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La Cité Ravagée
La Cité Ravagée

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À une table près du mur opposé de la salle commune, plusieurs sabreurs étaient occupés à jouer aux osselets. Alari, une sabreuse vétéran qui avait passé quelques années de plus dans la guilde que Jalis, lança un regard vers le tableau de la guilde et marmonna à son voisin.

"Je reviens dans une minute." Jalis se leva de sa chaise et se rendit rapidement jusqu'à l'alcôve. Elle scanna le contenu du tableau jusqu'à ce qu'elle remarquât un nouveau bout de papier qu'elle décrocha du tableau en bouchon. À la vue de la prime offerte, ses yeux s'agrandirent.

"Ma belle, t'es plus preste que le silex sur la pierre à feu toi," dit Alari derrière elle.

Se saisissant de la note, Jalis se tourna vers sa collègue. "Ah, t'étais pas bien loin non plus."

Le sourire d'Alari tiraillait sur la pâle cicatrice près de sa bouche. "Qu'est-ce que le patron a accroché là, cette fois ? Encore un qui ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit ?"

Jalis haussa des épaules. "Ça a l'air un peu mieux que d'habitude. Pourquoi n’irais-tu pas voir du côté des offres plus petites ? C'est juste ce qu'il faut pour les novices dont tu t'occupes. Il faut bien commencer quelque part."

Alari plissa le front à cette pensée. "Ouais, t'as pas tort. Kirran pourrait les faire tout seul. Je lui dirais de venir en prendre une." Elle donna à Jalis un clin d'œil complice. "Allez donc gagner votre croûte, toi et les gars."

Alors qu'Alari regagnait sa table, un autre sabreur la croisa pour se rendre au tableau. Jalis le dévisagea froidement.

"Qu'est-ce que t'as là ?" dit Fenn en parvenant à l'alcôve et se plaçant de telle sorte que Jalis ne puisse en sortir.

"Dégage, Fenn."

"Voyons voir." Il essaya de s'emparer du papier mais Jalis parvint à glisser sa main derrière son dos.

"Premier arrivé, premier servi," dit-elle. "Tu connais les règles. Si tu veux un contrat, il y en a plein sur le tableau qui te conviendront."

Les yeux porcins de Fenn la transperçaient du regard. "Moi au moins, je peux faire mon travail tout seul. Tout le monde sait que toi et tes deux gardes du corps, vous profitez du traitement préférentiel par ici." Il attrapa Jalis par l'épaule.

Elle enfonça sa main entre les jambes de Fenn et serra sa prise. "Ce sont mes compagnons et mes amis. Tu sais quoi ? Tu enlèves ta main de là et j'en fais de même. Ensuite tu retournes t'asseoir comme un gentil garçon."

Fenn grogna en silence, les lèvres retroussées. Jalis resserra sa prise et, à contrecœur, il retira sa main. "T'as un problème."

"Si j'ai des problèmes, tu n'en fais pas partie." Elle serra plus fort. "Juste pour qu'on soit bien clairs. C'est bien clair, Fenn ?"

"Vira ta sale patte de là !"

"D'accord, d'accord...! Mais je te préviens, la prochaine fois que tu me touches, ce n'est pas ma main que t'auras à l'entre-jambe, ce sera mon poignard. Alors viens pas me chercher ou je rendrai service à l'humanité entière." Elle relâcha sa prise après une dernière torsion.

Alors que Fenn titubait à reculons, il décocha un coup de poing vers le visage de Jalis. Elle put se baisser pour l'éviter et enfonça un coup de poing dans ses côtes, suivi d'un uppercut qui lui fracassa le nez et l'envoya s'étendre au sol. Quelques applaudissements de la part des clients se firent entendre, mais ils prirent fin aussitôt que Maros émergea de son couloir en boitant.

"Que diable se passe-t-il dans ma taverne ?" tonna-t-il.

Fenn se remit sur pied, du sang coulant de son nez. "Tu ferais mieux de garder cette chienne en laisse. Tout le monde sait que c'est ta préférée." Il jeta un coup d'œil au chemisier en fine gaze de Jalis. "Et c'est pas bien difficile de voir pourquoi."

"Vraiment ?" Maros boita jusqu'à lui et le domina de toute sa taille. "Tu devrais montrer un peu plus de respect envers une femme d'épée, je dirais même beaucoup plus de respect, d'autant qu'elle vient te mettre sur le cul. Tu déconnes encore une fois, Fenn, et franchement, la branche de Grenmoor peut venir te reprendre. File à la guilde. Maintenant. T'as eu ta dose pour la journée."

