Полная версия
Le Juge Et Les Sorcières
Je lâavais jusquâalors gardé debout, à la porte de mon étude. Le sachant ambassadeur de nombreux dignitaires, et désormais piqué dâorgueil, je le priai de sâasseoir, et je fis de même.
« Magies et sorcelleries », continua-t-il à peine assis, « parcourent toute lâhistoire de lâhomme, bien avant le Christianisme. Les rites sorciers sont décrits dans la littérature antique, comme chez Apulée, et de brillants lettrés les considèrent comme un nouvel objet de lecture et dâétude ; de plus, la découverte et la recherche portant sur des textes très anciens, comme les Hermetica et la Cabale, de Giovanni Pico des Contes de la Mirandole et de la Concorde⦠»
A nouveau agacé, je lâinterrompis, « Mon docte seigneur, ces choses sont, hélas, exactes et bien connues même de pauvres idiots comme le Juge Général qui patiemment vous prête lâoreille ; mais elles ne nous dictent quâune plus grande vigilance et le devoir de nous défendre. Il est certifié que le démon a agi tout au long de lâhistoire ! Vous pensez mâen apprendre ? Vous croyez que je ne connais pas, par exemple, la vieille sorcière dâEndor qui prédit le sort de Saül ? », ajoutai-je pour étayer mon savoir, faisant allusion au premier fait qui mâétait passé par la tête ; je fis une moue de la bouche et le fixai dans les yeux pour quâil détourne le regard ; il nâen fit rien mais me sourit ; puis il opina de la tête et lâinclina, comme pour sâexcuser, puis la releva brusquement et reprit : « Pardonnez-moi, mon juge, mais il ne sâagissait que dâune innocente entrée en matière. Je ne voulais absolument pas mettre en doute votre savoir. »
Je fis mine dâaccepter ses doléances en baissant le chef, mais plus brièvement que lui : « Venez au Canon Episcopi », lui conseillai-je, « ou je ne vous retiendrai pas davantage » ; et je commençai à tapoter lourdement le bras de mon fauteuil des doigts de ma main droite.
Accélérant le flux de ses paroles, Ponzinibio poursuivit : « Le Canon, pardonnez-moi, votre Seigneurie, prétend quâil existe des femmes teigneuses qui croient chevaucher des bêtes de nuit avec la déesse Diane et couvrir de longues distances en peu de temps et, dans des lieux secrets, de célébrer des cérémonies blasphématoires avec des esprits incarnés, mais il souligne quâil ne sâagit que dâhallucinations et de songes, provoqués par le diable pour sâemparer de lâentendement des gens ; et savez-vous quels en sont les remèdes proposés ? » Il ne me donna pas le temps de répondre et continua : « La pénitence et la prière. Câest ce qui est écrit dans le Canon et câest ce que préconise notre mère lâEglise à partir de lâan 1000 environ. Il nây a pas si longtemps, et, comme dâautres documents que détient monseigneur Micheli le démontrent, un siècle plus tard, une grande partie du clergé accepta désormais de façon pacifique, la réalité expérimentale de ces faits, tandis que le peuple entier en avait la certitude ; et la magie du diable, son apparition, en chair et en os, lors de réunions de sorciers et de sorcières, devint par la suite de plus en plus indiscutable. »
« Il est, en effet, impensable et dangereux même, de penser autrement », rétorquai-je sévèrement. Jâallais compléter en lui avouant une menace plus grande encore, quand je songeai à nouveau à son puissant protecteur qui, je lâavais désormais compris, partageait ses mauvaises pensées, et je me tus.
