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Exhumation Du Roi Fae
« Votre fille viendra avec nous ! » informa un mâle à sa mère.
Le pire cauchemar de Maurelle se déroulait sous ses yeux. Pour la première fois de sa vie, elle aurait souhaité avoir accès à la technologie et posséder des appareils de communication pour appeler son père. En regardant le Fae aux cheveux auburn venu pour la récupérer, une seule pensée traversa l’esprit de Maurelle : courir.
Elle n’avait aucune idée d’où elle irait réellement si elle réussissait à s’enfuir. Tous les Fae avaient entendu des rumeurs sur le souterrain, mais elle ne savait pas où il se trouvait ou qui l’y emmènerait. En dehors de Bramble’s Edge et des établissements humains, le néant s’étendait à l’infini.
« Vous ne pouvez pas l’emmener. Elle est malade, elle ne peut pas aller à l’Académie maintenant », essaya de raisonner sa mère avec l’officier.
Nyx et Erlina se précipitèrent dans le couloir et s’arrêtèrent net en voyant les officiers. Leurs yeux vert pâle identiques croisèrent le regard de Maurelle qui trahissait la terreur qui l’habitait.
« Demi-tour, leur lâcha-t-elle en leur adressant un geste de la main.
— La maladie ne la dispense pas d’aller à l’Académie. Elle doit venir avec nous sur le champ ! » exigea le même officier.
Maurelle jeta sa tasse de thé en direction du mâle et partit dans le couloir. À son passage, Nyx et Erlina s’écartèrent de son chemin. Maurelle continua vers la chambre de ses parents, et saisit une paire de chaussures de sa mère.
Un cri lui fit tourner la tête juste à temps, ses sœurs se tenaient au milieu du couloir. Nyx perfectionna son regard de snobinarde attitré, croisa les bras sur sa poitrine et lança un regard noir. « Laisse ma sœur tranquille ! »
Maurelle avait ébauché un sourire en voyant Nyx placer ses mains pour relever ses seins vers l’avant. Cette technique de distraction échouait rarement, surtout avec les mâles Fae. Les Fae étaient une espèce lascive.
Ses parents de Maurelle n’avaient jamais évoqué le sujet avec elle, mais ils n’en avaient pas besoin. Son désir rageur lui suffisait pour comprendre l’importance du sexe dans sa vie. Nyx entamait cette étape, ce qui expliquait son impatience de déjeuner avec Alex.
Les exutoires sexuels adoucissaient les Fae et les aidaient à rester équilibrés. Maurelle suspectait que son manque de partenaires était responsable de sa maladie. Aucun exutoire ne parviendrait à rivaliser avec ces pouvoirs. Ils aidaient à se défouler.
Elle resta bouche bée en voyant l’indifférence de l’officier Fae devant les attraits de Nyx. Sans lui prêter la moindre attention, le mâle écarta sa sœur hors de son chemin. Maurelle se détourna de la fenêtre et jeta une chaussure à sa tête. Erlina commença à pleurer et s’appuya contre le mur en face de Nyx.
Avec tout ce mouvement, la tête de Maurelle palpitait, son estomac vacillait, la bile lui remontait dans la gorge. Elle se précipita vers le mâle. Elle entendait sa mère se disputer avec l’autre mâle dans le salon, mais elle devait se concentrer sur celui qui la poursuivait dans la chambre de ses parents.
Son visage affichait un regard furieux. Elle l’esquiva et courut de l’autre côté du grand lit pour le maintenir à distance. « Tu ne nous échapperas pas. Laisse tomber maintenant et tout se passera mieux pour toi. »
Elle secoua la tête et chercha un moyen de sortir de ce chaos. Si elle parvenait à atteindre la fenêtre, elle pourrait s’envoler. Elle doutait de ses capacités à tenir la distance avec le martèlement dans sa tête et son estomac détraqué, mais elle n’abandonnerait pas maintenant.
Le mâle s’accrocha à ses jambes, elle sauta et lâcha un cri sous la douleur intense. D’instinct, elle donna un coup de pied au Fae. Le spectacle devait paraître comique ! Ses bras se débattaient en l’air. Ses cheveux emmêlés virevoltaient autour de son visage.
Le pied de Maurelle percuta la tête du mâle. Elle se replia, continua son agression bâclée, et attrapa ses cheveux. Le bras du Fae s’écrasa contre sa poitrine et l’envoya voler à l’autre bout de la pièce.