Le visage de Fenn rougeoya de colère mais il garda le silence. Après un moment, il tourna les talons et franchit les portes.

"Oh, et Fenn," le rappela Maros, "si tu me parles encore une fois comme ça, c'est pas en marchant que tu sortiras d'ici, mais en volant dans les airs."

"J'ai manqué quelque chose ?" Dagra demanda en arrivant à côté de Jalis.

Elle secoua la tête. "Non, rien."

Maros se déplaça en boitant pour la regarder. "Il semble que tu aies été la première à voir le contrat que j'ai accroché ?"

"En effet. Tu n'as pas perdu ton temps à Balen."

"Je ne suis pas certain de vouloir te voir sur ce coup-ci, Jalis."

"Pourquoi ? Ça serait idiot de ne pas le faire."

Maros grogna. "Alors, promets-moi que tu ne le feras pas seule." Il hocha la tête en direction de Dagra. "Si les gars ne tombent pas d'accord, ce travail retourne sur le tableau. Je préférerais laisser Fenn décrocher celui-ci et bon débarras."

Jalis fronça les sourcils. "Qu'est-ce qui te préoccupe autant, l'ami ? Si c'est une horde de bandits qui s'est installée quelque part—"

"C'est pas des bandits." Maros regarda brièvement autour de la salle et dit d'une voix basse, "Va discuter avec Dagra et Oriken. Vois ce qu'ils en disent. Si vous êtes tous d'accord, le contrat est à vous. Mais j'en serais pas heureux. Toi et moi avons passé trop d'années ensemble, jeune fille. Ne sous-estime pas ce que ce contrat implique."

Elle étudia son visage. "Je ne t'ai jamais entendu parler comme ça."

"Nous n'avons jamais eu de contrat comme ça."

Alors que Jalis retournait à sa table, Dagra sur ses talons, Oriken leva un sourcil. "Eh bien, ça a été le plus grand divertissement de toute la semaine. T'as raté quelque chose, Dag. Jalis a fichu une sacrée déculottée au trou du cul du coin."

"Je n'ai rien fait de tel." Jalis ignora le regard inquisiteur de Dagra. Elle croisa les bras sur la table et enjoignit ses camarades à se rapprocher d'elle. "Je nous ai trouvé un contrat et vous n'avez pas idée du montant de la prime."

"Je suis pas sûr de vouloir savoir," dit Dagra, "pas après avoir vu la réaction de Maros. Mais bon, je t'écoute."

Les bavardages avaient repris dans la salle de la taverne mais elle jeta un coup d'œil autour pour s'assurer que personne ne les écoutait. "Cinq cents dari d'argent."

Oriken laissa échapper un long sifflement. "Ciel. Tu plaisantes."

"Non."

Les yeux de Dagra étaient empreints de scepticisme. "Tu as les détails ?"

"Non. Je n'ai pas vraiment eu le temps de vérifier."

"Tu n'as pas eu le temps ? Jalis, on n'accepte pas les contrats aveuglément. Tu le sais mieux qu'Orik et moi-même."

"Je sais ! Mais cinq cents dari. À ce prix-là, quel contrat tu ne prendrais pas ?"

"Oh, je peux en penser à un ou deux," dit Oriken avec un sourire en coin. "Mais, Dagra lui, probablement pas autant."

Dagra fit comme s'il n'avait rien entendu. "Bon," fit-il à Jalis. "Voyons voir."

Elle défroissa le morceau de papier et le mit à plat sur la table, fronçant les sourcils tout en prenant connaissance des détails. "Euh, c'est où Lachyla ? C'est quoi la Cité Ravagée ?"

"Oh, par les misérables dieux." Dagra se passa une main sur le visage.

"Quoi ?"

Oriken éclata de rire. "Maros a vraiment mis ça au tableau ? Il se fiche de nous. Ça peut pas être autrement."

Jalis secoua la tête. "Non, il ne ferait pas ça. Attends, c'est pas une légende d'Himaera ça ? La Cité Ravagée, ça faisait partie des histoires du Tisseur de Contes il y a quelques années, non ?"

"Baisse le volume," dit Dagra. "Écoute, qu'il s'agisse d'une chasse au dragon, ou que ce soit pour de vrai, oublie ça. Nous n'allons pas là-bas. C'est marqué d'une tête de mort pour une bonne raison."

