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Le Juge Et Les Sorcières
Le Juge Et Les Sorcières

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Le Juge Et Les Sorcières

Язык: Французский
Год издания: 2019
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Pendant quatorze années, Elvira vécut plutôt tranquillement. Certains, à dire vrai, la traitaient de sorcière en blaguant ; mais elle ne souffrit pas de persécutions. Au contraire, elle eut quelques propositions de mariage. Elle cependant, dégoûtée par les hommes, les avait toutes refusées.

À deux reprises, elle avait dû, au début, se défendre du frère du notaire qui, impénitent, s’était approché d’elle pour l’embrasser, sans pour autant y parvenir, de par la protection répétée de la femme. C’est ainsi qu’une rancune féroce avait grandi en lui, autant que son ardeur. Heureusement, ses parents lui avaient finalement trouvé, une charge respectable à Rome, et il s’en alla, la laissant en paix.

Parmi les soupirants, il y eut même ce Remo Brunacci qui l’aurait ruinée, l’ivrogne du village, qu’elle avait constamment chassé en le moquant. Quand il s’était adressé au prêtre en déclarant, sous l’emprise du vin, avoir une érection par la magie d’Elvira, l’ecclésiastique avait compris qu’il ne s’agissait que d’ivresse et que l’abstinence était le remède. Il avait donc fait mine de contrôler entre les jambes de l’homme la disparition du vit puis, il avait enfermé Brunacci pour qu’il se débarrassât des fumées entre autre grâce à l’ascension de beaucoup d’eau : courante, et non bénite, contrairement à ce qu’il lui avait dit pour l’encourager. Il n’en avait pas prévu les conséquences. Le village avait commencé à se liguer contre Elvira, avant de réclamer haut et fort qu’elle fût capturée. Pire, le juge Astolfo Rinaldi, se trouvait au village en ce moment, en visite chez le notaire.

« Rinaldi ! » fis-je écho, émerveillé d’entendre le nom de mon vieux supérieur, interrompant le récit du moribond.

C’était lui le frère du notaire. Grâce aux puissants parents de la belle-sœur, il était parvenu au tribunal de Rome, où il avait fait carrière jusqu’au sommet. C’était sans doute lui-même, me demandai-je, qui avait mis la lettre anonyme dans l’urne désignée de l’Inquisition ? Par vengeance ? D’ailleurs, même le curé, épouvanté par la nouvelle situation et en particulier par quelques œillades que le juge lui avait décochées tout juste avant de repartir, avait à son tour présenté à la gendarmerie de la commune, sa dénonciation officielle, immédiatement transmise à la Ville. L’ecclésiastique, lâchement, avait craint pour sa propre vie, qu’il trouvait même cette issue très probable, qu’il n’aurait pas été le premier prêtre arrêté, torturé et condamné pour complicité en sorcellerie. J’étais au courant du reste et moi-même j’en avais tiré toutes les conséquences. Le curé, plein de remords d’avoir fait un faux témoignage, et par-dessus tout, juré devant Dieu, après le procès, avait modestement élu domicile dans la même petite pièce où avait été enfermé Brunacci, il avait endossé le cilice, s’était soumis à toutes sortes d’humiliations, avait renoncé à tout bien-être, fût-il le plus innocent. Au point de mourir, devenues futiles les craintes qui, même dans le remord, continuaient de le séduire, il avait finalement voulu m’avertir, parce qu’il était arrivé encore autre chose, cette fois à Marietta, la blonde et belle adolescente fille d’Elvira. Quand la troupe frappa, la mère, pressentant que quelque chose de mauvais était sur le point de se produire, avait caché Marietta sous le lit, après lui avoir enjoint de rester sans bouger ni broncher, quoiqu’il advint. Après que les inquisiteurs s’en furent allés avec Elvira, la jeune fille était sortie et, ne sachant pas qui avait emmené sa mère, elle s’était adressée au curé pour dénoncer un rapt. L’archiprêtre au courant de l’arrestation, n’avait par éclairci l’équivoque, au contraire il lui avait dit qu’il n’y avait plus rien à faire désormais : on savait bien que, pour ces choses, il n’y avait pas assez de gendarmes ! Et qu’elle garde le cœur en paix. Le jour même elle fut placée comme servante auprès de villageois. Cependant, après l’exécution de sa mère, Rinaldi était arrivé à Grottaferrata avec trois gardes du tribunal de la Ville, il avait appréhendé Marietta en prétextant un supplément d’enquête et l’avait emmenée à Rome. Sans doute avait-il voulu se venger d’Elvira en s’en prenant à sa fille ? Le curé me demanda d’ouvrir une enquête, par devoir de justice, et, si à la lumière de la loi, qu’il ne connaissait pas, il constatait un délit, de punir le coupable ; et si possible de découvrir le sort de la fille et, si elle était encore en vie, de la préserver de maux ultérieurs. C’était sa seule planche de salut.

