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Storey
– Peut-être, dit Paul en haussant les épaules. Mais il changeait en une personne différente. Et puis, tout était fini pour lui.
Elle lui donna les directions: il passa devant Gosford Green où il avait joué au tennis lorsqu’il était enfant, bien que les courts de tennis aient disparus depuis longtemps, devenues maintenant une aire de jeux. Puis il fit tout le tour du périphérique extérieur, pour finalement sortir en direction de Holyhead Road.
Elle lui dit de prendre à gauche au garage Texaco. Les maisons étaient soudainement plus grandes, éloignées de la route, avec un parking à l’avant et des arches en pierres au-dessus des portes d’entrée.
– Celle-ci, dit-elle en pointant du doigt.
Il ralentit et s’arrêta. Elle ouvrit la porte et se retourna pour le regarder.
– Tu viens?
– Qu’est-ce que je suis censé lui dire? Qui je suis, le chauffeur?
– T’en fais pas, il n’est pas du genre jaloux. Je pense que tu vas bien l’aimer.
Paul dévisagea David lorsqu’il leur ouvrit la porte et recula pour les laisser entrer. Il était de la même taille que Paul, pâle, la poitrine creuse, une barbe et des cheveux à poils durs couleur paille sale. Paul devina qu’il travaillait à domicile, peut-être un journaliste, comme Araminta prétendait l’être.
Elle fit des introductions rapides en faisant un signe de la main vers Paul, comme si David n’avait pas remarqué son entrée.
– Ne fais pas attention à lui, dit-elle à David, c’est quelqu’un que je connais, qui m’a accompagné.
David croisa le regard de Paul mais sans dévoilé, ou peut-être bien une vague curiosité. Il était probablement en rogne ou énervé contre sa petite amie de débarquer ainsi accompagnée d’un autre homme, pensa Paul.
Paul remarqua que la maison était grande mais l’air inhabitée – il aperçut à travers une porte ouverte une pièce sans moquette aux murs unis et rien d’autre, pas de meubles, ni de tableaux sur les murs. On sentait une odeur de pin de produit de nettoyage, comme si David était en train d’astiquer le plancher de bois avant leur arrivée.
David les conduisit vers une pièce à l’arrière. Paul remarqua de grandes baies vitrées donnant sur un jardin assez grand, propre, avec un hangar au fond, des lumières solaires clignotant dans les parterres à fleurs. Peut-être qu’il passait la majorité de son temps dans le jardin, pensa Paul, à tailler les rosiers ou tout ce qui se fait dans ces putains de jardins.
Araminta s’était assise sur un canapé en cuir noir et Paul s’installa en face d’elle. David leur demanda s’ils voulaient un café ou un thé ou quelque chose de plus fort, que tous deux refusèrent.
Il pensait que David avait l’air d’être un type soumis et fut surpris de l’entendre dire à Araminta de manière directe:
– Qu’est-ce que tu fais ici? Qu’est-ce qui se passe? Tu as dit que c’était important.
Elle croisa les mains sur ses genoux pour gagner un peu de temps, puis releva la tête pour le regarder.
– Paul est un collègue, d’accord? Je lui ai demandé de m’accompagner. Et c’est vrai, je devais absolument te voir ce soir.
Elle se tourna et regarda Paul.
– Peux-tu nous laisser une minute? Que penses-tu d’aller faire un tour dans la cuisine, par exemple.
Elle ne lui donnait pas le choix, à moins qu’il veuille se lancer dans une discussion inutile.
Il les laissa et ferma la porte derrière lui, fit le tour du rez-de-chaussée en ouvrant quelques portes avant de tomber sur un bureau – des étagères, une table avec un ordinateur portable, une lampe d’architecte et une chaise rembourrée sur roulettes. Il s’assit sur la chaise et regarda par la fenêtre qui donnait sur l’avant de la maison. Il faisait noir à l’extérieur, il n’arrivait à apercevoir que les rares voitures qui passaient dans la rue principale.
Il réfléchit et se retourna pour regarder les photos sur le mur. Les photos de David enfant, puis une avec la famille – lui, une fille qui pourrait bien être sa petite sœur, les parents et un chien noir, tous debout devant une maison couverte de lierre avec des colonnes de chaque côté de la porte d’entrée. On aurait dit que c’était à Oxford ou dans une maison des comtés à l’extérieur de Londres. Bourgeois et riches.