Oriken s'offusqua. "Mais voyons. Juste parce qu'on t'a élevé à croire en toute légende qui existe. Tu sais, ça pourrait tout aussi bien être une belle balade à la campagne."

"Tu vas pas croire ça," dit Dagra. "Depuis quand t'es-tu déjà rendu dans les Terres Mortes ? Depuis jamais. Une balade à la campagne. La marche vers la potence, oui."

"J'y connais pas grand-chose aux légendes," dit Jalis, "mais rien que les dix pour cent non-remboursables pourraient nous faire vivre pour quelques mois. Et si nous atteignons l'objectif, ce sera une prime plus lucrative que Maros et moi n'ayons jamais gagnée ensemble au bon vieux temps. Celui-ci, c'est un très gros coup. Si on le laisse filer, Alari ou Fenn ou Henwyn ou n'importe qui va s'en emparer."

"Ce n'est pas moi que tu dois convaincre," dit Oriken. "Moi, je suis partant."

"Toi t'es partant pour n'importe quoi." Dagra le regarda avec colère. "Toujours à te fourrer dans les trous les plus sombres. Même quand on était gamins. N'apprends-tu donc jamais ?"

Oriken haussa les épaules. "C'est toi le superstitieux. Donne-moi une preuve que Lachyla n'est rien d'autre qu'une histoire qui fait peur du Vieux Tisseur de Contes. Donne-moi des preuves qu'on ne devrait pas prendre ce job."

"Tu sais bien que je peux pas. Mais on ne devrait pas aller provoquer les Dyades à nous balader dans les contrées d'une déesse morte. Toute la région est maudite."

"Les Dyades sont tes dieux," dit Oriken. "Pas les miens. Ni ceux de Jalis. Au nom du ciel, Dag, nous sommes des sabreurs."

"Quand bien même nous trouverions l'endroit, nos chances de trouver le... De quoi il s'agit déjà ?" Dagra jeta un œil à la feuille de papier. "Une crypte ? Oh, non. Laissez tomber. Je n'entre pas dans une crypte." Il regarda Jalis. "Tu sais qu'ils enterraient leurs morts sans les brûler ? Des barbares, je te dis. C'est sacrilège."

Oriken lui fit un sourire amusé. "Sacrilège ? Tu parles d'une époque avant que les Dyades ne viennent à Himaera. Comment peux-tu accuser les ancêtres de sacrilège alors qu'ils existaient avant vos dieux ?"

Dagra pâlit. "Tu vas trop loin, Oriken."

"Cela s'était produit partout," dit Jalis, "pas seulement à Himaera. C'était pareil dans l'Arkh."

Dagra but ce qui restait de sa bière. "Jecaiah !" Il fit signe au barman de lui apporter un autre verre puis regarda Jalis de façon insistante. "Au mieux, nous aurons perdu un mois, sinon plus, à errer dans le désert avant de rentrer bredouilles."

Après un soupir qu'elle réprima, elle décida d'essayer une autre tactique. "Vous réalisez que si nous terminons ce contrat, Maros vous offrira probablement à tous les deux l'opportunité de passer vos tests de maîtres-lames."

"T'imagines ça, Dag. Sabreur de troisième échelon après seulement cinq ans." Oriken leva un sourcil. "Toute la guilde ne parlerait que de nous."

"Hmm." Dagra repoussa sa chaise et se dirigea lourdement jusqu'au bar.

"Il finira par changer d'avis," dit Oriken.

Dagra regarda par-dessus son épaule. "J'ai entendu ce que t'as dit. J'attends toujours qu'on vienne me convaincre."

"Tu sembles moins sceptique que tu ne l'étais," dit Jalis alors qu'il reprit son siège. "Écoute, si tu veux venir, ça n'en signifiera que plus à Oriken et moi. Ce serait vraiment dommage de ne pas t'avoir avec nous, mais si c'est ta décision..."

"N'essaie pas ça avec moi, copine. Tu as entendu Maros. Il a dit, c'est nous tous ou aucun de nous."

"Oui, il a dit ça. Mais au bout du compte, ce n'est pas à lui de décider. J'ai vu les détails. S'il essayait de m'empêcher, il le ferait en tant qu'ami, non en tant qu'Officier."

"Pense à tout le bien que ça pourrait apporter," insista Oriken. "Toi et moi, maîtres-lames. La reconnaissance que ça nous apporterait à nous et notre branche, sans parler de toute la guilde. Ce n'est pas que pour l'argent. Par les étoiles, je ne sais même pas ce que je ferais de ma part. Imagine, Dag. Une fois que le mot circulera que nous aurons bravé le fléau, conquis une légende et serons revenus victorieux..."

