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Histoire des salons de Paris. Tome 4
Histoire des salons de Paris. Tome 4

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Histoire des salons de Paris. Tome 4

Язык: Французский
Год издания: 2017
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On a dit une foule de versions sur cette affaire de MM. de Polignac; le fait réel est celui que je raconte. On a mis sur le compte de Murat, de Savary, de l'impératrice, le salut des accusés. Ce fut madame de Montesson, ce fut elle qui sauva M. de Polignac, M. de Rivière et M. d'Hozier48. Murat, qui alors était gouverneur de Paris, dit seulement à l'Empereur: Soyez clément, et vous sèmerez pour recueillir.

Mais ces paroles furent dites pour tous les accusés, et même pour Moreau, Coster de Saint-Victor, M. d'Hozier et les autres. Quant à Savary, ce qu'il fit fut pour plaire à sa femme et satisfaire son amour-propre, parce qu'il était allié de très-près, par madame Savary, aux Polignac; mais quand il vit se froncer le sourcil impérial, il se retira au fond de sa coquille pour s'y tenir tranquille. Ce fut, je le répète, madame de Montesson qui sauva MM. de Polignac et de Rivière.

L'espérance que madame de Montesson avait rapportée à ses amies ne fut pas d'abord réalisée… La condamnation fut prononcée… En l'apprenant, madame de Montesson oublia de nouveau toutes ses souffrances; elle ne sentit plus qu'une seule douleur, celle de ces femmes qui pleuraient et sanglotaient dans ses bras, l'appelant à leur aide et lui criant qu'elles n'espéraient qu'en elle.

– Mon Dieu! mon Dieu! disait madame de Montesson tandis que sa voiture roulait rapidement vers Saint-Cloud, prêtez-moi un accent qui le persuade; car ce n'est que de lui seul que j'attends quelque pitié.

Elle avait raison; elle savait qu'autour des rois, et Napoléon l'était déjà par le fait49, il n'y a que trop de gens perfides dont la volonté d'exécution outre-passe toujours l'intention de punir du maître.

– J'ai parlé, lui dit Joséphine aussitôt qu'elle l'aperçut, mais j'ai peu d'espoir… Il est plus irrité cette fois que je ne l'ai vu encore pour des conspirations, même celle de la machine infernale, où, sans ce pauvre Rapp, Hortense et moi nous sautions en l'air, sans compter madame Murat50… Je lui ai parlé avec l'intérêt que je devais mettre à une aussi importante affaire, et je crains…

– Mais je veux le voir! s'écria madame de Montesson… Joséphine, faites que je le voie, et vous serez un ange.

– Vous le verrez, mon amie!.. vous le verrez, calmez-vous… mais, au nom de vous-même, si vous voulez parvenir à son âme, ne me faites pas craindre ce qu'il appelle des scènes. Je le connais, et je sais que c'est le moyen de n'arriver à rien… calmez-vous.

– Eh! puis-je être calme!.. si vous saviez quelle douleur, quelle désolation j'ai laissée derrière moi…

– Mais soyez tranquille, au moins en apparence… Attendez-moi… je reviens dans un moment.

Et Joséphine partit en courant… À cette époque elle était svelte encore, et sa taille avait ce charme qu'elle a conservé si longtemps.

Quelques minutes après, elle revint précipitamment;… sa figure, toujours bonne et gracieuse, était ravissante en ce moment.

– Venez, venez! s'écria-t-elle en offrant son bras à madame de Montesson et l'entraînant vers le cabinet de l'Empereur; il veut bien vous voir!.. c'est d'un heureux augure.

Madame de Montesson le pensait aussi, et cette pensée lui donna des forces pour parcourir l'espace assez grand qu'il y avait entre la chambre de Joséphine et le cabinet de Napoléon; mais à peine fut-elle entrée dans ce cabinet et eut-elle regardé Napoléon, que tout espoir s'évanouit de nouveau, et ce ne fut qu'en tremblant qu'elle entra dans l'appartement… Napoléon se promenait rapidement dans la chambre, ayant encore son chapeau sur sa tête, qu'il n'ôta même pas à l'entrée de madame de Montesson.

