avois pas grand argent, et qu'elle estoit en trop haut prix de dix ou douze escus pour nuict, fallut que je me contentasse de la parole et du regard. Au bout de quelque temps, j'y retourne pour la seconde fois, et mieux garny d'argent: je l'alloy voir en son logis par le moyen d'une seconde, et la trouvoy mariée avec un homme de justice, en son mesme logis, qui me recueillit de bon amour, et me contant la bonne fortune de son mariage, et me rejetant bien loin ses folies du temps passé, auxquelles elle avoit dit adieu pour jamais. Je luy monstroy de beaux escus françois, mourant pour l'amour d'elle plus que jamais. Elle en fut tentée et m'accorda ce que voulus, me disant qu'en mariage faisant elle avoit arresté et concerté avec son mary sa liberté entière, mais sans escandale pourtant ny déguisement, moyennant une grande somme, afin que tous deux se pussent entretenir en grandeur, et qu'elle estoit pour les grandes sommes, et s'y laissoit aller volontiers, mais non point pour les petites. Celuy-là estoit bien cocu en herbe et gerbe.
– J'ai ouy parler d'une dame de parmy le monde qui, en mariage faisant, voulut et arresta que son mary la laissast à la Cour pour faire l'amour, se reservant l'usage de sa forest de Mort-Bois ou Bois-Mort, comme luy plairoit; aussi, en récompense, elle lui donnoit tous les mois mille francs pour ses menus plaisirs, et ne se soucioit d'autre chose qu'à se donner du bon temps.
Par ainsi, telles femmes qui ont esté libres, volontiers ne se peuvent garder qu'elles ne rompent les serrures estroites de leurs portes, quelque contrainte qu'il y ait, mesme où l'or sonne et reluit: tesmoin cette belle fille du roy Acrise, qui, toute reserrée et renfermée dans sa grosse tour, se laissa à un doux aller à ces belles gouttes d'or de Jupiter.
Ha! que mal-aisément se peut garder, disoit un gallant homme, une femme qui est belle, ambitieuse, avare, convoiteuse d'estre brave, bien habillée, bien diaprée, et bien en point, qu'elle ne donne non du nez, mais du cul en terre, quoy qu'elle porte son cas armé, comme l'on dit, et que son mary soit brave, vaillant, et qui porte bonne espée pour le défendre.
J'en ay tant cogneu de ces braves et vaillants, qui ont passé par-là; dont certes estoit grand dommage de voir ces honnestes et vaillants hommes en venir-là, et qu'après tant de belles victoires gagnées par eux, tant de remarquables conquestes sur leurs ennemis, et beaux combats demeslez par leur valeur, qu'il faille que, parmy les belles feuilles et fleurs de leurs chapeaux triomphants qu'ils portent sur la teste, l'on y trouve des cornes entremeslées, qui les deshonorent du tout: lesquels néantmoins s'amusent plus à leurs belles ambitions par leurs beaux combats, honorables charges, vaillances et exploicts, qu'à surveiller leurs femmes et esclairer leur antre obscur; et, par ainsi, arrivent, sans y penser, à la cité et conqueste de Cornuaille, dont c'est grand dommage pourtant; comme j'en ay bien cogneu un brave et vaillant qui portoit le titre d'un fort grand, lequel un jour se plaisant à raconter ses vaillances et conquestes, il y eut un fort honneste gentilhomme et grand, son allié et famillier, qui dit à un autre: «Il nous raconte ici ses conquestes, dont je m'en estonne; car le cas de sa femme est plus grand que toutes celles qu'il a jamais fait, ny ne fera oncques.»
– J'en ay bien cogneu plusieurs autres, lesquels, quelque belle grace, majesté et apparence qu'ils pussent monstrer, si avoient-ils pourtant cette encolure de cocu qui les effaçoit du tout; car, telle encolure et encloueure ne se peut cacher et feindre; quelque bonne mine et bon geste qu'on veuille faire, elle se connoist et s'aperçoit à clair; et, quant à moy, je n'en ay jamais veu en ma vie aucun de ceux-là qui n'en eust ses marques, gestes, postures, et encolures, et encloueures, fors seulement un que j'ay cogneu, que le plus clair-voyant n'y eust sceu rien voir ny mordre, sans connoistre sa femme, tant il avoit bonne grace, belle façon et apparence honnorable et grave.