"Je ne veux pas prendre le risque de contrarier les dieux, pour aucun dari au monde."

"Par les étoiles !" Oriken soupira d'exaspération. "Tout ce qu'on a à faire, c'est de rentrer dans une crypte et trouver une babiole rouillée. Tu peux pas te détendre un peu juste cette fois ? Tu pourrais même attendre dehors pendant que Jalis et moi on s'occupe du côté sérieux."

Demeurant silencieux comme la pierre, Dagra fixait l'offre de contrat du regard.

"Bon," dit Jalis. "Je doute que les Dyades soient contentes si tu nous laissais Oriken et moi à notre propre sort mais si c'est ta décision, je la respecterai."

Dagra lui lança un regard furieux. "Ça, c'était vraiment un coup bas."

Elle haussa les épaules et se leva. "J'accepte le contrat, et Maros le validera. Tu viens, tu viens pas, c'est à toi de voir."

Il soupira. "Je ne suis pas content de ce truc. Pas content du tout."

Jalis sourit. "Tu viens, alors ?"

Dagra voûta ses épaules en signe de défaite. "Je me détesterais s'il vous arrivait quelque chose. Quel choix me reste-t-il ?" Les lèvres serrées, il lança un regard entendu à Oriken. "Ouais, tu auras ma lame juste à côté de la tienne. Comme toujours."

Chapitre Deux

Dans les Terres Mortes


Jalis était allongée sur le ventre, en appui sur les coudes sur la berge, tandis que Dagra et Oriken remplissaient les outres. Une carte de la région était étalée devant elle. Comme elle l'étudiait, elle secoua la tête. "Aucun des hameaux que nous avons vus ces trois derniers jours n'est marqué ici, juste le vieux ringfort que nous avons passé il y a quelques temps."

"Ça ne me surprend pas," intervint Oriken depuis le ruisseau. "Je ne les appellerais même pas des hameaux, juste un amas de vieilles cabanes délabrées. Et les regards qu'ils nous lançaient, à croire qu'ils nous prennent pour des bandits ou même pire."

"Ce sont des gens simples ici," dit Dagra en quittant la rive pour s'asseoir près de Jalis. "À vivre en bordure des Terres Mortes, ils ont tous les droits de se méfier des étrangers, surtout s'ils n'en voient probablement jamais. Et les armes que nous transportons n'ont rien pour inspirer confiance." Il tapota le vieux glaive qu'il portait à sa hanche. "Pour eux qui ne savent pas reconnaître un sabreur – ou tout simplement un mercenaire – d'un bandit, on se ressemble tous un peu."

Oriken se rapprocha d'eux. Il lança à Jalis son outre remplie. "Nous n'avons pas encore besoin de savoir où nous sommes," lui dit-il. "Selon toutes les histoires que l'on raconte par ici, tant qu'on suit la route on finira par atteindre cette ville." Il enleva son chapeau et s'allongea dans l'herbe, les mains repliées derrière la tête.

"Il ne reste presque rien de la route," bougonna Dagra avec un regard en direction de ce qu'il restait de la Route du Royaume, maintenant envahie de végétation. "Imaginez dans quel état elle pourrait être demain, ou le jour d'après..."

"Route ou pas," dit Oriken, les yeux plongés dans le ciel d'après-midi, "d'après les Tisseurs de Contes, tant qu'on va vers le sud ou l'ouest, on peut pas se tromper. On y arrivera. Et puis on rebroussera sans doute chemin et on rentrera bredouille. C'est presque tentant de s'arrêter camper pendant quelques semaines et de retourner pour les dix pour cent."

Jalis leva le nez de sa carte. "Et risquer de perdre les quatre-vingt-dix pour cent restants ? As-tu donc si peu foi en ce que nous ne trouvions ce bijou ?"

Oriken haussa les épaules. "Je n'ai foi en rien. J'honorerai le contrat, tu le sais. Mais d'après ce que Maros avait dit de Cela, il semble que les corbeaux ont aspiré ce qui lui restait de cerveau. Un nom de famille ! Qui donc a encore ça de nos jours ?" Surprenant le regard de Jalis, il dit : "Bon, d'accord peut-être que toi, tu en as un, et peut-être quelques autres aussi, ceux qui sont venus du continent, mais notre cliente est d'Himaera." Il ricana. "Et elle affirme qu'elle est descendante de Lachyla. Ha !"

