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Vies des dames galantes
– J'en ay cogneu une grande qui a esté fort copieuse et liberale en cela; car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit à ses serviteurs estoit de cinq cents escus, de mille et de trois mille, où il y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enrichissements, de chiffres, de lettres hiérogiyfiques et belles inventions, que rien au monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin que ces présents, après les avoir faits, ne fussent cachés dans des coffres ni dans des bourses, comme ceux de plusieurs autres dames, mais qu'ils parussent devant tout le monde, et que son amy les fist valoir en les contemplant sur sa belle commémoration, et que tels présents en argent sentoient plustost leurs femmes communes qui donnent à leurs ruffians, que non pas leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien quelques belles bagues de riches pierreries; car ces faveurs et escharpes ne se portent pas communément, si-non en un beau et bon affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus ordinairement compagnie à celuy qui la porte.
– Certes un gentil cavalier et de noble cœur doit estre de cette généreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les beautez qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent en elle.
Quant à moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'honnestes dames, et non des moindres; mais si j'eusse voulu prendre d'elles ce qu'elles m'ont présenté, et en arracher ce que j'eusse pu, je serois riche aujourd'huy, ou en bien, ou en argent, ou en meubles, de plus de trente mille escus que je ne suis; mais je me suis toujours contenté de faire paroistre mes affections, plus par ma générosité que par mon avarice.
Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien aussi dans celle de l'homme, mais il faut en cela peser tout; car, tout ainsi que l'homme ne peut tant jetter et donner du sien dans la bourse de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si discret de ne tirer de la bourse de la femme tant comme il voudroit, et faut que la loy en soit égale et mesurée en cela.
– J'ay bien veu aussi beaucoup de gentilshommes perdre l'amour de leurs maistresses par l'importunité de leurs demandes et avarices, et que les voyaus si grands demandeurs et si importuns d'en vouloir avoir, s'en défaisoient gentiment et les plantoient là, ainsi qu'il estoit très-bien employé.
Voilà pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tenté de convoitise charnelle que pécuniaire; car quand la dame seroit par trop libérale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus marry cent fois que de dix mille libéralitez qu'elle feroit de son corps.
Or, il y a des cocus qui se font par vengeance: cela s'entend que plusieurs qui haïssent quelques seigneurs, gentilshommes ou autres, desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vangent d'eux en faisant l'amour à leurs femmes, et les corrompent en les rendant gallants cocus.
– J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques traits de rébellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pouvant vanger de luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le pouvoit aucunement attraper; sa femme estant un jour venue à sa Cour solliciter l'accord et les affaires de son mary, le prince luy donna une assignation pour en conférer un jour dans un jardin et une chambre là auprès; mais ce fut pour lui parler d'amours, desquels il jouit fort facilement sur l'heure sans grande résistance, car elle estoit de fort bonne composition: et ne se contenta de la repasser, mais à d'autres la prostitua, jusques aux valets-de-chambre; et par ainsi disoit le prince qu'il se sentoit bien vangé de son sujet, pour luy avoir ainsi repassé sa femme et couronné sa teste d'une belle couronne de cornes, puisqu'il vouloit faire du petit roy et du souverain; au lieu qu'il vouloit porter couronne de fleurs de lys23, il lui en falloit bailler une belle de cornes.
Ce mesme prince en fit de mesmes par la suasion de sa mère, qu'il joüist d'une fille et princesse; sçachant qu'elle devoit espouser un prince qui lui avoit fait desplaisir et troublé l'Estat de son frère bien fort, la dépucella et en joüit bravement, et puis dans deux mois fut livrée audit prince pour pucelle prétendue et pour femme, dont la vengeance en fit fort douce en attendant une autre plus rude, qui vint puis après24.
