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Storey
Storey ignora sa contestation, reprit son livre et continua à lire.
– C’est bien, Steinbeck? demanda-t-elle contrariée malgré elle.
Il baissa son livre.
– Il a gagné le Prix Nobel pour son plus mauvais roman. C’est pour vous dire à quel point il était bon. Avez-vous vu Les raisins de la colère, le film?
– Peut-être.
– Coriace pour un film de Hollywood, mais paisible comparé au livre.
Elle fit un signe de la tête et se replongea dans son écran. Elle ne savait rien en littérature et paniquait à chaque fois qu’on lui parlait de livres. Elle avait peur qu’on lui pose des questions et qu’elle ne sache quoi répondre. Le maximum qu’elle arrivait à lire était un article de journal avant de s’endormir. Un jour, elle essayera de corriger ce défaut. Des cours en ligne feront sûrement l’affaire.
– Alors vous travaillez sur un article, c’est ça? Ou est-ce un sujet sans intérêt – des naissances, des décès, des mariages? dit-il pour saisir l’occasion qu’elle ait repris la conversation.
– Vous ne comprendrez pas, dit-elle.
… puis se demanda pourquoi avait-elle répondu ainsi. Sa rancune l’étonnait parfois. Il semblait être assez intelligent, pourquoi essayait-elle donc de le contrarier?
– Je ne peux pas vous en dire beaucoup, car c’est en stade de développement. Je fais seulement des recherches, je parle aux gens, dit-elle en rabattant son écran.
– Donnez-moi un indice pour ne pas me vexer.
– C’est sur la corruption dans le gouvernement local. Je ne peux pas vous en dire plus, lui répondit-elle après une hésitation.
– Y en en-t-il beaucoup à Coventry?
– Je ne le sais pas encore. C’est pour cela que je fais des recherches.
– Vous connaissez des personnes à qui en parler, des personnes qui peuvent cracher le morceau? C’est ça que vous faites?
Elle pensa que sa curiosité était réelle, mais il valait mieux ne pas le laisser aller trop loin. Elle ne savait rien de lui, ni de ce qu’il voulait. C’était bien qu’il l’ait trouvée intéressante pour parler, mais elle avait trop de choses à faire et beaucoup trop d’histoires avec lesquelles elle jonglait.
– Comme je vous l’ai dit, dit-elle, je ne peux pas en parler. Je ne vous le dirais pas, même si je le savais. Je ne vous connais pas.
– Que vouliez-vous dire quand vous m’aviez dit vouloir vivre au jour le jour? continua-t-elle après une pause.
– Ne prenez pas ça au sérieux. Je suis comédien. Je dis beaucoup de choses que je ne pense pas, dit-il en haussant les épaules.
– Je ne vous crois pas. Je pense que vous êtes, au contraire, très sérieux,
dit-elle énervée qu’il ne l’ait pas prise au sérieux et ajouta: Ok, vous commencez à m’énerver. Pouvez-vous me laisser tranquille maintenant?
– J’étais ici le premier, dit-il en refusant de céder.
– J’ai besoin de la table pour travailler. D’ailleurs, vous avez presque fini votre café.
Son expression devint monotone, il repoussa sa chaise et se leva. Elle l’avait finalement convaincu.
– Je serai dans les parages, dit-il.
– Ne traînez pas pour moi.
– Traîner?
– Attendre. Vous attarder. Rester là où on ne veut pas de vous.
– Ah, oui, vous êtes rédactrice. J’ai compris.
Il prit sa tasse de café, jeta un coup d’œil dans la salle et se dirigea vers un tabouret vide dans un coin près des toilettes. Elle remarqua à nouveau ses larges épaules et ses hanches fines, bonne forme physique. Peut-être qu’elle le draguerait un autre jour, lorsqu’elle sera moins occupée.
Ou peut-être bien que non.
Paul se demandait ce qu’il faisait avec cette femme. Elle lui avait posé une question simple il y a quelques jours et il avait laissé échapper ses pensées: que devait-il faire maintenant, reprendre tout depuis le départ? Il n’était pas d’humeur à sortir avec qui que ce soit, mais elle lui a donné le béguin et il avait du mal à se retenir. Assise là, à tapoter sur le clavier et à regarder par la fenêtre, refusant de regarder dans sa direction, les chevilles croisées au niveau des chevilles sous la table.
