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Le Peuple de la mer
Le Peuple de la mer

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Le Peuple de la mer

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Chez elle, Marie-Jeanne tremblait à la veillée, dans la grande chambre où luisaient les meubles propres. Urbain l’exhorta:

– Crains rien, va, ils font plus d’ bruit que d’ besogne!

– Il nous arrivera malheur tout de même, on nous déteste trop…

– Tant mieux, c’est ça qui donne du courage!

Urbain parlait rageusement dans l’exaspération de sa volonté butée. Il citait son père qui risqua sa vie pour sauver l’équipage norvégien: un Coët n’avait jamais reculé! Et blâmant ces braillards qui gâchaient leur temps et leur argent, il ajouta:

– C’est jaloux! ça travaille seulement point!

Il travaillait tant, lui, pour satisfaire son ambition, pour arriver à posséder plusieurs barques et du bien en terre comme Viel le riche, et s’assurer, avec sa retraite, une vieillesse paisible. Et près de la lampe basse où il fabriquait du filet sans relâche, ses mains s’activaient, faisant craquer le fil, tandis que la crispation de ses sourcils fermait définitivement son front têtu.

Marie-Jeanne l’admirait et reprenait confiance devant la puissance sûre de ses muscles et l’obstination formidable de ce vouloir. A côté d’elle, dans la pièce voisine, les enfants dormaient en ronflant doucement; elle savait que Léon veillait à bord du sloop; et cette régularité coutumière de la vie quotidienne lui rassura le cœur.

Le lendemain de la bagarre, six gendarmes et un brigadier arrivèrent à bicyclette. On les logea par trois dans chaque usine, et le brigadier s’installa chez Zacharie. Les marins les virent sur la jetée en rentrant; deux pêchaient le mulet à la turlutte sur les conseils des douaniers; les autres fumaient des pipes, assis les jambes pendantes, ou appuyés au garde-fou.

La soirée fut calme, bien qu’un grand sloop des Sables, malavisé, vînt accoster la cale au coude de la jetée.

Cinquante gaillards armés de triques l’accueillirent.

A cause des vociférations, il fallut du temps pour comprendre que les Sablais imploraient seulement du pain. Le patron, un haut gars aux traits coupants, élevait à bout de bras une pièce blanche. Un gendarme apporta une miche, puis, d’un seul effort, à la pointe des gaffes, les hommes repoussèrent la barque. Elle évita dans un geste arrondi de sa grand’voile, et sur ses fargues on lut comme une dérision, le nom formidable de Danton.

Avec le temps, les esprits s’apaisèrent. Les Sablais demeuraient sur les bancs et gagnaient, au soir, la côte bretonne ou cédaient leur poisson aux vapeurs qui font le marché sur les lieux de pêche.

Le mois d’août continuait juillet sans transition. Chaque matin, le même soleil d’or montait de l’est, jusqu’au zénith, pour retomber sans hâte, rouge, puis écarlate, dans l’océan que l’on s’étonnait de ne pas voir bouillonner en l’éteignant.

Les barques envolées à l’aube sur la mer smaragdine rentraient tard sur un flot vermeil, marié au ciel à l’horizon.

C’était le va-et-vient quotidien du large à l’île, la pêche, la vente, le séchage des filets bleus qui flottent au long des mâts, comme des mousselines, autour du lourd chapelet des lièges. C’était la vie, redevenue monotone au village qu’anime, deux fois le jour, la cloche des usines à la sortie des filles aux yeux hardis. Et les rivalités ressaisissaient les hommes lâchés par les haines étrangères.

On avait sans doute oublié de rappeler les gendarmes qui restaient là, faisaient la partie chez Zacharie, discouraient et fumaient avec les vieux derrière l’abri du canot de sauvetage, pêchaient à la ligne, enseignaient la bicyclette aux gamins après l’école, et, à la nuit close, allaient causer un brin avec les jeunesses dans les dunes de la Corbière.

Cependant une activité singulière remuait les équipages. Le temps des régates approchait comme une Pâque et les grands sloops lavaient leurs robes et revêtaient des grand’voiles neuves, blanches comme du lin. Les ponts rajeunissaient sous la brique et les coques, lissées à la gratte, luisaient de black frais. A l’auberge, on se sentait les coudes en des conciliabules sourds et défiants.

Ce fut l’époque où Coët teignit sa voilure en rouge avec son grand flèche carré qui éclata, comme un étendard, au sommet de la mâture. Perchais en sauta ainsi qu’un taureau, croyant au défi. Et la main sur le verre, on l’entendit jurer au XXe Siècle:

– Si je mange pas Coët aux régates, j’suis pas un homme!

Il avait venté toute la nuit, une bonne petite brise d’ouest qui passait amicalement, comme une main frissonnante, sur le dos des maisons endormies, et agitait la crécelle, installée par le brigadier Bernard, dans son potager, pour effrayer les oiseaux. Toute la nuit, cette cliquette avait battu nerveusement dans le village silencieux, au-dessus du bruit doux de la mer.

Le matin il venta plus sec quand le soleil parut. Le ciel n’avait pas cette profondeur bleue des beaux jours d’été où l’azur est dense et coloré comme un autre océan; il se développait, ainsi qu’une gaze blanchâtre et lumineuse, dont les plis pesaient en brume sur l’horizon.

C’était le grand jour des régates. A regret la mer baissait sur la plage d’or, tandis que les dos goémoneux des roches commençaient à émerger le long du chenal, luisants comme des carapaces de tortues marines qui auraient dormi à fleur d’eau.