Je promis au mourant que je chercherais la justice de toutes mes forces.

Le restant de la nuit, hébergé dans la riche et ancienne chambre à coucher du curé, malgré une literie des plus agréables et un matelas confortable, je ne fermai pas l’œil.

Autour de minuit, le moribond rendit l’âme, j’entendais en effet, les prières du jeune prêtre ; mais je ne me levai pas pour me joindre à lui.

J’éprouvais un grand sentiment d’abandon. Je n’aurais pas dû éprouver du remord pour l’injuste condamnation d’Elvira parce que j’avais agi, comme toujours, selon la loi et en conscience ; mais je ressentais une inquiétude désagréable et une légère nausée qui ne devaient pas me quitter avant le matin.

Chapitre V

Au lever du soleil, après avoir prié sur la dépouille de l’ecclésiastique, je repartis; et je repartis seul, sans attendre la garde. J’agis par impulsion, mais en y réfléchissant, je pense maintenant que, quoique m’ayant rationnellement disculpé, mon instinct désirait, au plus profond du danger que représentait ce retour solitaire, réclamer la punition. D’ailleurs j’avais un grand courage physique, que j’entretins durant toute ma vie; et je maniais parfaitement l’épée et la dague que, comme magistrat, j’avais le droit de porter. Mon père en effet, dès qu’il prit ses fonctions, m’avait fait donner des leçons par un de ses clients, le maître d’armes José Fuentes Villata, homme maigre mais vigoureux et, chose rare pour un méditerranéen, très grand, presqu’un bras de plus que moi : déjà garde personnel adroit d’Alexandre VI, il vivait, après la mort du Borgia, de son école d’escrime. Depuis quelque temps, désormais plus très jeune mais encore bretteur averti, il était devenu chef de l’escorte privée de l’ex juge Rinaldi.

Ce n’était donc pas sans une certaine crainte que je reprenais la route.

J’avais toujours fait preuve de prudence à l’égard des puissants : y a-t-il plus de risques, en effet, à être attaqué par un coupe-jarret de grands chemins que poursuivi par l’hostilité et la malveillance d’un seul d’entr’eux ? Astolfo Rinaldi était devenu très puissant. Il aurait représenté le véritable danger, l’eussé-je attaqué. Lui, en entrant dans le cercle de Bartolomeo Spina et donc de son protecteur Giulio Medici, avant même que celui-ci ne devint le pape Clément VII, avait atteint le grade de Juge Général ; puis, après le sac de Rome, alors que moi j’étais nommé à son poste, il fut élevé au rang de chevalier gentilhomme et promu Majordome Honoraire aux Chambres de Sa Sainteté. Il en avait assumé de nombreuses charges importantes, aussi bien diplomatiques que privées et, murmurait-on, même des missions secrètes. Il avait, depuis le temps qu’il était magistrat, les faveurs amicales de l’omnipotent prince Turibio Fiorilli di Biancacroce, homme très riche et Premier Secrétaire Ecclésiastique Cardinal Percepteur et Trésorier, de fait lui-même à la tête de la perception des impôts et de la trésorerie pontificale, mais aussi Duc des Milices Territoriales, Premier Conseiller de l’Ordre Public et Porte-parole Séculier du Pape Souverain.