Plus loin, quelques diplômes encadrés, un niveau 8 au piano, un autre pour avoir gagné un rallye automobile en Afrique; peut-être qu’il était plus dur qu’il n’avait l’air.
Dix minutes plus tard, il entendit la porte du salon se rouvrir. Il se dirigea vers le couloir, Araminta et David sortirent de la pièce, différents, comme s’ils venaient de subir une métamorphose pendant son absence. Araminta souriait, détendue, son langage corporel ayant perdu son irritation habituelle. Quant à David, il était tout pâle, les joues creuses, comme s’il venait de vieillir de dix ans.
Paul se dit qu’il devait faire plus attention à l’avenir – cette femme pourrait avoir un effet traumatisant sur votre santé.
– Prêt? dit Araminta en se tournant vers lui comme s’ils allaient en promenade un dimanche après-midi et se dirigea vers la porte d’entrée. Paul suivait David du regard et remarqua que son expression de chien perdu s’empirait.
– Nous sommes donc toujours d’accord pour demain soir? Les photos? demanda David.
– Ne t’attends pas à me revoir de sitôt, dit-elle en lui faisant un signe d’au-revoir de la main, mais ça ne veut pas dire que tu oublies ce que je t’ai dit. Tu vas bien?
– Je crois que oui.
– Courage! Ce ne sera pas grave.
– Je pense à toi.
Elle lança un regard furtif à Paul qui le remarqua, mais n’en avait pas saisi la signification. Elle dit à David:
– Ne pense pas à moi. Pense plutôt à ce que je t’ai dit, lui dit-elle.
Elle ouvrit la porte et sortit sans se retourner, s’éloignant de la maison en prenant le chemin menant à la grille d’entrée. Paul fit signe de tête à David et la suivit en fermant la porte derrière lui. Il était sûr que quelque chose venait de se passer, mais il ne savait pas quoi.
Araminta se tenait maintenant debout de l’autre côté du portail, déjà au téléphone. C’était un appel court.
– Tu n’as pas à me raccompagner chez moi. J’ai appelé un taxi, dit-elle en se tournant vers lui après avoir raccroché.
– Pourquoi?
– Tu ne vas pas te mettre à me poser la question? J’ai besoin d’être seule, d’accord?
Paul pensa qu’elle ne voulait peut-être pas qu’il sache où elle habite.
Il resta debout avec elle, sentant la nuit se rafraîchir.
– Tu n’es pas obligée de me dire ce qui s’est passé à l’intérieur! dit-il.
– Très bien.
– Mais je dois savoir une chose – est-il vraiment ton mec? La manière dont tu le traites, comme un enfant?
– Ça ne le dérange pas en tout cas.
– Qu’en sais-tu?
– Tu l’as vu: il paraît un peu froussard, mais il va droit au but. S’il avait un problème, il me le dirait ou il me larguerait.
– Tu n’as pas l’air d’être trop inquiète.
– Pourquoi veux-tu que je le sois? Un de perdu, 10 de retrouvés, etc., dit-elle le ton éreintée n’appréciant peut-être pas ses questions.
– Je me demande seulement ce qu’il ressent en ce moment, dit Paul.
– Ça m’est égal.
Elle essayait de mettre fin à la conversation, pensa Paul, n’appréciant pas le fait qu’il pose des questions sur l’autre homme.
Enervé alors contre elle et voulant gagner sa confiance, il dit:
– Alors pourquoi tu voulais que je vienne?
– Je pensais que tu devais le rencontrer.
– Pour me convaincre que tu avais un mec, pour ne pas avoir trop d’espoir.
Elle se retourna vers lui, le regard direct pour une fois et même amusé:
– Tu as de l’espoir? Tu es stupide!
Il ne savait pas quoi lui répondre, il hocha alors la tête et fit quelques pas faisant semblant de chercher son taxi, puis se retourna et vit qu’elle vérifiait les messages sur son téléphone. Elle ne se passera jamais de la technologie. Il se demandait si David les observait de sa fenêtre, et dès qu’il y pensa il sut que oui. Il s’efforça de ne pas vérifier.
– Qu’est-ce qu’il fait, ce David? demanda-t-il.
– Je me demande quand tu te lasseras, dit-elle en relevant les yeux de son téléphone. Tu es obsédé par ce que tout le monde fait, ce qu’ils font pour gagner leur vie. Tu ne prends jamais les choses comme elles sont, c’est ça?
