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David Copperfield – Tome I
David Copperfield – Tome I

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David Copperfield – Tome I

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Dès que je pus m'échapper, je montai l'escalier. Mon ancienne chambre que j'aimais tant était toute changée, et je devais habiter bien loin de là. Je redescendis pour voir si je trouverais quelque chose qui n'eût pas changé: tout me paraissait si différent! j'errai dans la cour, mais bientôt je fus forcé de m'enfuir, car la niche, jadis vide, était maintenant occupée par un grand chien, à la gueule profonde et à la crinière noire, un vrai diable: à ma vue il s'était élancé vers moi comme pour me happer.

CHAPITRE IV

Je tombe en disgrâce

Si la chambre où on avait transporté mon lit pouvait rendre témoignage de ce qui se passait dans ses murs, je pourrais, aujourd'hui encore (qui est-ce qui demeure là? j'aimerais le savoir), l'appeler en témoignage pour déclarer combien mon coeur était désolé lorsque j'y rentrai ce soir-là. En remontant, j'entendis le gros chien qui continuait d'aboyer après moi; la chambre me paraissait triste et inconnue, j'étais aussi triste qu'elle: je m'assis; mes petites mains se croisèrent machinalement, et je me mis à penser.

Je pensai aux choses les plus bizarres: À la forme de la chambre, aux fentes du plafond, au papier qui recouvrait les murs, aux défauts des carreaux qui faisaient des bosses ou des creux dans le paysage, à ma table de toilette dont les trois pieds boiteux avaient quelque chose de rechigné qui me rappela mistress Gummidge lorsqu'elle songeait à l'Ancien. Et alors je pleurais, mais, sauf que je me sentais tout gelé et misérable, je crois que je ne savais pas bien pourquoi je pleurais. Enfin, dans mon désespoir, il me vint à l'esprit que j'aimais passionnément la petite Émilie, qu'on m'avait enlevé à elle pour m'amener dans un lieu où personne ne m'aimait autant qu'elle. À force de me désoler de cette pensée, je finis par me rouler dans un coin de mon couvre-pied et par m'endormir en pleurant.

Je me réveillai en entendant quelqu'un dire: «Le voilà!» Une main découvrait doucement ma tête brûlante. Ma mère et Peggotty étaient venues me chercher, et c'était la voix de l'une d'elles que j'avais entendue.

«Davy, dit ma mère, qu'est-ce que vous avez donc?»

Comment pouvait-elle se demander cela? Je répondis: «Je n'ai rien.» Mais je détournai la tête pour cacher le tremblement de ma lèvre qui lui en aurait pu dire davantage.

«Davy! dit ma mère, Davy, mon enfant!»

Rien de ce qu'elle aurait pu dire ne m'aurait autant troublé que ces simples mots: «Mon enfant!» Je cachai mes larmes dans mon oreiller, et je repoussai la main de ma mère qui voulait m'attirer vers elle.

«C'est votre faute, Peggotty, méchante que vous êtes! dit ma mère. Je le sais bien. Comment pouvez-vous, je vous le demande, avoir le courage d'indisposer mon cher enfant contre moi ou contre ceux que j'aime. Qu'est-ce que cela veut dire, Peggotty?»

La pauvre Peggotty leva les yeux au ciel et répondit, en commentant la prière d'actions de grâces que je répétais habituellement après le dîner:

«Que le Seigneur vous pardonne, mistress Copperfield, et puissiez- vous ne jamais avoir à vous repentir de ce que vous venez de dire là!

– Il y a de quoi me faire perdre la tête, s'écria ma mère, et cela pendant une lune de miel, quand on devrait croire que mon plus cruel ennemi ne voudrait pas m'enlever un peu de paix et de bonheur. Davy, méchant enfant! Peggotty, atroce femme que vous êtes! Oh! mon Dieu, s'écria ma mère en se tournant de l'un à l'autre avec une irritation capricieuse, quel triste séjour que ce monde, et dans un moment où on devrait s'attendre à n'avoir que des choses agréables!»

Je sentis tout d'un coup se poser sur moi une main qui n'était ni celle de ma mère ni celle de Peggotty; je me glissai au pied de mon lit. C'était la main de M. Murdstone qui tenait mon bras.

«Qu'est-ce que cela signifie, Clara, mon amour? Avez-vous oublié?

Un peu de fermeté, ma chère!

– Je suis bien fâchée, Édouard, dit ma mère, je voulais être raisonnable, mais je me sens si triste!