Lâavocat profita de mon silence pour répondre : « Cependant, mon juste seigneur, une interprétation modérée du Canon Episcopi, indiquerait-il, sans doute, que nos ancêtres étaient des ignorants ? Il est possible que jusquâau onzième siècle, depuis que la torture fut mise hors-la-loi et que lâon garantit un procès équitable à tous les inculpés », Ponzinibio, me regardant droit dans les yeux, ajusta le ton, « les sorcières et les sorciers nâétaient plus quâun phénomène de second ordre et quâau contraire, son nombre nâa fait quâaugmenter ensuite, pour représenter aujourdâhui un des pires dangers ? Ce qui semble le remède nâen deviendra-t-il pas la cause ? Comme je le disais, qui pourrait résister à la douleur ou, à son présage, même, sans sâavouer coupable ? Est-il possible que ces derniers siècles, où tant de monde a glorifié la sagesse, aient vu la déchéance de la raison, gloire du Christianisme du premier millénaire ? » Il conclut enfin : « Monseigneur Micheli prie pour vous et exprime le désir ardent de vous voir, monsieur le Juge Général. Il vous attend jeudi prochain chez lui, deux heures avant le lever du soleil. Que puis-je lui dire ? »
« Mon obéissance à lâégard de son excellence est absolue. Faites-en lui part, et dites-lui que je viendrai. »
Chapitre III
Câétait le lendemain matin, mardi, deux jours avant mon rendez-vous avec lâévêque Micheli.
Jâaccomplissais une tâche importante, sûrement sous une injonction papale puisquâelle me fut personnellement assignée par lâexcellent Turibio Fiorilli, prince de Biancacroce, son porte-parole séculier.
Jâespère pouvoir mâacquitter de cette charge avant le premier après-midi, pour pouvoir me rendre ensuite chez Mora, comme je le lui avais promis, une femme du peuple beaucoup plus jeune que moi, à peine vingt-trois ans accomplis, des cheveux noirs et épais, un visage et un physique de nymphe, que jâentretenais secrètement et avec qui je forniquais, sans jamais lâavouer par crainte des punitions draconiennes. Car je ne savais pas à qui me confier, le confessionnal nâétant pas encore institué à cette époque, alors que ce mécanisme, après le Concile de Trente, aurait assuré un certain anonymat au pénitent.
Toutefois, je ne croyais pas pouvoir accomplir mon devoir à temps pour retrouver ma Mora, même avec du retard.
Jâéprouvai une inquiétude confuse.
Il y avait avec moi un de mes juges a latere, Venerio Salati, six gendarmes dâescorte tandis que Angelo Rissoni, lieutenant commandant de la Garde du Tribunal, écartait branches et broussailles de son épée pour nous frayer un chemin. Nous progressions à pied dans le ventre dense dâune forêt obscure.
Nous savions tous que les problèmes de lâEglise auraient finalement trouvé une solution si nous avions réussi notre entreprise: lâhérésie protestante se serait éteinte rouvrant un splendide couloir évangélique à la population chrétienne, finalement réunie.
Mon âme était donc emplie dâune immense joie, comme celle de chacun, comme les paroles prononcées par les gardes et mon assistant le laissaient entendre. Ce contentement parvenait à calmer notre anxiété : personne dâentre nous ne connaissait le chemin à suivre et avançait donc à tâtons. Rissoni restait silencieux, absorbé par sa responsabilité de chef de file: les marais nâétaient pas loin quâil fallait dâabord éviter avant de finalement atteindre lâobjectif.
Je me souviens de la sueur sur mon front, des gouttes que je devais perpétuellement éponger de ma manche gauche, tandis que de la main droite, jâétreignais, comme tous les autres, lâépée dégainée, car nous savions que les loups et les onces étaient à lâaffut.
Mon ancien supérieur le chevalier Astolfo Rinaldi, désormais majordome anobli de sa Sainteté, nous attendait le long du chemin pour nous donner les dernières instructions ; mais personne de nous ne savait où nous lâaurions rencontré ; on nous avait dit que lui-même nous aurait retrouvé, le moment voulu. Un tel secret entourait cette opération dont nous-mêmes ne pouvions connaître toutes les phases.
Malgré une longue marche, nous nâapercevions toujours pas le bout de cette forêt épaisse. Je levai le regard et remarquai au travers des entrelacs de feuillages, que le soleil était désormais au zénith. Il était évident quâil ne me serait plus possible de rendre visite à ma Mora ce jour-là .
