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Oliver Twist
Comme l'atrocité de cette conduite se présentait dans toute sa force à l'esprit de M. Bumble, il donna, de colère, un grand coup de canne sur le comptoir, et devint pourpre d'indignation.
«Oh! dit Sowerberry, jamais de ma vie…
– Non, jamais! s'écria le bedeau; jamais pareille infamie n'a été commise; mais maintenant qu'elle est morte, il s'agit de l'enterrer; voici l'adresse: le plus tôt sera le mieux.»
Et M. Bumble, dans son accès d'emportement, mit son tricorne à l'envers, et s'élança hors de la boutique.
«Tiens! Olivier, il était si en colère qu'il a oublié de demander de tes nouvelles, dit M. Sowerberry en suivant des yeux le bedeau qui arpentait la rue à grands pas.
– Oui, monsieur,» répondit Olivier, qui s'était prudemment tenu à l'écart pendant l'entretien, et qui tremblait de tout son corps au seul souvenir de la voix de M. Bumble.
Il était pourtant superflu qu'il cherchât à échapper à la vue de M. Bumble: car ce fonctionnaire, sur lequel la prédiction du monsieur au gilet blanc avait fait une vive impression, pensait que, maintenant que l'entrepreneur des pompes funèbres avait pris Olivier à l'essai, il valait mieux éviter d'aborder ce sujet, jusqu'à ce que l'enfant fût engagé pour une période de sept ans, et qu'on fut ainsi définitivement rassuré sur le danger de le voir retomber à la charge de la paroisse.
«Allons, dit M. Sowerberry en mettant son chapeau, plus tôt cette besogne sera terminée et mieux ce sera. Noé, attention à la boutique. Olivier, mets ta casquette et suis-moi.» Olivier obéit et suivit son maître dans l'exercice de sa profession.
Ils marchèrent quelque temps à travers le quartier le plus populeux de la ville, puis descendirent une ruelle étroite plus sale et plus misérable que les autres, et s'arrêtèrent pour chercher de l'oeil la maison en question. Des deux côtés de la rue, les maisons étaient hautes et grandes, mais très vieilles, et occupées par les gens de la classe la plus pauvre, comme leur apparence négligée l'aurait suffisamment indiqué, sans qu'il fût besoin de la présence d'un petit nombre d'hommes et de femmes qui, les bras croisés et le corps plié en deux, traversaient de temps à autre furtivement la rue. La plupart de ces habitations avaient sur le devant des boutiques hermétiquement fermées et tombant en ruines: il n'y avait d'habité que les étages supérieurs. D'autres menaçaient de s'écrouler et étaient étayées par de grosses poutres appliquées aux murailles et solidement fixées dans le sol; mais ces réduits lézardés, semblaient servir de retraite pour la nuit à quelques vagabonds sans asile: car plusieurs des planches grossières qui bouchaient la porte et les fenêtres avaient été arrachées, de manière à laisser une ouverture suffisante pour y passer le corps. Le ruisseau était sale et stagnant. Les rats eux- mêmes, qui ça et là se vautraient dans cette ordure, étaient d'une maigreur affreuse.
Il n'y avait ni marteau ni cordon de sonnette à la porte où s'arrêtèrent Olivier et son maître; celui-ci se glissa à tâtons dans un passage obscur, dit à Olivier de se tenir sur ses talons et de n'avoir pas peur, monta au premier étage et, trébuchant contre une porte sur le palier, y frappa doucement.
Une jeune fille de treize à quatorze ans vint ouvrir. L'entrepreneur vit tout de suite, à l'aspect de la chambre, que c'était bien là qu'il avait affaire; il entra, et Olivier le suivit.
Il n'y avait pas de feu dans la chambre; un homme était accoudé machinalement sur le poêle vide; une vieille femme était assise près de lui sur un tabouret; dans un coin se tenaient plusieurs enfants déguenillés, et dans un petit renfoncement, en face de la porte, gisait sur le plancher un objet enveloppé d'une vieille couverture. Olivier frissonna en jetant les yeux de ce coté et se serra involontairement contre son maître; malgré la couverture, Olivier devina que c'était un cadavre.