– Vraiment, dit-il, je suis fâché de vous entendre dire cela; c'est commencer bien tôt, Clara.

– Je dis qu'il est bien dur qu'on me rende malheureuse en ce moment, dit ma mère en faisant une petite moue; et c'est… c'est bien dur… n'est-ce pas?»

Il l'attira à lui, lui murmura quelques mots à l'oreille, et l'embrassa. La tête de ma mère reposait sur son épaule, elle avait passé son bras autour du cou de son mari; je compris dès lors qu'il pourrait toujours, comme il le faisait alors, faire plier à son gré une nature si flexible.

– Descendez, mon amour, dit M. Murdstone, David et moi nous allons revenir tout à l'heure. Ma brave femme, dit-il en se tournant vers Peggotty, lorsqu'il eut vu sortir ma mère de la chambre, en l'accompagnant d'un gracieux sourire, ma brave femme, et il la regardait d'un air menaçant, vous savez le nom de votre maîtresse?

– Il y a longtemps qu'elle est ma maîtresse, monsieur, répondit Peggotty, je dois le savoir.

– C'est vrai, répondit-il, mais tout à l'heure, en montant, j'ai cru vous entendre l'appeler par un nom qui n'est pas le sien. Elle a pris le mien, vous le savez. Ne l'oubliez pas, je vous prie.»

Peggotty sortit sans répondre autrement que par une révérence, tout en me lançant des regards inquiets; elle avait probablement compris qu'on voulait qu'elle s'en allât, et elle n'avait point d'excuse à donner pour rester.

Lorsque nous fûmes tous deux seuls, il ferma la porte, et s'asseyant sur une chaise devant laquelle il se tenait debout, il fixa sur moi un regard perçant; mes yeux à moi s'attachaient aux siens. Il me semble encore entendre battre mon petit coeur.

«David, dit-il, et ses lèvres minces se serraient l'une contre l'autre, quand j'ai à réduire un cheval ou un chien entêté, qu'est-ce que je fais, selon vous?

– Je n'en sais rien.

– Je le bats.»

Je lui avais répondu d'une voix presque éteinte, mais je sentais maintenant que la respiration me manquait tout à fait.

«Je le fais céder et demander grâce. Je me dis, voilà un drôle que je veux dompter, et quand même cela devrait lui coûter tout le sang qu'il a dans les veines, j'en viendrai à bout. Qu'est-ce que je vois-là sur votre joue?

– C'est de la boue, répondis-je.»

Il savait aussi bien que moi que c'était la trace de mes larmes; mais quand même il m'aurait adressé vingt fois la même question, en m'assommant de coups chaque fois, je crois que mon petit coeur se serait brisé avant que je lui répondisse autrement.

«Pour un enfant, vous avez beaucoup d'intelligence, dit-il avec le sourire grave qui lui était familier, et vous m'avez compris, je le vois. Lavez-vous la figure, monsieur, et descendez avec moi.»

Il me montra la toilette, celle que je comparais dans mon esprit à mistress Gummidge, et me fit signe de la tête de lui obéir immédiatement. Je ne doutais pas alors, et je doute encore moins maintenant, qu'il ne fût tout prêt à me rouer de coups, sans le moindre scrupule, si j'avais hésité.

«Clara, ma chère, dit-il, lorsque je lui eus obéi et que nous fûmes descendus au salon, sa main toujours appuyée sur mon bras, on ne vous tourmentera plus, j'espère. Nous corrigerons notre petit caractère.»

Dieu m'est témoin qu'en ce moment un mot de tendresse aurait pu me rendre meilleur pour toute ma vie, peut-être faire de moi une autre créature. En m'encourageant et en m'expliquant ce qui s'était passé, en m'assurant que j'étais le bienvenu et que ce serait toujours là mon chez moi, M. Murdstone aurait pu attirer à lui mon coeur, au lieu de s'assurer une obéissance hypocrite; au lieu de le haïr, j'aurais pu le respecter. Il me sembla que ma mère était fâchée de me voir là debout au milieu de la chambre, l'air malheureux et effaré, et que, lorsqu'elle me vit aller timidement m'asseoir, ses yeux me suivirent plus tristement encore, comme si elle eût souhaité me voir plutôt courir gaiement; mais alors elle ne me dit pas un mot, et plus tard, il n'était plus temps.

