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Oliver Twist
Oliver Twist

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Oliver Twist

Язык: Французский
Год издания: 2017
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– Non, monsieur, certainement non, répondit le bedeau en ajustant un fouet au bout de sa canne.

– Dites à Sowerberry de ne pas l'épargner; on n'en fera jamais rien si on ne le rosse d'importance, dit le monsieur au gilet blanc.

– J'y veillerai, monsieur, répondit le bedeau;» et après avoir ajusté son tricorne et sa canne, M. Bumble prit en toute hâte avec Claypole le chemin de la maison de l'entrepreneur de pompes funèbres.

La situation ne s'était pas améliorée. M. Sowerberry n'était pas rentré, et Olivier continuait à donner de vigoureux coups de pied dans la porte du cellier. Mme Sowerberry et Charlotte firent une si étrange peinture de la férocité de l'enfant, que M. Bumble crut prudent de parlementer avant d'ouvrir la porte. Il commença par y donner un coup de pied, en manière d'exorde; puis, appliquant sa bouche sur la serrure, il dit d'une voix forte et imposante:

«Olivier!

– Allons, ouvrez-moi la porte! répondit l'enfant.

– Reconnais-tu la voix qui te parle, Olivier? dit M. Bumble.

– Oui, répondit-il.

– Et vous n'êtes pas épouvanté, monsieur? Vous ne tremblez pas à ma voix, monsieur? dit M. Bumble.

– Non!» répondit courageusement Olivier.

Une réponse si différente de celle qu'il attendait et à laquelle il était accoutumé fit hésiter M. Bumble, il quitta le trou de la serrure, se redressa, de toute sa hauteur, et considéra l'un après l'autre les trois témoins de cette scène, sans prononcer une parole.

«Voyez-vous, monsieur Bumble, dit Mme Sowerberry, il faut qu'il soit devenu fou. Un enfant, ne fut-il qu'à demi raisonnable, ne se hasarderait jamais à vous parler ainsi.

– Ce n'est pas de la folie, répondit M. Bumble, après quelques instants de profonde réflexion; c'est la viande.

– Comment? s'écria Mme Sowerberry.

– Oui, madame, la viande, la viande, reprit Bumble d'un ton magistral; vous l'avez nourri outre mesure, madame. Vous avez fait naître en lui une âme et un esprit artificiels, déplacés chez quelqu'un de sa condition. Messieurs du Conseil d'administration, qui sont des philosophes pratiques, vous le diront, madame Sowerberry. Qu'ont à faire les pauvres d'une âme et d'un esprit? C'est bien assez pour nous d'entretenir la vie dans leur corps. Si vous n'aviez donné que du gruau à ce garçon, jamais pareille chose ne fût advenue.

– Mon Dieu! dit Mme Sowerberry en levant pieusement les yeux vers le plafond de la cuisine; voilà ce que c'est que d'être généreux!»

La générosité de Mme Sowerberry pour Olivier avait consisté à lui prodiguer les restes dont personne n'eût voulu. Aussi y avait-il de sa part une grande abnégation à rester sous le coup de l'accusation portée contre elle par Bumble, et dont elle était absolument innocente, de pensée, de parole et d'action.

«Tenez, dit M. Bumble à la dame qui tenait ses yeux baissés vers la terre; la seule chose à faire maintenant, à mon sens, c'est de le laisser dans le cellier pendant un jour ou deux, jusqu'à ce que la faim l'affaiblisse, et ensuite de le mettre en liberté et de le nourrir de gruau pendant tout son apprentissage; il sort d'une mauvaise famille, de gens irritables, madame Sowerberry; la nourrice et le médecin m'ont dit que sa mère était arrivée ici après des difficultés et des fatigues qui auraient tué depuis longtemps une femme bien portante.»