Jalis souleva un sourcil. "Et pourquoi ne le serait-elle pas ?"

Oriken grogna et ferma les yeux.

"Il y aurait eu des survivants au fléau," souligna Dagra.

"Que Cela soit folle ou que ce soit nous," dit Jalis, "nous allons traverser le Plateau de Scapa, découvrir cette soi-disant Cité Ravagée et faire de notre mieux pour trouver cet héritage." Elle jeta un coup d’œil à Dagra. "Quelque chose te préoccupe ?"

Il lui lança un regard sombre et resta silencieux quelque temps avant de répondre. "Ouais, quelque chose me préoccupe. Tout d'abord," — il se pencha en avant et frappa la carte du doigt là où le symbole de la Tête de Mort trônait au cœur du Plateau de Scapa — "ça, ça me dérange au plus haut point. Il y a une bonne raison pour que personne ne vienne par ici."

"Ouais, c'est parce que tout Himaera a été abandonnée des dieux," dit Oriken d'une voix endormie. "Nous nous sommes débarrassés du règlement des rois et ce n'était qu'un seul côté de la pièce."

"Ensuite," continua Dagra tout en lui jetant un regard cinglant, "en supposant un instant que toute cette région soit la plus petite étendue sauvage que nous ayons jamais vue, que se passera-t-il si nous trouvons Lachyla ?"

Jalis fourra la carte dans son sac à dos. "Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Dag s'inquiète à propos du cimetière," dit Oriken.

"Un peu que je m'inquiète, oui ! Ça n'est pas convenable de laisser les gens pourrir comme ça. Et on s'attend à ce qu'on entre dans quelque trou dans la terre rempli de toutes sortes de vieux cadavres non sanctifiés ? Ce que je veux dire, c'est qui diable—"

"Je vais te dire qui." Jalis se redressa et le regarda droit dans les yeux. "Trois sabreurs qui ont tout le mal du monde à trouver de quoi survivre. L'argent se fait rare, et nous serions complètement idiots de refuser un tel contrat. On a de la chance que Maros nous ait prévenus. Il n'avait pas à le faire."

"Nous avons nos chambres à la taverne grâce à Maros", souligna Oriken. "Et la nourriture grâce à la guilde elle-même."

"Quand bien même. Les contrats ces derniers temps ont été minables." Jalis se remit agilement sur pied. "Nous n'avancerons à rien à discuter ici. On a encore quelques heures avant la tombée de la nuit, alors continuons."

Avec un grognement, Dagra se remit sur ses pieds, attrapa son paquetage et le balança par dessus son épaule. Alors qu'il reprenait la route, Jalis lui emboîta le pas et lança un regard en direction d'Oriken qui se trouvait en appui sur ses coudes.

"Juste au moment où je me mettais à l'aise," cria-t-il.

Elle lui fit un clin d'œil et se tourna vers Dagra. "Ça fait cinq ans et il n'a pas changé d'un poil."

Dagra ricana. "Cinq ans ? Même après vingt-cinq ans. L'homme est aussi paresseux que l'était le garçon mais si je devais descendre dans la Fosse elle-même, je ne voudrais personne d'autre à mes côtés. Et toi aussi, bien entendu."

Jalis sourit. "Il en va de même pour moi, l'ami." Puis une sombre pensée lui vint. Descendre dans la Fosse. J'espère, au nom de quiconque nous entende, que ce n'est pas où nous allons.

Alors que la nuit s'épaississait, ils aperçurent, en retrait de la route et nichés au bord d'un grand bosquet d'arbres, un chapelet de quatre chalets en pierre et en bois et quelques granges et dépendances éparpillées autour. Les bâtiments semblaient intacts mais couverts de mousse, et des herbes et quelques fleurs poussaient maintenant sur les toits. L'endroit semblait complètement abandonné. Et si l'endroit était encore habité, il n'y avait aucune trace de soins ni d'entretien.

"On dirait qu'on a trouvé un abri pour la nuit," dit Oriken.

Jalis n'en était pas aussi sûre. "Si ces maisons ont l'air aussi délabrées à l'intérieur qu'à l'extérieur, on ferait tout aussi bien de dormir à la belle étoile."

Dagra grogna. "Bah, nous allons bientôt le savoir." Il accéléra l'allure, forçant ses courtes jambes à faire de grandes enjambées en direction du chalet le plus proche. Tout en toquant à la porte, il appela : "Il y a quelqu'un ?"