Nous dînâmes seuls, tous les trois. Il avait l'air d'aimer beaucoup ma mère, ce qui ne me réconciliait pas avec lui, j'en ai bien peur, et elle, elle l'aimait beaucoup. Je compris à leur conversation qu'ils attendaient ce même soir une soeur aînée de M. Murdstone qui venait demeurer avec eux. Je ne me rappelle pas bien si c'est alors ou plus tard que j'appris, que, sans être positivement dans le commerce, il avait une part annuelle dans les bénéfices d'un négociant en vins de Londres, et que sa soeur avait le même intérêt que lui dans cette maison qui était liée avec sa famille depuis le temps de son arrière grand-père; en tout cas, j'en parle ici par occasion.

Après le dîner, nous étions assis au coin du feu, et je méditais d'aller retrouver Peggotty, mais la crainte que j'avais de mon nouveau maître m'ôtait la hardiesse de m'échapper, lorsqu'on entendit une voiture s'arrêter à la grille du jardin; M. Murdstone sortit pour aller voir qui c'était; ma mère se leva aussi. Je la suivais timidement, quand à la porte du salon elle s'arrêta, et profitant de l'obscurité, elle me prit dans ses bras comme elle faisait jadis, en me disant tout bas qu'il fallait aimer mon nouveau père et lui obéir. Elle me parlait rapidement et en cachette comme si elle faisait mal, mais très-tendrement, et elle me tint une main dans la sienne jusqu'à ce que nous fûmes près de l'endroit du jardin où était son mari, alors elle lâcha ma main et passa la sienne dans le bras de M. Murdstone.

C'était miss Murdstone qui venait d'arriver; elle avait l'air sinistre, les cheveux noirs comme son frère, auquel elle ressemblait beaucoup de figure et de manières; ses sourcils épais se croisaient presque sur son grand nez, comme si elle eût reporté là les favoris que son sexe ne lui permettait pas de garder à leur place naturelle. Elle était suivie de deux caisses noires, dures et farouches comme elle; sur le couvercle on lisait ses initiales en clous de cuivre. Quand elle voulut payer le cocher, elle tira son argent d'une bourse d'acier, elle la renferma ensuite dans un sac qui avait plutôt l'air d'une prison portative suspendue à son bras au moyen d'une lourde chaîne, et qui claquait en se fermant comme une trappe. Je n'avais jamais vu de dame aussi métallique que miss Murdstone.

On la fit entrer dans le salon avec une foule de souhaits de bienvenue, et là elle salua solennellement ma mère comme sa nouvelle et proche parente; puis, levant les yeux sur moi, elle dit:

«Est-ce votre fils, ma belle-soeur?»

Ma mère dit que oui.

«En général, dit miss Murdstone, je n'aime pas les garçons.

Comment vous portez-vous, petit garçon?»

Je répondis à ce discours obligeant que je me portais très-bien et que j'espérais qu'il en était de même pour elle, mais j'y mis si peu de grâce que miss Murdstone me jugea immédiatement en deux mots:

«Mauvaises manières!»

Après avoir prononcé cette sentence d'une voix très-sèche, elle demanda à voir sa chambre, qui devint dès lors pour moi un lieu de terreur et d'épouvante. Jamais on n'y vit les deux malles noires s'ouvrir ni rester entr'ouvertes. Une ou deux fois, en passant timidement ma tête à la porte entrebâillée, je vis, en l'absence de miss Murdstone, une série de petits bijoux et de chaînes d'acier pendus autour de la glace dans un appareil formidable; c'était, dans les jours de grande toilette, la parure de miss Murdstone.

Je crus comprendre qu'elle venait s'installer chez nous pour tout de bon, et qu'elle n'avait nulle intention de jamais repartir. Le lendemain matin elle commença à aider ma mère et elle passa toute la journée à mettre tout en ordre, sans respecter en rien les anciens arrangements. Une des premières choses remarquables que j'observai en miss Murdstone, c'est qu'elle était constamment poursuivie par le soupçon que les domestiques tenaient un homme caché quelque part dans la maison. Sous l'influence de cette conviction, elle se plongeait dans la cave au charbon aux heures les plus étranges, et il ne lui arrivait presque jamais d'ouvrir la porte d'un petit recoin obscur sans la refermer brusquement, dans la persuasion, sans doute, qu'elle le tenait.

Bien que miss Murdstone n'eût rien de très-aérien, elle se levait aussitôt que les alouettes. Avant que personne eût bougé dans la maison, elle était toujours, à ce que je crois encore aujourd'hui, à la recherche de son homme. Peggotty assurait qu'elle dormait un oeil ouvert, mais je n'étais pas de son avis, car, lorsqu'elle eut avancé cette opinion, je voulus en faire sur moi l'expérience, et je la trouvai tout à fait impraticable.