M. Bumble en était là de son discours quand Olivier, qui entendait assez le dialogue pour comprendre qu'on faisait allusion à sa mère, recommença à donner des coups de pied dans la porte, de manière qu'on ne pouvait s'entendre. Sowerberry rentra sur ces entrefaites; on lui expliqua l'attentat d'Olivier, avec toute l'exagération que les femmes crurent propre à le mettre en colère; en un clin d'oeil il ouvrit la porte du cellier il en fit sortir par la collet l'apprenti rebelle.

Les vêtements d'Olivier avaient été déchirés dans la lutte; il avait la figure égratignée et écorchée, les cheveux en désordre sur le front. Sa colère n'était pourtant pas éteinte, et, en sortant de sa prison, loin de paraître intimidé, il lança à Noé un regard menaçant.

«Vous êtes un gentil garçon! dit Sowerberry en donnant un soufflet à Olivier.

– Il a outragé ma mère, répondit Olivier.

– Eh bien! quand même… petit misérable, dit Mme Sowerberry; il n'en a pas dit assez sur elle; elle méritait encore pis.

– Non, dit l'enfant.

– Si vraiment, dit Mme Sowerberry.

– Vous mentez!» dit Olivier.

Mme Sowerberry fondit en larmes. Ce torrent de larmes ne laissait à son mari aucune alternative. S'il eût hésité un instant à punir Olivier plus sévèrement, il est clair comme le jour que, d'après les usages reçus dans les querelles de ménage, il eût été une brute, un mari dénaturé, un être méprisable et n'ayant d'humain que le visage, sans compter mille autres agréables épithètes trop nombreuses pour avoir place dans ce chapitre.

Il faut reconnaître qu'autant qu'il dépendait de lui (mais son autorité était fort limitée), il était bien disposé pour l'enfant, soit parce qu'il y allait de son intérêt, soit parce que sa femme le détestait. Le torrent de larmes de la dame ne lui laissa nulle ressource. En conséquence il administra à Olivier une correction telle, que Mme Sowerberry elle-même s'en montra satisfaite, et que la canne paroissiale de M. Bumble devint inutile. Le reste du jour, Olivier fut enfermé dans l'arrière-cuisine, en compagnie de la pompe et d'un morceau de pain sec; le soir, Mme Sowerberry, après avoir encore fait plusieurs remarques injurieuses pour la mémoire de sa mère, lui ouvrit la porte, et, au milieu des sarcasmes de Noé et de Charlotte, lui ordonna de gagner son lit.

Abandonné à lui-même dans la boutique morne et silencieuse du croque-mort, Olivier se livra aux réflexions que le traitement qu'il venait d'éprouver devait éveiller dans son coeur d'enfant. Il avait écouté les sarcasmes avec dédain; il avait supporté les coups sans pousser un cri: car il sentait se développer dans son coeur un sentiment d'orgueil qui l'eût empêché de proférer une plainte, quand même on l'eût brûlé vif: mais, maintenant que personne ne pouvait le voir ou l'entendre, il tomba à genoux sur le plancher et, cachant son visage dans ses mains, il versa de telles larmes qu'il faut souhaiter pour l'honneur de notre nature que Dieu veuille en faire rarement répandre de semblables à des enfants de cet âge!

Olivier resta longtemps immobile dans cette position. La chandelle allait finir de brûler quand il se leva; il regarda prudemment autour lui, écouta attentivement; puis il tira doucement les verrous de la porte d'entrée et regarda dans la rue.

La nuit était froide et sombre; les étoiles paraissaient à l'enfant plus éloignées de la terre qu'il ne les avait jamais vues; il ne faisait pas de vent; l'ombre que les arbres projetaient sur le sol était complètement immobile et avait quelque chose de sinistre et de sépulcral. Il referma doucement la porte, et, profitant des dernières lueurs de la chandelle pour réunir dans un mouchoir le peu d'effets qu'il possédait, il s'assit sur un banc et attendit les premières clartés du matin.

Dès qu'un rayon de lumière pénétra à travers les fentes des volets, Olivier se leva et tira de nouveau les verrous. Il jeta autour de lui un regard timide, hésita quelques instants, puis tira la porte derrière lui: il était dans la rue.