Câest avec ces pensées que je vis le lieutenant commandant sâenfoncer dans le terrain avant de disparaître, en un instant: des sables mouvants ! Câest en vain que deux gendarmes et moi-même tentâmes de le rejoindre, dâabord en plongeant les bras dans la fange, en équilibre à la frontière du sol ferme, puis remuant les sables diaboliques à lâaide dâune longue branche trouvée sur place : lâofficier sâétait trop enfoncé.
âLa porte de lâenfer!â, ne put sâempêcher dâhurler le fonctionnaire, vice commandant de lâescouade : « Il est dans les mains du diab⦠»
Je le fis taire dâun regard glacé et lui soupirai: âPrend le commandement de lâescorte! En tête de file, vite, et trouve-nous un autre chemin. »
Il obéit, même si son expression et sa démarche chancelante, trahirent sa mauvaise volonté.
Jâadressai à tous un « Courage et confiance ! » et dirigeai vers chacun dâeux, un regard résolu et altier.
âOrgueil!â, entendis-je alors résonner dans ma tête. Je regardai alentour, pour voir si les autres aussi lâavaient entendu, mais personne ne réagit ; je frémis : qui avait donc parlé ?
Suivant la nouvelle direction et pas mal de temps après, presque au crépuscule, nous rencontrâmes le chevalier Rinaldi, tout seul, dans une petite clairière. « Par-là », dit-il, nous indiquant du doigt notre gauche, dans la direction dâun sentier qui sâouvrait, à peu de distance de nous, parmi des ronces hautes et touffues. Puis sans rien dire dâautre et après mâavoir lancé un regard de haine et comme sâil me craignait, sâenfuit dans la direction opposée.
Très vite, ce chemin nous mena finalement, sur une plage de sable très clair, presque blanc, face à la mer.
Nous avions tous été choisis parmi les nageurs car nous avions lâordre, une fois arrivés, de nous immerger et de prendre le large où la barque de Pierre, invisible du littoral, nous attendait.
Nous abandonnâmes donc les armes sur le sable, pénétrâmes dans lâeau et commençâmes à nager. Le soleil commençait à se coucher et lâeau devint bientôt couleur de lâorange ; et ce nâest quâalors que nous vîmes avec beaucoup de dégoût, des serpents et dâautres reptiles dégoûtants tout autour de nous, à fleur de lâeau et nous sentîmes les assauts dâautres sur nos jambes et sur le dos. Il sâen fallut de peu quâun menu serpenteau à rayures jaunes et vertes, pas plus long que mon doigt majeur, ne mâentra dans la bouche. Comme si cela nâétait pas assez, des nuées de moustiques nous assaillirent, de nombreux se posant sur nos fronts et sur nos oreilles pour en sucer le sang. Priant et nous exhortant les uns les autres, nous poursuivions ; et tout à coup, nous découvrîmes à notre très douloureuse surprise quâau lieu de la barque de Pierre, une autre rive nous attendait : non pas la Mer de la Pureté que le Pape nous avait assigné comme destination et qui eût du envelopper nos corps, mais au lieu de cela, une grande lagune dâeau saumâtre tout autour.
Nous nageâmes jusquâà cette plage, désormais épuisés, tandis quâun nombre toujours croissant de reptiles continuaient de nous effleurer, avant dâatteindre la rive, enfin.
Que faire maintenant ? Nous nous laissâmes tomber sur le sable, sans souffle ; mais peu après jâintimai lâordre de continuer, me mettant debout dans un élan improvisé dâorgueil bien placé. Il faisait presque sombre, désormais.
Câest ce que nous fîmes ; cependant, après quelques pas à peine, un tremblement de terre, étrangement silencieux, déchira instantanément la terre sous nos pieds, ouvrant un gouffre qui engloutit Venerio Salati, à mes côtés, et tous les autres, sauf moi ; en fait, à ce même moment, un bras sortit du brouillard laiteux mystérieusement et brutalement apparu à mes côtés, et sa main dont un des doigts portait lâanneau épiscopal, me saisit.
Câest à ce moment que je me réveillai dans ma chambre de nuit : nous étions encore la nuit entre lundi et mardi.