– Eh bien, madame, lui dit-il assez brusquement… vous aussi vous vous liguez avec mes ennemis!.. vous venez me demander leur vie quand ils ne rêvent que ma mort!.. quand ils la cherchent et veulent me la faire trouver jusque dans l'air que je respire!.. Ils me rendent craintif… moi!.. oui… ils m'empêchent de sortir, parce que je redoute que la moitié de Paris ne soit victime de leur barbarie… ce sont des monstres!..

Madame de Montesson ne répondit rien… l'Empereur s'irrita de son silence:

– Vous n'êtes pas de mon avis, à ce qu'il paraît, madame?.. dit-il avec amertume.

Elle baissa les yeux.

NAPOLÉON

Vous ne voulez pas me faire l'honneur de me répondre?

MADAME DE MONTESSON

Que puis-je vous dire, Sire?.. vous êtes ému, vous êtes surtout offensé… et vous ne m'entendriez pas. Ce que je puis seulement vous affirmer, c'est que j'ai l'horreur du sang, même de celui d'un coupable!.. Jugez ce que je pense de ceux qui veulent faire couler le vôtre!!!..

NAPOLÉON, se rapprochant d'elle

Pourquoi donc alors, si vous avez de l'amitié pour moi, venez-vous intercéder pour des hommes qui me tueront demain, si tout à l'heure je leur fais grâce?..

MADAME DE MONTESSON

Non, Sire; on vous a trompé. MM. de Polignac peuvent avoir une pensée unique, absolue, qui régit leur vie et les guide dans tout ce qu'ils font et ce qu'ils disent. Ils veulent le retour des princes, comme le général Berthier, le général Junot voudraient le vôtre en pareille circonstance; mais ils ne sont pas assassins. Ils ont pu employer un homme à qui tous les moyens sont bons; mais eux, ils sont incapables d'imaginer et encore moins d'exécuter une infamie.

JOSÉPHINE allant à lui et l'embrassant sur le front

Que t'ai-je dit, mon ami?.. tu vois que madame de Montesson te parle comme moi!.. Que t'ai-je dit encore? que MM. de Polignac seraient à l'avenir liés par la reconnaissance s'ils te doivent leur vie!

MADAME DE MONTESSON

Ajoutez à cette considération, qui est immense, que vous êtes dans un moment, Sire, où vous devez marquer par votre clémence plus que par la sévérité… Cette époque à laquelle vous êtes parvenu, vous savez que je vous l'ai presque prédite51; en faveur de cette prédiction… soyez toujours mon héros!.. soyez plus, soyez l'ange protecteur de la France!.. qu'on dise de vous seul ce qu'on n'a dit encore d'aucun souverain: —Il fut vaillant comme Alexandre et César, et bon comme Louis XII.

NAPOLÉON, d'une voix plus douce

Mais je ne suis pas roi!.. je ne suis, comme empereur, que le premier magistrat de la république.

MADAME DE MONTESSON, souriant

Vous êtes tout ce que vous voulez et vous serez aussi tout ce que vous voudrez… Enfin, comme premier magistrat de votre république, comme vous l'appelez, vous pouvez faire grâce, et il faut la faire.

NAPOLÉON

Et qui me garantira non-seulement ma vie, mais celle de tout ce qui m'entoure, si je fais grâce?

MADAME DE MONTESSON

La parole d'honneur des condamnés qu'ils ne violeront jamais, j'en suis garant.

NAPOLÉON

Vous connaissez mal ceux dont vous répondez, madame, à ce qu'il me paraît; MM. de Polignac sont des hommes d'honneur, sans doute, mais ils regarderont la parole donnée comme un serment prêté sous les verrous, et ils s'en feront relever par le pape.