Oriken rejoignit Dagra. Il rigola et tapa son ami sur l'épaule. "Dag, si quelqu'un vit ici, leurs provisions doivent être exceptionnelles. Cette porte n'a pas été ouverte depuis des années." Du doigt il pointa les pissenlits qui croissaient en touffes sur les bords de la porte, ainsi que le lierre intact qui cheminait le long du cadre et à travers la porte. Il tendit la main vers la poignée et la tourna ; la porte s’entre-bailla d'un pouce vers l'intérieur et une puanteur de moisi s'en échappa. Dagra froissa le nez de dégoût.

"Ça a besoin de prendre un peu d'air," remarqua Oriken. "Tout ira bien." Il enfonça la porte d'un coup d'épaule. Les branches de lierre cassèrent et la porte racla sur le plancher, les gonds gémissant jusqu'à ce que la porte heurte le mur. Ils furent accueillis par l'obscurité, imprégnée d'une odeur fétide et nauséabonde qui fit reculer Oriken d'un pas. "Ou peut-être que non," dit-il avec un haussement d'épaules.

Sur la droite de la pièce vide et poussiéreuse se trouvait une entrée vers une deuxième pièce. Oriken s'y rendit et jeta un coup d'œil à l'intérieur. "Hmm."

Jalis s'arrêta au centre de la première pièce. "Qu'est-ce que tu vois ?"

Oriken clignait des yeux dans l'obscurité. Puis, il eut l'air décontenancé. "Oh."

"Par la Fosse, qu'est-ce que tu veux dire Oh ?" Dagra grommelait alors qu'il se réfugia derrière Jalis. "Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?"

"Des toiles d'araignée." Oriken se tourna vers un jeu de volets derrière lui et ouvrit celui de gauche, faisant ainsi pénétrer un peu de la lumière du soir.

Jalis ne pouvait apercevoir ce qu'Oriken voyait mais quand elle le vit sortir de la deuxième pièce, les yeux plissés et secouant la tête, elle sut qu'ils ne passeraient pas la nuit là.

"On devrait aller voir une autre maison," suggéra Oriken, un regard appuyé en direction de Dagra.

"Allez, sois pas une mauviette." Dagra passa devant lui.

"Euh, Dag, à ta place—"

Dagra entra dans la pièce et jeta un coup d’œil sur le côté. Un air horrifié envahit son visage et il recula contre le cadre de la porte. "Par les dieux de l’Au-Dessus et de l’En-Dessous !" Il s'éloigna en titubant et s’engouffra entre Oriken et Jalis pour disparaître par la porte d'entrée. "Bordel !" cria-t-il. "Tu aurais pu me prévenir !"

"J'ai essayé !"

"Le prévenir de quoi ?" demanda Jalis.

Oriken haussa les épaules. "Comme je l'avais dit, il y a des toiles partout. Je ne les ai vues qu'après avoir ouvert le volet. Il y en a sur le cadavre, ça le recouvre comme un linceul."

"Oriken ! Tu sais comment est Dagra avec ça !"

"Oh, oui ? Et moi alors ? Il y avait une grosse araignée qui rampait sur le visage du cadavre." Il s'éloigna en frissonnant. "Je déteste les araignées !"

"Et je déteste les surprises !" cria Dagra de l'extérieur.

Tout en souriant, Jalis jeta un coup d’œil dans la pièce adjacente. Son sourire s'évanouit quand elle aperçut un morceau de parchemin sur le bras de la chaise où le cadavre était affaissé. Elle s'en approcha et brossa les morceaux de toile qui y étaient accrochés, prit le papier et souffla la poussière accumulée dessus. Après avoir lu le morceau de papier, elle le replaça à côté du cadavre et regarda le visage desséché avec une touche de sympathie.

"Nous vous laissons en paix," dit-elle à voix basse. "Désolée de vous avoir dérangé." Elle quitta le bâtiment et observa ses compagnons qui se disputaient. "Vous savez," fit-elle remarquer, "j'ai parfois l'impression d'être une nourrice dans un orphelinat plutôt qu'une femme d'épée chez les Sabreus de la Guilde." Alors que les deux hommes marmonnaient leur désaccord, elle pointa la porte ouverte de son pouce par-dessus son épaule. "Ce gars-là est resté alors que tous ses voisins avaient décidé de partir. Il a refusé de se joindre à eux. Au lieu de cela, il est resté ici et est mort seul en toute dignité, ou du moins ce qu'il en croyait. C'est si triste de constater que quelqu'un se soucie plus de son petit lopin de terre que d'une meilleure chance de survivre ailleurs."

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