Ce nâest que plus tard que je compris le sens de ce cauchemar. Il sây trouvait le futur immédiat et prochain de mes collaborateurs et de moi-même : des années plus tard, Paul IV, en proie à des manifestations protestantes similaires, avait rallumé avec la plus grande diligence, la chasse aux âmes errantes, plus horrible comme jamais. Le futur cardinal Gabriele Micheli sâétait mobilisé contre la volonté criminelle du Pape et réussit, tant bien que mal, à faire condamner une partie des inculpés à la détention, sinon à mort : on agrandit la prison de lâInquisition pour contenir tous les détenus. Cependant le massacre fut épouvantable, y compris celui de Angelo Rissoni et Veniero Salati, devenu tout à coup Juge Général à ma place. Le cardinal Micheli, sur ordre direct de sa Sainteté, avait été emprisonné sans procès et libéré seulement à la mort de cet excellent Pape. Moi seul survécus indemne à toutes les persécutions, vivant comme un simple pénitent, inconnu, dans un couvent ermite que jâavais intégré un an après ce songe dantesque.
Pourtant, je ne saisis pas immédiatement le sens de lâallégorie, toutefois celle-ci révéla tout de suite avec rassurance, que lâexclamation entendue vers la moitié du mauvais rêve, « Orgueil », était un avertissement, et quâil mâétait adressé par le Bien, et non par Satan.
Chapitre IV
Lâhui suivant, dans lâaprès-midi, alors que je me trouvai au corps de garde du siège du tribunal, à donner des ordres au lieutenant commandant, un messager, sbire communal à Grottaferrata, sâapprocha de moi. Il me déclara devant les hommes dâarmes que le curé paroissial de sa bourgade sentait sa fin venir et voulait mâentretenir dâune chose de la dernière gravité, avant de rendre lââme. Il mâimplorait de ne pas refuser.
Ce jour-là , mon intention était vraiment de rendre visite à Mora. Ce fut donc de mauvais gré et non sans une bonne dose dâhésitation, que je répondis oui au messager, mais me trouvant devant tant de témoignages, je nâaurais pu faire autrement : en tant que Juge Général je devais faire preuve du sens du devoir moral et de la charité. Toutefois je lui demandai de mâattendre, car je nâavais pas lâintention de mâaventurer à cheval par les chemins peu sûrs, ni soustraire des gardes du tribunal à leur devoir pour des raisons autres que professionnelles ; et je lui demandai et obtint la promesse de mâaccompagner à Rome.
Jâétais dans lâimpossibilité de prévenir ma dulcinée ; mais étant donné que ce nâétait pas la première fois que les affaires me retenaient, jâavais la certitude quâelle ne sâen serait pas préoccupée. Dâautre part, elle savait bien quâelle me devait tout et ne sâétait plainte de rien.
Le voyage fut sans encombre et, à la tombée du jour, nous arrivâmes au village.
Le sbire me conduisit directement au presbytère. Un jeune prêtre nous accueillit et sursauta quand je mâannonçai. « Le curé vient à peine de se confesser, et il est encore lucide », me dit-il, dâune voix ténue, en me conduisant par les escaliers vers la chambre du supérieur : « Je lui ai déjà administré lâEucharistie et lâExtrême Onction et il en semble réconforté, car il a retrouvé une voix plus forte et une expression plus claire. »
Le rétablissement qui, souvent, précède la mort, pensai-je spontanément ; et je me troublai soudain : en bon chrétien, jâacceptais de bonne foi le pouvoir thaumaturgique de lâHuile Sainte ; pourquoi donc cette pensée blasphématoire me traversa-t-elle ? Il nây avait pas de doute, ce devait certainement être le diable. Sans doute voulait-il mâempêcher de mâadresser au curé ? Je fis le Signe de Croix et commençai de prier, au moment même où je mâapprochai du mourant, imité par le jeune prêtre et par la garde, qui était montée derrière nous. Ils pensèrent sans aucun doute à une oraison à lâintention de ce moribond, ce que dâailleurs, je partageais aussi.
La chambre, très petite, était misérablement aménagée, une planche monacale, quelques étagères en bois brut pour les livres et, comme grabat, trois traverses recouvertes de paille posées sur des chevalets. La pièce était à peine éclairée par deux bougies.