– J'ay cogneu un fort honneste gentilhomme qui, servant une belle dame et de bon lieu, lui demandant la récompense de ses services et amours, elle luy respondit franchement qu'elle ne luy en donneroit pas pour un double, d'autant qu'elle estoit très-asseurée qu'il ne l'aymoit tant pour cela, et ne luy portoit point tant d'affection pour sa beauté, comme il disoit, sinon qu'en joüissant d'elle il se vouloit vanger de son mary qui luy avoit fait quelque desplaisir, et pour ce il en vouloit avoir ce contentement dans son ame, et s'en prévaloir puis après; mais le gentilhomme, luy asseurant du contraire, continua à la servir plus de deux ans si fidèlement et de si ardent amour, qu'elle en prit cognoissance ample et si certaine, qu'elle luy octroya ce qu'elle lui avoit tousjours refusé, l'asseurant que si du commencement de leurs amours elle n'eust eu opinion de quelque vengeance projettée en luy par ce moyen, elle l'eust rendu aussi bien content comme elle fit à la fin; car son naturel estoit de l'aymer et favoriser. Voyez comme cette dame se sceut sagement commander, que l'amour ne la transporta point à faire ce qu'elle desiroit le plus, sans qu'elle vouloit qu'on l'aymast pour ses mérites et non pour le seul sujet de vindicte.
– Feu M. de Gua, un des parfaits et gallants gentilshommes du monde en tout, me convia à la Cour un jour d'aller disner avec luy; il avoit assemblé une douzaine des plus sçavants de la Cour, entre autres M. l'esvesque de Dole, de la maison d'Espinay en Bretagne, MM. de Ronsard, de Baïf, Desportes, d'Aubigny (ces deux sont encore en vie, qui m'en pourroient démentir), et d'autres desquels ne me souviens, et n'y avoit homme d'espée que M. de Gua et moy. En devisant durant le disner de l'amour et des commoditez et incommoditez, plaisirs et desplaisirs, du bien et du mal qu'il apportoit en sa joüissance, après que chacun eut dit son opinion et de l'un et de l'autre, il conclud que le souverain bien de cette joüissance gisoit en cette vengeance, et pria un chacun de tous ces grands personnages d'en faire un quatrain impromptu; ce qu'ils firent. Je les voudrois avoir pour les insérer icy, sur lesquels M. de Dol, qui disoit et escrivoit d'or, emporta le prix.
Et certes, M. de Gua avoit occasion de tenir cette proposition contre deux grands seigneurs que je sçay, leur faisant porter les cornes pour la haine qu'ils luy portoient; car leurs femmes estoient très-belles: mais en cela il en tiroit double plaisir, la vengeance et le contentement. J'ay cogneu force gens qui se sont revangez et délectez en cela, et si ont eu cette opinion.
– J'ay cogneu aussi de belles et honnestes dames, disant et affirmant que quand leurs marys les avoient maltraitées et rudoyées et tansées ou censurées, ou battues ou fait autres mauvais tours et outrages, leur plus grande délectation estoit de les faire cornards, et en les faisant songer à eux, les brocarder, se moquer et rire d'eux avec leurs amis, jusques-là de dire qu'elles en entroient davantage en appétit et certain ravissement de plaisir qui ne se pouvoit dire.
– J'ay ouy parler d'une belle et honneste femme, à laquelle estant demandé une fois si elle avoit jamais fait son mary cocu, elle respondit: «Et pourquoy l'aurois-je fait, puisqu'il ne m'a jamais battuë ny menacée?» Comme voulant dire que, s'il eust fait l'un des deux, son champion de devant en eust tost fait la vengeance.
– Et quant à la mocquerie, j'ay cogneu une fort belle et honneste dame, laquelle estant en ces doux altères de plaisirs, e en ces doux bains de délices et d'aise avec son amy, il lui advint qu'ayant un pendant d'oreille d'une corne d'abondance qui n'estoit que de verre noir, comme on les portoit alors, il vint, par force de se remuer et entrelasser et follastrer, à se rompre. Elle dit à son amy soudain: «Voyez comme nature est très-bien prévoyante; car pour une corne que j'ai rompue, j'en fais icy une douzaine d'autres à mon pauvre cornard de mary, pour s'en parer un jour d'une bonne feste, s'il veut.»