Il regarda à droite et à gauche, incertain du côté par où il fuirait. Il se souvint d'avoir vu les chariots, quand ils sortaient de la ville, gravir péniblement la colline; il prit la même direction, et arriva à un petit sentier à travers champs, qu'il savait rejoindre bientôt la grande route; il s'y engagea et se mit à marcher rapidement.

Il se rappela très bien avoir déjà suivi ce sentier, lorsqu'il trottait derrière M. Bumble, pour venir de la _Ferme _au dépôt de mendicité. Le chemin le conduisit tout droit à la chaumière; son coeur battit violemment à ce souvenir, et il était presque résolu à revenir sur ses pas; mais il avait déjà fait bien du chemin, et un détour lui ferait perdre beaucoup de temps: d'ailleurs il était si matin, qu'il avait peu à craindre d'être vu; il continua à avancer.

Il arriva à la ferme; il n'y avait pas d'apparence que ses petits habitants fussent debout à cette heure matinale: Olivier s'arrêta et jeta à la dérobée un coup d'oeil dans le jardin; un enfant arrachait les mauvaises herbes d'un carré dans un moment où il leva son visage pâle, Olivier reconnut en lui un de ses anciens compagnons. Olivier se sentit joyeux de le revoir avant de s'éloigner; quoique plus jeune que lui, cet enfant avait été son petit ami, son compagnon de jeu; ils avaient été tant de fois affamés, battus, enfermés ensemble!

«Chut, Dick! dit Olivier, comme l'enfant courait à la porte et passait ses petits bras à travers les barreaux pour lui faire accueil; est-ce qu'on est levé?

– Non, il n'y a que moi, répondit l'enfant.

– Il ne faut pas dire que tu m'as vu, Dick, reprit Olivier; je me sauve; on me bat et on me maltraite, Dick; je vais chercher fortune, si loin, si loin que je ne sais où. Comme tu es pâle!

– J'ai entendu le médecin dire que j'allais mourir, répondit l'enfant avec un léger sourire; je suis bien content de te voir, mon cher ami; mais ne t'arrête pas, ne t'arrête pas.

– Oui, oui; mais je veux te dire au revoir, reprit Olivier. Je te reverrai, Dick, j'en suis sûr; et alors tu seras bien portant et heureux.

– Je serai heureux, dit l'enfant, quand je serai mort, et pas avant, le médecin a raison, Olivier; car je rêve souvent du ciel et des anges, et de douces figures que je ne vois jamais quand je suis éveillé. Embrasse-moi! ajouta l'enfant en grimpant sur la petite porte et en croisant ses petits bras autour du cou d'Olivier. Adieu, mon cher ami; que Dieu te bénisse!»

Cette bénédiction sortait de la bouche d'un enfant, mais c'était la première qu'Olivier eût jamais entendu appeler sur sa tête. Au milieu des épreuves, des souffrances, des vicissitudes de sa vie, il ne l'oublia jamais.

CHAPITRE VIII. Olivier va à Londres, et rencontre en route un singulier jeune homme

Arrivé à la barrière, au bout du sentier, Olivier se retrouva sur la grande route. Il était huit heures; et, bien qu'il fût à peu près à cinq milles de la ville, il courut, et se cacha par moments derrière les haies, jusqu'à midi, dans la crainte d'être poursuivi et rattrapé; il s'assit alors près d'une borne pour se reposer, et se mit à songer pour la première fois à l'endroit qu'il devait choisir pour tâcher de gagner sa vie.

La borne au pied de laquelle il était assis indiquait en gros caractères qu'elle était posée à soixante-dix milles de Londres; ce nom fit naître dans l'esprit de l'enfant une nouvelle suite de pensées. S'il allait à Londres, dans l'immense ville, où personne, pas même M. Bumble, ne pourrait le découvrir! il avait souvent entendu dire aux vieux indigents du dépôt qu'un garçon d'esprit n'était jamais dans le dénuement à Londres, et qu'il y avait dans cette grande ville des moyens d'existence dont les gens élevés à la campagne ne se doutaient pas. C'était bien l'endroit qui convenait à un garçon sans asile, destiné à mourir dans la rue, si on ne venait à son aide. Tout en se laissant aller à ces pensées, il se leva et continua sa route.