Elle emboutit la commode avec une force qui dépassait tout ce qu’elle aurait cru possible. Sa main envoya les bibelots en verre de sa mère au sol dans un cliquetis bruyant. Au bruit et à la façon dont les petits objets se brisèrent sous l’impact avec le parquet, elle esquissa une grimace.
« Maurelle », cria Nyx.
Maurelle leva la tête pour voir le Fae sauter par-dessus le lit et atterrir à côté d’elle. Il passa la main dans son dos et sortit une boucle argentée. L’électricité jaillit de l’objet, sa bouche s’assécha aussitôt.
Son combat reprit quand elle commença à se tortiller et à jouer des coudes. Elle caressait l’espoir de lui casser le nez. Le bras du mâle autour de sa taille appuyait fort sur son ventre, elle craignait de vomir.
De sa main libre, il porta l’objet argenté à sa bouche et murmura un mot qui le fit vibrer. Sans qu’elle ait le temps de réaliser ce qui se passait, il l’avait frappée sur le côté. Le métal changea de forme et s’enroula à mi-torse.
Avec son sortilège, il avait espéré le verrouiller sur une autre partie de son corps. Ses ailes restaient libres, tout comme ses mains. Elle saisit le métal avec l’intention de retirer le dispositif d’attache.
À l’instant même où sa main agrippa l’objet, la chambre de ses parents et le Fae au-dessus d’elle disparurent. Comme chaque fois qu’elle utilisait ses pouvoirs, elle ne pouvait se concentrer sur rien. Cela dura pendant quelques secondes.
Sa vision s’éclaircissait ne laissant pour seul souvenir que l’impression générale gravée dans sa mémoire. Peu importe ce que l’autre côté toujours inconnu lui réservait, il avait éveillé une bonne dose de peur et de détermination.
Maurelle supposait qu’elle aurait dû prévoir la situation, tout bien considéré l’arme était maniée par un collecteur. Les collecteurs étaient peut-être Fae, mais elle réalisait très clairement qu’ils ne ressentaient pas la moindre empathie et masquaient toute identité individuelle.
Ses interrogations au sujet de l’Académie lui provoquaient déjà une angoisse insupportable. Elle refusait de voir sa personnalité s’effacer si profondément. Ses parents avaient souvent décrit leur séjour à l’université, mais elle avait la certitude que l’institution suivait une ligne directrice entièrement différente maintenant.
Lorsque le brouillard se dissipa dans son esprit, elle aperçut le plus beau mâle Fae qu’elle ait jamais vu. Sa longue période d’âpreté et son besoin sexuel accru sublimisaient-ils sa vision du mâle ?
Non, décida-t-elle en apercevant ses traits nets et ses magnifiques yeux vert profond, ses cheveux noirs en désordre, sa petite frange sur son front.
Son air de détermination faisait écho à son propre ressenti au moment où les policiers étaient apparus chez elle. Son cœur s’accéléra quand il grommela et s’envola dans les airs à toute vitesse. Elle voulait crier, l’avertir.
Les mains attachées, il ne pourrait pas parcourir de grandes distances. Le même dispositif d’attache étincelait autour de sa taille, elle réalisa qu’ils l’avaient utilisé sur lui en dernier.
Alors qu’il s’éloignait des Fae qui l’attaquaient, la gorge de Maurelle se serrait. S’il réussissait à s’échapper, alors l’appareil se détacherait d’elle. La trajectoire de son vol vacilla lorsqu’il regarda le mâle qui le poursuivait dans le ciel.
Quand l’océan apparut sous ses yeux, Maurelle retint son souffle. Ses parents lui avaient donné une description fidèle de l’Académie. Une végétation luxuriante ceinturait les grands bâtiments de pierre, des ronces d’un côté et l’océan à l’arrière.
La profusion d’étincelles l’obligea à détourner la tête. Son regard se déplaça à temps pour voir le mâle séduisant s’écraser contre une barrière invisible dans le ciel. Personne n’avait clairement expliqué à Maurelle ce qui se passerait si elle essayait de s’envoler. Elle savait tout simplement qu’elle le regretterait.