Paul réfléchit un instant à ce sujet. En effet, il ne pouvait pas le nier. Mais il se dit qu’il était naturellement curieux, ce n’était pas du tout de l’indiscrétion.
– Tu as peut-être raison, dit-il, mais tu n’as pas répondu à ma question.
– Il travaille pour la municipalité sur laquelle j’enquête pour corruption, dit-elle. Relation européenne, décrocher du fric pour la ville de tout ce butin qui se trouve à Bruxelles. Cette réponse te satisfait? Dieu merci, le taxi est là. Je me gèle les nichons.
Paul suivit du regard le taxi qui s’éloignait. Dès qu’il disparut au coin de la rue, il fit demi-tour et frappa à la porte de David se demandant ce qu’il foutait et que cela n’était pas son problème.
Dès que David ouvrit la porte, Paul s’avança d’un pas pour montrer clairement qu’il voulait rentrer. David recula d’un pas timide. Paul entra sans savoir ce qu’il allait dire, mais il trouvera bien quelque chose.
David le regarda en se redressant pour se donner un air imposant et sûr de lui-même.
– Je voulais m’excuser pour elle, dit Paul. Elle m’a demandé de venir ce soir, mais je ne savais pas pour quelle raison.
David regardait à travers le verre granuleux de la porte d’entrée, pour voir si son ombre allait se dessiner au loin.
– Où est-elle? Elle est partie?
Paul remarqua qu’il portait des lunettes, maintenant, qui lui donnaient l’air d’un professeur de géographie ou d’un documentaliste. Il n’avait pas plus de trente ans et Paul se demanda quand il avait eu le temps de participer aux rallyes automobiles en Afrique.
Il se dirigea vers le salon, après avoir dit à David qu’Araminta avait pris un taxi. Il regarda autour de lui. Il cherchait un signe quelconque qui lui révélerait ce qui s’était passé lorsqu’on lui avait demandé de les laisser seuls.
– Excusez-moi, dit David, mais que voulez-vous?
– J’ai trouvé qu’elle avait été dure avec vous. Et quand vous êtes tous les deux sortis et que je vous ai vu dans le couloir, on aurait dit que vous avez été renversé par un camion. Je ne voudrais pas vous vexer, mais est-ce qu’elle vous a plaqué?
David fronça les sourcils et s’assit dans un fauteuil à motifs de fleurs, se pencha en avant vers Paul, qui s’était assis en face de lui pensant qu’il serait plus à l’aise pour parler de vérités qui dérangent.
– Non, bien sûr que non, dit-David, elle ne m’a pas plaqué. Mais ça ne vous regarde pas.
– On me le répète souvent.
– Vous travaillez avec elle, n’est-ce pas?
– C’est un accord récent.
– Vous êtes donc au courant.
– Au courant de quoi?
– C’est la raison pour laquelle elle est venue me parler. Et je suppose que vous êtes son soutien moral, en cas de besoin.
Paul ne comprenait pas ce qu’il voulait dire. Il savait que cela était le cœur du sujet, le noyau de l’arnaque, mais il ne comprenait toujours pas pourquoi elle l’avait amené ici. Il ne pouvait pas être son soutien moral, puisqu’il n’était pas sûr qu’Araminta ait un moral, pour commencer.
– Qu’est-ce qu’elle vous a raconté? demanda-t-il.
– Vous savez, au sujet du cancer.
David surprit l’expression sur le visage de Paul.
– Oh, peut-être que vous n’étiez pas au courant. Comme je suis stupide, j’ai craché le morceau.
Paul pensa qu’il était préférable de ne rien dire, il se contenta de regarder l’homme avec un visage neutre.
– Eh bien, continua David, trop tard maintenant. Elle souffre d’un cancer grave du pancréas. Normalement elle n’aura pas longtemps à vivre, mais elle s’est inscrite à un programme expérimental qui coûte une fortune et c’est top secret.
– Que voulez-vous dire par top secret?
David se lécha les lèvres:
– Elle m’a dit de ne rien dire à personne, mais je ne peux plus revenir en arrière maintenant. Elle a dit qu’il a été établi par un regroupement entre une entreprise privée et le ministère de la Défense. Ne me demandez pas pourquoi. Bref, ça implique la technologie génétique et personne n’est au courant.
Paul sentit qu’il avait le regard fixe, mais c’était plus fort que lui.
– Quel genre de traitement? demanda-t-il, uniquement pour avoir quelque chose à dire.