JOSÉPHINE

Eh bien! si tu crains qu'ils ne soient pas assez forts contre leur volonté dominante, garde-les sous des verrous; mais pas de mort, mon ami… pas de mort!

MADAME DE MONTESSON se levant et allant à lui en lui prenant la main

Sire!.. que faut-il faire? Faut-il vous conjurer à genoux?.. Sauvez M. de Polignac… sauvez les accusés; sauvez-les tous!.. oh! je vous supplie!..

Et elle plia le genou au point de toucher la terre; Napoléon la releva précipitamment et la contraignit presque de se rasseoir.

NAPOLÉON

Vous m'affligez… car, en vérité, je ne puis vous accorder la vie de tous ces hommes, pour qui le repos de la France n'est rien, et qui se jouent du sang de ses fils comme de celui d'une peuplade sauvage.

JOSÉPHINE

Bonaparte52, je t'ai déjà bien prié… je te prierai tant qu'il y aura de l'espoir… mais, si tu me refuses, je ne t'aimerai plus…

NAPOLÉON l'embrassant

Mais puisque tu m'aimes, comment peux-tu me demander la grâce de ces hommes qui non-seulement, je le répète, veulent ma mort, mais le bouleversement de la France?

MADAME DE MONTESSON avec douceur

Ce n'est pas ce qu'ils veulent.

NAPOLÉON

Eh! madame, peuvent-ils espérer autre chose? L'agitation révolutionnaire que j'ai tant de peine moi-même à contenir se soumettrait-elle à une main inhabile? On n'improvise pas un gouvernement, madame, et les passions populaires ne répondraient plus aujourd'hui à leur colère royaliste contre la Révolution et la République… Cependant, tout en accusant MM. de Polignac et de Rivière de ramener des troubles peut-être plus sanglants que ceux de 93, je les trouve moins coupables que des généraux républicains… des hommes comme Moreau (sa voix devint tremblante), Pichegru!.. qui vont serrer la main, comme frères, au chouan Georges!..

Il se laissa aller sur un canapé… Il était pâle et semblait avoir le frisson; ses lèvres étaient blêmes et toute sa physionomie bouleversée. Madame de Montesson fut alarmée et fit un mouvement; mais Joséphine lui fit signe de demeurer tranquille, et, s'approchant de Napoléon, elle lui prit les mains, les serra dans les siennes, puis elle l'embrassa, lui parla bas longtemps, et peu à peu le calme revint sur la belle physionomie de l'Empereur. Mais madame de Montesson dit ensuite qu'elle avait eu peur lorsque ses yeux s'étaient fermés et qu'il était tombé sur le canapé. Oui, reprit-il en se levant et marchant très-vite, en partie dans la chambre et en partie dans le jardin53… ces hommes de la France sont plus coupables que des serviteurs de la famille de Louis XVI, de ce malheureux Louis XVI!.. Mais Moreau… le vainqueur d'Hohenlinden!.. lui, devenir un conspirateur!.. Il me croit jaloux54 de lui! et pourquoi, grand Dieu!.. Ma portion de renommée est assez belle; je n'ai besoin de nulle autre pour la rendre plus brillante… Et si Dieu me prend en faveur, j'espère bien en mériter une aussi élevée qu'il y en a sous le ciel!..

– Eh bien! donc, dirent les deux femmes en même temps en se mettant presque à genoux, soyez clément pour MM. de Polignac… commuez la peine… mais pas de mort!.. Oh! pas de mort!..

– Demain tu viendras me parler pour Moreau, dit Napoléon à Joséphine!.. Croiriez-vous, dit-il ensuite à madame de Montesson, qu'après avoir été le but des impertinences de la femme pendant quatre ans, elle a été plus qu'importune pour obtenir la grâce entière du mari?.. Elle est vraiment bonne, ma Joséphine. Et l'attirant à lui, il l'embrassa avec une profonde émotion.

– Et moi, dit madame de Montesson, il me faut aussi vous embrasser pour vous remercier.

NAPOLÉON étonné, mais souriant

Me remercier! et de quoi?