Elle contempla l’aile du beau Fae qui s’illuminait comme si la foudre l’avait frappée. En un éclair, il s’effondra au sol. Elle vomit à la vue de la scène. Elle regarda, les yeux grands ouverts. Son cœur se mit à battre la chamade quand il toucha le sol.
À son atterrissage, elle aurait juré que l’impact avait secoué la terre. Son aile était pliée derrière son dos et il saignait. La scène était effroyable, elle doutait que le mâle se remette un jour.
Avec deux officiers venus pour elle dans sa maison, Maurelle ne voulait pas se montrer si vulnérable. Elle força son esprit à quitter la vision et elle se concentra sur elle-même. Une pioche fendit sa tête et la bile remplit ses narines.
Elle parvenait à peine à ouvrir les yeux, comme s’ils restaient collés, les paupières fermées. Quand elle y parvint, le mâle aux cheveux auburn la soulevait du sol. Il la tenait par le col et par un bras.
Ses sœurs en larmes se blottissaient l’une contre l’autre. Maurelle bascula avec l’officier qui la tenait. Une fois sortie de ses visions, sa désorientation dura plus longtemps que la normale. Elle ne savait pas si cet égarement était provoqué par l’entrave ou par sa maladie.
Elle entendait sa mère supplier les collecteurs de la laisser partir, mais l’autre mâle refusait d’écouter. « Vas-tu coopérer maintenant ? »
Maurelle essaya de se libérer de la poigne de fer de l’officier sur son bras, mais la main figée sur le côté refusa de décoller et la rappela à l’ordre. Après un coup d’œil rapide, elle découvrit que les menottes s’incrustaient pratiquement à ses poignets.
« Non. Tu ne peux pas emmener ma fille », sanglota sa mère alors qu’il la traînait dans la maison. Elle se précipita vers le mâle qui tenait Maurelle. Le temps ralentit encore.
À la seconde où sa mère essaya de l’atteindre, l’autre mâle souleva un long bâton noir et lisse et frappa. Le bâton heurta son crâne avec un bruit sourd. Ses sœurs crièrent avec elle, la tête de leur mère vola sur le côté et son sang éclaboussa le mur.
« Qu’est-ce que tu as fait ? » aboya l’officier qui la tenait.
Ils nageaient tous en plein cauchemar, pensa Maurelle en regardant le corps meurtri de sa mère s’effondrer au sol. Son crâne en partie arraché, ses yeux bruns vides regardaient le néant.
« Maman », cria-t-elle. Son estomac se révoltait devant cette vision. Le thé qu’elle venait de boire remonta précipitamment, puis jaillit de sa bouche et de son nez. Maurelle essaya de voir si la poitrine de sa mère montait et descendait, mais elle fut hissée vers la porte avant de pouvoir établir un diagnostic.
« Allez chercher papa », cria-t-elle à ses sœurs. L’officier la poussait dans les escaliers. Le soleil brillant se moquait du chagrin qui crevait sa poitrine. Le Fae la conduisit vers un chariot, il la maintenait sur le ventre. Puis il pressa un disque contre le dos de sa manille et les chaînes tombèrent avec un son mat. Elle devait absolument se procurer une clé pour les menottes.
Rapidement, elle se remit debout et essaya de se précipiter pour rejoindre son père. Alors que la porte se refermait derrière elle, Maurelle regarda en arrière et vit ses sœurs blotties dans l’embrasure de porte de l’appartement qu’elles appelaient leur « maison ». Elle devait nager en plein cauchemar.
Son cœur se brisa en un million de morceaux, elle donna un coup de pied dans les barreaux qui la séparaient de ses sœurs. Elle ne pourrait pas réconforter son père ou l’aider à apaiser Nyx ou Erlina.
Ses doigts agrippèrent les barreaux. Elle hurlait vers qui voulait l’entendre pendant que les collecteurs la transportaient. Pour la première fois depuis la manifestation de ses pouvoirs, elle ne se trouvait pas projetée dans une vision.
La réalité de la vie avait l’ascendant sur son âme battue et refusait de lâcher prise. Ils avaient impitoyablement tué sa mère parce qu’elle s’opposait à envoyer Maurelle dans leur stupide académie. Comment pouvait-elle continuer quand sa douce et aimante mère était partie ? Elle n’avait même pas pu lui dire au revoir ni aider à envoyer son esprit vers l’au-delà.