Une autre ayant laissé son mary couché et endormy dans le lict, vint voir son amy avant se coucher; et ainsi qu'il luy eut demandè où estoit son mary, elle luy respondit: «Il garde le lict et le nid du cocu, de peur qu'un autre n'y vienne pondre; mais ce n'est pas à son lict, ny à ses linceuls, ny à son nid que vous en voulez, c'est à moy qui vous suis venue voir, et l'ay laissé là en sentinelle, encore qu'il soit bien endormy.»
– A propos de sentinelle, j'ay ouy faire un conte d'un gentilhomme de valeur, que j'ai cogneu, lequel un jour venant en question avec une fort honneste dame que j'ay aussi cogneue, il luy demanda, par manière d'injure, si elle avoit jamais fait de voyage à Saint-Mathurin25. «Ouy, dit-elle; mais je ne pus jamais entrer dans l'église, car elle estoit si pleine et si bien gardée de cocus, qu'ils ne m'y laissèrent jamais entrer: et vous qui estiés des principaux, vous estiez au clocher pour faire la sentinelle et advertir les autres.»
J'en conterois mille autres risées, mais je n'aurois jamais fait: si espère-je d'en dire pourtant en quelque coin de ce livre.
– Il y a des cocus qui sont debonnaires, qui d'eux-mesmes se convient à cette feste de cocuage; comme j'en ai cogneu aucuns qui disoient à leurs femmes: «Un tel est amoureux de vous, je le cognois bien, il nous vient souvent visiter, mais c'est pour l'amour de vous, mamie. Faites-luy bonne chere; il nous peut faire beaucoup de plaisir; son accointance nous peut beaucoup servir.»
D'autres disent à aucuns: «Ma femme est amoureuse de vous, elle vous ayme; venez la voir, vous lui ferez plaisir; vous causerez et deviserez ensemble, et passerez le temps.» Ainsi convient-ils les gens à leurs despens.
Comme fit l'empereur Adrian, lequel estant un jour en Angleterre (ce dit sa vie) menant la guerre, eut plusieurs advis comme sa femme, l'imperatrice Sabine, faisoit l'amour, à toutes restes à Rome, avec force gallants gentilshommes romains. De cas de fortune, elle ayant escrit une lettre de Rome en hors à un gentilhomme romain qui estoit avec l'empereur en Angleterre, se complaignant qu'il l'avoit oubliée et qu'il ne faisoit plus compte d'elle, et qu'il n'estoit pas possible qu'il n'eust quelques amourettes par de-là, et que quelque mignone affettée ne l'eust espris dans les lacs de sa beauté; celle lettre d'avanture tomba entre les mains d'Adrian, et comme ce gentilhomme, quelques jours après, demanda congé à l'Empereur sous couleur de vouloir aller jusques à Rome promptement pour les affaires de sa maison, Adrian luy dit en se jouant: «Eh bien, jeune homme, allez-y hardiment, car l'impératrice ma femme vous y attend en bonne dévotion.» Quoy voyant le Romain, et que l'Empereur avoit descouvert le secret et luy en pourroit fort mauvais tour, sans dire adieu ny gare, partit la nuit après et s'enfuit en Irlande.
Il ne devoit pas avoir grand peur pour cela, comme l'Empereur luy-mesme disoit souvent, estant abreuvé à toute heure des amours desbordés de sa femme: «Certainement si je n'estois empereur, je me serois bientost défait de ma femme, mais je ne veux monstrer mauvais exemple.» Comme voulant dire que n'importe aux grands qu'ils soient-là logés, aussi qu'ils ne se divulguent. Quelle sentence pourtant pour les grands! laquelle aucuns d'eux ont pratiquée, mais non pour ces raisons. Voilà comme ce bon empereur assistoit joliment à se faire cocu.