L'homme était pâle et décharné; il avait les yeux injectés, la barbe et les cheveux grisonnants; la vieille femme était ridée; elle avait des yeux animés et perçants, et les deux dents qui lui restaient avançaient sur sa lèvre inférieure. Olivier avait peur de les regarder l'un ou l'autre: ils lui rappelaient trop les rats qu'il avait vus si maigres dans la rue.
«Nul ne la touchera, dit l'homme en s'élançant vers l'entrepreneur qui s'approchait du grabat. Arrière, arrière! vous dis-je, si vous tenez à la vie.
– Sottise! mon brave homme, dit l'entrepreneur, qui était habitué à voir la misère sous toutes ses formes; sottise que cela!
– Je vous répète, dit l'homme en serrant les poings et en frappant le plancher avec fureur, je vous répète que je ne veux pas qu'on l'enterre; elle ne pourrait dormir là. Les vers la tourmenteraient sans trouver rien à manger; elle est si décharnée!»
L'entrepreneur ne répondit rien à ce malheureux en délire, mais tirant une ficelle de sa poche, il s'agenouilla un instant à côté du corps.
«Ah! dit l'homme fondant en larmes et se jetant à genoux aux pieds de la pauvre morte, mettez-vous à genoux, mettez-vous tous à genoux autour d'elle et écoutez-moi. C'est de faim qu'elle est morte; jusqu'au moment où la fièvre l'a saisie, je ne savais pas combien elle était mal; mais alors les os lui perçaient la peau; nous n'avions ni feu ni chandelle; elle est morte dans les ténèbres, oui dans les ténèbres; elle n'a pas même pu voir la figure de ses enfants, mais nous l'entendions les appeler dans son agonie. J'ai été dans la rue mendier pour elle, et on m'a mis en prison. À mon retour, elle était mourante; mon coeur s'est desséché, en voyant qu'ils l'avaient laissée mourir de faim. Je le jure devant Dieu qui en a été témoin, elle est morte de faim!» Il s'arracha les cheveux, poussa un cri horrible et se roula sur le plancher, l'oeil hagard et l'écume sur les lèvres.
Les enfants épouvantés se mirent à pleurer; mais la vieille femme, qui était restée jusqu'alors immobile et comme étrangère à ce qui se passait autour d'elle, les menaça pour les faire taire; puis ayant détaché la cravate de l'homme qui gisait sur le plancher, elle s'avança en chancelant vers l'entrepreneur.
«C'était ma fille, dit-elle en faisant un signe de tête du côté du cadavre et en parlant avec l'air effaré d'une idiote, plus hideuse à voir que la mort même. Mon Dieu! mon Dieu! dire que je lui ai donné la vie dans le temps que j'étais femme, et que maintenant je suis vivante et joyeuse, tandis qu'elle est là étendue, froide et roide. Mon Dieu! mon Dieu! quand j'y pense! c'est une comédie! une vraie comédie!»
Tandis que la pauvre vieille marmottait ces paroles avec un affreux ricanement, l'entrepreneur se disposait à sortir.
«Attendez! attendez! dit-elle en forçant sa voix cassée; l'enterrement est-il pour demain, pour après-demain, ou pour ce soir? Je l'ai ensevelie et je dois l'accompagner, n'est-ce pas? Envoyez-moi un grand manteau; un manteau bien chaud, car le froid, est vif; nous devrions avoir aussi un gâteau et du vin avant de partir; mais n'importe; envoyez-nous du pain; rien qu'un morceau de pain et un verre d'eau. Nous enverrez-vous du pain, mon ami? dit-elle vivement en s'attachant à l'habit de M. Sowerberry qui regagnait la porte.
– Oui, oui, sans doute, dit-il, vous aurez quelque chose; tout ce qu'il vous faudra.»
Il se dégagea de l'étreinte de la vieille femme et, traînant Olivier après lui, il s'élança au dehors.