Elle ne devrait pas se montrer aussi surprise compte tenu de la torture dont elle avait été témoin dans sa dernière vision. Quiconque permettait de pareilles horreurs se moquait éperdument des blessures causées par l’exercice de leur domination et de leur pouvoir.
CHAPITRE III
L’inflammation à l’épaule de Ryker provoqua une agonie atroce pendant qu’il scannait les images lumineuses sur la table devant lui. Il ne pouvait pas soulever son mauvais bras sans provoquer une douleur atroce. Depuis qu’il avait repris connaissance à l’infirmerie de l’Académie, il vivait bien mieux qu’il ne l’avait espéré.
Il trouvait réconfortant de voir que les humains n’avaient pas commencé un procédé diabolique dès sa première seconde à l’académie. Honnêtement, il était surpris de voir à quel point tout semblait normal. Dans leur jeune âge, tous les enfants Fae fréquentaient l’école pendant plusieurs années. Ils y apprenaient à lire, à écrire et ils découvraient tout ce qu’on enseigne à l’école.
Historiquement parlant, l’Académie de Bramble’s Edge aidait les Fae à affiner leurs pouvoirs tandis qu’ils devenaient de jeunes adultes. Elle mettait l’accent sur le contrôle des capacités de chacun plutôt que sur l’éducation formelle. L’apprentissage de la maîtrise des pouvoirs représentait peut-être réellement son seul objectif maintenant.
Rien de suspect ou d’infâme ne s’était produit depuis son arrivée. Ryker se sentait contraint de remettre en question ce qu’il avait entendu dire pendant son enfance, en particulier les propos de sa mère. Elle lui avait décrit les humains comme des créatures maléfiques déterminées à garder le contrôle de leur royaume.
En réalité, les Fae qui dirigeaient l’école n’assuraient peut-être pas de missions pour les humains. À en juger par la façon dont ils le traitaient, il ne pouvait s’empêcher d’envisager cette probabilité. Le guérisseur avait passé plusieurs jours à réparer son aile centimètre par centimètre, afin qu’il puisse finalement voler à nouveau.
Si l’Académie voulait le contrôler, l’asservir en esclavage, personne n’aurait pris autant de soin à guérir ses blessures. Il revoyait sa mère lui conseiller de ne faire confiance à personne, de garder la tête baissée et de rester loin des projecteurs.
Il accomplirait son temps à l’Académie sans se faire remarquer. Voilà son plan ! Il devrait se soumettre à une évaluation pour déterminer ses capacités et la source de son affinité. Un de ses camarades de dortoir appartenait à la ligue Fae de la terre, un autre à la ligue de l’eau, et un troisième avait révélé une affinité pour deux éléments.
Ryker trouvait ça inouï ! D’après ses connaissances, seuls de rares Fae s’alignaient sur plusieurs éléments, et lorsque cela arrivait généralement ces éléments se complétaient. Sans savoir pourquoi, il espérait maîtriser plusieurs éléments.
Il n’avait pourtant aucune idée des implications pratiques qui en découleraient pour lui. D’après Sol, il devrait assister à des séminaires et à des séances d’entraînement supplémentaires. Ryker aimait avoir du temps libre pour jouer à la balle au cerceau. Sol quant à lui se montrait très occupé en ce moment.
Ryker choisit sa nourriture, se tourna et scruta le réfectoire. Il n’avait jamais vu un endroit comme l’Académie de Bramble’s Edge. La taille des dortoirs dépassait largement celle de l’appartement qu’il partageait avec sa mère, et la cafétéria était immense. D’innombrables tables et tabourets remplissaient la pièce. Les Fae n’étaient pas autorisés à utiliser la technologie. Il fut donc surpris d’avoir recours à des images sur la table pour commander leur nourriture. Chaque fois qu’il touchait le bouton, il ressentait un picotement spécifique.
Ses camarades de dortoir lui avaient expliqué que les sélections du menu leur étaient apportées rapidement après avoir touché le bouton marqué du logo de l’école correspondant. Ryker avait toujours aimé le symbole de l’Académie. Ces lettres « BE » entourées par le buisson de ronces épineuses se connectaient à son âme. Tout dans l’Edge suscitait ses émotions intérieures.