Le matin qui suivit son arrivée elle avait sonné avant le premier chant du coq. Quand ma mère descendit pour le déjeuner, miss Murdstone s'approcha d'elle, au moment où elle allait faire le thé, posa une seconde sa joue contre la sienne, c'était sa manière d'embrasser, et lui dit:

«Vous savez, ma chère Clara, que je suis venue ici pour vous épargner toute espèce d'embarras. Vous êtes beaucoup trop jolie et trop enfant (ma mère rougit et sourit, ce rôle semblait ne pas lui trop déplaire) pour vous charger de devoirs que je pourrai remplir à votre place. Ainsi, ma chère, si vous voulez bien me donner vos clefs, à l'avenir je m'occuperai de tout cela.»

À partir de ce jour, miss Murdstone garda les clefs dans son sac d'acier durant la journée, sous son oreiller pendant la nuit, et ma mère n'eut pas à s'en occuper plus que moi.

Ma mère n'abandonna pourtant pas son autorité à une autre sans essayer de protester. Un soir que miss Murdstone développait à son frère certains plans intérieurs auxquels il donnait son approbation, ma mère se mit tout d'un coup à pleurer en disant qu'il lui semblait qu'au moins on aurait pu la consulter.

«Clara! dit sévèrement M. Murdstone, Clara! vous m'étonnez.

– Oh, vous pouvez bien dire que je vous étonne, Édouard, s'écria ma mère, et répéter qu'il faut de la fermeté, mais je suis bien sûre que cela ne vous plairait pas plus qu'à moi.»

Ici je ferai remarquer que la fermeté était la qualité dominante dont se piquaient M. et miss Murdstone. Je ne sais pas quel nom j'eusse donné alors à cette fermeté, mais je sentais très- clairement que c'était, sous un autre nom, une véritable tyrannie, une humeur opiniâtre, arrogante et diabolique qui leur était commune à tous deux. Leur doctrine, la voici. M. Murdstone était ferme; personne autour de lui ne devait être aussi ferme que M. Murdstone; personne autour de lui ne devait être le moins du monde ferme, car tous devaient plier devant lui. Miss Murdstone faisait exception. Il lui était permis d'être ferme, mais seulement par alliance, et à un degré inférieur et tributaire. Ma mère était une autre exception. Il lui était permis d'être ferme; cela lui était même recommandé; mais seulement à condition d'obéir à leur fermeté, et de croire fermement qu'il n'y avait qu'eux sur la terre qui eussent de la fermeté.

«Il est bien dur, disait ma mère, que dans ma maison…

– Dans ma maison? répéta M. Murdstone. Clara!

– Dans notre maison, je veux dire, balbutia ma mère, évidemment très-effrayée, j'espère que vous savez ce que je veux dire, Édouard, il est bien dur que dans notre maison je n'aie pas la permission de dire un mot sur les affaires du ménage. Je m'en tirais certainement très-bien avant notre mariage. Il y a des témoins, dit ma mère en sanglotant, demandez à Peggotty si je ne m'en tirais pas très-bien quand on ne se mêlait pas de mes affaires.

– Édouard, dit miss Murdstone, mettons fin à tout ceci. Je pars demain.

– Jane Murdstone, dit son frère, taisez-vous! On croirait à vous entendre que vous ne me connaissez pas?

– Je puis bien dire, reprit ma pauvre mère, qui perdait du terrain et qui pleurait à chaudes larmes, je puis bien dire que je ne désire pas que personne s'en aille. Je serais très-malheureuse et très-misérable si quelqu'un s'en allait. Je ne demande pas grand'chose. Je ne suis pas déraisonnable. Je demande seulement qu'on me consulte quelquefois. Je suis très-reconnaissante à tous ceux qui veulent bien m'aider, et je demande seulement qu'on me consulte quelquefois pour la forme. Je croyais autrefois que vous m'aimiez parce que j'étais jeune et sans expérience. Édouard, je me rappelle bien que vous me le disiez alors, mais maintenant vous avez l'air de me haïr à cause de cela même, vous êtes si sévère!

– Édouard, dit miss Murdstone une seconde fois, mettons fin à tout ceci. Je pars demain.

– Jane Murdstone, répondit M. Murdstone d'une voix de tonnerre.

Voulez-vous vous taire? Comment osez-vous?..»

Miss Murdstone tira de prison son mouchoir de poche, et le mit devant ses yeux.