Désormais je connaissais Astolfo Rinaldi comme un homme avide d’argent, sur le modèle de son compagnon et patron Biancacroce. Déjà, alors qu’il était encore magistrat, il était arrivé à accumuler d’énormes richesses. Il avait fait des cadeaux somptueux à Clément, cet ecclésiastique qui, après sa mort, fut appelé le pape du malheur, lui aussi affamé d’argent et assoiffé des louanges que lui prodiguait le juge ; c’est tout cela sans aucun doute qui valut au chevalier Rinaldi le succès.

Vraiment, au début de ma carrière, je n’avais pas compris cet homme et, jeune ingénu désireux de justice, je l’avais pris pour maître ; mais après un certain temps, ayant compris mon attachement et l’ayant sans doute pris pour une suggestion timide, il s’était légèrement dévoilé : un après-midi, alors qu’il était particulièrement gai puisque, comme le trahit son haleine, son repas ayant été plus arrosé que d’ordinaire, il me dit : « la chasse aux sorcières nous nourrit tous : moi, vous… tous ! C’est une affaire : sbires, geôliers, scribes et greffiers, tourmenteurs, bourreaux ; bûcherons, charpentiers, pompiers ; et… nous les juges. » Mon oreille se dressa. « Vive ces maudites ! » avait-il ajouté, levant haut la main comme s’il y tenait une coupe de cocktail : »…et l’atout politique ? Les puissants font ce qu’il leur plait alors que la faute de tous les maux revient aux sorcières. Ou, aussi, aux juifs, « les perfides assassins du Christ » ; et quant aux commerçants ? Quel avantage que la plèbe s’en prenne à eux ! Quel bien lorsqu’un prince réduit la part en métal précieux de la monnaie, voit la dévaluation attribuée à ces misérables qui, devant à leur tour augmenter les prix, apparaissent comme la cause première du mal ; c’est ensuite à nous d’intervenir pour les mettre au pilori public pour calmer le peuple, et même, de temps en temps, en pendre un d’entre eux. Quel succès pour l’ordre public, cher Grillandi ! Quel paix pour les grands, les cardinaux, les princes, les banquiers ! C’est toute une industrie, mon cher, un immense pouvoir dont nous sommes les serviteurs fidèles. Vous n’en éprouvez pas de l’orgueil ? »

J’en eus la nausée. Pendant plusieurs jours j’avais eu l’envie de tout abandonner pour me consacrer au barreau. Je me souviens que je m’étais demandé si le juge Rinaldi, tant intéressé par l’argent, n’avait pas, dans certaines circonstances, et moyennant rétribution, influé sur les sentences. Je regrettais en effet, plus d’une fois, qu’alors que j’aurais certainement infligé le bûcher, lui n’avait ordonné que la réclusion. Au contraire, dans d’autres situations où, selon moi, seule la prison s’imposait, mon supérieur avait demandé le bûcher. En particulier, restait encré dans ma mémoire le cas de Giannetto Spighini, homme riche de famille marchande et fonctionnaire ordurier des finances du Pape, une charge publique qu’il avait achetée précédemment pour augmenter son prestige social.

J’eus à traiter de son cas durant les premières années de ma carrière, quand j’avais encore beaucoup d’estime pour Astolfo Rinaldi.

Je connaissais Spighini avant le procès parce qu’il habitait dans un beau palais face au logement que j’avais loué et m’avait adressé son salut et, parfois, de la terrasse au balcon, accordé un brin de causette. C’était quelqu’un de spontané et de sanguin et, à dire vrai, même fou, comme quand il s’asseyait sur la terrasse torse nu pour jouir, selon lui, de l’influence bénéfique des rayons de l’astre solaire. Une soirée d’été il était sorti pour prendre un bol d’air sur la petite terrasse et je l’avais surpris appuyé sur la rambarde, le visage renfrogné et la bouche tordue par une grimace de dégoût. Me voyant, sans toutefois me saluer, il m’avait dit violemment : « Mon bon monsieur, a quand la justice ? »

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