Après les encouragements de sa mère à fuir avant d’être recueilli, Ryker s’attendait à tout détester de l’Académie. Mais non, il ne détestait pas tout. En fait, il aimait même de nombreux aspects de l’établissement. Les murs de pierre des vieux bâtiments imprégnés de magie Fae semblaient l’accueillir avec joie. Oui, il réalisait que sa pensée était folle, mais il ne pouvait pas résister à son ressenti.
Les salles de classe et les champs d’entraînement étaient aussi extrêmement différents de son ancienne école. Ils disposaient de larges espaces pour s’entraîner et apprendre, des étendues largement supérieures. Dans son enfance, il allait dans une petite maison d’éducation qui desservait uniquement les complexes d’appartements de sa rue. Les locaux de son école primaire se situaient au deuxième étage au-dessus de la boulangerie et ils déjeunaient dans leurs salles de classe.
La nourriture à l’Académie rivalisait également avec les recettes de sa mère. Elle n’était peut-être pas la meilleure cuisinière de l’Edge, mais elle s’en rapprochait terriblement. La vaste sélection comprenait toujours un ragoût quelconque, parfait pour leur climat froid.
À Mag Mell, le temps était rarement chaud et il pleuvait fréquemment, alors Ryker préférait manger des repas copieux. Dans l’Edge, ils trouvaient difficilement des fruits et des légumes frais, mais l’Académie ne semblait pas avoir ce problème.
Ryker ne savait pas trop à quoi s’attendre la première fois qu’il avait pu quitter l’infirmerie pour prendre un repas dans le réfectoire. Il n’avait pas imaginé les dizaines de choix alimentaires qui se présenteraient à lui, son régime pendant son séjour à l’infirmerie le nourrissait certes, mais il restait insipide.
Il repensait à la manière dont sa mère décrivait les horreurs de l’Académie et s’attendait à recevoir une nourriture mystérieuse et sans choix. Cet environnement ne cadrait décidément pas avec sa conception préconçue du lieu.
De vraies plantes vivantes ornaient les coins de la pièce. Des fenêtres du sol au plafond leur offraient une vue sur l’océan au loin. La vue elle-même dégageait la sérénité.
Le lieu était tellement magique. Comment pouvait-il se trouver au mauvais endroit ?
Ryker leva les yeux lorsque Sol et Brokk s’approchèrent de sa table. Son troisième colocataire, Dain était déjà assis à table avec lui.
« Tu as déjà reçu un avis pour ton évaluation ? » demanda Sol.
Ryker secoua la tête et remercia le lutin qui lui apportait son repas. « Je n’ai encore rien reçu. Ils m’accordent peut-être plus de temps pour récupérer. »
Brokk lança à Sol un regard que Ryker ne comprit pas. « D’ailleurs, comment va ton aile ? »
Ryker tendit le muscle qui contrôlait son aile et elle se propulsa par-dessus son épaule. Il ne parvint pas à dissimuler la grimace provoquée par le mouvement.
« Elle n’est pas encore tout à fait remise. Mais grâce au guérisseur, elle va beaucoup mieux.
— Je n’en reviens pas que tu aies essayé de t’envoler avec les mains attachées par des chaînes, marmonna Sol en secouant tristement la tête.
— Pourquoi as-tu pris un tel risque ? Tu détestes autant l’école ? »
Ryker ressentit des picotements sur sa peau, le premier signe que quelque chose ne tournait pas rond. La question frôlait l’innocence, mais tous les Fae de l’Edge savaient consciemment en quoi consistait l’Académie. Personne ne voulait y assister.
La croyance commune disait qu’ils leur lavaient le cerveau et les transformaient en esclaves pour les humains. Il se souvenait des histoires racontées par ses amis. Tous avaient entendu des horreurs sur ce qui se passait derrière l’enceinte grillagée de l’école.
Les rumeurs disaient qu’ils aspiraient la magie des corps des Fae pour la mettre en bouteille, prête pour la consommation humaine. Ryker ne croyait absolument pas à ces clabaudages. S’ils étaient réels, toute trace de vie disparaîtrait des bâtiments. Et, les individus dans le réfectoire ne parleraient pas entre eux. Ils resteraient assis là avec des expressions figées.
Si les caractéristiques Fae de Ryker étaient retirées de son corps, il imaginait qu’il resterait entièrement vide. Pouvait-il accorder une confiance sans borne à ces mâles ? Voilà, la vraie question qui lui traversait l’esprit. Il était trop tôt pour lui. Il ne les connaissait pas bien.