Il remarqua d’autres hommes qui la regardaient, également – surtout des étudiants qui avaient infesté l’endroit, assis enveloppés dans des doudounes, regardant fixement leurs téléphones ou parlant à d’autres habillés exactement pareil à l’exception d’écharpes de couleur différentes. Elle était différente. Elle se créait une sorte d’aura autour d’elle, une autosuffisance qu’une partie de lui-même voulait ébranler.
Elle était intéressante… et fausse.
Il n’arrivait pas à expliquer comment il le savait, mais il avait compris qu’elle prétendait être une personne qu’elle n’était pas. Elle vous regarde de côté, comme si elle ne voulait pas prendre le risque de vous regarder en face, comme si elle avait peur que son regard ne la trahisse. Lorsqu’elle parlait, elle vous attaquait en vous tenant à distance, empêchant tout espoir d’amitié.
Cependant, il l’a regardait fixement. Peut-être qu’elle avait vraiment peur de lui, de ce qu’il pouvait faire.
Réfléchis un peu, se dit-il. Qu’est-ce que tu peux faire pour effrayer les gens, à part leur faire sauter la cervelle?
Voilà maintenant qu’un homme se dirige vers elle. Il l’avait remarquée dès son entrée par la porte vitrée. Un homme pas très grand, mais l’air imposant. Il portait une grosse barbe presque entièrement rousse, bien que ses cheveux couvrant entièrement ses oreilles fussent noirs. Il portait une veste en cuir noire coupée sport avec des boutons sur le devant et un jean bleu délavé. Sa veste révélait sa musculature. Il se déplaçait à un rythme révélant qu’il faisait des exercices, pensa Paul. La manière dont il regardait autour de lui en se dirigeant vers la table de la jeune femme, attira l’attention de Paul. Paul avait l’impression qu’il avait les nerfs en boule d’une personne sur ses gardes de peur d’être attaquée, sûrement une personne pas claire, préoccupée par son statut.
Il aimait croire qu’il avait du flair à analyser les personnes et leur comportement. Mais, pensa-t-il, qui ne croit pas cela?
Arrivé à sa hauteur, elle s’arrêta de taper et leva la tête, se pencha en arrière l’air décontractée même si elle ne souriait pas. Elle le connaissait, mais semblait ne pas vouloir le voir.
Elle parla et l’homme à la veste en cuir se pencha sur la table, posant ses points de chaque côté de son ordinateur portable. Elle allongea son bras et ferma le couvercle. Paul remarqua qu’elle fut offensée par la réponse de l’homme – elle se redressa sur sa chaise et décroisa ses chevilles en-dessous de la table.
L’homme pointait maintenant un doigt vers elle, le grondement faible dans sa voix – que Paul avait entendu mais sans comprendre – s’était adoucit. La femme détourna son regard. L’homme à la veste en cuir passa son bras au-dessus de la table et lui toucha le bout du nez du bout du doigt en le poussant. Elle recula et débita des insultes.
Paul se leva de son tabouret et se dirigea vers eux, en se rapprochant de l’homme sur le côté. Il pouvait sentir l’odeur du cuir de sa veste et l’odeur d’un fort déodorant. La femme le regarda et fronça les sourcils, qui donna un signal à La veste en cuir de jeter un coup d’œil rapide.
– Tu veux ma putain de photo?
– Je suis plus grand que toi. Ne cherche pas la bagarre.
L’homme se retourna pour le confronter de face. Paul aperçut un regard féroce, des yeux sombres et blancs en profondeur. Il était probablement du même âge que Paul, mais les traits de son visage le vieillissaient de dix ans.
– Va t’asseoir dans un coin et on va prétendre que je ne t’ai jamais vu, dit l’homme à la veste en cuir.
– Tu déranges la dame et j’aimerai bien que tu partes.
– Comment tu t’appelles?
– Paul Storey. Et toi?
– Je m’appelle Dégage-de-ma-putain-de-gueule.
– Tes parents t’ont donné un bon départ dans la vie, à ce que je vois?
– C’est un de tes amis, Minty? se retournant vers la femme, toujours assise, fronçant les sourcils d’une manière devenue familière à Paul.
– Va-t’en Cliff. Je te parlerai plus tard, dit-elle.
Cliff. C’est un prénom que l’on entend rarement de nos jours, pensa Paul, un prénom des années 60, mais il était content d’avoir enfin un nom à utiliser.
– Ne me dis pas ce que je dois faire – toi non plus. Si je veux venir ici et te parler, je le ferai, dit Cliff.
– Rentres chez toi, je t’appellerai.