Davide haussa les épaules, pensant en avoir peut-être trop dit.
– Je sais uniquement que c’est presque un secret officiel et qu’elle va s’éloigner pour six mois, ajouta-t-il.
– Elle vous a dit tout cela ce soir, pendant les dix minutes où je me trouvais dans la pièce à côté?
– C’était comme si elle lisait un scénario, elle ne m’a pas laissé l’interrompre, elle l’a raconté du début à la fin. Elle m’a montré quelques documents, ça avait l’air d’être assez officiel.
– Et vous l’avez cru? demanda-t-il en essayant de masquer sa voix sceptique.
David ignora la question.
– Quel dommage vraiment, dit-il, car j’avais l’intention de l’emmener rendre visite à ma mère et ma sœur la semaine prochaine. Elles sont au courant, mais ne l’ont pas encore rencontrée. Je voulais leur faire la surprise.
– Où habitent-elles?
– A Kenilworth, pas loin. Je devrais y aller plus souvent, mais elles sont heureuses seules. Je n’aime pas déranger.
– Vous devriez passer plus de temps avec vos proches. Croyez-moi, je sais de quoi je parle.
– Vous ne connaissez pas ma mère. Après la mort de mon père, elle s’est endurcie. Je crois qu’elle n’aime pas trop les hommes. Pas après ce que mon père lui a fait. Ne me demandez pas quoi, parce que je ne vous le dirai pas.
Il ne voulait pas le savoir, pensa Paul, il ne voulait pas s’impliquer dans la vie des autres. Il avait déjà assez de mal avec la sienne.
– Je dois partir, dit-il en se levant.
David se leva également et demanda:
– Vous pensez qu’elle s’en sortira?
– Dites-moi, vous avez dit que le traitement allait coûter une fortune. Qui paye pour ça?
– Elle ne l’a pas dit.
– Non?
– Non, elle a seulement dit qu’elle allait se retrouver au chômage pendant un temps. Le journal lui offrira un soutien financier uniquement pendant quelques mois, ce qui est tout-à-fait juste de leur part. Après cela, elle sera à fauchée.
– Vous la connaissez depuis combien de temps? demanda Paul.
– Je sais où vous voulez en venir – vous êtes un type méfiant, c’est ça? Vous m’avez donné cette impression dès la première minute que je vous ai vu. Je ne suis pas né de la dernière pluie, vous savez! Vous pensez que juste le fait qu’elle ait demandé qu’on lui prête de l’argent, fait d’elle une croqueuse de diamants.
– Elle a déjà demandé?
– Juste pour la dépanner, après l’épuisement de ses économies. Je lui ai proposée de l’héberger ici, mais elle ne veut pas en entendre parler. Je crois qu’elle est assez timide, vraiment, réservée. N’aimerais pas s’imposer. Je sais qu’elle paraît être une dure, mais au fond c’est une fille très gentille.
Paul fit une pause.
– Si j’étais à votre place, dit-il, j’attendrais un peu avant de lui prêter quoi que ce soit. Voyez d’abord comment les choses se passeront.
– Quelques milliers par-ci, par-là, ne vont pas me ruiner. Regardez cet endroit. Un oncle me l’a légué dans son testament. Tout payé, avec de l’argent en plus. Je peux me le permettre.
– C’est ce dont j’avais peur. Laissez-moi vous donner mon numéro.
CHAPITRE HUIT
Bien que la maison fût en bon état, l’une des chambres avait besoin de restauration. Paul acheta donc, le lendemain matin, un bidon de magnolia pour peindre le papier peint à motifs que son père avait posé il y a près de trente ans de cela.
Il consacra un bon bout de temps à penser à David et à se demander ce qu’Araminta faisait avec lui. Il se demandait également où Cliff se trouvait dans cette comédie, si c’était le cas. Il pensait à Cliff et à ses trois hommes de main, assis dans les pubs et cafés à s’imaginer des projets qui pourraient rapidement les enrichir, vendre des marchandises volées dans des foires-à-tout ou dans des magasins d’échange contre du liquide en essayant se faire des profits. Il se demandait s’ils étaient sérieux, s’il devait en parler à Rick, les mettre sur une liste, voir s’ils étaient connus des flics de Coventry. D’après ce que Cliff avait raconté, ils se préparaient pour un coup et Paul ne pensait pas que cette virée impliquait Araminta. C’était probablement une affaire sur le terrain et sordide.
