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Vies des dames galantes
Vies des dames galantes

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Vies des dames galantes

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Donc voilà pourquoy il ne faut jamais qu'une honneste dame se mesle d'attirer à soy un gallant gentilhomme, et se laisse servir à luy, si elle ne le contenté[contente?] à la fin selon ses mérites et ses services.

Il faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme si elle a affaire à un honneste et gallant homme; autrement, dès le commencement, s'il la vient accoster, et qu'elle voye que ce soit pour ce point tant desiré à qui il adresse ses vœux, et qu'elle n'aye point envie de luy en donner, il faut qu'elle luy donne son congé dès l'entrée du logis; car, pour en parler franchement, toutes dames qui se laissent aymer et servir s'obligent tellement, qu'elles ne se peuvent dédire du combat; il faut qu'elles y viennent tost ou tard, quoy qu'il tarde.

Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles desirent estre servies, que c'est leur félicité, mais non de venir là, et disent qu'elles prennent plaisir à desirer, et non à exécuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont dit: toutesfois il ne faut pourtant qu'elles le prennent là, car si une fois elles se mettent à desirer, sans point de doute il faut qu'elles viennent à l'exécution; car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute dame qui desire, ou souhaite, ou songe de vouloir desirer à soy un homme, cela est fait: si l'homme le connoist et qu'il poursuive fermement celle qu'il attaque, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou poil, comme on dit.

– Voilà donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions de dames qui veulent desirer et non pas exécuter, mais, sans y penser, elles se vont brusler à la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty d'elles-mesmes, ainsi que font ces pauvres simplettes bergères, lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons et brebis, allument un petit feu, sans songer à aucun mal ou inconvénient; mais elles ne se donnent de garde que ce petit feu s'en vient quelquesfois à allumer un si grand, qu'il brusle tout un pays de landes et de taillis.

Il faudroit que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages, de la comtesse d'Escaldasor, demeurant à Pavie, à laquelle M. de Lescu, qui depuis fut appelé le mareschal de Foix, estudiant à Pavie (et pour lors le nommoit-on le protenotaire de Foix, d'autant qu'il estoit dédié à l'Église; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les armes), faisant l'amour à cette belle dame, d'autant que pour lors elle emportoit le prix de la beauté sur les belles de Lombardie, et s'en voyant pressée, et ne le voulant rudement mecontenter, ny donner son congé, car il estoit proche parent de ce grand Gaston de Foix, M. de Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et un jour d'une grande magnificence et de feste, qui se faisoit à Pavie, où toutes les grandes dames, et mesmes les plus belles de la ville et d'alentour, se trouvèrent ensemble, les honnestes gentilshommes ne manquèrent pas aussi de s'y trouver.

Cette comtesse parut belle entre toutes les autres, pompeusement habillée d'une robbe de satin bleu céleste, toute couverte et semée, autant pleine que vuide, de flambeaux et papillons volletans à l'entour et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent, ainsi que de tout temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire par-dessus les autres; si bien qu'elle emporta l'estime d'estre le mieux en point de toute la troupe et compagnie.

M. le protenotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de luy demander la signification des devises de sa robbe, se doutant bien qu'il y avoit là-dessous quelque sens caché qui ne luy plaisoit pas. Elle luy respondit: «Monsieur, j'ay fait faire ma robbe de la façon que les gens d'armes et cavaliers font à leurs chevaux rioteux et vitieux, qui ruent et qui tirent du pied; ils leur mettent sur leur crouppe une grosse sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils sont en compagnie et en foule, soient advertis de se donner garde de ce meschant cheval qui ruë, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par les papillons volletans et se bruslans dans ces flambeaux, j'advertis les honnestes hommes qui me font ce bien de m'aymer et admirer ma beauté, de n'en approcher trop près, ny en desirer davantage autre chose que la veuë; car ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons, sinon desirer et brusler, et n'en avoir rien plus.» Cette histoire est escritte dans les Devises de Paolo Jovio. Par ainsi, cette dame advertissoit son serviteur de prendre garde à soy de bonne heure. Je ne sçay s'il en approcha de plus près, ou comme il en fit; mais pourtant, luy, ayant été blessé à mort à la bataille de Pavie, et pris prisonnier, il pria d'estre porté chez cette comtesse, à son logis dans Pavie, où il fut très-bien receu et traitté d'elle. Au bout de trois jours, il y mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ay ouy conter à M. de Monluc, une fois que nous estions dans la tranchée à La Rochelle, de nuict, qu'il estoit en ses causeries, et que je luy fis le conte de cette devise, qui m'asseura avoir veu cette comtesse très-belle, et qui aymoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement traitté d'elle: du reste, il n'en sçavoit rien si d'autrefois ils avoient passé plus outre. Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames que j'ay allegué.