Lâarchiprêtre semblait assoupi ; mais au son de nos prières il ouvrit les yeux et se tourna vers moi, en exprimant un soulagement suivi dâun gémissement.
âCâest le ciliceâ, murmura le jeune prêtre, lâoraison à peine terminée, « il le porte depuis de nombreuses années et il nâa pas voulu que je lâen débarrasse, même maintenant. »
âLaissez-nous seuls et éloignez-vousâ, intimai-je. « Toi aussi », adressai-je au sbire : « Il nâest pas question que nous retournions aujourdâhui. Je me reposerai ici. Viens mâattendre à lâaube ; sollicite la sainte autorisation du bourgmestre, en mon nom. »
Une fois seuls, le prêtre me fit signe dâapprocher la planche de sa couche.
A peine à ses côtés, il se mit à me parler; et tandis que ses mots sortaient progressivement de sa bouche, moi, jâouvrais la mienne toujours plus.
Il me raconta à propos dâElvira, contre qui il avait témoigné quelques années auparavant.
La femme, encore jeune, après de nombreux malheurs, avait fini par arriver à Benevento, repaire fameux de sorcières autour duquel, comme lâavait raconté le démonologue Spina dans son traité, elles se réunissaient sous un noyer à perpétrer des choses horribles et à en concocter de nouvelles. Sa mère avait été lâune dâentre elles. Jâétais au courant à propos de cette sorcière pour avoir lu le livre du docte dominicain. Elle se trouvait perchée tel un vautour sur une branche du noyer, les jambes écartées, quand, passant par-là , solitaire, un jeune marchand, bossu mais sublimement fait et dâun parler très noble, et voyant la sorcière, femme pour le reste très belle mais néanmoins plus très jeune, attiré par les appâts génitaux quâelle exhibait, entama une conversation lascive. Elle aussi lâavait aussitôt désiré sexuellement, mais de désirs démoniaques les plus bestiaux et contre-nature, et lui avait promis de lui ôter la bosse, définitivement, sâil acceptait de la satisfaire. Câest ce qui arriva. Ãtant plus tard de passage à Benevento, à lâauberge, après de nombreuses beuveries, le marchant, le visage rougi de tant de béatitude, peu avant de sâen aller, avait raconté le fait aux autres hôtes, leur montrant lâéchine à plusieurs reprises, se tournant par-ci puis par-là pour que chacun pût bien la voir, et jurant à tous quâavant la luxurieuse rencontre avec la mégère, son dos était beaucoup plus gibbeux. Ensuite il sâéloigna, en riant, vers son destin inconnu sans pouvoir être interrogé au préalable par les autorités. Il ne fut donc pas possible de connaître les méfaits de la chipie libidineuse pour lâappréhender et la juger. Dâailleurs, un forgeron, lui aussi boscot, ayant prestement retrouvé la voix, sâétait rendu au pied du noyer en espérant y trouver la belle harpie et de connaître aussi bien lâextase suprême dont lâautre sâétait vanté que, et surtout, lâablation définitive de sa protubérance. Elle sây trouvait, mais lâhomme était tellement vilain et avait lâhaleine tellement vineuse de trop de boissons que la sorcière, irritée, non seulement nâavait pas forniqué avec lui, mais, plutôt que de lui enlever la bosse, elle y avait appendu celle de lâautre. Arrivé à la place du village, bouleversé, le pauvre artisan avait relaté sa mésaventure aux témoins. Selon certains dâentre eux, le renflement avait doublé ; selon dâautres, elle nâavait grossi que de peu ; pour dâautres encore, qui selon Spina cependant, nâavaient lâintention que de consoler la victime et non de rendre la vérité, la proéminence nâavait pas changé. Deux pandores communaux sur le seuil de la mairie avaient tout entendu et immédiatement arrêtèrent le témoin. Peu après, lâenquêteur local avait obtenu du forgeron, la description physique de la sorcière, et, connaissant tous les autres villageois, était parvenu à lâidentifier comme une certaine guérisseuse et sage-femme miteuse. Câest ainsi que celle-ci fut arrêtée peu de temps après dans sa maison par les gendarmes communaux : comme lâenquêteur le soupçonnait, de par sa faculté à pouvoir voler, comme toutes ses semblables, elle devait avoir atterri