Je prierois volontiers les dames qui ont de ces marys si parfaits, qu'elles ne leur fissent de tels tours et affronts: mais elles me pourront dire aussi: «Et où sont-ils ces parfait, comme vous dites qu'estoit celuy-là que vous venez d'alléguer?»
Certes, Mesdames, vous avez raison, car tous ne peuvent estre des Scipions et des Césars, et ne s'en trouve plus. Je suis d'advis doncques que vous ensuiviez en cela vos fantaisies; car, puisque nous parlons des Césars, les plus gallants y ont bien passé, et les plus vertueux et parfaits, comme j'ay dit, et comme nous lisons de cet accomply empereur Trajan, les perfections duquel ne purent engarder sa femme Plotine qu'elle s'abandonnast du tout au bon plaisir d'Adrian, qui fut empereur après, de laquelle il tira de grandes commoditez, profits et grandeurs, tellement qu'elle fut cause de son advancement; aussi n'en fut-il ingrat estant parvenu à sa grandeur, car il l'ayma et honnora toujours si bien, qu'elle estant morte, il en demena si grand deuil et en conceut une telle tristesse, qu'enfin il en perdit pour un temps le boire et le manger, et fut contraint de séjourner en la Gaule Narbonnoise, où il sceut ces tristes nouvelles trois ou quatre mois après, pendant lesquels il escrivit au sénat de colloquer Plotine au nombre des déesses, et commanda qu'en ses obseques on lui offrist des sacrifices très-riches et très-somptüeux; et cependant il employa le temps à faire bastir et édifier, à son honneur et mémoire, un très-beau temple près Nemause, ditte maintenant Nismes, orné de très-beaux et riches marbres et porfires, avec autres joyaux.
– Voilà donc comment, en matière d'amours et de ses contentements, il ne faut aviser à rien: aussi Cupidon leur dieu est aveugle; comme il paroist en aucunes, lesquelles ont des marys des plus beaux, des plus honnestes et des plus accomplis qu'on sçauroit voir, et néantmoins se mettent à en aymer n'autres si laids et si salles, qu'il n'est possible de plus.
J'en ay veu force desquelles on faisoit une question: Qui est la dame la plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary, et fait un amy laid, maussade et fort dissemblable à son mary; ou celle qui a un laid et fascheux mary, et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse pourtant à bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beauté des hommes, ainsi que j'ay veu faire à beaucoup de femmes?
Certainement la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le laisse pour aymer un amy laid, est bien une grande putain, ny plus ny moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande pour en manger une meschante; aussi cette femme quittant une beauté pour aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la seule paillardise, d'autant qu'il n'y a rien plus paillard ni plus propre pour satisfaire à la paillardise, qu'un homme laid, sentant mieux son bouc puant, ord et lascif que son homme; et volontiers, les beaux et honnestes hommes sont un peu plus délicats et moins habiles à rassasier une luxure excessive et effrénée, qu'un grand et gros ribaut barbu, ruraud et satyre.
D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les caresse tous les deux, est bien autant putain, pour ce qu'elle ne veut rien perdre de son ordinaire et pension.
Telles femmes ressemblent à ceux qui vont par pays, et mesmes en France, qui, estant arrivés le soir à la souppée du logis, n'oublient jamais de demander à l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il seroit saoul à plein jusqu'à la gorge.
Ces femmes de mesmes veulent toujours avoir à leur coucher, quoy qu'il soit, la mesure de leur mallier, comme j'en ay cogneu une qui avoit un mary très-bon embourreur de bas; encores la veulent-elles croistre et redoubler en quelque façon que ce soit, voulant que l'amy soit pour le jour qui esclaire sa beauté, et d'autant plus en fait venir l'envie à la dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la belle lueur du jour; et monsieur laid pour la nuict, car, comme on dit que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie ses appetits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau.
Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de plaisir, l'homme ny la femme ne songent point à autre sujet ny imagination, si-non à celuy qu'ils traittent pour l'heure présente: encore que je tienne de bon lieu que plusieurs dames ont fait accroire à leurs amys que quand elles estoient-là avec leurs marys, elles addonnoient leurs pensées à leurs amys, et ne songeoient à leurs marys, afin d'y prendre plus de plaisir; et à des marys, ay-je ouy dire ainsi qu'estant avec leurs femmes songeoient à leurs maistresses, pour cette mesme occasion: mais ce sont abus.
Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet présent qui les domine alors, et nullement l'absent, et en alléguoient force raisons; mais je ne suis assez bon philosophe ny sçavant pour les déduire, et aussi qu'il y en a d'aucunes salles. Je veux observer la vérécondie, comme on dit. Mais pour parler de ces elections d'amours laides, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonné cent fois.
– Retournant une fois d'un voyage de quelque province estrangere, que ne nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet duquel je veux parler, et discourant avec une grande dame de par le monde, parlant d'une autre grande dame et princesse que j'avois veue-là, elle me demanda comment elle faisoit l'amour. Je lui nommoy le personnage lequel elle tenoit pour son favory, qui n'estoit ny beau ni de bonne grace, et de fort basse qualité. Elle me fit response: «Vrayment elle se fait fort grand tort, et à l'amour un très-mauvais tour, puis qu'elle est si belle et si honneste comme on la tient.»
Cette dame avoit raison de me tenir ces propos, puis qu'elle n'y contrarioit point, et ne les dissimuloit par effet; car elle avoit un honneste amy et bien favory d'elle. Et quand tout est bien dit, une dame ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire election d'un bel object, ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre raison que pour l'amour de leur lignée; d'autant qu'il y a des marys qui sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grace, si poltrons, si coyons et de si peu de valeur, que leurs femmes venans à avoir des enfants d'eux, et les ressemblans, autant vaudroit n'en avoir point du tout, ainsy que j'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant eu des enfants de tels marys, ils ont esté tous tels que leurs peres; mais en ayant emprunté aucuns de leurs amys, ont surpassé leurs peres, freres et sœurs en toutes choses.
– Aucuns aussi des philosophes qui ont traitté de ce sujet ont tenu toujours que les enfants ainsi empruntez ou derobbez, ou faits à cachettes et à l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien plus de la façon gentille dont on use à les faire prestement et habillement, que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement, fadement, pesamment, à loisir, et quasi à demy endormis, ne songeans qu'à ce plaisir en forme brutalle.
Aussi ay-je ouy dire à ceux qui ont charge des harras des roys et grands seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez par leurs meres, que d'autres faits par la curiosité des maistres du haras et estallons donnez et appostez: ainsi est-il des personnes.
Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et honnestes et braves enfants! Que si leurs pères putatifs les eussent faits, ils fussent esté vrays veaux et vrayes bestes.
Voilà pourquoy les femmes sont bien advisées de s'ayder et accommoder de beaux et bons estallons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je bien veu qui avoient de beaux marys, qui s'aidoient de quelques amys laids et vilains estallons, qui procréoyent de hideuses et mauvaises lignées.
Voilà une des signalées commoditez et incommoditez de cocuage.
– J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et fort impertinent; mais, de quatre filles et deux garçons qu'elle eut, il n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy; et les autres venus de son chalant de mary (je dirois volontiers chat-huant, car il en avoit la mine), furent fort maussades.
Les dames en cela y doivent estre bien advisées et habiles, car coustumièrement les enfants ressemblent à leurs pères, et touchent fort à leur honneur quand ils ne leur ressemblent. Ainsi que j'ay veu par expérience beaucoup de dames avoir cette curiosité de faire dire et accroire à tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout à leur père et non à elles, encor qu'ils n'en tiennent rien; car c'est le plus grand plaisir qu'on leur sçauroit faire, d'autant qu'il y a apparence qu'elles ne l'ont emprunté d'autruy, encore qu'il soit le contraire.
