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Valentine
– Parbleu, monsieur Joseph! lui dit-il, je suis fort aise de vous avoir rencontré. J'avais précisément à vous communiquer une affaire intéressante pour vous.
Joseph ouvrit deux larges oreilles, de ces oreilles de laquais, profondes, mobiles, habiles à saisir, vigilantes à conserver; de ces oreilles où rien ne se perd, où tout se retrouve.
– M. le chevalier de Trigaud, continua Bénédict, ce gentilhomme campagnard qui demeure à trois lieues d'ici, et qui fait un si énorme massacre de lièvres et de perdrix qu'on n'en trouve plus là où il a passé, me disait avant-hier (nous venions précisément de tuer dans les buissons une vingtaine de cailles vertes; car le bon chevalier est braconnier comme un garde-chasse), il disait donc avant hier qu'il serait bien aise d'avoir un homme intelligent comme vous à son service…
– M. le chevalier de Trigaud a dit cela? repartit l'auditeur ému.
– Sans doute, reprit Bénédict. C'est un homme riche, libéral, insouciant, ne se mêlant de rien, n'aimant que la chasse et la table, sévère à ses chiens, doux à ses serviteurs, ennemi des embarras domestiques, volé depuis qu'il est au monde, volable s'il en fut. Une personne qui aurait, comme vous, reçu une certaine instruction, qui tiendrait ses comptes, qui réformerait les abus de sa maison, et qui ne le contrarierait pas au sortir de table, pourrait à jeun obtenir tout de son humeur facile, régner en prince chez lui, et gagner quatre fois autant que chez madame la comtesse de Raimbault. Or, tous ces avantages sont à votre disposition, monsieur Joseph, si vous voulez, de ce pas, aller vous présenter au chevalier.
– J'y vais au plus vite! s'écria Joseph, qui connaissait fort bien la place et qui la savait bonne.
– Un instant! dit Bénédict. Il faudra vous rappeler que, grâce à mon goût pour la chasse et à la morale bien connue de ma famille, ce bon chevalier nous témoigne à tous une amitié vraiment extraordinaire, et que quiconque aurait le malheur de me déplaire ou de rendre un mauvais office à quelqu'un des miens ne pourrirait pas sur le seuil de sa maison.
Le ton dont ces paroles furent prononcées les rendit très-intelligibles pour Joseph. Il rentra au château, rassura complètement la comtesse, eut l'adresse de se faire donner les cent francs de gratification pour son zèle et ses peines, et sauva Valentine de l'interrogatoire terrible que sa mère lui réservait. Huit jours après il entra au service du chevalier de Trigaud, qu'il ne vola pas (il avait trop d'esprit et son maître était trop bête pour qu'il s'en donnât la peine), mais qu'il pilla comme un pays conquis.
Dans son désir de ne pas manquer une si excellente aubaine, il avait poussé l'adresse et le dévouement aux intentions de Bénédict jusqu'à donner de faux renseignements à la comtesse sur la résidence de Louise. En trois jours il lui avait improvisé un voyage et un départ dont madame de Raimbault avait été la dupe. Il avait réussi encore à ne pas perdre sa confiance en quittant son service. Il s'était fait octroyer de bon gré la permission de changer de maître, et madame de Raimbault ne pensa bientôt plus à lui ni à ses révélations antérieures. La marquise, qui aimait Louise plus peut-être qu'elle n'avait aimé personne, questionna Valentine. Mais celle-ci connaissait trop le caractère faible et la légèreté de sa grand'mère pour confier à son impuissante affection un secret de si haute importance. M. de Lansac était parti, les trois femmes étaient fixées à Raimbault, où le mariage devait se conclure dans un mois. Louise, qui ne se fiait peut-être pas autant que Valentine aux bonnes intentions de M. de Lansac, résolut de mettre à profit ce temps, où elle était à peu près libre, pour la voir souvent; et trois jours après la Journée du 1er mai, Bénédict, chargé d'une lettre, se présenta au château.
Hautain et fier, il n'avait jamais voulu s'y présenter pour traiter d'aucune affaire au nom de son oncle; mais pour Louise, pour Valentine, pour ces deux femmes qu'il ne savait comment qualifier dans son affection, il se faisait une sorte de gloire d'aller affronter les regards dédaigneux de la comtesse et les affabilités insolentes de la marquise. Il profita d'un jour chaud qui devait confiner Valentine chez elle, et, s'étant muni d'une carnassière bien remplie de gibier, ayant pris pour vêtement une blouse, un chapeau de paille et des guêtres, il partit ainsi équipé en chasseur villageois, certain que ce costume choquerait moins les yeux de la comtesse que ne le ferait un extérieur plus soigné.
Valentine écrivait dans sa chambre. Je ne sais quelle attente vague faisait trembler sa main; tout en traçant des lignes destinées à sa sœur, il lui semblait que le messager qui devait s'en charger n'était pas loin. Le moindre bruit dans la campagne, le trot d'un cheval, la voix d'un chien la faisait tressaillir; elle se levait et courait à la fenêtre; appelant dans son cœur Louise et Bénédict; car Bénédict, ce n'était pour elle, du moins elle le croyait ainsi, qu'une partie de sa sœur détachée vers elle.
Comme elle commençait à se lasser de cette émotion involontaire et cherchait à en distraire sa pensée, cette voix si belle et si pure, cette voix de Bénédict, qu'elle avait entendue la nuit sur les bords de l'Indre, vint de nouveau charmer son oreille. La plume tomba de ses doigts; elle écouta, ravie, ce chant naïf et simple qui avait tant d'empire sur ses nerfs. La voix de Bénédict partait d'un sentier qui tournait en dehors du parc sur une colline assez rapide. Le chanteur, se trouvant élevé au-dessus des jardins, pouvait faire entendre distinctement ces vers de sa chanson villageoise, qui renfermaient peut-être un avertissement pour Valentine:
Bergère Solange, écoutez. L'alouette aux champs vous appelle.
Valentine était assez romanesque; elle ne pensait pas l'être parce que son cœur vierge n'avait pas encore conçu l'amour. Mais lorsqu'elle croyait pouvoir s'abandonner sans réserve à un sentiment pur et honnête, sa jeune tête ne se défendait point d'aimer tout ce qui ressemblait à une aventure. Élevée sous des regards si rigides, dans une atmosphère d'usages si froids et si guindés, elle avait si peu joui de la fraîcheur et de la poésie de son âge!
Collée au store de sa fenêtre, elle vit bientôt Bénédict descendre le sentier. Bénédict n'était pas beau; mais sa taille était remarquablement élégante. Son costume rustique, qu'il portait un peu théâtralement, sa marche légère et assurée sur le bord du ravin, son grand chien blanc tacheté qui bondissait devant lui, et surtout son chant, assez flatteur et assez puissant pour suppléer chez lui à la beauté du visage, toute cette apparition dans une scène champêtre qui, par les soins de l'art, spoliateur de la nature, ressemblait assez à un décor d'opéra, c'était de quoi émouvoir un jeune cerveau, et donner je ne sais quel accessoire de coquetterie au prix de la missive.
Valentine fut bien tentée de s'enfoncer dans le parc, d'aller ouvrir une petite porte qui donnait sur le sentier, de tendre une main avide vers la lettre qu'elle croyait déjà voir dans celle de Bénédict. Tout cela était assez imprudent. Une pensée plus louable que celle du danger la retint: ce fut la crainte de désobéir deux fois en allant au-devant d'une aventure qu'elle ne pouvait pas repousser.
Elle résolut donc d'attendre un nouvel avertissement pour descendre, et bientôt une grande rumeur de chiens animés les uns contre les autres fit glapir tous les échos du préau. C'était Bénédict qui avait mis le sien aux prises avec ceux de la maison, afin d'annoncer son arrivée de la manière la plus bruyante possible.
Valentine descendit aussitôt; son instinct lui fit deviner que Bénédict se présenterait de préférence à la marquise, comme étant la plus abordable. Elle rejoignit donc sa grand'mère, qui avait coutume de faire la sieste sur le canapé du salon, et, après l'avoir doucement éveillée, elle prit un prétexte pour s'asseoir à ses côtés.
Au bout de quelques minutes, un domestique vint annoncer que le neveu de M. Lhéry demandait à présenter son respect et son gibier à la marquise.
– Je me passerais bien de son respect, répondit la vieille folle, mais que son gibier soit le bienvenu. Faites entrer.
DEUXIÈME PARTIE
X
En voyant paraître ce jeune homme dont elle se savait complice et qu'elle allait encourager, sous les yeux de sa grand'mère, à lui remettre un secret message, Valentine eut un remords. Elle sentit qu'elle rougissait, et le pourpre de ses joues alla se refléter sur celles de Bénédict.
– Ah! c'est toi, mon garçon! dit la marquise qui étalait sur le sofa sa jambe courte et replète avec des grâces du temps de Louis XV. Sois le bienvenu. Comment va-t-on à la ferme? Et cette bonne mère Lhéry? et cette jolie petite cousine? et tout le monde?
Puis, sans se soucier de la réponse, elle enfonça la main dans la carnassière que Bénédict détachait de son épaule.
– Ah! vraiment, c'est fort beau, ce gibier-là! Est-ce toi qui l'as tué? On dit que tu laisses un peu braconner le Trigaud sur nos terres? Mais voilà de quoi te faire absoudre…
– Ceci, dit Bénédict en tirant de son sein une petite mésange vivante, je l'ai prise au filet par hasard. Comme elle est d'une espèce rare, j'ai pensé que mademoiselle, qui s'occupe d'histoire naturelle, la joindrait à sa collection.
Et, tout en remettant le petit oiseau à Valentine, il affecta d'avoir beaucoup de peine à le glisser dans ses doigts sans le laisser échapper. Il profita de ce moment pour lui remettre la lettre. Valentine s'approcha d'une fenêtre, comme pour examiner l'oiseau de près, et cacha le papier dans sa poche.
– Mais tu dois avoir bien chaud, mon cher? dit la marquise. Va donc te désaltérer à l'office.
Valentine vit le sourire de dédain qui effleurait les lèvres de Bénédict.
– Monsieur aimerait peut-être mieux, dit-elle vivement, prendre un verre d'eau de grenades?
Et elle souleva la carafe qui était sur un guéridon derrière sa grand'mère, pour en verser elle-même à son hôte. Bénédict la remercia d'un regard, et, passant derrière le dossier du sofa, il accepta, heureux de toucher le verre de cristal que la blanche main de Valentine lui offrit.
La marquise eut une petite quinte de toux pendant laquelle il dit vivement à Valentine:
– Que faudra-t-il répondre de votre part à la demande contenue dans cette lettre?
– Quoi que ce soit, oui, répondit Valentine, effrayée de tant d'audace.
Bénédict promenait un regard grave sur ce salon élégant et spacieux, sur ces glaces limpides, sur ces parquets luisants, sur mille recherches de luxe dont l'usage même était ignoré encore à la ferme. Ce n'était pas la première fois qu'il pénétrait dans la demeure du riche, et son cœur était loin de se prendre d'envie pour tous ces hochets de la fortune, comme eût fait celui d'Athénaïs. Mais il ne pouvait s'empêcher de faire une remarque qui n'avait pas encore pénétré chez lui si avant; c'est que la société avait mis entre lui et mademoiselle de Raimbault des obstacles immenses.
«Heureusement, se disait-il, je puis braver le danger de la voir sans en souffrir. Jamais je ne serai amoureux d'elle.»
– Eh, bien! ma fille, veux-tu te mettre au piano, et continuer cette romance que tu m'avais commencée tout à l'heure?
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