– Le bon Marc Aurele, ayant sa femme Faustine une bonne vesse, et luy estant conseillé de la chasser, il respondit: «Si nous la quittons, il faut aussi quitter son douaire, qui est l'empire; et qui ne voudroit estre cocu de mesme pour un tel morceau, voire moindre?»
Son fils Antoninus Verus, dit Commodus, encore qu'il devint fort cruel, en dit de mesme à ceux qui luy conseilloient de faire mourir ladite Faustine sa mère, qui fut tant amoureuse et chaude après un gladiateur, qu'on ne la put jamais guérir de ce chaud mal, jusques à ce qu'on s'advisast de faire mourir ce maraut gladiateur et luy faire boire son sang.
– Force marys ont fait et font de mesme que ce bon Marc Aurele, qui craignent de faire mourir leurs femmes putains, de peur d en perdre les grands biens qui en procedent, et ayment mieux estre riches cocus à si bon marché qu'estre coquins.
– Mon Dieu! que j'ay cogneu plusieurs cocus qui ne cessoient jamais de convier leurs parents, leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs femmes, jusques à leur faire festins pour mieux les y attirer; et y estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, leurs cabinets, et puis s'en aller et leur dire: «Je vous laisse ma femme en garde.»
– J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussiés dit que toute sa félicité et contentement gisoit à estre cocu, et s'estudioit d'en trouver les occasions, et surtout n'oublioit ce premier mot: «Ma femme est amoureuse de vous; l'aymez-vous autant qu'elle vous aime?» Et quand il voyoit sa femme avec son serviteur, bien souvent il emmenoit la compagnie hors de la chambre pour s'aller pourmener, les laissant tous deux ensemble, leur donnant beau loisir de traitter leurs amours; et si par cas il avoit à faire à tourner prestement en la chambre, dès le bas du degré il crioit haut, il demandoit quelqu'un, il crachoit ou il toussoit, afin qu'il ne trouvast les amants sur le fait; car volontiers, encore qu'on le sçache et qu'on s'en doute, ces vues et surprises ne sont guières agréables ny aux uns ny aux autres.
Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre masson luy ayant demandé s'il ne le vouloit pas illustrer de corniches, il respondit: «Je ne sçay que c'est que corniches; demandez-le à ma femme, qui le sçait et qui sçait l'art de géométrie; et ce qu'elle dira faites-le.»
– Bien fit pis un que je sçay, qui, vendant un jour une de ses terres à un autre pour cinquante mille escus, il en prit quarante-cinq mille en or et argent, et pour les cinq restants il prit une corne de licorne; grande risée pour ceux qui le sceurent. «Comme, disoient-ils, s'il n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjouster celle-là.»
– J'ay cogneu un très-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint à dire à un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur, en riant pourtant: «Monsieur un tel, je ne sçay ce que vous avez fait à ma femme, mais elle est si amoureuse de vous que jour et nuict elle ne me fait que parler de vous, et sans cesse me dit vos louanges. Pour toute response je luy dis que je vous connois plustost qu'elle, et sçay vos valeurs et vos mérites, qui sont grands.» Qui fut estonné, ce fut ce gentilhomme, car il ne venoit que de mener cette dame sous le bras à vespres, où la Reyne alloit. Toutes-fois le gentilhomme s'asseura tout d'un coup et luy dit: «Monsieur, je suis très-humble serviteur de madame vostre femme, et fort redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore beaucoup; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffonnant), mais je luy fais bien la cour par vostre bon advis que vous me donnastes dernierement; d'autant qu'elle peut beaucoup à l'endroit de ma maistresse, que je puis espouser par son moyen, et par ainsi j'espère qu'elle m'y sera aidante.»