– Or, y a des cocus qui sont si bons, qu'ils font prescher et admonester leurs femmes, par gens de bien et religieux, sur leur conversion et corrections; lesquelles, par larmes feintes et paroles dissimulées, font de grands vœux, promettants monts et merveilles de repentance, et de n'y retourner jamais plus; mais leur serment ne dure guieres, car les vœux et les larmes de telles dames valent autant que jurements et reniements d'amoureux. Comme j'en ay veu et cogneu une dame à laquelle un grand prince, son souverain, fit cette escorne d'introduire et apposter un cordelier d'aller trouver son mary qui estoit en une province pour son service, comme de soy-mesme et venant de la Cour, l'advertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit du tort qu'elle luy faisoit; et que, pour son devoir de son estat et vacation, il l'en advertissoit de bonne heure, afin qu'il mist ordre à cette ame pécheresse. Le mary fut bien esbahy d'une telle ambassade et doux office de charité: il n'en fit autre semblant pourtant, si-non de l'en remercier et luy donner espérance d'y pourvoir; mais il n'en traitta point sa femme plus mal à son retour: car qu'y eust-il gaigné? Quand une femme une fois s'est mise à ce train, elle ne s'en détraque non plus qu'un cheval de poste qui a accoustumé si fort le gallop, qu'il ne le sçauroit changer en un autre train d'aller.

Hé! combien s'est-il veu d'honnestes dames qui, ayant été surprises sur ce fait, tancées, battues, persuadées et remonstrées, tant par force que par douceur, de n'y tourner jamais plus, elles promettent, jurent et protestent de se faire chastes, que puis après pratiquent ce proverbe, Passato il pericolo, gabatto il santo29, et retournent plus que jamais en l'amoureuse guerre. Voire qu'il s'en est veu plusieurs d'elles, se sentant dans l'ame quelque ver rongeant, qui d'elles-mesmes faisoient des vœux bien saints et fort solennels, mais ne les gardoient guières, et se repentoient d'estre repenties, ainsi que dit M. du Bellay des courtisannes repenties30; et telles femmes affirment qu'il est bien mal-aisé de se défaire pour tout jamais d'une si douce habitude et coustume, puisqu'elles sont si peu en leur courte demeure qu'elles font en ce monde.

Je m'en rapporterois volontiers à aucunes belles filles, jeunes, repenties, qui se sont voilées et recluses, si on leur demandoit et en foy et en conscience ce qu'elles en respondroient, et comme elles desireroient bien souvent leurs hautes murailles abbattues pour s'en sortir aussi-tost.

Voilà pourquoy ne faut point que les marys pensent autrement réduire leurs femmes après qu'elles ont fait la première fausse pointe de leur honneur, si-non de leur lascher la bride, et leur recommander seulement la discrétion et tout guariment d'escandale; car on a beau porter tous les remèdes d'amour qu'Ovide a jamais appris, et une infinité qui se sont encore inventez sublins, ny mesmes les authentiques de maistre François Rabelais, qu'il apprit au vénérable Panurge, n'y serviront jamais rien; ou bien, pour le meilleur, pratiquer un refrain d'une vieille chanson qui fut faite du temps de François I, qui dit: «Qui voudroit garder qu'une femme n'aille du tout à l'abandon, il la faudrait fermer dans une pippe, et en joüir par le bondon.»

– Du temps du roy Henry, il y eut un certain quincailleur qui apporta une douzaine de certains engins à la foire de Sainct Germain pour brider le cas des femmes31, qui estoient faits de fer et ceinturoient comme une ceinture, et venoient à prendre par le bas et se fermer à clef; si subtilement faits, qu'il n'estoit pas possible que la femme, en estant bridée une fois, s'en peust jamais prévaloir pour ce doux plaisir, n'ayant que quelques petits trous menus pour servir à pisser.