«Clara, continua-t-il en se tournant vers ma mère, vous me surprenez! Vous m'étonnez! Oui, j'avais eu quelque plaisir à épouser une personne simple et sans expérience; je voulais former son caractère et lui donner un peu de cette fermeté et de cette décision dont elle avait besoin. Mais quand Jane Murdstone a la bonté de venir m'aider dans cette entreprise, quand elle consent à remplir, par affection pour moi, une condition qui est presque celle d'une femme de charge, et quand je vois que, pour la récompenser, on la traite grossièrement…

– Oh, je vous en prie, Édouard, je vous en prie, cria ma mère, ne m'accusez pas d'ingratitude. Je ne suis pas ingrate, assurément. Personne ne me l'a jamais reproché. J'ai bien des défauts, mais je n'ai pas celui-là. Oh non, mon ami!

– Quand je vois, reprit-il, sitôt que ma mère eut fini de parler, quand je vois qu'on traite grossièrement Jane Murdstone, mes sentiments s'altèrent et se refroidissent.

– Oh ne dites pas cela, mon ami, reprit ma mère d'un ton suppliant. Oh non, Édouard, je ne peux pas le supporter. Quelques défauts que je puisse avoir, je suis affectueuse. Je sais que je suis affectueuse. Je ne le dirais pas si je n'en étais pas bien sûre. Demandez à Peggotty. Elle vous dira, j'en suis sûre, que je suis affectueuse.

– Il n'y a point de faiblesse, quelle qu'elle soit, qui puisse avoir le moindre poids à mes yeux, Clara, répondit M. Murdstone, remettez-vous.

– Je vous en prie, soyons toujours bien ensemble, dit ma mère. Je ne pourrais supporter la froideur ou la dureté. Je suis si fâchée! J'ai bien des défauts, je le sais, et c'est très-bon à vous, Édouard, qui avez tant de force d'âme, de chercher à me corriger. Jane, je ne fais d'objection à rien. Je serais au désespoir si vous aviez l'idée de nous quitter… Ma mère ne put aller plus loin.

– Jane Murdstone, dit M. Murdstone à sa soeur, des paroles amères, sont, je l'espère, peu ordinaires entre nous. Ce n'est pas ma faute s'il s'est passé ce soir une scène si étrange: j'y ai été entraîné par d'autres. Ce n'est pas non plus votre faute, vous y avez été entraînée par d'autres. Cherchons tous deux à l'oublier. Et comme, ajouta-t-il, après ces paroles magnanimes, cette scène est peu convenable devant l'enfant, David, allez vous coucher!»

Mes larmes m'empêchaient de trouver la porte. J'étais si désolé du chagrin de ma mère! Je sortis à tâtons, et je montai à l'aveuglette jusqu'à ma chambre, sans avoir seulement le courage de dire bonsoir à Peggotty, ni de lui demander une lumière. Quand elle vint une heure après voir ce que je faisais, elle me réveilla en entrant et me dit que ma mère s'était couchée assez souffrante, et que M. et miss Murdstone étaient restés seuls au salon.

Le lendemain matin je descendais plus tôt que de coutume, lorsque, en passant près de la porte de la salle à manger, j'entendis la voix de ma mère. Elle demandait très-humblement à miss Murdstone de lui pardonner, ce que miss Murdstone lui accordait, et une réconciliation complète avait lieu. Depuis je n'ai jamais vu ma mère dire son avis sur la moindre chose, sans avoir d'abord consulté miss Murdstone, ou sans s'être assurée, par quelques moyens positifs, de l'opinion de miss Murdstone, et je n'ai jamais vu miss Murdstone, les jours où elle était en colère (toute ferme qu'elle était, elle avait cette faiblesse) avancer la main vers son sac comme pour en tirer les clefs et les rendre, sans voir en même temps ma mère pâmée de frayeur.