Il diminua encore de quatre bons milles la distance qui le séparait de Londres, sans songer à tout ce qu'il devrait souffrir avant d'atteindre le but de son voyage: comme cette réflexion se faisait jour dans son esprit, il ralentit sa marche, et se mit à méditer sur les moyens d'arriver à Londres. Il avait dans son paquet un morceau de pain, une mauvaise chemise, deux paires de bas, et dans sa poche un penny que lui avait donné Sowerberry après un enterrement où il s'était distingué encore plus que de coutume. C'est fort bon d'avoir une chemise blanche, pensait Olivier, et deux méchantes paires de bas, et un penny; mais c'est une mince ressource pour faire soixante-cinq milles à pied pendant l'hiver. Olivier avait comme bien des gens, l'esprit prompt et ingénieux à découvrir les difficultés, mais lent et paresseux à découvrir le moyen de les surmonter; de sorte qu'après avoir bien réfléchi, sans trouver la solution qu'il cherchait, il mit son petit paquet sur l'autre épaule et doubla le pas.

Il fit vingt milles ce jour-là, sans prendre autre chose que son morceau de pain sec et quelques verres d'eau qu'il demanda sur la route, à la porte des chaumières. À la nuit, il entra dans une prairie, se blottit au pied d'une meule de foin et résolut d'y attendre le jour. Il éprouva d'abord un sentiment de crainte en entendant le vent siffler tristement sur la campagne déserte, Il avait froid et faim, et se trouvait plus seul que jamais; la fatigue de la marche lui procura pourtant un prompt sommeil, et il oublia ses peines.

Le matin, en se levant, il se sentit engourdi par le froid, et il avait si faim qu'il acheta du pain pour un penny au premier village qu'il traversa, il n'avait pas fait plus de douze milles quand la nuit le surprit de nouveau; ses pieds étaient enflés et ses jambes si faibles qu'elles tremblaient sous lui; une seconde nuit passée à la belle étoile, par un temps froid et humide, acheva d'épuiser ses forces; et quand il voulut le matin continuer son voyage, il pouvait à peine se traîner, il attendit au pied d'une côte assez roide qu'une diligence vînt à passer, et il demanda l'aumône aux voyageurs de l'impériale; il n'y eut presque personne qui fit attention à lui; ceux qui le remarquèrent, lui dirent d'attendre qu'on fût arrivé au haut de la côte, et de leur montrer ensuite combien de temps il pouvait courir pour un demi- penny. Le pauvre Olivier essaya de suivre la diligence; mais il ne le put, à cause de son épuisement et de ses pieds tout meurtris; alors les voyageurs de l'impériale remirent leur demi-penny dans leur poche, en disant que c'était un petit fainéant, qui ne méritait rien. La diligence s'éloigna, ne laissant derrière elle qu'un nuage de poussière.

Dans quelques villages, de grands poteaux étaient plantés sur la route, et portaient un écriteau annonçant que quiconque mendierait serait mis en prison; cet avis effrayait beaucoup Olivier, et il s'éloignait au plus vite. Ailleurs, il s'arrêtait devant les cours d'auberge et regardait piteusement ceux qui allaient et venaient, jusqu'à ce que l'hôtesse donnât l'ordre à un des postillons qui flânaient dans la cour de chasser cet étrange garçon qui restait là, sans aucun doute, dans l'intention de dérober quelque chose. S'il mendiait à la porte d'une ferme, il arrivait neuf fois sur dix qu'on le menaçait de lâcher le chien après lui; s'il mettait le nez dans une boutique, on lui parlait du bedeau de la paroisse, et, à ce nom, il ne savait où se cacher.