On dit qu'il y eut quelque cinq ou six marys jaloux fascheux qui en acheptèrent et en bridèrent leurs femmes de telle façon qu'elles purent bien dire: «Adieu bon temps.» Si y en eut-il une qui s'advisa de s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, à qui ayant monstré ledit engin, et le sien et tout, son mary estant allé dehors aux champs, il y appliqua si bien son esprit qu'il luy forgea une fausse clef, que la dame le fermoit et ouvroit à toute heure et quand elle vouloit. Le mary n'y trouva jamais rien à dire: et se donna son saoul de ce bon plaisir, en dépit du fat jaloux, cocu de mary, pensant vivre toujours en franchise de cocuage. Mais ce meschant serrurier, qui fit la fausse clef, gasta tout; et si fit mieux, à ce qu'on dit, car ce fut le premier qui en tasta et le fit cornard: aussi n'y avoit-il danger, car Vénus, qui fut la plus belle femme et putain du monde, avoit Vulcain, serrurier et forgeron, pour mary, lequel estoit un fort vilain, salle, boiteux et très-laid.

On dit bien plus, qu'il y eut beaucoup de gallants honnestes gentihommes de la Cour qui menacèrent de telle façon le quinquaillier, que, s'il se mesloit jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tueroit, et qu'il n'y retournast plus et jettast tous les autres qui estoient restez dans le retrait, ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parlé, dont il fut bien sage, car c'estoit assez pour faire perdre la moitié du monde, à faute de ne le peupler, par tels bridements, serrures et fermoirs de nature, abominables et détestables ennemis de la multiplication humaine.

– Il y en a qui baillent leurs femmes à garder à des eunuques, que l'empereur Alexandre Severus rejetta fort, avec rude commandement de ne pratiquer jamais les dames romaines; mais ils y ont esté attrapés, non qu'ils engendrassent et les femmes conceussent d'eux, mais en recevoient quelques sentiments et superficies de plaisirs légers, quasi approchants du grand parfait: dont aucuns ne s'en soucient point, disants que leur principal marisson de l'adultere de leurs femmes ne procédoit pas de ce qu'elles s'en faisoient donner, mais qu'il leur faschoit grandement de nourrir et élever et tenir pour enfants ceux qu'ils n'avoient pas faits. Car sans cela ce fust esté le moindre de leurs soucis, ainsi que j'en ay cogneu aucuns et plusieurs, lesquels, quand ils trouvoient bons et faciles ceux qui les avoient faits à leurs femmes, à donner un bon revenu, à les entretenir, ne s'en donnoient aucunement soucy, ainsi qu'ils conseillent à leurs femmes de leur demander, et les prier de donner quelque pension pour nourrir et entretenir le petit qu'elles ont eu d'eux. Comme j'ay ouy conter d'une grande dame, laquelle eut Villecouvin, enfant du roi François I: elle le pria de lui donner ou assigner quelque peu de bien, avant qu'il mourust, pour l'enfant qu'il luy avoit fait; ce qu'il fit, et luy assigna deux cents mille escus en banque, qui luy profitèrent et coururent toujours d'intérêts et de change en change: en sorte qu'estant venu grand, il despensoit si magnifiquement et paroissoit en si belle despense et en jeux à la Cour, qu'un chacun s'en estonnoit, et présumoit-on qu'il joüissoit de quelque dame qu'on n'eusse point pensé, et ne croyoit-on sa mere nullement; mais d'autant qu'il ne bougeoit d'avec elle, un chacun jugeoit que la grande despense qu'il faisoit procédoit de la joüissance d'elle, et pourtant c'estoit le contraire, car elle estoit sa mere, et peu de gens le sçavoient, encore qu'on ne sceut bien sa lignée ni procréation, si ce n'est qu'il vint à mourir à Constantinople, et son aubene, comme bastard, fut donnée au mareschal de Retz, qui estoit fin et sublin à descouvrir tel pot aux roses, mesmes pour son profit, qu'il eust pris sur la glace, et vérifia la bastardise qui avoit esté si long-temps cachée, et emporta le don d'aubene pardessus M. de Teligny, qui avoit esté constitué héritier dudit Villecouvin.