Il avait vu qu’Araminta gérait sa propre escroquerie en forçant David à lui remettre de l’argent comptant pour la soutenir le temps que, soi-disant, elle était au chômage. Mais il se demandait si ça aller s’arrêter là. Peut-être qu’il y avait une autre chose de planifiée. David était un peu ringard et peut-être insociable, vivant seul dans une maison inachevée qui lui avait été léguée par un parent. Peut-être qu’il était la proie idéale d’une femme séduisante, qui l’exploiterait ne voulant pas établir une relation de confiance, mais qui agitait continuellement devant lui la promesse du plaisir. Il s’imaginait bien Araminta dans ce rôle, le mener par le nez de la même façon qu’elle l’avait fait avec lui, au début. Etant consciente de son pouvoir et de sa fermeté, elle s’attendait qu’on lui obéisse. Il avait connu des femmes comme elle et avait failli encore une fois tomber dans le piège, avant de remarquer son attitude – le sourire facile, accepter les insultes – et avait fini par s’en détacher.
Peut-être que Cliff lui avait arrangé un rendez-vous avec David et cela faisait partie d’un plus grand plan, un plan qui les impliquerait tous. Peut-être que c’était ça l’affaire – arnaquer un célibataire solitaire pour s’accaparer de ses économies. Au pub, Cliff avait demandé comment David allait. Il le connaissait donc, ou du moins se sentait à l’aise de poser la question. Paul s’imaginait bien Cliff faire marcher David de la même façon qu’il avait essayé de le faire avec lui: disant connaitre une personne que David aimerait, une femme séduisante, une professionnelle, intelligente avec qui il s’entendrait… Mais cela était impossible puisqu’elle avait dit que David travaillait pour la municipalité et qu’elle écrivait sur la municipalité, sur la corruption – oui, ce serait donc son billet d’entrée: un coup de téléphone à son bureau – j’ai entendu que vous étiez droit, David, et que je peux vous faire confiance. Parlez-moi donc des manigances derrière les portes closes de la municipalité…
Il pensait encore à Araminta lorsque son téléphone sonna. Il n’était pas du tout surpris d’entendre sa voix au bout de la ligne.
– Qu’est-ce que tu as dit à David, hier?
– Tu as une excellente façon de commencer les conversations, dit-il.
– Ne t’fous pas de ma gueule, Paul. Qu’est-ce tu lui as dit? Tu es retourné et tu lui as parlé, n’est-ce pas? dit-elle très énervée après lui.
– Tu ne peux pas me reprocher de parler au gars, après la façon dont tu m’as bousculé dehors. Que crois-tu que je suis, un trophée pour le rendre jaloux? Je sais pourquoi tu m’as choisi, mais tu ne m’as donné la chance de briller.
– De quoi tu parles? dit-elle en insistant sur les mots, impatiente de pousser sa gueulante. Il m’a appelé ce matin, il a dit… il a dit qu’il n’allait pas faire ce que je lui avais demandé.
– Te prêter de l’argent?
– Ce n’est pas ton putain de problème. Tu lui as monté la tête, c’est ça? Qu’est-ce tu as raconté?
– Rien. Seulement un petit conseil amical. Après que tu lui as raconté ton histoire de cancer, je pensais qu’il en avait besoin.
Elle s’était tue et il savait qu’elle se préparait, elle réfléchissait à la façon dont elle pourrait continuer la conversation en repensant à ce qu’elle savait de lui et à ce qui pourrait marcher.
– Je t’ai emmené là-bas parce que je pensais que tu étais un ami, dit-elle d’une voix plus méfiante. Bien, on est dans la bonne direction, pensa-t-il. Je savais que ce que j’avais à dire le choquerait sûrement, et que j’aurais peut-être eu besoin d’un peu … d’un peu de soutien.
– Je vois où tu veux en venir… tu lui annonces une chose si dévastatrice qu’il pourrait avoir besoin d’une personne sur qui s’appuyer, tu m’as donc amené avec toi, moi, un inconnu. Qu’est-ce qui peut clocher dans ça?
– Tu ne le connais pas. Il a besoin de soutien, une personne à qui il peut faire confiance. Tu es digne de confiance.
– C’est la chose la plus gentille que tu m’aies jamais dite.
– Vas te faire foutre.
– Et le cancer, c’est vrai?