Il est certain que, sans le bon coeur, d'un garde-barrière et la charité d'une vieille dame, les souffrances d'Olivier eussent été abrégées comme celles de sa mère, c'est-à-dire qu'il serait mort sur la grande route. Mais le garde-barrière lui donna du pain et du fromage, et la vieille dame, dont le petit-fils avait fait naufrage et errait dans quelque lointaine partie du monde, eut pitié du pauvre orphelin et lui donna le peu qu'elle avait, avec des paroles si douces et si bonnes, et avec des larmes de compassion telles, qu'elles firent sur le coeur d'Olivier plus d'impressions que toutes ses souffrances.

Le matin du septième jour après son départ, il atteignit, clopin- clopant, la petite ville de Barnet. Les volets étaient partout fermés, les rues désertes, et personne ne se rendait encore aux travaux de la journée. Le soleil se levait radieux, mais son éclat ne servait qu'à faire voir au pauvre enfant toute l'horreur de sa misère et de son isolement; il s'assit, couvert de poussière et les pieds en sang, sur les marches froides d'un perron.

Peu à peu les volets s'ouvrirent, les stores des fenêtres se levèrent, et les passants commencèrent à circuler. Quelques-uns, en petit nombre, s'arrêtaient un instant pour considérer Olivier, ou se détournaient seulement en passant rapidement; mais personne ne le secourut, personne ne prit la peine de lui demander comment il était venu là: il n'avait pas le coeur de mendier, et il restait assis immobile et silencieux.

Il y avait déjà quelque temps qu'il était là; il s'étonnait de voir tant de tavernes, car la moitié des maisons de Barnet sont des tavernes grandes ou petites; il regardait avec insouciance les voitures publiques qui passaient, et trouvait surprenant qu'elles pussent faire aisément en quelques heures un trajet qu'il avait mis une longue semaine à parcourir avec un courage et une résolution au-dessus de son âge.

Il fut tiré de sa rêverie en remarquant qu'un jeune garçon, qui était passé devant lui quelques instants auparavant sans avoir l'air de le voir, était revenu sur ses pas et s'était placé de l'autre côté de la rue pour l'observer attentivement. Il y fit d'abord peu d'attention; mais ce garçon resta si longtemps devant lui dans la même attitude, qu'Olivier leva la tête et le considéra avec le même intérêt. Alors celui-ci traversa la rue, et se dirigeant vers Olivier lui dit:

«Eh bien! camarade, quoi qui se passe?

Le garçon qui adressait cette question à notre jeune voyageur était à peu près de même âge que lui; c'était l'individu le plus original qu'Olivier eût jamais vu: il avait le nez retroussé, le front bas, les traits communs, et l'extérieur le plus sale qu'on pût voir, ce qui ne l'empêchait pas de se donner des airs de monsieur. Il était de petite taille, avec des jambes arquées et de vilains petits yeux effrontés; son chapeau était posé si légèrement sur sa tête, qu'il semblait toujours près de tomber; et il serait tombé, en effet, sans une brusque secousse que le jeune homme imprimait de temps à autre à sa tête, pour le ramener à sa place primitive. Il portait un habit qui lui descendait jusqu'aux talons; il avait les manches relevées presque jusqu'au coude, probablement dans le but d'enfoncer ses mains, comme il faisait alors, dans les poches de son pantalon de velours. Enfin, il était aussi fringant, avec ses brodequins à la Blucher, que le fut jamais jeune homme de sa taille, c'est-à-dire de quatre pieds six pouces.

«Eh bien! camarade, quoi qui se passe? demanda à Olivier cet étrange interlocuteur.

– J'ai bien faim et je suis bien fatigué, répondit Olivier les larmes aux yeux. J'ai fait un long trajet. Voilà sept jours que je marche.