Ce prince n'en fit plus autre semblant, si-non que de rire et admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais, ce qu'il fit, estant bien-aise sous ce prétexte de servir une si belle dame de prince, laquelle luy faisoit bien oublier son autre maistresse qu'il vouloit espouser, et ne s'en soucier guières, si-non que ce masque bouchoit et déguisoit tout.
Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au bras un ruban incarnadin d'Espagne, qu'on avoit apporté par belle nouveauté à la Cour, et l'ayant tasté et manié en causant avec luy, alla trouver sa femme, qui estoit près du lict de la Reyne, qui en avoit un tout pareil, lequel il mania et toucha tout de mesme, et trouva qu'il estoit tout semblable et de la mesme pièce que l'autre: si n'en sonna-il pourtant jamais mot, et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien les feux par telles cendres de discrétion et de bons advis, qu'elles ne se puissent descouvrir; car bien souvent l'escandale ainsi descouvert dépite plus les marys contre leurs femmes, que quand le tout se fait à cachettes, pratiquant en cela le proverbe: Si non caste, tamen caute26.
– Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands inconvénients pour les indiscrétions et des dames et de leurs serviteurs! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que rien, mais qu'ils fissent bien leurs faits, sotto coperte27, comme on dist, et ne fust point divulgué.
– J'en ay cogneu une qui tout à trac faisoit paroistre ses amours et ses faveurs, qu'elle départoit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust esté sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses serviteurs et amys, qui lui en remonstroient les inconvénients: aussi bien mal luy en a-t-il pris.
Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait: car elles ont gentiment traitté l'amour, et se sont données du bon temps sans en avoir donné grand connoissance au monde, sinon par quelques soupçons légers, qui n'eussent jamais pu monstrer la vérité aux plus clairvoyants; car elles accostoient leurs serviteurs devant le monde si dextrement, et les entretenoient si escortement28 que ny leurs marys ny les espions de leur vie n'y eussent sceu que mordre; et quand ils alloient en quelque voyage, ou qu'ils vinssent à mourir, elles couvroient et cachoient leurs couleurs si sagement qu'on n'y connoissoit rien.
– J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la Reyne avec un visage aussi guay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en estimoient de cette discrétion, et qu'elle le faisoit de peur de desplaire et irriter le Roy, qui n'aymoit pas le trespassé. D'aucuns la blasmoient, attribuant ce geste plustost à manquement d'amour, comme l'on disoit qu'elle n'en estoit guières bien garnie, ainsi que sont toutes celles qui se meslent de cette vie.
– J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et lamentations, et monstrèrent leur dueil par leurs habits bruns, plus d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et de toutes sortes de trophées de la mort en leurs affiquets, joyaux et bracelets qu'elles portoient, qui les escandalisèrent fort, et cela leur nuict grandement; mais leurs marys ne s'en soucioient autrement.
Voilà en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leurs constances, mais non en leur discrétion; car pour cela il leur en fait très-mal. Et si telles dames sont blasmables en cela, il y a beaucoup de leurs serviteurs qui en méritent bien la réprimande aussi bien qu'elles; car ils contrefont des transis comme une chevre qui est en gesine, et des langoureux; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en ambassade; ils font des gestes passionnés, des souspirs devant le monde; ils se parent des couleurs de leurs dames si apparemment; bref, ils se laissent aller à tant de sottes indiscrétions, que les aveugles s'en appercevroient: les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, afin de donner à entendre à toute une Cour qu'ils sont amoureux en bon lieu, et qu'ils ont bonne fortune; et Dieu sçait, possible, on ne leur en donneroit pas l'aumosne pour un liard, quand bien on en devroit perdre les œuvres de charité.
– Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et honneste dame que je sçay, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses pages et laquais au devant sa porte. Par cas, M. de Strozze et moy passasmes par-là et vismes ce mystere de ce mulet, ces pages et laquais. Il leur demanda soudain où estoit leur maistre; ils firent response qu'il estoit dans le logis de cette dame, à quoy M. de Strozze se mit à rire et me dire que sur sa vie il gaigeroit qu'il n'y estoit point, et soudain posa son page en sentinelle pour voir si ce faux amant sortiroit; et de-là nous en allasmes soudain en la chambre de la Reyne, où nous le trouvasmes, et non sans rire luy et moy: et sur le soir nous le vinsmes accoster, et en feignant de luy faire la guerre, nous luy demandasmes où il estoit à telle heure après-midy, et qu'il ne s'en sçauroit laver, car nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de cette dame. Luy, faisant la mine d'estre fasché que nous avions veu cela, et de quoy nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous confessa vrayment qu'il y estoit; mais il nous pria de n'en sonner mot, autrement que nous le mettrions en peine, et cette pauvre dame qui en seroit escandalisée et mal venue de son mary, ce que nous luy promismes riants tousjours à pleine gorge et nous mocquant de luy, encor qu'il fust assez grand seigneur et qualifié, de n'en parler jamais et que cela ne sortiroit de nostre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours qu'il continuoit ses coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre à bon escient et en bonne compagnie, dont de honte s'en desista; car la dame le sceut par nostre moyen, qui fit guetter un jour le mulet et les pages, les faisant chasser de devant sa porte comme gueux de l'hostiere: et si fismes bien mieux, car nous le dismes à son mary, et luy en fismes le conte si plaisamment, qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy-mesmes à son aise, et dist qu'il n'avoit pas peur que cet homme le fist jamais cocu; et que s'il ne trouvoit ledit mulet et ses pages bien logés à la porte, qu'il la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux à couvert et à leur aise, et se garder du chaud ou du froid, ou de la pluye. D'autres pourtant le faisoient bien cocu. Et voilà comme ce bon seigneur, aux despens de cette honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux, se vouloit prévaloir sans avoir respect d'aucun escandale.
– J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses façons de faire une fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gardé pour la bouche du mary, elle luy refusa tout à plat, et après plusieurs refus, il luy dit comme desespéré: «Hé bien! vous ne le voulez pas, et je vous jure que je vous ruinerai d'honneur.» Et pour ce faire s'advisa de faire tant d'allées et venues à cachettes, mais pourtant non si secrettes qu'il ne se montrast à plusieurs yeux exprès, et donnast moyen de s'en appercevoir de nuict et de jour, à la maison où elle se tenoit; braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant le monde rechercher la dame avec plus de privautez qu'il n'avoit occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour le faux que pour le vray; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la chambre de cette dame tout bousché de son manteau, et se cachant de ceux de la maison, après avoir joué plusieurs de ces tours, fut soubçonné par le maistre d'hostel de la maison, qui fit faire le guet: et, ne l'ayant pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques soufflets, mais poussé après du maistre d'hostel, qui luy dit que ce n'estoit assez, la tua et la dagua, et en eut du Roy fort aisément sa grace. Ce fut grand dommage de cette dame, car elle estoit très-belle. Depuis, ce gentilhomme qui en avoit esté cause ne le porta guières loin, et fut tué en une rencontre de guerre par permission de Dieu, pour avoir si injustement osté l'honneur et la vie à cette honneste dame.
Pour dire la vérité sur cet exemple et sur une infinité d'autres que j'ay veus, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles-mesmes, et qui sont les vrayes causes de leurs escandales et deshonneur; car elles-mesmes vont attaquer les escarmouches, et attirent les gallants à elles, et du commencement leur font les plus belles caresses du monde, des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et belles paroles des espérances; mais quand il faut venir à ce point, elles le desnient tout à plat. De sorte que les honnestes hommes qui s'estoient proposez force choses plaisantes de leur corps, se desesperent et se despitent en prenant un congé rude d'elles, les vont deshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en content cent fois plus qu'il n'y en a.