MADAME DE MONTESSON

Mais de la grâce de mes amis! Ne venez-vous pas de le dire?.. N'avez-vous pas reconnu que Moreau était plus coupable qu'eux?..

NAPOLÉON

Sans doute.

MADAME DE MONTESSON

Eh bien! s'il en est ainsi, vous ne pouvez pas condamner les uns quand vous faites grâce au plus criminel…

NAPOLÉON la regardant

Eh! qui vous dit, madame, que je ferai grâce à quelqu'un?

MADAME DE MONTESSON

Mon cœur qui vous connaît et qui m'assure que vous ne voulez pas faire condamner Moreau… Il ne le sera pas.

JOSÉPHINE

Mon ami… grâce!.. grâce!..

MADAME DE MONTESSON

Allons, dites ce mot-là!.. il vous fera du bien.

NAPOLÉON

Mais je ne puis la faire entière cette grâce… il me faut une garantie, et je ne puis l'avoir que dans la liberté de ces messieurs…

MADAME DE MONTESSON l'embrassant avec affection 55

Ah! merci! merci!.. vous êtes bon! vous êtes aussi bon que vous êtes grand!..

JOSÉPHINE l'embrassant aussi très-émue

Merci, mon ami!.. merci!.. Voilà une belle journée!.. elle doit aussi être belle pour toi!..

NAPOLÉON

Mais que dans leur prison ils soient circonspects; pas d'intrigues… pas de complots.

MADAME DE MONTESSON avec assurance

Je réponds d'eux… (Elle va vers l'Empereur, mais sans crainte.) En parlant des accusés… j'ai entendu tous les accusés pour la cause royale.

NAPOLÉON très-vivement

Non, madame… En vous accordant, ainsi qu'à Joséphine, la vie de M. de Polignac et de M. de Rivière, je n'ai entendu et compris que ces deux noms; les autres doivent subir leur sort.

MADAME DE MONTESSON

Même M. d'Hozier?..

NAPOLÉON

M. d'Hozier comme les autres.

JOSÉPHINE

Mon ami!..

NAPOLÉON frappant du pied avec colère

On a bien raison de dire qu'un homme d'état ne devrait jamais laisser approcher une femme de son cabinet!.. Que me voulez-vous toutes deux?.. Vous me tourmentez depuis une heure pour obtenir une chose qui peut-être me sera fatale!.. Dieu veuille qu'un jour vous ne vous rappeliez pas cette conversation avec effroi!

MADAME DE MONTESSON

Dieu protége les rois cléments, et nous ne nous la rappellerons que pour vous en aimer davantage… Mais, je vous en conjure, donnez-moi la vie de M. d'Hozier.

NAPOLÉON

Vous l'aimez donc beaucoup?

MADAME DE MONTESSON

Moi! du tout, je ne le connais pas56.

NAPOLÉON

Eh bien! pourquoi donc alors vouloir arrêter le cours de la loi?..

MADAME DE MONTESSON

Que vous importe?.. Allons, accordez-moi sa grâce!.. je vous en conjure!.. Hélas! pour vous-même, je voudrais vous voir signer une amnistie pleine et entière. Ainsi, par exemple, M. de Saint-Victor…

NAPOLÉON l'interrompant avec une sorte de hauteur

Ah! pour celui-là, je vous demande de ne pas aller plus loin! M. de Saint-Victor est sans doute un brave homme; mais il est du nombre de ces conspirateurs qui ruinent une cause, quand ils y entrent comme associés actifs… C'est un homme bien dangereux57… et il a fait bien du mal à tous les siens!.. Il doit mourir!.. (ajouta-t-il après un long silence et comme répondant à une voix intérieure.) Nous ne sommes plus au temps des Brutus.

MADAME DE MONTESSON

Je ne connais M. de Saint-Victor que de nom, ainsi que M. d'Hozier; mais des rapports intimes existent entre ce dernier et moi par des amis communs: voilà pourquoi je tiens tant à le sauver.