– Sept jours de marche! dit le jeune homme; ah! j'entends. C'est par ordre du bec, hein? Mais, ajouta-t-il en voyant l'air étonné d'Olivier, je suppose que tu ignores ce que c'est qu'un bec, mon camarade?»

Olivier répondit avec candeur qu'il avait toujours cru que ce mot signifiait la bouche d'un oiseau.

«En voilà un innocent! s'écria le jeune homme; un bec, c'est un magistrat; marcher par ordre du bec, c'est ne pas aller droit devant soi; c'est toujours grimper sans jamais redescendre. As-tu été au moulin?

– Quel moulin? demanda Olivier.

– Quel moulin! ma foi, au moulin qui va sans eau4; viens avec moi; tu as besoin d'une pitance, et tu l'auras. La bourse est maigre, mais tant que ça durera, ça durera. Allons, debout sur tes quilles! arrive.»

Le jeune homme aida Olivier à se lever, le mena dans une petite boutique de marchand de chandelles, où il acheta un peu de jambon et un pain de deux livres; il eut l'ingénieuse idée de faire un trou dans le pain et d'y mettre le jambon, pour qu'il fût à l'abri de la poussière, et plaçant le tout sous son bras, il entra dans une petite taverne et pénétra avec Olivier dans une salle de derrière. Là, le mystérieux jeune homme fit apporter un pot de bière; sur l'invitation de son nouvel ami, Olivier se jeta sur le festin et se mit à dévorer à belles dents, tandis que l'étranger le considérait de temps à autre bien attentivement.

«On va donc à Londres? dit l'étrange garçon quand Olivier eut fini.

– Oui.

– A-t-on un gîte?

– Non.

– De l'argent?

– Non.»

L'individu se mit à siffler et enfonça ses mains dans ses poches, autant que le permettaient les larges manches de son habit.

«Vous habitez Londres? demanda Olivier.

– Oui, quand je suis chez moi, répondit le garçon. Tu as besoin d'un gîte pour passer la nuit, n'est-ce pas?

– Oui, répondit Olivier; je n'ai pas dormi sous un toit depuis que j'ai quitté mon pays.

– Ne te chagrine pas pour si peu, dit le jeune monsieur; je dois être à Londres ce soir, et j'y connais un respectable vieillard qui te logera pour rien, à condition que tu lui sois présenté par une de ses connaissances; avec ça que je n'en suis pas de ses connaissances!» ajouta-t-il en souriant pour montrer que ces dernières paroles étaient dites par ironie; et en même temps il vida son verre.

Cette offre inespérée d'un gîte était trop séduisante pour être refusée, surtout lorsqu'elle fut suivie de l'assurance que le vieux monsieur procurerait sans aucun doute une bonne place à Olivier dans un bref délai. Ceci amena un entretien amical et confidentiel, dans lequel Olivier découvrit que son ami se nommait Jack Dawkins, et qu'il était le favori et le protégé du vieux monsieur en question.

L'extérieur de M. Dawkins ne parlait pas beaucoup en faveur des avantages que le crédit de son patron procurait à ceux qu'il prenait sous sa protection; mais comme sa conversation était légère et incohérente, et qu'il avouait que ses amis le connaissaient sons le sobriquet de rusé matois, Olivier en conclut que son compagnon étant d'un naturel dissipé et étourdi, les préceptes moraux de son bienfaiteur n'avaient pas eu d'influence sur lui. Dans cette pensée, il résolut de mériter aussi vite que possible l'estime du vieux monsieur et de renoncer à l'honneur de fréquenter le matois, si celui-ci, comme il avait lieu de le croire, était incorrigible.

Jack Dawkins ne voulut pas entrer à Londres avant la nuit, et il était près d'onze heures quand ils arrivèrent à la barrière d'Islington. Ils passèrent par la rue Saint-Jean, descendirent la petite rue qui aboutit au théâtre de Sadlerwell, longèrent Exmouth-Street et Coppice-Row, puis la petite cour pris du dépôt de mendicité; ils traversèrent ensuite le terrain classique qui se nommait jadis Hokley in the Hole; ils gagnèrent Little Saffron- Hill et Saffron-Hill the Great, que le rusé matois franchit d'un pas rapide, en recommandant à Olivier de le suivre de près.