– Je me suis trouvé une fois en une grande compagnie de Cour où l'on advisoit le pourtrait de deux filles d'une très-grande reyne. Chacun se mit à dire son advis à qui elles ressembloient, de sorte que tous et toutes dirent qu'elles tenoient du tout de la mère; mais moy, qui estois très-humble serviteur de la mère, je pris l'affirmative, et dis qu'elles tenoient du tout du père, et que si l'on eust cogneu et veu le père comme moy, l'on me condescendroit. Sur quoy la sœur de cette mère m'en remercia et m'en sçeut très-bon gré, et bien fort, d'autant qu'il y avoit aucunes personnes qui le disoient à dessein, pour ce qu'on la soupçonnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussière dans sa fleute, comme l'on dit; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance du père rabilla tout. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et qu'on verra enfants de son sang et de ses os, qu'il dit tousjours qu'ils tiennent du père du tout, bien que non.
Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mère un peu il n'y aura pas de mal, ainsi que dit un gentilhomme de la Cour, mon grand amy, parlant en compagnie de deux gentilshommes frères assez favoris du roy36, à qui ils ressembloient, au père ou à la mère; il respondit que celui qui estoit froid ressembloit au père, et l'autre qui estoit chaud ressembloit à la mere; par ce brocard le donnant bon à la mère, qui estoit chaudasse; et de fait ces deux enfants participoient de ces deux humeurs froide et chaude.
– Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils portent à leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de très-belles et honnestes femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de bonne maison, se sentants ainsi desdaignées, se revangeoient à leur en faire de mesme: et soudain après bel amour, et de là à l'effet; car, comme dit le refrain italien et napolitain, amor non si vince con altro che con sdegno37.
Car ainsi une femme belle, honneste, et qui se sent telle et se plaise, voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand amour marital du monde, mesme quand on la prescheroit et proposeroit les commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre cœur du monde, elle le plante là tout à plat et fait un amy ailleurs pour la secourir en ses petites nécessitez, et élit son contentement.
– J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-sœurs; l'une avoit espousé un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'où elle estoit, et parloit à elle devant le monde comme à une sauvage, et la rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques à ce que son mary vint un peu défavorisé; elle, espiant et prenant l'occasion au poil et à propos, la luy ayant gardée bonne, luy rendit aussitost le desdain passé qu'il luy avoit donné, en le faisant gentil cocu: comme fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à elle, qui ayant esté mariée fort jeune et en tendre age, son mary n'en faisant cas comme d'une petite fillaude, ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant advancer sur l'age, et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté, le paya de mesme monnoye, et luy fit un présent de belles cornes pour l'intérest du passé.
– D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pris deux courtisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus grandes délices et amyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le recherchast avec tous les honneurs, amitiez et révérances conjugales qu'elle pouvoit; mais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny embrasser de bon cœur, et de cent nuicts il ne luy en départoit pas deux. Qu'eust-elle fait la pauvrette là-dessus, après tant d'indignitez, si-non de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre lict vaccant, et s'accoupler avec une autre moitié, et prendre ce qu'elle en vouloit?
Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je sçay, qui estoit de telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoit très-belle, et prenant plaisir ailleurs, lui dit franchement: «Prenez vos contentements ailleurs, je vous en donne congé. Faites de vostre costé ce que vous voudrez faire avec un autre: je vous laisse en vostre liberté; et ne vous donnez peine de mes amours, et laissez-moy faire ce qu'il me plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs: aussi ne m'empeschez les miens.» Ainsi, chacun quitte de-là, tous deux mirent la plume au vent; l'un alla à dextre et l'autre à senestre, sans se soucier l'un de l'autre; et voilà bonne vie.