Cliff se retourna pour regarder Storey, captant sa taille et son allure. Paul pensait que Cliff n’était pas du tout intimidé, mais juste prudent. Il se déplaçait sûrement partout avec une bande, des personnes qui l’aideraient et feraient ce qu’il leur dit de faire. Cela lui donnait de la confiance, tout comme s’il était armé. Paul avait déjà eu affaire à ce genre de type et n’aimait pas cela. Les gens qui contrôlaient les autres ainsi, avaient souvent du mal à se tenir tranquille.
Cliff se redressa et alla de l’autre côté de la table, se mit debout à côté de la femme et regarda Paul.
– Tu ne me plais pas. Mais tu as des tripes. T’ai-je déjà vu quelque part? demanda-t-il
– Je ne crois pas.
– Ouais, moi aussi. Mais il y a quelque chose en toi que je reconnais. Ça me reviendra.
– N’en perds pas le sommeil, beauté.
– Oh, sûrement pas, dit-il en se retournant et sortant du café, sans regarder derrière lui, toujours confiant.
– Tu ne vas pas t’asseoir. Je n’ai pas besoin de chevalier blanc, dit la femme à Paul.
– Je sais.
– Alors pourquoi tu t’es mêlé?
– C’est dans ma nature.
Elle le fixait avec un premier signe de curiosité qu’il n’avait jamais remarqué en elle, comme s’il venait enfin d’attirer son attention.
– J’ai senti que tu ne voulais pas lui parler, dit-il.
– Je l’ai énervé.
– Quelque chose que tu as écrit?
– Pas exactement. Tu peux me laisser maintenant, s’il-te-plaît?
Il hocha la tête. Il était sur le point de partir lorsqu’il se rappela de quelque chose.
– Minty? dit-il.
– Araminta. Ne t’inquiètes pas, tu n’auras jamais l’occasion de l’utiliser, en levant la tête pour le regarder.
– Un nom peu commun pour une écossaise.
– Pas celui-ci.
– Es-tu toujours aussi agressive?
– Es-tu toujours aussi stupide?
Il resta silencieux, se regardant mutuellement dans les yeux. Le regard fixe, il savait qu’elle essayait de le déchiffrer. Il essayait de faire la même chose avec elle. Même si ça ne l’amusait pas vraiment, ça lui changeait les idées. Comme essayer de réfléchir à ce qu’il devait faire dans la vie.
– Rejoins-moi plus tard. Pour un verre, dit-elle sans changer d’expression.
– Ok. Où?
Elle lui donna le nom d’un pub ainsi que les directives – il ne connaissait pas l’endroit, mais connaissait le quartier de lorsqu’il était enfant.
– Je te donne mon numéro, dit-il et se mit à le lui dicter. Il fit une pause pour lui laisser le temps de prendre son téléphone et de le taper.
Elle le fixa à nouveau du regard, prit son téléphone et tapa le numéro. Une fois terminé, elle lui dit:
– Ce n’est pas un rendez-vous. Ne te mets pas sur ton 41. Je ne sais même pas pourquoi je fais ça.
– N’y réfléchis pas trop, ça gâchera un moment magnifique.
– J’y serai à partir de huit heures.
– Comment je te reconnaîtrai?
– Je serai celle qui aura des regrets. Je te l’ai dit, ne t’emballe pas.
CHAPITRE QUATRE
Le pub se trouvait à Ball Hill, à dix minutes de marche de l’ancien terrain de football à Highfield Road. Dans ses souvenirs, c’était à l’époque un quartier commercial très fréquenté, avec des banques, un bureau de poste et toutes sortes de magasins. Une bibliothèque. Maintenant la moitié des commerces étaient barricadés et la majorité des magasins, encore ouverts, étaient des boutiques de bienfaisance. Le quartier était à l’abandon, comme le reste de la ville qu’il avait vu jusqu’ici.
A son entrée au pub, il aperçut immédiatement Cliff, assis à une table ronde avec trois autres hommes. Araminta était assise un peu plus loin à envoyer des SMS d’un grand téléphone noir.
Cliff lui fit signe de la main, un grand sourire au visage.
– Minty a dit que tu venais. Elle a dit que tu croyais que vous aviez un rancard. Eh bien, nous y voilà!
– Pas de roulement de pelle dès le premier soir, dit Paul.
– Assieds-toi et relax, dit Cliff ne prêtant pas attention à ce qu’il venait de dire.