NAPOLÉON

Eh bien! soit: je vous le donne encore… (se reprenant) c'est-à-dire j'en parlerai avec Cambacérès et le grand-juge; car je n'ai pas pouvoir à moi seul…

Madame de Montesson quitta Saint-Cloud tellement heureuse d'avoir obtenu ce qu'elle voulait, qu'elle ne souffrait plus…

– Victoire! cria-t-elle du plus loin qu'elle aperçut ses amies désolées qui accouraient à elle… Victoire! – Et elle leur annonça ce que l'Empereur venait de faire.

– C'est un homme qui veut mériter ce qu'il cherche à obtenir, dit M. de Valence… et ce n'est pas moi qui lui serai un empêchement.

Telle fut la véritable histoire de MM. de Polignac58. Je ne sais s'ils en sont instruits; mais la voici telle qu'elle me fut racontée par la principale actrice de ce drame intéressant et confirmée par la seconde.

Nous remarquâmes, en parlant de cette conspiration et du jugement des accusés, qu'ils montrèrent dans cette circonstance le même courage insouciant que toute la noblesse a constamment prouvé pendant le temps de la Révolution. – M. de Rivière, à qui je reproche trop de ferveur pour son parti peut-être, fut pendant ce procès l'homme de cour d'autrefois… C'était M. de Narbonne se battant avec un bouton de rose dans la bouche, et qui, le laissant59 tomber, se penche, le ramasse, mais sans cesser de croiser le fer, se relève, reprend aussitôt son avantage et désarme son adversaire. – M. de Rivière faisait des vers. Un jour, se trouvant au tribunal et apercevant madame de La Force parmi ses nombreux amis, ayant à côté d'elle mademoiselle de La Ferté60, il fit ce couplet, et l'ayant écrit au crayon, il le lui fit passer:

En prison est-on bien ou mal?On est mal, j'en ai maint exemple.On est mal au bureau central;On est encor plus mal au Temple.À l'Abbaye on n'est pas mieux,Car d'en sortir chacun s'efforce.Le prisonnier le plus heureux,C'est le prisonnier de la Force.

Chanter sous le couteau; comme c'est français!..

La conduite de madame de Montesson dans cette circonstance fut connue, mais moins peut-être qu'elle n'aurait dû l'être en raison de sa modestie. On parla beaucoup dans le monde de la vie de MM. de Polignac sauvée par Joséphine, mais voici la vraie version. Sans doute que les MM. de Polignac l'ont su, ainsi que M. de Rivière, et que leur reconnaissance aura payé celle qui ne faisait en cela que servir ses amis et sauver la vie d'un homme.

La santé de madame de Montesson, qui, à cette époque, était déjà perdue, parut reprendre un peu de mieux par la joie qu'elle vit autour d'elle. Madame de La Tour remerciait Dieu chaque soir et le priait pour cette âme parfaite qui lui avait conservé tout ce qui lui restait d'une sœur bien-aimée… Madame de Montesson, heureuse du bonheur de ses amis, jouissait de son ouvrage, et pendant toute l'année 1804 elle fut encore assez bien pour donner de l'espoir. Sa maison de Romainville, toujours ouverte, était plus que jamais le rendez-vous de tout ce qui arrivait à Paris en gens distingués, et de cette belle fleur de bonne compagnie française dont il y avait encore alors un bon nombre en France… Remplie de reconnaissance, attachée d'amitié à l'Empereur, elle prit une part positive à tout ce qui lui arriva dans les années qui s'écoulèrent entre la grâce de MM. de Polignac et le jour où elle mourut. L'arrivée du Pape, les événements immenses qui se groupaient autour de Napoléon pour prouver qu'il ne pouvait être servi par la fortune qu'en raison de sa gigantesque destinée, trouvaient en elle une amie pour les faire valoir. Elle l'aimait de cœur, enfin, ainsi que Joséphine et plusieurs des généraux attachés à l'Empereur. M. d'Abrantès y allait beaucoup lorsqu'il était à Paris. J'y voyais aussi le maréchal Pérignon, mais pas très-souvent. Duroc y allait aussi; – Savary jamais. Madame de Montesson le détestait…