à Benevenuto avant même que le pauvre malade nây fût arrivé. Il ressortait du traité de Spina que la rombière, célibataire, avait une fille, sans aucun doute le fruit, selon lâintuition instantanée des tous, de son accouplement avec le diable, mais qui malheureusement nâavait pu être appréhendée. Jâappris du prêtre quelle nâétait pas chez elle au moment de lâarrestation de la mère et, quâau retour, elle avait été vue et saisie de force dans sa propre boutique par le jeune tailleur du village, un judéen mal vu de tous et souvent insulté et qui, solidaire de tous les persécutés, mais aussi parce que cela faisait longtemps quâil était fasciné par la beauté du tendron, lâavait cachée. Dans son laboratoire, Elvira avait dû souffrir les cris horribles de sa mère torturée dans le tribunal tout proche, laquelle, après seulement deux jours, avait été condamnée et, pour calmer la plèbe tumultueuse, tout de suite brûlée, sans étranglement préalable afin que le peuple appréciât mieux le verdict prononcé, en se délectant de ses hurlements. Il était soir et, profitant de lâassoupissement des villageois excités devant le bûcher et, surtout, amoureusement attiré par la jouvencelle en herbe, il avait préféré lui aussi sâéloigner de Benevento. De loin, Elvira avait vu sa mère se consumer et entendu ses dernières vociférations stridentes. Ils avaient vécu ensemble comme des couche-dehors, lui en coupant des habits de village en village, elle en vendant une liqueur couleur paille, dâun goût exquis affirmait le curé pour y avoir goûté à maintes reprises, et dont elle tenait la recette de sa mère. Tout cela, elle lâavait ensuite raconté à lâarchiprêtre à qui elle sâétait finalement liée, dont elle devint enceinte et après de nombreuses péripéties, lui demanda un asile temporaire : elle avait à peine échappé à un repaire de brigands où elle était gardée en esclave pendant des années puisque câétait dans la rue quâils lâavaient capturée, après quâils eurent tué son compagnon. Le prêtre, plein de compassion, lâavait placée comme esclave dans la famille pieuse dâun notaire, où elle put donner naissance à une enfant, en paix, obtenant le privilège de pouvoir la garder avec elle dans les combles et de lâélever. Malheureusement, avec eux habitait un frère du chef de famille, lui aussi juriste mais dâune toute autre trempe : câétait un fainéant qui, le doctorat en poche après beaucoup de labeur, nâavait pas voulu exercer et avait dévoré tout le patrimoine paternel en bombances. Câétait par charité que son frère lâentretenait et lâhabillait pendant tout ce temps, tandis quâil sâefforçait de lui procurer un emploi convenable et facile. à peine Elvira eut-elle retrouvé une silhouette normale que ce dépravé sâen était allumé et avait tenté de la posséder brutalement ; mais la femme, dâune forte complexion que la vie errante avait rendue encore plus rude, lâavait maîtrisé et étourdi avec un chandelier. La matrone de maison, que les hurlements de sa servante avaient alertée, lâavait assistée dans les dernières phases de la lutte. Ses vêtements en lambeaux et ses tuméfactions ne laissaient aucun doute sur la culpabilité de lâhomme; mais câétait le frère du notaire. Que faire ? Ces bons chrétiens ne voulaient pas que la femme eût à souffrir par la méchanceté des autres ; mais lâautre nâen était pas moins un parent. Après avoir longuement tergiversé, ils lui avaient finalement offert une somme qui lui permît de sâéloigner de la maison et, si possible, du village. La malheureuse cependant, son enfant étant encore très petite, préféra sâinstaller dans une cabane à lâorée du bois. Câest là quâelle mit à profit lâart maternel, la préparation et la vente de sa liqueur et de décoctions médicinales ainsi que lâassistance à lâaccouchement de femmes du peuple : le choix du métier fut la cause principale de son mal ; mais ne lâempêcha pas de se consacrer aussi au marché de passereaux quâelle savait capturer avec des filets et garder vivants, en attendant les acheteurs, dans une grande cage.