– Voici Dutch, Gary et Tarzan. Je vais te laisser deviner qui est qui, en faisant signe de la tête aux autres assis à la même table.
– C’n’est pas grave, je ne vais pas m’arrêter.
– Oh, ne le prends pas mal. Je veux faire ta connaissance. Tu m’as eu par surprise la dernière fois, mais réflexion faite, j’ai bien aimé ta réaction. Défendre le d’m’oiselle.
Araminta leva les yeux.
– Salut, dit-elle.
Cliff lui jeta un coup d’œil en haussa les épaules.
– Elle n’aime pas cela. N’aime pas être considérée comme une petite fille. Je ne peux pas lui en vouloir. Peux-tu l’imaginer en train de faire la vaisselle, debout au lavabo portant un tablier? sourit-il s’attendant à ce que Paul lui réponde, un scintillement dans le regard en essayant de le déséquilibrer.
Paul jeta un coup d’œil aux autres hommes. L’un était grand, même assis, visage maigre et sombre et de grandes oreilles. Probablement Tarzan, à en juger par son physique musclé, pensa Paul. Il portait un tee-shirt taché sous une veste en velours marron ressemblant à un machiniste d’un groupe des années soixante-dix. L’homme au milieu était blond et pâle, le visage carré et de grosses lèvres roses, la poitrine trapue, pas aussi grand que Tarzan, mais pas très petit non plus. Le blond de ses cheveux et sa pâleur suggéraient qu’il était néerlandais de nom et de souche, d’où le nom Dutch.
Le troisième homme devait être donc Gary. Le plus petit de tous, une lueur intense et nerveuse dans le regard, comme s’il n’avait jamais rien vu de bon dans sa vie. Il avait un sous-verre aux mains qu’il pliait, enroulait et en arrachait lentement des bandes fines, le faisant automatiquement sans regarder, une habitude. Son pull-over vert à col rond était éclaboussé de peinture blanche.
Tous en-dessous la trentaine, ils avaient le physique d’hommes terreux qui sortaient rarement ou qui ne marchaient pas plus d’un demi-kilomètre par semaine.
Paul soupira. Des petits scélérats dont il voulait se débarrasser. Comment s’était-il retrouvé ici, à fixer des pairs de yeux de macabres de personnes ignares, qui ne réfléchissaient pas beaucoup et étaient incapables de contrôler leurs impulsions?
Et qu’est-ce qu’Araminta faisait bon sens avec eux?
Cliff le guettait jeter un coup d’œil à ses hommes. Il releva le menton pour attirer l’attention de Paul.
– Alors tu les as triés? demanda-t-il. Allons, prends une chaise et bavardons un peu. J’ai l’impression que tu as beaucoup de choses à dire à des gens comme nous. Minty m’a dit que tu travailles dans les assurances. Ça me plait. On a tous besoin d’un boulot. J’ai besoin d’un boulot. Ces trois génies en ont besoin. Tu es le seul ici qui en a un, tu peux alors nous raconter comment c’est.
Paul tira une chaise d’une autre table et s’assit en gardant sa distance des autres, ne voulant pas faire partie de leur groupe.
– Je me souviens de toi maintenant, le nom, dit-il à Cliff. Cliff Elliot. J’ai été trompée par ta barbe. Nous sommes allés au même collège – Caludon Castle. Tu y as été pendant quelques années, mais tu t’es concocté une réputation assez rapidement. Je t’ai vu te battre avec quelqu’un dans la cour, une fois. La seule fois où j’ai vu quelqu’un donner un vrai coup de poing dans une bagarre de collège qui ne soit pas du catch.
Cliff se renversa sur sa chaise, le sourire aux lèvres en jetant un coup d’œil à ses potes comme s’il voulait leur dire, Je vous ai dit que j’étais un dur.
– Storey. Ouais, j’avais bien dit que je te connaissais. Tu étais dans l’équipe de rugby, ailier ou quelque chose comme ça, tout le temps en entraînement. Même si vous n’avez jamais gagné. C’était un dépotoir. Ils l’ont démoli, il y a dix ans, tu sais? Ils ont construit un nouveau, l’une de ces Académies.
– Alors, comment ça s’est passé dans ta vie après cela?
– Merde, tu ne t’intéresse pas à moi. Tu essayes juste de comprendre comment les choses fonctionnent ici.
– C’est toujours bon de reprendre avec les vieux amis.
Cliff sourit et regarda ses hommes, relevant brusquement le pouce vers Paul.
– Tu vois? C’est ce que je voulais dire. Sympa, non? J’avais raison, c’est ça?
– Raison à propos de quoi? demanda Paul.
Cliff se pencha en avant par-dessus la table.
– J’ai dit à ces sans-cervelles que tu étais quelqu’un sur qui on pouvait compter. Je l’ai remarqué plus tôt dans le café. Tu ne t’es pas dégonflé. T’aurais essayé de me foutre dehors si je n’étais pas parti. Agent d’assurances, tu ne l’es pas plus que moi – et je t’assure que j’en suis pas un.
– Vraiment?
– Qu’est-ce t’es devenu après le collège? Je ne t’ai pas vu en ville, qu’est-ce t’as fait alors? demanda Cliff en ignorant son commentaire.
Paul hésita en portant attention à l’endroit où il se trouvait: les buveurs, la musique émanant des haut-parleurs d’une autre pièce. Il réalisa qu’il devait parler fort pour se faire entendre. Il se demanda à nouveau qu’est-ce qu’il faisait ici – était-il si désespéré d’avoir un contact avec les gens pour parler à Cliff et à ses morts-vivants à deux balles?
Il remarqua qu’Araminta avait fini avec son téléphone et le regardait par-dessus un verre de vin rouge. Quel était son rôle dans tout ça? Quand elle lui avait demandé plus tôt de la rejoindre pour prendre un verre, avait-elle prévu d’inviter également Cliff? Ou était-ce uniquement une coïncidence qu’il se trouvait là?
Il se sentait soudainement fatigué et bête, il n’était pas en forme pour affronter Cliff et son manège. Peut-être qu’il était valait mieux être franc et laisser tout tomber.
Tout bien réfléchi, peut-être pas.
– Je suis parti à l’étranger, me balader. J’ai découvert le monde. Je suis revenu à Londres pour chercher du boulot. J’en ai trouvé un dans les assurances, dit-il.
– Alors pourquoi es-tu revenu ici?
– Raisons personnelles.
– Ta femme t’a plaqué? demanda Cliff avec un sourire.
– Pas marié.
– Alors… des trucs familiaux. Maman ou papa ont crevé.
Paul resta silencieux.
– Je l’ai eu dans le mil, c’est ça? Tu es revenu pour mettre quelqu’un en terre, dit Cliff.
Paul s’éclaircit la voix.
– Pour parler du bon vieux temps, tu n’as pas répondu à ma question. Raconte-moi donc un peu ta brillante carrière?
Cliff écarta ses bras et haussa les épaules.
– Quelques problèmes avec l’autorité. Impossible de garder un boulot. Donc je fais un peu de tout, par ci, par là. Moi et les gars, ici. J’aime bien les appeler les experts.
– Vas te faire foutre, Cliff, dit Gary.
Paul réalisa que c’étaient les premiers mots que l’un d’eux avaient prononcés.
– Et au cas où tu te poses des questions, continua Cliff, je ne suis pas un agneau blanc. Est-ce que ça t’étonne? Non, j’ai eu l’honneur d’avoir été emprisonné chez Sa Majesté pendant un temps. Je dis cela avec un esprit ouvert et honnête. Je ne voudrais pas que tu penses que je te parle sous un prétexte.
– Mais ton expérience ne t’a pas remis sur le droit chemin.
Cliff sourit à nouveau.
– Je ne connaîtrai jamais le droit chemin, même si je tombais dedans et que je me cassais le nez.
– On fait tous tout ce qu’on peut pour joindre les deux bouts.
– C’est exactement ce que je veux dire, dit Cliff en lançant un regard d’appréciation vers Paul. Donc, tu es revenu pour un enterrement. Laisse-moi deviner: tes deux parents sont partis, car si ce n’était que l’un des deux, tu serais à la maison à remonter le moral de celui qui reste. Tu ne serais pas dehors à te balader avec des gens comme nous. Tu es probablement en train de régler les problèmes de testament, de vendre la maison et de te débarrasser de vêtements et toutes les conneries… j’ai dû faire tout ça, il y a des années. Ma mère et mon père se sont tués trop tôt à force de trop fumer. Ils n’y allaient pas à la légère. Cinquante par jour, chacun. J’avais presque envie de leur donner une pelle et de leur demander de commencer à creuser leurs tombes.
Paul se pencha en arrière sur sa chaise et jeta un coup d’œil à Araminta. Elle envoyait à nouveau des SMS.
– Tout cela est fascinant, mais je ne sais vraiment pas ce que je fais ici, dit-il.