D'autres disoient pourtant que cette dame avoit eu cet enfant d'autres que du Roy, et qu'elle l'avoit ainsi enrichy du sien propre; mais M. de Retz esplucha et chercha tant parmy les banques, qu'il y trouva l'argent et les obligations du roy François. Les uns disoient pourtant d'un autre prince non si grand que le Roy, ou d'un autre moindre; mais, pour couvrir et cacher tout, et nourrir l'enfant, il n'estoit pas mauvais de supposer tout à la Majesté, comme cela se voit en d'autres.

Je croy qu'il y a plusieurs femmes parmy le monde, et mesmes en France, que si elles pensoient produire des enfants à tel prix, que les roys et les grands monteroient aisément sur leurs ventres. Mais bien souvent ils y montent et n'en ont de grandes lippées; dont en ce elles sont bien trompées, car à tels grands volontiers ne s'adonnent-elles, sinon pour avoir le galardon32, comme dit l'Espagnol.

Il y a une fort belle question sur ces enfants putatifs et incertains, à sçavoir s'ils doivent succéder aux biens paternels et maternels, et que c'est un grand péché aux femmes de les y faire succéder; dont aucuns docteurs ont dit que la femme le doit révéler au mary, et en dire la vérité. Ainsi le refere le docteur subtil. Mais cette opinion n'est pas bonne, disent autres, parce que la femme se diffameroit soy-mesme en le révélant, et pour autant elle n'y est tenuë; car la bonne renommée est un plus grand bien que les biens temporels, dit Salomon.

Il vaut donc mieux que les biens soient occupez par l'enfant, que la bonne renommée se perde; car, comme dit un ancien proverbe, mieux vaut bonne renommée que ceinture dorée.

De là les théologiens tirent une maxime qui dit que quand deux préceptes et commandements nous obligent, le moindre doit céder au plus grand; or est-il que le commandement de garder sa bonne renommée est plus grand que celui qui concede de rendre le bien d'autruy; il faut donc qu'il soit préféré à celuy-là.

De plus, si la femme révele cela à son mary, elle se met en danger d'estre tuée du mary mesme, ce qui est fort deffendu de se pourchasser la mort, non pas mesmes est permis à une femme de se tuer de peur d'estre violée ou après l'avoir esté; autrement elle pécheroit mortellement: si-bien qu'il vaut mieux permettre d'estre violée, si on n'y peut, en criant ou fuyant, remédier, que de se tuer soy-mesme; car le violement du corps n'est point péché, si-non du consentement de l'esprit. C'est la réponse que fit sainte Luce au tyran qui la menaçoit de la faire mener au bourdeau. »Si vous me faites, dit-elle, forcer, ma chasteté recevra double couronne.»

Pour cette raison, Lucrece est taxée d'aucuns. Il est vray que sainte Sabine et sainte Sophonienne, avec d'autres pucelles chrestiennes, lesquelles se sont privées de vie afin de ne tomber entre les mains des barbares, sont excusées de nos pères et docteurs, disant qu'elles ont fait cela pour certain mouvement du Saint-Esprit.

Par lequel Saint-Esprit, après la prise de Cypre, une damoiselle cypriotte nouvellement chrestienne, se voyant emmener esclave avec plusieurs autres pareilles dames, pour estre la proye des Turcs, mit le feu secretement dans les poudres de la gallere, si-bien qu'en un moment tout fut embrazé et consumé avec elle, disant: «A Dieu ne plaise que nos corps soient pollus et cogneus par ces vilains Turcs et Sarrasins!» Et Dieu sçait, possible, qu'il avoit esté desja pollu, et en voulut ainsi faire la pénitence; si ce n'est que son maistre ne l'avoit voulu toucher, afin d'en tirer plus d'argent la vendant vierge, comme l'on est friand de taster en ces pays, voire en tous autres, un morceau intact.

Or, pour retourner encor à la garde noble de ces pauvres femmes, comme j'ay dit, les ennuques ne laissent à commettre adultere avec elles, et faire leurs marys cocus, réservé la procréation à part.