Les sloops appareillaient sans hâte. Sur la digue ramageaient les vareuses propres, les caracos clairs, les bonnets blancs, les foulards verts tendres, roses et groseille. Les mousses embarquaient des ballots de voiles qui sentaient la cotonnade et le goudron. On criait, on s’appelait, on riait. Les vieilles barbes disaient l’avenir de la journée; les filles s’esclaffaient à toute gorge et jacassaient d’une voix pointue; les hommes plaisantaient avec défi et leurs paroles clamaient la lutte.

– Beau temps pour s’aligner les gars!

– Et de la brise au flot, que j’ pense, à souquer la toile!

Le Secours de ma vie débordait avec la Gaude en sabots blancs et en jupons courts, la poitrine magnifique dans le corsage écarlate. Chargé d’hommes recrutés pour la manœuvre, le Laissez-les dire sortit sous la main de Perchais. Puis, ce fut l’Aimable Clara où Double Nerf exhibait ses glorieux biceps, parmi l’équipage qui chantait en vidant bouteilles:

Il faut les voir tous ces jolis garçons,Quand ils s’en vont tout habillés de blanc!Il faut les voir tous ces jolis garçons,Quand ils s’en vont tout habillés de blanc!..

Sans éclat, Urbain Coët glissa dans le sillage de la chanson qui sonnait sur le cristal des eaux calmes. D’autres chœurs s’enlevaient sur d’autres barques. Les sloops prenaient la file le long de la terre blonde; et déjà la rade de la Chaise apparaissait peuplée de voiles, sous le grand bois de chênes poussé dans la falaise.

Les barques arrivent, décrivent d’un coup d’aile un demi-cercle dont la trace persiste, et, leur aire cassée, glissent encore, s’arrêtent, les voiles inertes, comme on meurt après un dernier soupir. Ce sont les chaloupes de l’Epoids, noires et rondes, aux voiles cambrées; les Pornicaises peintes et les côtres des Sables, puissants près des Noirmoutrains aux culs grêles; ce sont des Bretons, ténébreux, dressant haut leurs deux mâts sans haubans, comme des pieux; et puis des yachts, aux coques glacées, aux ponts blancs éclairés de cuivres; des régatiers fuselés, ras l’eau comme des pirogues, dominés d’effarantes voilures. Des canots, des youyous circulent. Les ancres mouillent avec fracas, les poulies chantent en plaintes rythmiques; des voix hèlent des voix; des chansons, des rires, des jurons passent. C’est tout un tumulte sans violence, dilué dans l’air immense, amorti par l’eau; un mouvement joyeux qui occupe l’adresse et la force des hommes; une cohue d’embarcations actives; ce sont des maillots bleus, des pantalons blancs, des éclats de vernis, de ripolin, et sur la mer les reflets verts, jaunes, rouges des grand’voiles éployées dans le soleil. Vision magnifique de la vie expansive, lumineuse, avec la mer qui palpite comme une poitrine, avec les gros bouquets de chênes qui poussent vers le ciel toute la fécondité d’une terre, avec les barques qui sont des êtres de lutte et de misère, avec les hommes vigoureux et souples, entraînés pour vaincre.

Le vent du large roulait à la cime du bois en la faisant vivre au-dessus de l’estacade qui se chargeait de monde au point de paraître ployer. Des toilettes claires remuaient sur le remblai avec la houle légère des ombrelles. Il y avait des équipages sous la voûte de la grande allée, près des ânes de louage qui attendaient patiemment en écrasant leur crottin.

Les trois Goustan étaient là, accotés au garde-fou. Couronné d’un feutre noir, la boutonnière adornée du ruban tricolore, grand-père exhibait des breloques d’argent sur son ventre creux. Les gars, en chapeaux de paille et en manchettes, l’encadraient, et, à chaque poignée de main, ils entonnaient d’une seule voix:

– Vous l’avez vu?..

– Quoi?..

– Not’ bateau, l’ dernier qu’on a fait?.. Tenez, là-bas, près du breton, le grand sloop bleu… Oui, là… Dame! c’est d’ la belle ouvrage, et ça marche que l’ diable!.. Il va rafler tous les prix!

Le Dépit des Envieux oscillait doucement de son grand mât avec des airs calmes et entendus, tandis que son long bout-dehors encensait sur les houles mortes. Une femme embarquait dans le canot accosté; des enfants furent passés à bout de bras; et un homme nagea vers l’estacade où Louise Piron attendait la Marie-Jeanne.

Extasiés devant leur œuvre, les Goustan poursuivaient ingénûment leur réclame admirative, et François affirmait qu’il n’y avait jamais eu à flot meilleur bateau, qu’il courait plus vite que le train, et que, vent arrière, c’est point le vapeur qui le rattraperait!

Par instant on entendait grincer la crécelle des loteries où tournent des pyramides de vaisselle devant la convoitise des amoureux qui rêvent de ménage. Les pétards de la tête de turc éclataient coup sur coup en proclamant la force des gars. Les rires se mêlaient aux cris; la joie montait dans le soleil, avec une poussière blonde, au-dessus de la foule agitée d’une grosse rumeur sans piétinement, parce que le sable mangeait le bruit des pas.

Louchon le facteur, efflanqué sous la blouse, flânait en compagnie du ventre de Zacharie. Des gaillards déambulaient vers le bois, un litre sous chaque bras et des charcuteries dépassant la poche. Malchaussé, qui avait construit hier l’estrade du jury et planté six mâts, circulait affairé, en bras de chemise, suivi d’un compagnon, la masse à l’épaule.

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