J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, gouteux, que j'ay cogneu, qui dist à sa femme, qui estoit très-belle, et ne la pouvant contenter comme elle le desiroit, un jour: «Je sçay bien, m'amie, que mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard age. Pour ce, je vous puis être beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me puissiez être affectionnée femme, comme si je vous faisois les offices ordinaires d'un mary fort et robuste. Mais j'ai advisé de vous permettre et de vous donner totale liberté de faire l'amour, et d'emprunter quelque autre qui vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout, que vous en élisiés un qui soit discret, modeste, et qui ne vous escandalise point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple de beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens propres; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont vrays et légitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques forces assez vigoureuses, et les apparences de mon corps suffisantes pour faire paroir qu'il sont miens.»
Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir cette agréable, jolie petite remontrance, et licence de jouir de cette plaisante liberté, qu'elle pratiqua si bien, qu'en un rien elle peupla la maison de deux ou trois beaux petits enfants, où le mary, parce qu'il la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme furent très-contents, et eurent belle famille.
– Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion qu'ont aucunes femmes, c'est à sçavoir qu'il n'y a rien plus beau ny plus licite, ny plus recommandable que la charité, disant qu'elle ne s'estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont besoin d'estre secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder à esteindre le feu aux pauvres amants langoureux que l'on voit brusler d'un feu d'amour ardent: «Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre plus charitable, que de rendre la vie à un que l'on voit se mourir, et raffraîchir du tout celui que l'on voit se brusler?» Ainsi, comme dit ce brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Geneviève dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie à son serviteur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille, à plus forte raison telles charitez sont plus recommandées à l'endroit des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses déliées ny ouvertes encor comme les femmes, qui les ont, au moins aucunes, très-amples et propres pour en eslargir leurs charitez.
Sur-quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la Cour, laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habillée d'une robe de damas blanc, et avec toute la suitte de blanc, si bien que ce jour rien ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaigné une sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aagée et mieux parlante, et propre à intercéder pour luy; ainsi que tous trois regardoient un fort beau tableau où estoit peinte une Charité toute en candeur et voile blanc, icelle dit à sa compagne: «Vous portez aujourd'huy le mesme habit de cette Charité; mais, puisque la représentez en cela, il faut aussi la représenter en effet à l'endroit de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une miséricorde et une charité, en quelque façon qu'elle se face, pourveu que ce soit en bonne intention, pour secourir son prochain. Usez-en donc: et si vous avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une vaine superstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature nous a donné des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en espargne, comme une salle avare de son tresor, mais pour les distribuer honnorablement aux pauvres souffreteux et nécessiteux. Bien est-il vray que nostre chasteté est semblable à un tresor, lequel on doit espargner en choses basses: mais, pour choses hautes et grandes, il le faut despenser en largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire part de nostre chasteté, laquelle on doit eslargir aux personnes de mérite et vertu, et de souffrance, et la dénier à ceux qui sont viles, de nulle valeur, et de peu de besoin. Quant à nos marys, ce sont vrayement de belles idoles, pour ne donner qu'à eux seuls nos vœux et nos chandelles, et n'en départir point aux autres belles images! car c'est à Dieu seul à qui on doit un vœu unique, et non à d'autres.» Ce discours ne deplut point à la dame, et ne nuisit non plus nullement au serviteur, qui, par un peu de persévérance, s'en ressentit. Tels presches de charité pourtant sont dangereux pour les pauvres marys.
– J'ay ouy conter (je ne sçay s'il est vray, aussi ne veux-je affirmer) qu'au commencement que les Huguenots plantèrent leur religion, faisoient leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris, recherchés et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue Saint-Jacques à Paris, du temps du roy Henri second, où des grandes dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuidèrent estre surprises. Après que le ministre avoit fait son presche, sur la fin leur recommandoit la charité, et incontinent après on tuoit leurs chandelles, et là un chacun et chacune l'exerçoit envers son frère et sa sœur chrestienne, se la départans l'un à l'autre selon leur volonté et pouvoir; ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge et imposture. Toutefois je sçay bien qu'à Poitiers pour lors il y avoit une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle38