bannerbanner
Valentine
Valentine

Полная версия

Valentine

Язык: Французский
Добавлена:
Настройки чтения
Размер шрифта
Высота строк
Поля
На страницу:
5 из 6

– C'est donc toi? s'écria Louise, toi que j'ai si longtemps rêvée?

– C'est donc vous? s'écria Valentine, vous qui m'aimez encore!

– Pourquoi ce vous? dit Louise; ne sommes-nous pas sœurs?

– Oh! c'est que vous êtes ma mère aussi! répondit Valentine. Allez, je n'ai rien oublié! Vous êtes encore présente à ma mémoire comme si c'était hier; je vous aurais reconnue entre mille. Oh! oui, c'est vous, c'est bien vous! Voilà vos grands cheveux bruns dont je crois voir encore les bandeaux sur votre front; voilà vos petites mains blanches et menues, voilà votre teint pâle. C'est ainsi que je vous rêvais.

– Oh! Valentine! ma Valentine! écarte donc ce rideau, que je te voie aussi. Ils m'avaient bien dit que tu étais belle! mais tu l'es cent fois plus qu'ils n'ont pu l'exprimer. Tu es toujours blonde, toujours blanche; voilà tes yeux bleus si doux, ton sourire si caressant! C'est moi qui t'ai élevée, Valentine, tu t'en souviens! C'est moi qui préservais ton teint du hâle et des gerçures; c'est moi qui prenais soin de tes cheveux et qui les roulais chaque jour en spirales dorées; c'est à moi que tu dois d'être restée si belle, Valentine; car ta mère ne s'occupait guère de toi; moi seule je veillais sur tous tes instants…

– Oh! je le sais, je le sais! Je me rappelle encore les chansons avec lesquelles vous m'endormiez; je me souviens qu'à mon réveil je trouvais toujours votre visage penché vers le mien. Oh! comme je vous ai pleurée, Louise! Comme j'ai été longtemps sans savoir me passer de vous! Comme je repoussais les soins des autres femmes! Ma mère ne m'a jamais pardonné l'espèce de haine que je lui témoignais alors, parce que ma nourrice m'avait dit: «Ta pauvre sœur s'en va, c'est ta mère qui la chasse.» Oh! Louise! Louise! vous m'êtes enfin rendue!

– Et nous ne nous séparerons plus, n'est-ce pas? s'écria Louise; nous trouverons le moyen de nous voir souvent, de nous écrire. Tu ne te laisseras pas effrayer par les menaces; nous ne redeviendrons jamais étrangères l'une à l'autre?

– Est-ce que nous l'avons jamais été! répondit-elle; est-ce que cela est au pouvoir de quelqu'un! Tu me connais bien mal, Louise, si tu crois que l'on pourra te bannir de mon cœur quand on ne l'a pas pu même dès les jours de ma faible enfance. Mais, sois tranquille, nos maux sont finis. Dans un mois je serai mariée; j'épouse un homme doux, sensible, raisonnable, à qui j'ai parlé de toi souvent, qui approuve ma tendresse, et qui me permettra de vivre auprès de toi. Alors, Louise, tu n'auras plus de chagrin, n'est-ce pas? tu oublieras tes malheurs en les répandant dans mon sein. Tu élèveras mes enfants si j'ai le bonheur d'être mère; nous croirons revivre en eux… Je sécherai toutes tes larmes, je consacrerai ma vie à réparer toutes les souffrances de la tienne.

– Sublime enfant, cœur d'ange! dit Louise en pleurant de joie; ce jour les efface toutes. Va, je ne me plaindrai pas du sort qui m'a donné un tel instant de joie ineffable! N'as-tu pas adouci déjà pour moi les années d'exil? Tiens, vois! dit-elle en prenant sous son chevet un petit paquet soigneusement enveloppé d'un carré de velours, reconnais-tu ces quatre lettres? C'est toi qui me les as écrites à diverses époques de notre séparation. J'étais en Italie quand j'ai reçu celle-ci; tu n'avais pas dix ans.

– Oh! je m'en souviens bien! dit Valentine; j'ai les vôtres aussi. Je les ai tant relues, tant baignées de mes larmes! Celle-là, tenez, je vous l'ai écrite du couvent. Comme j'ai tremblé, comme j'ai tressailli de peur et de joie, quand une femme que je ne connaissais pas me remit la vôtre au parloir! Elle me la glissa avec un signe d'intelligence, en me donnant des friandises qu'elle feignait d'apporter de la part de ma grand'mère. Et quand, deux ans après, étant aux environs de Paris, j'aperçus contre la grille du jardin, une femme qui avait l'air de demander l'aumône, quoique je ne l'eusse vue qu'une seule fois, qu'un seul instant, je la reconnus tout de suite. Je lui dis: «Vous avez une lettre pour moi? – Oui, me dit-elle, et je viendrai chercher la réponse demain.» Alors je courus m'enfermer dans ma chambre; mais on m'appela, on me surveilla tout le reste de la journée. Le soir, ma gouvernante resta auprès de mon lit à travailler jusqu'à près de minuit. Il fallut que je feignisse de dormir tout ce temps; et quand elle me laissa pour passer dans sa chambre, elle emporta la lumière. Avec combien de peine et de précautions je parvins à me procurer une allumette, un flambeau, et tout ce qu'il fallait pour écrire, sans faire de bruit, sans éveiller ma surveillante! J'y réussis cependant; mais je laissai tomber quelques gouttes d'encre sur mon drap, et le lendemain je fus questionnée, menacée, grondée! Avec quelle impudence je sus mentir! comme je subis de bon cœur la pénitence qui me fût infligée! La vieille femme revint et demanda à me vendre un petit chevreau. Je lui remis la lettre, et j'élevai la chèvre. Quoi qu'elle ne vînt pas directement de vous, je l'aimais à cause de vous. Ô Louise! je vous dois peut-être de n'avoir pas un mauvais cœur; on a tâché de dessécher le mien de bonne heure; on a tout fait pour éteindre le germe de ma sensibilité; mais votre image chérie, vos tendres caresses, votre bonté pour moi, avaient laissé dans ma mémoire des traces ineffaçables. Vos lettres vinrent réveiller en moi le sentiment de reconnaissance que vous y aviez laissé; ces quatre lettres marquèrent quatre époques bien senties dans ma vie; chacune d'elles m'inspira plus fortement la volonté d'être bonne, la haine de l'intolérance, le mépris des préjugés, et j'ose dire que chacune d'elles marqua un progrès dans mon existence morale. Louise, ma sœur, c'est vous qui réellement m'avez élevée jusqu'à ce jour.

– Tu es un ange de candeur et de vertu, s'écria Louise; c'est moi qui devrais être à tes genoux…

– Eh! vite, cria la voix de Bénédict au bas de l'escalier! séparez-vous! Mademoiselle de Raimbault, M. de Lansac vous cherche.

VIII

Valentine s'élança hors de la chambre. L'arrivée de M. de Lansac était pour elle un incident agréable; elle voulait lui faire prendre part à son bonheur; mais, à son grand déplaisir, Bénédict lui apprit qu'il l'avait dérouté en lui répondant qu'il n'avait pas entendu parler de mademoiselle de Raimbault depuis la fête. Bénédict s'excusa en disant qu'il ne savait pas quelles étaient les dispositions de M. de Lansac à l'égard de Louise. Mais au fond du cœur il avait éprouvé je ne sais quelle joie maligne à envoyer ce pauvre fiancé courir les champs au milieu de la nuit, tandis que lui, Bénédict, tenait la fiancée sous sa garde.

– Ce mensonge est peut-être maladroit, lui dit-il; mais je l'ai fait dans de bonnes intentions, et il n'est plus temps de le rétracter. Permettez-moi, Mademoiselle, de vous engager à retourner au château tout de suite; je vous accompagnerai jusqu'à la porte du parc, et vous direz qu'après vous avoir égaré le hasard vous a fait retrouver votre chemin toute seule.

– Sans doute, répondit Valentine troublée: c'est ce qu'il y a de moins inconvenant à faire, après avoir trompé et renvoyé M. de Lansac. Mais si nous le rencontrons?

– Je dirai, reprit vivement Bénédict, que, prenant part à sa peine, je suis monté à cheval pour l'aider à vous retrouver, et que la fortune m'a mieux servi que lui.

Valentine était bien un peu tourmentée de toutes les conséquences de cette aventure; mais, après tout, il n'était guère en son pouvoir de s'en occuper. Louise avait jeté une pelisse sur ses épaules, et elle était descendue avec elle dans la salle. Là, saisissant le flambeau que Bénédict avait à la main, elle l'approcha du visage de sa sœur pour la bien voir, et l'ayant contemplée avec ravissement:

– Mon Dieu! s'écria-t-elle avec enthousiasme en s'adressant à Bénédict, voyez donc comme est belle, ma Valentine!

Valentine rougit, et Bénédict plus qu'elle encore. Louise était trop livrée à sa joie pour deviner leur embarras. Elle la couvrit de caresses; et quand Bénédict voulut l'arracher de ses bras, elle accabla ce dernier de reproches. Mais, passant subitement à un sentiment plus juste, elle se jeta avec effusion au cou de son jeune ami, en lui disant que tout son sang ne paierait pas le bonheur qu'il venait de lui donner.

– Pour votre récompense, ajouta-t-elle, je vais la prier de faire comme moi; veux-tu, Valentine, donner aussi un baiser de sœur à ce pauvre Bénédict, qui, se trouvant seul avec toi, s'est souvenu de Louise?

– Mais, dit Valentine en rougissant, ce sera donc pour la seconde fois aujourd'hui?

– Et pour la dernière de ma vie, dit Bénédict en ployant un genou devant la jeune comtesse. Que celui-ci efface toute la souffrance que j'ai partagée en obtenant le premier malgré vous.

La belle Valentine reprit sa sérénité; mais, avec une noble pudeur sur le front, elle leva les yeux au ciel.

– Dieu m'est témoin, dit-elle, que du fond de mon âme je vous donne cette marque de la plus pure estime; et, se penchant vers le jeune homme, elle déposa légèrement sur son front un baiser qu'il n'osa pas même lui rendre sur la main. Il se releva pénétré d'un indicible sentiment de respect et d'orgueil. Il n'avait pas connu de recueillement si suave, d'émotion si douce, depuis le jour où, jeune villageois crédule et pieux, il avait fait sa première communion, dans un beau jour de printemps, au parfum de l'encens et des fleurs effeuillées.

Ils retournèrent par le chemin d'où ils étaient venus, et cette fois Bénédict se sentit entièrement calme auprès de Valentine. Ce baiser avait formé entre eux un lien sacré de fraternité. Ils s'établirent dans une confiance réciproque, et, lorsqu'ils se quittèrent à l'entrée du parc, Bénédict promit d'aller bientôt porter à Raimbault des nouvelles de Louise.

– J'ose à peine vous en prier, répondit Valentine, et pourtant je le désire bien vivement. Mais ma mère est si sévère dans ses préjugés!

– Je saurai braver toutes les humiliations pour vous servir, répondit Bénédict, et je me flatte de savoir m'exposer sans compromettre personne.

Il la salua profondément et disparut.

Valentine rentra par l'allée la plus sombre du parc; mais elle aperçut bientôt à travers le feuillage, sous ces longues galeries de verdure, la lueur et le mouvement des flambeaux. Elle trouva toute la maison en émoi, et sa mère, qui pressait les mains du cocher, brutalisait le valet de chambre, se faisait humble avec les uns, se laissait aller à la fureur avec les autres, pleurait comme une mère, puis commandait en reine, et, pour la première fois de sa vie peut-être, semblait par intervalles appeler la pitié d'autrui à son secours. Mais dès qu'elle reconnut le pas du cheval qui lui ramenait Valentine, au lieu de se livrer à la joie, elle céda à sa colère longtemps comprimée par l'inquiétude. Sa fille ne trouva dans ses yeux que le ressentiment d'avoir souffert.

– D'où venez-vous? lui cria-t-elle d'une voix forte, en la tirant de sa selle avec une violence qui faillit la faire tomber. Vous jouez-vous de mes tourments? Pensez-vous que le moment soit bien choisi pour rêver à la lune et vous oublier dans les chemins? À l'heure qu'il est, et lorsque, pour me prêter à vos caprices, je suis brisée de fatigue, croyez-vous qu'il soit convenable de vous faire attendre? Est-ce ainsi que vous respectez votre mère, si vous ne la chérissez pas?

Elle la conduisit ainsi jusqu'au salon en l'accablant des reproches les plus aigres et des accusations les plus dures. Valentine bégaya quelques mots pour sa défense, et fut dispensée de la présence d'esprit qu'elle aurait été forcée d'apporter à des explications qu'heureusement on ne lui demanda pas. Elle trouva au salon sa grand'mère, qui prenait du thé, et qui, lui tendant les bras, s'écria:

– Ah! te voilà, ma petite! Mais sais-tu que tu as donné bien de l'inquiétude à ta mère? Pour moi, je savais bien qu'il ne pouvait t'être rien arrivé de fâcheux dans ce pays-ci, où tout le monde révère le nom que tu portes. Allons, embrasse-moi, et que tout soit oublié. Puisque te voilà retrouvée, je vais manger de meilleur appétit. Cette course en calèche m'a donné une faim d'enfer.

En parlant ainsi, la vieille marquise, qui avait encore de fort bonnes dents, mordit dans un tost à l'anglaise que sa demoiselle de compagnie lui préparait. Le soin minutieux qu'elle y apportait prouvait l'importance que sa maîtresse attachait à l'assaisonnement de ce mets. Quant à la comtesse, chez qui l'orgueil et la violence étaient au moins les vices d'une âme impressionnable, cédant à la force de ses sensations, elle se laissa tomber à demi évanouie sur un fauteuil.

Valentine se jeta à ses genoux, aida à la délacer, couvrit ses mains de larmes et de baisers, et regretta sincèrement le bonheur qu'elle avait goûté en voyant combien il avait fait souffrir sa mère. La marquise quitta son souper, dissimulant mal la contrariété qu'elle éprouvait, et vint, alerte et vive qu'elle était, tourner autour de sa belle-fille en assurant que ce ne serait rien.

Lorsque la comtesse ouvrit les yeux, elle repoussa rudement Valentine, lui dit qu'elle avait trop à se plaindre d'elle pour agréer ses soins; et comme la pauvre enfant exprimait sa douleur et demandait son pardon à mains jointes, il lui fut impérieusement ordonné d'aller se coucher sans avoir obtenu le baiser maternel.

La marquise, qui se piquait d'être l'ange consolateur de la famille, s'appuya sur le bras de sa petite-fille pour remonter à sa chambre, et lui dit en la quittant, après l'avoir embrassée au front:

– Allons, ma chère petite, console-toi. Ta mère a un peu d'humeur ce soir, mais ce n'est rien. Ne va pas t'amuser à prendre du chagrin; tu serais couperosée demain, et cela ne ferait pas les affaires de notre bon Lansac.

Valentine s'efforça de sourire, et quand elle se trouva seule, elle se jeta sur son lit, accablée de chagrin, de bonheur, de lassitude, de crainte, d'espoir, de mille sentiments divers qui se pressaient dans son cœur.

Au bout d'une heure, elle entendit retentir dans le corridor le bruit des bottes éperonnées de M. de Lansac. La marquise, qui ne se couchait jamais avant minuit, l'appela dans sa chambre entr'ouverte, et Valentine, entendant leurs voix mêlées, alla sur-le-champ les rejoindre.

– Ah! dit la marquise avec cette joie maligne de la vieillesse qui ne respecte aucune des délicatesses de la pudeur parce qu'elle n'en a plus le sentiment, j'étais bien sûre que la friponne, au lieu de dormir, attendait le retour de son fiancé, le cœur agité, l'oreille au guet! Allons, allons, mes enfants, je crois qu'il est temps de vous marier.

Rien n'allait si mal que cette idée à l'attachement calme et digne que Valentine éprouvait pour M. de Lansac. Elle rougit de mécontentement; mais la physionomie respectueuse et douce de son fiancé la rassura.

– Je n'ai pas pu dormir en effet, lui dit-elle, avant de vous avoir demandé pardon de toute l'inquiétude que je vous ai causée.

– On aime, des personnes qui nous sont chères, répondit M. de Lansac avec une grâce parfaite, jusqu'aux tourments qu'elles nous causent.

Valentine se retira confuse et agitée. Elle sentit qu'elle avait de grands torts involontaires envers M. de Lansac, et sa conscience s'impatientait d'avoir encore quelques heures à attendre pour lui en faire l'aveu. Si elle avait eu moins de délicatesse et plus de connaissance du monde, elle se fût bien gardée de faire cette confession.

M. de Lansac avait, dans l'aventure de la soirée, joué le rôle le plus déplaisant, et, quelle que fût la candeur de Valentine, il eût peut-être semblé difficile à cet homme du monde de pardonner bien sincèrement à sa fiancée l'espèce de pacte fait avec un autre pour le tromper. Mais Valentine rougissait de rester complice d'un mensonge envers celui qui allait être son époux.

Le lendemain, dès le matin, elle courut le rejoindre au salon.

– Évariste, lui dit-elle en allant droit au but, j'ai sur le cœur un secret qui me pèse; il faut que je vous le dise. Si je suis coupable, vous me blâmerez, mais au moins vous ne me reprocherez pas d'avoir manqué de loyauté.

– Eh! mon Dieu! ma chère Valentine, vous me faites frémir! Où voulez-vous arriver avec ce préambule solennel? Songez dans quelle position nous nous trouvons!.. Non, non, je ne veux rien entendre. C'est aujourd'hui que je vous quitte pour aller à mon poste attendre tristement la fin de l'éternel mois qui s'oppose à mon bonheur, et je ne veux pas attrister ce jour déjà si triste par une confidence qui semble vous être pénible. Quoi que vous ayez à me dire, quoi que vous ayez fait de criminel, je vous absous. Allez, Valentine, votre âme est trop belle, votre vie est trop pure pour que j'aie l'insolence de vouloir vous confesser.

– Cette confidence ne vous attristera pas, répondit Valentine en retrouvant toute sa confiance dans la raison de M. de Lansac. Au contraire, lorsque même vous m'accuseriez d'avoir agi avec précipitation, vous vous réjouiriez encore avec moi, j'en suis sûre, d'un événement qui me comble de joie. J'ai retrouvé ma sœur…

– Taisez-vous, dit vivement M. de Lansac en affectant une terreur comique. Ne prononcez pas ce nom ici! Votre mère a des doutes qui déjà la mettent au désespoir. Que serait-ce, grand Dieu! si elle savait où vous en êtes? Croyez-moi, ma chère Valentine, gardez ce secret bien avant dans votre cœur, et n'en parlez pas même à moi. Vous m'ôteriez par là tous les moyens de conviction que mon air d'innocence doit me donner auprès de votre mère. Et puis, ajouta-t-il en souriant d'un air qui ôtait à ses paroles toute la rigidité de leur sens, je ne suis pas encore assez votre maître, c'est-à-dire votre protecteur, pour me croire bien fondé à autoriser un acte de rébellion ouverte contre la volonté maternelle. Attendez un mois. Cela vous semblera bien moins long qu'à moi.

Valentine, qui tenait à dégager sa conscience de la circonstance la plus délicate de son secret, voulut en vain insister. M. de Lansac ne voulut rien entendre, et finit par lui persuader qu'elle ne devait rien lui dire.

Le fait est que M. de Lansac était bien né, qu'il occupait de belles fonctions diplomatiques, qu'il était plein d'esprit, de séduction et de ruse; mais qu'il avait des dettes à payer, et que pour rien au monde il n'eût voulu perdre la main et la fortune de mademoiselle de Raimbault. Dans la crainte continuelle de s'aliéner la mère ou la fille, il transigeait secrètement avec l'une et avec l'autre, il flattait leurs sentiments, leurs opinions, et, peu intéressé dans l'affaire de Louise, il était décidé à n'y intervenir que lorsqu'il deviendrait maître de la terminer à son gré.

Valentine prit sa prudence pour une autorisation tacite, et, se rassurant de ce côté, elle dirigea toutes ses pensées vers l'orage qui allait éclater du côté de sa mère.

La veille au soir, le laquais adroit et bas qui avait déjà insinué quelques soupçons sur l'apparition de Louise dans le pays était entré chez la comtesse, sous le prétexte d'apporter une limonade, et il avait eu avec elle l'entretien suivant.

IX

– Madame m'avait ordonné hier de m'informer de la personne…

– Il suffit. Ne la nommez jamais devant moi. L'avez-vous fait?

– Oui, Madame, et je crois être sur la voie.

– Parlez donc.

– Je n'oserais pas affirmer à madame que la chose soit aussi certaine que je le désirerais. Mais voici ce que je sais: il y a à la ferme de Grangeneuve, depuis à peu près trois semaines, une femme qui passe pour la nièce du père Lhéry, et qui m'a bien l'air d'être celle que nous cherchons.

– L'avez-vous vue?

– Non, Madame. D'ailleurs je ne connais pas la personne… et personne ici n'est plus avancé que moi.

– Mais que disent les paysans?

– Les uns disent que c'est bien la parente des Lhéry; à preuve, disent-ils, qu'elle n'est pas vêtue comme une demoiselle, et puis, parce qu'elle occupe chez eux une chambre de laboureur. Ils pensent que si c'était mademoiselle… on lui aurait fait une autre réception à la ferme. Les Lhéry lui étaient tout dévoués, comme madame sait.

– Sans doute. La mère Lhéry a été sa nourrice dans un temps où elle était fort heureuse de trouver ce moyen d'existence. Mais que disent les autres?.. Comment se fait-il que pas un ici ne puisse affirmer si cette personne est ou n'est pas celle que tout le monde a vue autrefois?

– D'abord peu de gens l'ont vue à Grangeneuve, qui est un endroit fort isolé. Elle n'en sort presque pas, et, lorsqu'elle sort, elle est toujours enveloppée d'une mante, parce que, dit-on, elle est malade. Ceux qui l'ont rencontrée l'ont à peine aperçue, et disent qu'il leur est impossible de savoir si la personne fraîche et replète qu'ils ont vue, il y a quinze ans, est la personne maigre et pâle qu'ils voient maintenant. C'est une chose embarrassante à éclaircir, et qui demande beaucoup d'adresse et de persévérance.

– Joseph! je vous donne cent francs si vous voulez vous en charger.

– Il suffit d'un ordre de madame, répondit le valet d'un air hypocrite. Mais si je n'en viens pas à bout aussi vite que madame le désire, elle voudra bien se rappeler que les paysans d'ici sont rusés, méfiants; qu'ils ont un fort mauvais esprit, aucun attachement pour leurs anciens devoirs, et qu'ils ne seraient pas fâchés de montrer une opposition quelconque à la volonté de madame…

– Je sais qu'ils ne m'aiment pas, et je m'en félicite. La haine de ces gens-là m'honore au lieu de m'inquiéter. Mais le maire de la commune n'a-t-il point fait amener cette étrangère pour la questionner?