Mais la santé de madame de Montesson s'altéra au point que Hallé, que je voyais souvent, et qui à cette époque était mon médecin, me dit qu'elle était fort mal. On lui fit quitter Romainville et elle revint à Paris, mais dans un état désespéré. Madame de Genlis eut alors une conduite admirable et à laquelle il faut rendre justice. Madame de Montesson était riche; elle avait même une immense fortune, et elle laissait sa nièce travailler la nuit pour gagner sa subsistance. Peut-être avait-elle pour se conduire ainsi des motifs que j'ignore61, cela se peut; – je le veux croire même pour l'excuser… mais madame de Genlis ne devait pas moins en ressentir la blessure. Aussitôt qu'elle apprit le danger de madame de Montesson, elle laissa un ouvrage pour lequel elle avait un dédit assez fort si elle ne le livrait pas pour un jour fixé, et elle consacra ses journées entières à sa tante, partant de l'Arsenal, où elle logeait alors, pour aller chez la malade dans la Chaussée-d'Antin, à dix heures du matin, pour n'en revenir qu'à dix heures du soir!.. Pendant ses journées de souffrance, madame de Montesson avait constamment sa tête, et comme ses douleurs n'étaient pas fort aiguës, madame de Genlis lui faisait la lecture pendant quatre et cinq heures… Le jour de sa mort, sentant sa fin approcher, elle demanda elle-même les sacrements… sa nièce les lui vit recevoir et pria avec le clergé… À peine les prêtres étaient-ils partis, que l'agonie commença… Cachée derrière le rideau du lit de la mourante, madame de Genlis priait tout bas et sans qu'elle pût entendre les prières des agonisants que sa nièce disait pour elle!.. Aussitôt qu'elle fut expirée, madame de Genlis, fort émue et toute en pleurs, tira le rideau, et, tombant à genoux près du corps de cette parente à un degré si intime qui avait oublié au moment extrême qu'elle laissait la fille de sa sœur dans un état malheureux, elle pria longtemps pour elle… puis, se relevant, elle lui ferma les yeux; alluma deux cierges qu'elle mit auprès de son lit, et fit chercher à Saint-Roch, paroisse de madame de Montesson, un prêtre, qu'elle établit dans la chambre mortuaire pour dire les prières des morts auprès du corps.

Pendant la maladie de madame de Montesson, un page de l'Empereur ou de l'Impératrice allait tous les jours savoir des nouvelles de la malade, et en apprenant sa mort, Napoléon ordonna qu'elle reçût les honneurs qu'une princesse recevrait. Elle fut exposée, pendant UNE SEMAINE, dans une chapelle ardente à Saint-Roch, chose qui n'avait jamais lieu, pas plus qu'aujourd'hui, au reste, pour une personne du monde.

Une circonstance dramatique eut lieu au moment où le corps descendait les vingt-cinq marches de Saint-Roch, pour être déposé sur le corbillard qui devait le porter à Seine-Assise, où il devait être enterré près du duc d'Orléans. Au moment où l'on descendait le cercueil, escorté de plus de cent personnes qui lui faisaient cortége, un autre convoi s'arrêtait au bas de l'escalier de l'église, et les deux cercueils se croisèrent dans leur marche funèbre. La dernière arrivée était mademoiselle Marquise, autrefois danseuse de l'Opéra, adorée jadis de M. le duc d'Orléans, qu'elle avait rendu père de M. de Saint-Far, de M. de Saint-Albin et de madame de Brossard. M. le duc d'Orléans l'avait aimée avec passion, l'avait faite marquise de Villemomble…; et puis il avait aimé madame de Montesson et abandonné la mère de ses fils. Et ces deux femmes, jadis rivales, jalouses et vindicatives, se retrouvaient ainsi sur le seuil du cimetière, de ce lieu où s'éteignent toutes les passions!.. Le même requiem était chanté sur leur bière, les mêmes tentures drapaient l'église pour leur fête de mort, et les mêmes cierges brûlaient pour l'éclairer.