– J'ay cogneu deux femmes en France qui se mirent à aymer deux chastrez gentilhommes, afin de n'engroisser point; et pourtant en avoient plaisir, et si ne se scandalisoient. Mais il y a eu des marys si jaloux en Turquie et en Barbarie, lesquels s'estants apperceus de cette fraude, ils se sont advisez de faire chastrer tout à trac leurs pauvres esclaves, et leur couper tout net, dont, à ce que disent et escrivent ceux qui ont pratiqué la Turquie, il n'en reschappe deux de douze ausquels ils exercent cette cruauté, qu'ils ne meurent; et ceux qui en eschappent, ils les ayment et adorent comme vrays, seurs et chastes gardiens de la chasteté de leurs femmes et garantisseurs de leur honneur.

Nous autres Chrestiens n'usons point de ces vilaines rigueurs et par trop horribles; mais au lieu de ces chastrez, nous leur donnons des vieillards sexagénaires, comme l'on fait en Espagne et mesmes à la Cour des Reynes de-là, lesquels j'ay veu gardiens des filles de leur cour et de leur suite: et Dieu sçait, il y a des vieillards cent fois plus dangereux à perdre filles et femmes que les jeunes, et cent fois plus inventifs, plus chaleureux et industrieux à les gaigner et corrompre.

Je croy que telles gardes, pour estre chenues et à la teste et au menton, ne sont pas plus seures que les jeunes, et les vieilles femmes non plus; ainsi comme une vieille gouvernante espagnole conduisant ses filles et passant par une grande salle et voyant des membres naturels peints à l'advantage, et fort gros et desmesurez, contre la muraille, se prit à dire: Mira que tan bravos no los pintan estos hombres, como quien no los cognosciesse. Et ses filles se tournèrent vers elles, et y prindrent avis, fors une que j'ay cogneu, qui, contrefaisant de la simple, demanda à une de ses compagnes quels oiseaux estoient ceux-là: car il y en avoit aucuns peints avec des ailes. Elle luy respondit que c'estoient oiseaux de Barbarie, plus beaux en leur naturel qu'en peinture; et Dieu sçait si elle n'en avoit point veu jamais; mais il falloit qu'elle en fist la mine.

Beaucoup de marys se trompent bien souvent en ces gardes; car il leur semble que, pourveu que leurs femmes soient entre les mains des vieilles, que les unes et les autres appellent leurs meres pour titre d'honneur, qu'elles sont très-bien gardées sur le devant, et de belles il n'y en a point de plus aisées à suborner et gaigner qu'elles; car de leur nature, estant avaricieuses comme elles sont, en prennent de toutes mains pour vendre leurs prisonnieres.

D'autres ne peuvent veiller tousjours ces jeunes femmes, qui sont tousjours en bonne cervelle, et mesmes quand elles sont en amours, que la pluspart du temps elles dorment en un coin de cheminée, qu'en leur présence les cocus se forgent sans qu'elles y prennent garde ny n'en sçachent rien.

– J'ai cogneu une dame qui le fit une fois devant sa gouvernante si subtilement, qu'elle ne s'en apperçeut jamais.

Une autre en fit de mesme devant son mary quasy visiblement, ainsi qu'il jouoit à la prime.

D'autres vieilles ont mauvaises jambes, qui ne peuvent pas suivre au grand trot leurs dames, qu'avant qu'elles arrivent au bout d'une allée, ou d'un bois, ou d'un cabinet, leurs dames ont dérobé leur coup en robbe, sans qu'elles s'en soient apperceues, n'ayant rien veu, débiles de jambes et basses de la veuë.

D'autres vieilles et gouvernantes y a-t-il qui, ayant pratiqué le mestier, ont pitié de voir jeusner les jeunes, et leur sont si débonnaires, que d'elles-mesmes elles leur en ouvrent le chemin, et les en persuadent de l'en suivre, et leur assistent de leur pouvoir.

Aussi l'Aretin disoit que le plus grand plaisir d'une dame qui a passé par-là, et tout son plus grand contentement, est d'y faire passer une autre de mesme.

Voilà pourquoy quand on se veut bien aider d'un bon ministre pour l'amour, on prend et s'adresse-t-on plustost à une vieille maquerelle qu'à une jeune femme. Aussi tiens-je d'un fort gallant homme qu'il ne prenoit nul plaisir, et le défendoit à sa femme expressément, de ne hanter jamais compagnies de vieilles, pour estre trop dangereuses, mais avec de jeunes tant qu'elle voudroit; et en alléguoit beaucoup de bonnes raisons que je laisse aux mieux discourans discourir.