Que se passerait-il s’il avouait la vérité à Sol ? Ryker ne voulait nullement risquer la sécurité de sa mère. Heureusement, elle avait gardé la bouche fermée après l’arrivée des policiers, donc rien ne l’impliquait dans sa tentative d’évasion.
« Dégage ! » résonna une voix féminine dans la cafétéria. Les regards se tournèrent vers les doubles portes ouvertes à l’autre bout de la pièce.
Ryker resta bouche bée devant la silhouette agile qui se contorsionnait dans les bras d’un mâle. Ryker venait à peine d’arriver, il ne connaissait ni le nom du mâle ni son rôle dans l’école. Les cheveux roses de la femelle s’emmêlaient. Elle se contorsionnait dans ses bras. Elle luttait pour essayer de se libérer.
Au début, il ne put rien voir d’autre. Lorsque son visage se tourna, Ryker remarqua qu’elle rougissait, mais pas d’embarras. Elle se déchaînait comme l’enfer. Il la regardait, et il voyait une tempête sur l’océan. Le feu provocateur qui flamboyait dans ses yeux gris brillait. Mais il détectait aussi une autre énergie derrière sa rage.
Il ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur son histoire. Contrairement aux autres étudiants, elle était arrivée au réfectoire avec un pantalon ample en coton et un débardeur froissé. Ryker pencha la tête, il remarqua qu’elle ne portait rien aux pieds. Plutôt inhabituel !
En une fraction de seconde, la femelle avait donné un coup de pied au Fae sur sa droite. Ryker grimaça et plaça sa main sur son aine tandis que le pied de la femelle se connectait pile entre les jambes du gardien. Tous les mâles dans la pièce furent pris de sympathie. Un seul coup à cet endroit suffisait pour se souvenir à jamais de la douleur provoquée.
Elle se mit en mouvement à l’instant suivant. Ses doigts étirés ratissaient le visage de l’autre mâle. « Maurelle », aboya une femelle plus âgée.
La femelle en colère s’arrêta et leva les yeux. Il réalisa que la femelle sous les cheveux roses s’appelait Maurelle. Il ne put s’empêcher de remarquer sa poitrine qui se soulevait. Des larmes coulèrent dans ses yeux alors qu’elle s’arrêtait et regardait la vieille Fae.
« Qui est-ce ? » chuchota Ryker. Il ne voulait pas attirer l’attention sur lui, mais il désirait savoir pourquoi la femelle avait cessé de se battre. Une légère sensation de picotement filtrait dans l’air et obligea Ryker à serrer les dents.
« C’est la directrice Gullvieg. Elle est sûrement la Fae la plus puissante de Bramble’s Edge en matière de manipulation mentale, répondit Sol.
— Tu vas me tuer aussi, maintenant ? » cracha Maurelle.
Elle rejeta son buste en arrière pour déloger la main sur son épaule.
À sa question, une certaine tension emplit la pièce. Ryker attendait toujours que quelqu’un empêche Maurelle de contester l’autorité de Gullvieg, mais rien ne se produisait. La directrice plissa les yeux et s’approcha de la femelle énervée.
« J’attendais ton arrivée, ainsi que toute l’Académie, pour prononcer mon discours de bienvenue. Commande ta nourriture et va prendre place », suggéra la directrice. Le ton vif utilisé pour prononcer le nom de Maurelle un instant auparavant avait disparu. Elle aurait aussi bien pu parler de la météo, pensa Ryker. Rien n’indiquait que Maurelle l’avait énervée.
Les deux mâles se tenaient de chaque côté de Maurelle, et la stressaient. Avant même que Ryker ne s’en rende compte, il se leva. La main de Brokk sur son avant-bras l’empêcha d’aller au secours de la femelle.
Après avoir lancé aux mâles un foudroyant « regard-qui-tue », Maurelle leva le menton et traversa la pièce. Son regard croisa celui de Ryker. Il dut s’efforcer pour dissimuler sa réaction.
Il la trouvait belle. Son visage étroit contrastait singulièrement avec les rondeurs de sa silhouette. Elle était grande. Mais elle n’avait pas le corps droit comme un bâton typique d’une Fae. Le débardeur se resserrait sur ses seins plus généreux que la moyenne, et ses hanches se balançaient à chaque pas.