SALON DE MADAME DE GENLIS,

À L'ARSENAL

Lorsqu'après dix ans d'exil, madame de Genlis revit la France, elle n'eut pas d'abord la pensée d'avoir un salon, ni de pouvoir même de longtemps former une société intime dont l'agrément devait remplacer tout ce que les malheurs révolutionnaires avaient enlevé à chacun. Rien ne peut se comparer à ce qu'on voyait alors en France: la France, qui, peu d'années avant, se disait avec orgueil la reine des nations civilisées pour tout ce qui est élégance et bon goût! Ce qu'on appelait le monde n'était qu'une bigarrure mal composée même, et qui n'offrait à l'œil qu'un assemblage choquant des couleurs les plus opposées. Le monde, ou plutôt la société de cette époque, était une réunion de parvenus à la fortune par des fournitures à l'armée, ou par l'agiotage au perron, ou par d'autres moyens moins honorables et moins industriels. Pendant nos temps calamiteux de la Révolution, une seule route s'était offerte pour conduire à un noble but: c'était l'armée; parler de gloire à des Français, c'est flatter leur passion favorite, c'est leur parler selon leur cœur. Aussi les hommes de toutes les classes répondirent-ils à cet appel, et la France fut défendue et puis ensuite sauvée par ces mêmes hommes qui ne s'étaient d'abord levés que pour former une barrière de leurs corps à l'étranger, qui voulait nous envahir… Les parvenus par ce noble chemin furent toujours différents des autres; et cela fut de tout temps. La Rochefoucauld dit: «L'air bourgeois se perd rarement à la Cour, il se perd toujours à l'armée.» Aussi était-ce une chose remarquable à voir, que les fils d'une famille dont le père et la mère restés à Paris avaient fait leur fortune par les causes que j'ai dites. Les enfants, sans avoir eu d'autres maîtres que les dangers, une vue continuelle des hommes dans toutes les positions, rapportaient dans la maison paternelle une attitude aisée et souvent même agréable, tandis que le père et la mère étaient demeurés comme devant leur comptoir…

Les plus insupportables de ces parvenus à la fortune de l'époque révolutionnaire, c'étaient les fournisseurs de l'armée. Je n'en excepte qu'un; mais aussi celui-là est tout à fait à part, c'est M. Collot. Il est lui-même un type d'esprit et de manières courtoises et polies… Mais il y a longtemps que j'ai parlé de lui dans ce sens, en disant ce que j'en pense et ce que j'en connais…

Paris offrait alors lui-même dans son ensemble, comme ville, un coup d'œil étrange et terrible à la fois pour l'infortuné qui le revoyait après quinze ans d'exil!.. S'il voulait faire une course dans la ville, il ne retrouvait plus son chemin… Les rues ne portaient plus leur ancien nom… Ceux des hôtels, gravés jadis sur des plaques de marbre ou de pierre, étaient effacés et mutilés, tandis que dans chaque carrefour il reculait en frémissant devant une dalle de marbre noir, sur laquelle il voyait gravées en lettres d'or ces paroles faites pour un peuple LIBRE: La liberté, la fraternité OU LA MORT! ou bien: Lois et actes de l'autorité publique62.

Un émigré venait de rentrer; c'était un ami de ma famille. Un jour, il arrive chez ma mère les yeux pleins de larmes.

– Qu'avez-vous? lui dit-elle…

Le malheureux ne pouvait parler. Enfin il nous dit que dans une petite rue près de Saint-Roch, il était entré, pour éviter la pluie, chez un marchand de bric à brac, et que là, parmi de vieux cadres tout mutilés, abîmés, il avait retrouvé le portrait de son père, de son frère et celui de sa femme…: son frère avait péri sur l'échafaud!..

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