– Madame sait que le maire est un Lhéry, un cousin de son fermier; dans cette famille-là, ils sont unis comme les doigts de la main, et ils s'entendent comme larrons en foire…

Joseph sourit de complaisance en se trouvant tant de causticité dans le discours. La comtesse ne daigna pas partager son sentiment; mais elle reprit:

– Oh! c'est un grand désagrément que ces fonctions de maire soient remplies par des paysans, à qui elles donnent une certaine autorité sur nous!

– Il faudra, pensa-t-elle, que je m'occupe de faire destituer celui-là, et que mon gendre prenne l'ennui de le remplacer. Il fera faire la besogne par les adjoints.

Puis, revenant tout à coup au sujet de l'entretien par un de ces aperçus clairs et prompts que donne la haine:

– Il y a un moyen, dit-elle: c'est d'envoyer Catherine à la ferme, et de la faire parler.

– La nourrice de mademoiselle!.. Oh! c'est une femme plus rusée que madame ne pense. Peut-être sait-elle déjà fort bien ce qui en est.

– Enfin, il faut trouver un moyen, dit la comtesse avec humeur.

– Si madame me permet d'agir…

– Eh! certainement!

– En ce cas, j'espère être instruit demain de ce qui intéresse madame.

Le lendemain, vers six heures du matin, au moment où l'Angélus sonnait au fond de la vallée et où le soleil enluminait tous les toits d'alentour, Joseph se dirigea vers la partie du pays la plus déserte, et en même temps la mieux cultivée; c'était sur les terres de Raimbault, terres considérables et fertiles, jadis vendues comme biens nationaux, rachetées sous l'empire par la dot de mademoiselle Chignon, fille d'un riche manufacturier, que le général comte de Raimbault avait épousée en secondes noces. L'empereur aimait à unir les anciens noms aux nouvelles fortunes: ce mariage s'était conclu sous son influence suprême; et la nouvelle comtesse avait bientôt dépassé dans son cœur tout l'orgueil de la vieille noblesse qu'elle haïssait, et dont cependant elle avait voulu à tout prix obtenir les honneurs et les titres.

Joseph avait sans doute tissé une fable bien savante pour se présenter à la ferme sans effaroucher personne. Il avait dans son sac bien des tours de Scapin pour abuser de la simplicité des habitants; mais, par malheur, la première personne qu'il rencontra à cent pas de la ferme fut Bénédict, homme bien plus fin, bien plus méfiant que lui. Le jeune homme se souvint aussitôt de l'avoir vu quelque temps auparavant à une autre fête de village, où, quoi qu'il portât fort bien son habit noir, bien qu'il affectât des manières de supériorité sur les fermiers qui prenaient de la bière avec lui, il avait été persiflé et humilié comme un vrai laquais qu'il était. Aussitôt Bénédict comprit qu'il fallait écarter de la ferme ce témoin dangereux, et, s'emparant de lui avec force politesses ironiques, il le força d'aller visiter avec lui une vigne située à quelque distance. Il affecta de le croire, sur sa parole, homme de confiance et régisseur du château, et feignit une grande disposition au bavardage. Joseph abusa bien vite de l'occasion, et, au bout de dix minutes, ses intentions et ses projets devinrent clairs comme le jour pour Bénédict. Alors celui-ci se tint sur ses gardes, et le désabusa de ses doutes relativement à Louise avec un air de candeur dont Joseph fut parfaitement dupe. Cependant Bénédict comprit que ce n'était pas assez, qu'il fallait se débarrasser entièrement des intentions malfaisantes de ce mouchard, et il retrouva tout à coup dans sa mémoire un moyen de le dominer.

На страницу:
5 из 6