La teinte sombre qui dominait dans le sang des Murdstone assombrissait aussi la religion des Murdstone qui était austère et farouche. J'ai pensé depuis que c'était la conséquence nécessaire de la fermeté de M. Murdstone qui ne pouvait souffrir que personne échappât aux châtiments les plus sévères qu'il pût inventer. Quoi qu'il en soit, je me rappelle bien les visages menaçants qui m'entouraient quand j'allais à l'église, et comme tout était changé autour de moi. Ce dimanche tant redouté paraît de nouveau, et j'entre le premier dans notre ancien banc, comme un captif qu'on amène sous bonne escorte, pour assister au service des condamnés. Voilà miss Murdstone, avec sa robe de velours noir qui a l'air d'avoir été taillée dans un drap mortuaire: elle me suit de très-près; puis ma mère, puis son mari. Il n'y a plus, comme jadis, de Peggotty. J'entends miss Murdstone qui marmotte les réponses, en appuyant avec une énergie cruelle sur tous les mots terribles. Je la vois rouler tout autour de l'église ses grands yeux noirs quand elle dit «misérables pécheurs» comme si elle appelait par leurs noms tous les membres de la congrégation. Je vois parfois, ma mère, remuant timidement les lèvres, entre sa belle-soeur et son mari, qui font résonner les prières à ses oreilles comme le grondement d'un tonnerre éloigné. Je me demande, saisi d'une crainte soudaine, s'il est probable que notre bon vieux pasteur soit dans l'erreur, que M. et miss Murdstone aient raison, et que tous les anges du ciel soient des anges destructeurs. Et si, par malheur, je remue le petit doigt ou que je bouge la tête, miss Murdstone me donne dans les côtes avec son livre de prières de bonnes bourrades qui me font grand mal.

Je vois encore, en revenant à la maison, quelques-uns de nos voisins, qui regardent ma mère, puis moi, et qui se parlent à l'oreille. Plus loin, quand le trio marche devant, et que je reste un peu en arrière, je me demande s'il est vrai que ma mère marche d'un pas moins joyeux, et que sa beauté ait déjà presque entièrement disparu. Enfin je me demande si nos voisins se rappellent comme moi le temps où nous revenions de l'église moi et ma mère, et je passe toute cette triste journée à me creuser la tête à ce sujet.

Il avait plusieurs fois été question de me mettre en pension. M. et miss Murdstone l'avaient proposé, et ma mère avait, bien entendu, été de leur avis. Cependant, il n'y avait encore rien de décidé. En attendant je prenais mes leçons à la maison.

Comment pourrais-je oublier ces leçons? Ma mère y présidait nominalement, mais en réalité je les recevais de M. Murdstone et de sa soeur qui étaient toujours présents, et qui trouvaient l'occasion favorable pour donner à ma mère quelques notions de cette fermeté, si mal nommée, qui était le fléau de nos deux existences. Je crois qu'ils me gardaient à la maison dans ce seul but. J'avais assez de facilité et de plaisir à apprendre, quand nous vivions seuls ensemble, moi et ma mère. Je me souviens du temps où j'apprenais l'alphabet sur ses genoux. Aujourd'hui encore quand je regarde les grosses lettres noires du livre d'office, la nouveauté alors embarrassante pour moi de leur forme, et les contours alors faciles à retenir de l'O, de l'L et de l'S, me reviennent à l'esprit comme aux jours de mon enfance; mais ils ne me rappellent nul souvenir de dégoût ou de regret. Au contraire, il me semble que j'ai été conduit à travers un sentier de fleurs jusqu'au livre des crocodiles, encouragé le long du chemin par la douce voix de ma mère. Mais les leçons solennelles qui suivirent celles-là furent un coup mortel porté à mon repos, un labeur pénible, un chagrin de tous les jours. Elles étaient très-longues, très-nombreuses, très-difficiles. La plupart étaient parfaitement inintelligibles pour moi; et j'en avais bien peur, autant, je crois, que ma pauvre mère.

Voici comment les choses se passaient presque tous les matins.

Je descends après le déjeuner dans le petit salon avec mes livres, mon cahier et une ardoise. Ma mère m'attend près de son pupitre, mais elle n'est pas si disposée à m'entendre que M. Murdstone, qui fait semblant de lire dans son fauteuil près de la fenêtre, ou de miss Murdstone, qui enfile des perles d'acier à côté de ma mère. La vue de ces deux personnages exerce sur moi une telle influence, que je commence à sentir m'échapper, pour courir la prétentaine, les mots que j'ai eu tant de peine à me fourrer dans la tête. Par parenthèse, j'aimerais bien qu'on pût me dire où vont ces mots?

Je tends mon premier livre à ma mère. C'est un livre de grammaire, ou d'histoire, ou de géographie. Avant de le lui donner, je jette un dernier regard de désespoir sur la page, et je pars au grand galop pour la réciter tandis que je la sais encore un peu. Je saute un mot. M. Murdstone lève les yeux. Je saute un autre mot. Miss Murdstone lève les yeux. Je rougis, je passe une demi- douzaine de mots, et je m'arrête. Je crois que ma mère me montrerait bien le livre, si elle l'osait, mais elle n'ose pas, et me dit doucement:

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