– Je sais, dit Cliff en haussant les épaules, tu pensais venir prendre un pot en amoureux avec Minty et tu te retrouves avec quatre canailles à la place. C’est comme ce programme à la télé, c’était quoi déjà? en jetant un coup d’œil à ses hommes pour qu’ils l’aident, mais n’ayant que des regards vides comme réponse, il reprit: Dragons Den. Tu dois nous vendre quelque chose alors qu’on ne veut rien acheter.
– Je ne vends rien.
– Oh, je crois que oui. Tu vois, je m’intéresse à toi parce que ce que tu dis ne va pas du tout avec ton attitude. Tu as dit à Minty que tu travaillais dans les assurances. Mais tu m’as sauté dessus comme un flic. Sûr de toi, gonflant tes muscles. Je me suis demandé – quels projets as-tu pour cette pauvre fille? À quoi tu joues, hein? À quoi du joues?
Maintenant Araminta s’était levée, rangea son téléphone et lissa le devant de sa robe. Paul remarqua à nouveau à quel point elle était mince aux hanches et à quel point son ventre était plat.
– Ça va David? lui demanda Cliff en lui jetant un coup d’œil.
Elle saisit un sac à main couleur crème du dossier de sa chaise.
– Un peu en pétard contre moi, dit-elle. Ça fait un bon moment que je ne l’ai pas vu.
– Fais en sorte qu’il te désire plus, chérie. Les hommes sont tous pareils, n’est-ce pas? dit-il en se tournant vers Paul. Donnez-nous une main et on vous demandera le bras. On parle du mec de Minty, au cas où tu te poses des questions. Tu vois, tu n’es pas le seul sur la liste des conquêtes.
Paul se leva en repoussant sa chaise et dit à Araminta:
– Je dois aller aux toilettes. Je vais t’accompagner à la porte.
– Bon plan de drague, mais pas besoin. À plus tard!
Elle passa devant lui sans le regarder. Il sentit brièvement son parfum. Il se retourna pour la suivre du regard se faufiler entre les tables où des hommes accompagnés de leurs femmes et copines firent une pause pour la regarder, avant de jeter un coup d’œil dans sa direction.
– Minty, dit-il en lui saisissant le bras.
– Retire tes sales pattes, lui dit-elle en se retournant le regard obscur.
Il la lâcha.
– Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce tu fais avec ce tas de tocards?
– C’n’est pas tes oignons, en adoucissant légèrement le regard. Je suis désolée, mais ils étaient ici quand tu n’arrives.
– Qu’est-ce qu’il veut? Pourquoi il te tourne autour?
– Probablement pour les mêmes raisons que toi, lui dit-elle en le fixant du regard.
Puis elle se tourna et partit. Paul la regarda sortir dans l’air froid, hocha la tête et se dirigea vers les toilettes. Il pensait qu’il s’était enchevêtré dans un film dont l’intrigue était incompréhensible et dans lequel les personnages étaient incohérents.
Plus tard, il réalisera que c’était là la raison pour laquelle il aurait dû continuer à marcher, s’enfuir le plus loin possible de ce pub.
Tarzan et Gary entrèrent pendant qu’il remontait sa braguette. Le grand homme, plus grand que prévu, se pencha sous la cadre de la porte avant de la fermer et de s’adosser dessus. Gary jeta un coup d’œil dans toute la pièce carrelée en sifflant et vérifiant les différents compartiments.
Paul se rinçât les mains à l’eau et saisit une serviette en papier, se demandant ce qu’ils allaient bien faire. Rien de grave, pas dans un pub bondé. Probablement qu’ils voulaient juste discuter pour voir s’il était un menteur. Il avait lui-même l’habitude de le faire, lorsqu’il était plus jeune, pour apprendre les ficelles du métier.
– Lui Tarzan, toi Jane? dit-il à Gary.
– Tu vois, qu’est-ce que je t’ai dit? dit Gary en se retournant vers Tarzan, avant de pointer un doigt vers Paul.
– Ta gueule te foutra dans la merde, tu sais? Tu ne peux pas t’en empêcher. On en parlait, Tarzan et moi, on s’est dit que ta gueule te foutra dans la merde un jour. C’est ça, Tarzan?
Tarzan hocha la tête en croisant les bras pour insister, son courage lent presque endormi. Paul pensait qu’il était fort, mais n’avait aucune subtilité. Il serait donc facile à neutraliser tant qu’il était hors de sa portée.