Silence à nouveau. Paul se l’imaginait, le téléphone contre la joue à analyser la réponse qu’elle pourrait donner.
Mais elle réussit à le surprendre à nouveau, en disant:
– Retrouve-moi ce soir. A Litten Tree, au bout de Heltford Street, près du Bull Yard. On en parlera.
– Je verrai si je peux te caser. Trop de travail ici.
– Sois au rendez-vous. Huit heures.
CHAPITRE NEUF
Rick regardait Kirkland aligner le putt, la routine, en maintenant le putter tel un pendule comme si cela allait modifier en quoi que ce soit son coup foireux. Il regarde les genoux cagneux s’accroupir au-dessus de la balle, comme Jack Nicklaus, mais à chaque fois qu’il rabat le putter pour lancer le coup, il dépasse la ligne et pousse le putt. Rick a vu cela se produire maintes fois, mais il était si heureux de gagner qu’il ne voulait pas que Kirkland sache ce qui clochait.
Il passait ses vendredi après-midi sur le parcours de golf, en avoir pour ses treize milles balles d’adhésion en doses hebdomadaires. Il lui a fallu trois ans pour réussir à avoir des parrains. Maintenant qu’il avait réussi, il allait bien profiter de son adhésion à chaque fois qu’il le pouvait, il ne laissera pas l’herbe lui pousser sous les pieds. Vendredi était le jour idéal, mais il essayait de jouer dans des tournois les week-ends, s’il pouvait, pour réduire son handicap.
Le parcours s’appelait Shooters Hill, à Greenwich, à quelques kilomètres de Canary Wharf, bien que ce soit assez difficile à croire. Les panoramas des pentes douces du nord de Kent, brillantes en ce moment de l’année sous un soleil doux de fin d’après-midi. Vu son travail, il pensait que ce serait à en mourir de rire de devenir membre de ce club particulier, mais ça lui ressemblait bien. Et s’il pouvait également l’emporter sur Kirkland, c’était un bonus.
Le putt de Kirkland glissa à côté du trou. Et voilà, il n’apprendra jamais. Rick aspira grandement à travers ses dents.
– De très près, mon pote. Putt difficile.
Kirkland putta la balle à l’extérieur en étant sur la ligne de Rick, puis prit sa balle du trou, plia un genou et plaça son autre jambe derrière pour se mettre en équilibre, telle une cigogne. Il était nouveau au département et Rick l’avait pris sous son aile, mais il n’allait pas le dorloter non plus! Si vous êtes dans le département, c’est que vous avez déjà ce qu’il fallait et que vous pouvez vous défendre tout seul.
Le tee suivant était en trois coups, Rick commença le premier… lorsque son téléphone sonna.
Kirkland leva les bras, Tu plaisantes, Rick jetant un coup d’œil sur l’écran et leva son index: Je dois répondre à ce coup de fil.
– D’accord, enfoiré, pourquoi tu ne m’as pas dit que tu partais? Et où diable es-tu? dit-il au téléphone.
La voix de Storey calme comme d’habitude, cette façon de sembler être à des distances tout en étant assis sur la chaise d’à côté. C’était un don de délimitation. Ça le rendait bon dans son travail.
Lorsqu’il en avait un!
– Je ne voulais pas te parler, dit-Storey, tu sais très bien ce que tu aurais dit.
– Tu as raison, même si je ne crois pas que j’aurais beaucoup parlé – je t’aurais plutôt assommé. Un boulot rapide puisque de toute façon tu n’as pas de bon sens.
– C’est ma décision, Rick. Je ne pouvais pas continuer, et puis je ne pouvais pas rester en ville. De plus, mon père est mort. J’avais des choses à régler.
Cela réfréna Rick, mais pas pour longtemps. Il croyait en la famille, mais il pensait que Storey a dû passer outre, faire une pause comme le recommandaient les psys, puis pouvoir revenir et se remettre en selle, comme on dit.
– Storey, tu es un trou du cul, dit-il. Ce qui t’es arrivé aurait pu arriver à n’importe qui. Tu étais sous les ordres et d’ailleurs tu as été disculpé.
– Je n’aurai pas dû me retrouver dans une situation qui avait besoin de disculpation. C’était de ma faute.
Rick était présent sur les lieux avec lui ce soir-là, et il avait toujours l’image du corps allongé sur le sol, les autres membres de l’équipe debout autour qui le regardaient, se disant tous: Pauvre bâtard, Storey, il va y avoir de la merde !