Quoique Olivier eût assez à faire pour ne pas perdre de vue son guide, il ne put s'empêcher de jeter en passant quelques regards furtifs des deux côtés de la rue: c'était l'endroit le plus sale et le plus misérable qu'il eût jamais vu. La rue était étroite et humide, et l'air était chargé de miasmes fétides. Il y avait un assez grand nombre de petites boutiques, dont tout l'étalage consistait en un tas d'enfants qui criaient à qui mieux mieux, malgré l'heure avancée de la nuit. Les seuls endroits qui parussent prospérer au milieu de la misère générale, étaient les tavernes, où des Irlandais de la lie du peuple, c'est-à-dire la lie de l'espèce humaine, se querellaient de toutes leurs forces. De petites ruelles et des passages couverts, qui çà et là aboutissaient à la rue principale, laissaient voir quelques chétives maisons, devant lesquelles des hommes et des femmes ivres se vautraient dans la boue; et parfois on voyait sortir avec précaution de ces repaires des individus à figure sinistre, dont, selon toute apparence, les intentions n'étaient ni louables ni rassurantes.

Olivier se demandait s'il ne ferait pas mieux de se sauver, quand ils atteignirent le bout de la rue. Son guide le prît par le bras, poussa la porte d'une maison proche de Fieldlane, le fit entrer dons une allée et referma la porte derrière lui.

«Qui va là? cria une voix en réponse à un sifflet du matois.

– Plummy et Slam!» fut la réponse. C'était sans doute un signal ou un mot d'ordre pour indiquer que tout allait bien.

La faible lueur d'une chandelle éclaira le mur au fond de l'allée, et l'on vit paraître une tête au niveau du sol, derrière la rampe brisée d'un escalier qui menait jadis à une cuisine.

«Vous êtes deux, dit l'homme en haussant la chandelle et en mettent la main au-dessus de ses yeux pour mieux distinguer les objets; qui est l'autre?

– Une nouvelle recrue, répondit Jack Dawkins en faisant avancer Olivier.

– D'où vient-il?

– Du pays des innocents. Fagin est-il en haut?

– Oui, il assortit les mouchoirs. Montez.»

L'homme disparut, et ils restèrent dans les ténèbres.

Toujours entraîné par son compagnon qui lui serrait fortement la main, Olivier cherchait de l'autre sa route à tâtons. Il gravit difficilement, dans l'obscurité, les degrés en ruine que son guide enjambait avec une prestesse qui montrait qu'il connaissait parfaitement ce chemin; il poussa la porte d'une chambre de derrière et y introduisit Olivier. Les murs et le plafond étaient noircis par le temps et la malpropreté. Devant le feu, sur une table de sapin, se trouvaient une chandelle fixée dans le goulot d'une bouteille de grès, deux ou trois pots d'étain, un pain, du beurre et une assiette. Des saucisses cuisaient dans une poêle dont la queue était attachée avec une ficelle au manteau de la cheminée, et auprès se tenait un vieux juif, une fourchette à la main. Son visage était couvert de rides, et ses traits ignobles et repoussants étaient en partie cachés par une épaisse chevelure rousse; il portait une sale robe de chambre de flanelle, n'avait pas de cravate, et semblait partager son attention entre la poêle et une corde à laquelle pendaient un grand nombre de foulards. Plusieurs méchants lits, faits avec de vieux sacs, étaient disposés l'un près de l'autre sur le plancher. Autour de la table, quatre ou cinq enfants de l'âge du Matois fumaient leur pipe et buvaient des liqueurs en se donnant des airs de grands garçons; ils entourèrent leur camarade, qui dit au juif quelques mots à voix basse; puis ils se tournèrent en riant vers Olivier, ainsi que le juif qui tenait toujours sa fourchette.

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