Et c'est pourquoy un seigneur de par le monde, que je sçay, confia sa femme, de laquelle il estoit jaloux, à une sienne cousine, fille pourtant, pour lui servir de surveillante; ce qu'elle fit très-bien, encor que de son costé elle retinst moitié du naturel du chien de l'ortollan, d'autant qu'il ne mange jamais des choux du jardin de son maistre, et si n'en veut laisser manger aux autres; mais celle-cy en mangeoit, et n'en vouloit point faire manger à sa cousine: si est-ce que l'autre pourtant lui desroboit tousjours quelque coup en cotte, dont elle ne s'en appercevoit, quelque fine qu'elle fust, ou feignoit de s'en appercevoir.

– J'alléguerois une infinité de remedes dont usent les pauvres jaloux cocus, pour brider, serrer, gesner, et tenir de court leurs femmes qu'elles ne fassent le saut; mais ils ont beau pratiquer tous ces vieux moyens qu'ils ont ouy dire, et d'en excogiter de nouveaux, car ils y perdent leur escrime: car quand une fois les femmes ont mis ce ver-coquin amoureux dans leurs testes, les envoyent à toute heure chez Guillot le Songeur33, ainsi que j'espere d'en discourir en un chapitre, que j'ay à demi fait, des ruses et astuces des femmes sur ce point, que je confere avec les stratagesmes et astuces militaires des hommes de guerre34. Et le plus beau remede, seure et douce garde, que le mary jaloux peut donner à sa femme, c'est de la laisser aller en son plein pouvoir, ainsi que j'ay ouy dire à un gallant homme marié, estant le naturel de la femme que, tant plus on luy défend une chose, tant plus elle desire le faire, et surtout en amours, où l'appetit s'eschauffe plus en le deffendant qu'au laisser courre.

– Voicy une autre sorte de cocus, dont pourtant il y a question, à sçavoir mon, si l'on à joüi d'une femme à plein plaisir durant la vie de son mary cocu, et que le mary vienne à décéder, et que ce serviteur vienne après à espouser cette femme veufve, si, l'ayant espousée en secondes nopces, il doit porter le nom et titre de cocu, ainsi que j'ay cogneu et ouy parler de plusieurs, et de grands.

Il y en a qui disent qu'il ne peut estre cocu, puisque c'est luy-mesme qui en a fait la faction, et qu'il n'y aye aucun qui l'aye fait cocu que lui-mesme, et que ses cornes sont faites de soy-mesme. Toutes fois, il y a bien des armuriers qui font des espées desquelles ils sont tuez où s'entretuent eux-mesmes.

Il y en a d'autres qui disent l'estre réellement cocu, et de fait, en herbe pourtant, ils en alleguent force raisons; mais, d'autant que le procès en est indécis, je le laisse à vuider à la première audience qu'on voudra donner pour cette cause.

Si diray-je encore cettuy-cy d'une bien grande, mariée encore, laquelle s'est compromise encore en mariage à celuy qui l'entretient encore, il y a quatorze ans, et depuis ce temps a toujours attendu et souhaitté que son mary mourust. Au diable s'il a jamais pu mourir encore à son souhait; si bien qu'elle pouvoit bien dire: «Maudit soit le mary et le compagnon, qui a plus vescu que je ne voulois!» De maladies et indispositions de son corps il en a eu prou, mais de mort point.

Si bien que le roy Henry troisième, ayant donné la survivance de l'estat beau et grand qu'avoit ledict mary cocu, à un fort honneste et brave gentilhomme, disoit souvent: «Il y a deux personnes en ma Cour auxquelles moult tarde qu'un tel ne meure bientost: à l'une pour avoir son estat, et à l'autre pour espouser son amoureux: mais l'un et l'autre ont esté trompez jusques icy.»

Voilà comme Dieu est sage et provident de n'envoyer point ce que l'on souhaitte de mauvais: toutesfois l'on m'a dit que depuis peu sont en mauvais ménage, et ont bruslé leur promesse de mariage de futur, et rompu le contrat, par grand dépit de la femme et joye du marié prétendu, d'autant qu'il se vouloit pourvoir ailleurs et ne vouloit plus tant attendre la mort de l'autre mary, qui, se mocquant des gens, donnoit assez souvent des allarmes qu'il s'en alloit mourir; mais enfin il a survescu le mary prétendu.

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