Le lendemain, la famille ayant reçu dans l'intervalle le secours d'un pain de deux livres et d'un morceau de fromage, apportés par M. Bumble en personne, Olivier et son maître revinrent à cette misérable demeure, où M. Bumble les avait précédés, accompagnés de quatre hommes du dépôt de mendicité, qui devaient servir de porteurs. Un vieux manteau noir couvrait les haillons de la vieille femme et du mari. On vissa le cercueil; les porteurs le chargèrent sur leurs épaules et le descendirent dans la rue.
«Maintenant, la vieille, tâchez d'allonger le pas, dit tout bas Sowerberry; nous sommes en retard et il ne faut pas faire attendre le prêtre… Avancez, porteurs, aussi vite que vous voudrez.»
Ceux-ci prirent une allure rapide avec leur léger fardeau, tandis que la vieille femme et l'homme les suivaient de leur mieux.
M. Bumble et Sowerberry marchaient en tête d'un pas dégagé, et Olivier, avec ses petites jambes courait à côté du convoi.
Il n'était pourtant pas aussi urgent de se presser que M. Sowerberry le prétendait; quand ils eurent atteint le coin obscur du cimetière où poussent les orties et où sont les fosses de la paroisse, le prêtre n'était pas encore arrivé, et le clerc, assis au coin du feu dans la sacristie, donna à entendre que probablement il ne viendrait pas avant une heure. En conséquence, on déposa la bière au bord de la fosse; l'homme et la vieille femme attendirent patiemment dans la boue, sous une pluie froide et pénétrante, tandis que des enfants déguenillés, attirés par la curiosité, jouaient à cache-cache derrière les tombes, ou sautaient à pieds joints par-dessus le cercueil; Sowerberry et Bumble, amis intimes du clerc, se chauffaient avec lui et lisaient le journal.
Enfin, après plus d'une heure d'attente, M. Bumble, Sowerberry et le clerc se dirigèrent en hâte vers la fosse, et en même temps parut le prêtre, qui mettait son surplis en marchant. M. Bumble gourmanda un ou deux enfants pour sauver les apparences; et le respectable ecclésiastique, après avoir lu l'office des morts pendant quatre minutes, remit son surplis au clerc et s'en alla.
«Maintenant, Bill, remplis,» dit Sowerberry au fossoyeur. La tâche était facile; car la fosse était si pleine que le dernier cercueil était à quelques pieds seulement du niveau du sol. Le fossoyeur jeta sur la bière quelques pelletées de terre qu'il foula sous ses pieds, mit sa pelle sur son épaule, et s'éloigna, suivi des enfants, qui se plaignaient que leur amusement fût si vite terminé.
«Allons, venez, mon brave homme, dit Bumble en frappant doucement sur l'épaule du pauvre malheureux; on va fermer le cimetière.»
Celui-ci, qui n'avait pas fait un mouvement depuis qu'il était arrivé au bord de la fosse, tressaillit, leva la tète, regarda fixement celui qui lui parlait, fit quelques pas, et tomba évanoui. La vieille folle était trop occupée de la perte de son manteau, que l'entrepreneur lui avait repris, pour faire attention à autre chose; on fit revenir à lui l'homme évanoui avec une douche d'eau froide; on le déposa sain et sauf hors du cimetière, et, après avoir fermé à clef la porte, chacun s'en retourna chez soi.
«Eh bien, Olivier, dit Sowerberry en regagnant sa boutique, comment trouves-tu cela?
– Assez bien, monsieur, je vous remercie, répondit l'enfant en hésitant beaucoup; pas trop bien, monsieur.
– Bah! tu t'y feras, Olivier, dit Sowerberry; ça ne vous fait plus rien du tout, une fois qu'on y est fait, mon garçon.»
Olivier aurait bien voulu savoir s'il avait fallu beaucoup de temps à son maître pour s'y accoutumer; mais il crut sage de ne pas hasarder cette question, et s'en retourna à la boutique, la tête pleine de tout ce qu'il venait de voir et d'entendre.
CHAPITRE VI. Olivier, poussé à bout par les sarcasmes de Noé, engage une lutte et déconcerte son ennemi
Au bout d'un mois d'essai, Olivier fut définitivement apprenti; il y eut précisément alors une bonne saison d'épidémies. En style de commerce, les cercueils étaient en hausse; et dans l'espace de quelques semaines, Olivier acquit beaucoup d'expérience; le succès de l'ingénieuse spéculation de M. Sowerberry dépassait son espérance. Les plus vieux habitants ne se souvenaient pas d'avoir jamais vu la rougeole si intense et si meurtrière pour les enfants; nombreux furent les convois en tête desquels marchait le petit Olivier avec un chapeau garni d'un crêpe qui lui tombait jusqu'aux genoux, à l'étonnement et à l'admiration de toutes les mères. Olivier accompagnait aussi son maître à presque tous les convois d'adultes, afin d'acquérir l'impassibilité de maintien et l'insensibilité complète qui sont si nécessaires à un croque-mort accompli, et il eut souvent occasion d'observer la belle résignation et la force d'âme avec laquelle les gens courageux savent supporter la perte de leurs proches.
Ainsi, quand on commandait à Sowerberry un convoi pour quelque personne vieille et riche, possédant un grand nombre de neveux et de nièces, lesquels pendant la dernière maladie s'étaient montrés inconsolables, et dont la douleur n'avait pu se contenir en public, on les trouvait chez eux aussi heureux que possible, joyeux et satisfaits, conversant ensemble avec autant de gaieté et de liberté d'esprit que s'ils n'avaient éprouvé aucune perte. Certains maris supportaient avec un calme admirable la perte de leur femme; les femmes, de leur côté, en portant le deuil de leur mari, avaient soin de le rendre aussi attrayant que possible; il était aussi à remarquer que ceux dont la douleur avait le plus éclaté au convoi, se calmaient en rentrant chez eux, et étaient tout à fait remis avant l'heure du thé. Ce spectacle à la fois curieux et consolant excitait l'étonnement d'Olivier.
Je ne puis affirmer avec certitude, en ma qualité de biographe, que l'exemple de ces braves gens ait disposé Olivier à la résignation; mais il est certain qu'il continua pendant plusieurs mois à supporter patiemment la domination et les mauvais traitements de Noé Claypole, qui le maltraitait plus que jamais depuis que sa jalousie était excitée en voyant le nouveau venu décoré d'un chapeau à crêpe et d'un bâton noir, tandis que lui, son ancien, portait toujours le bonnet en forme de marmite, la culotte de peau, le costume enfin de l'école de charité; Charlotte le maltraitait aussi pour imiter Noé, et Mme Sowerberry était son ennemie déclarée, parce que son mari était bien disposé pour lui: de sorte qu'ayant à lutter à la fois contre cette ligue et contre le dégoût que lui inspiraient les funérailles, Olivier n'était pas tout à fait aussi à l'aise que le rat de la fable dans son fromage de Hollande.
J'arrive maintenant à un fait très important dans l'histoire d'Olivier; j'ai à parler d'une action qui peut d'abord paraître presque indifférente, mais qui modifia et changea complètement son avenir.
Olivier et Noé étaient un jour descendus à la cuisine, à l'heure habituelle du dîner, pour se régaler d'un petit morceau de mouton; une livre et demie de la viande la plus commune. Mais Charlotte était sortie, et, pendant son absence, le sieur Noé Claypole, affamé et vicieux, crut qu'il ne pouvait mieux passer le temps qu'à tourmenter et molester le petit Olivier Twist.
Pour se donner cette innocente distraction, Noé mit les pieds sur la nappe, tira les cheveux d'Olivier, lui pinça les oreilles, et lui déclara qu'il n'était qu'un «capon» Il annonça le projet d'aller le voir pendre un jour; enfin il n'y eut pas de malices qu'il ne se permît, comme un méchant enfant de charité qu'il était. Mais, comme rien de tout cela ne faisait pleurer Olivier, Noé essaya d'un moyen plus ingénieux; il fit ce que beaucoup de petits esprits, bien plus célèbres que Noé, font journellement pour être spirituels: il eut recours aux personnalités.
«Petit bâtard! dit Noé; comment se porte ta mère?
– Elle est morte, répondit Olivier. Ne m'en parlez pas, je vous prie.»
L'enfant rougit en disant ces mots. Sa respiration était précipitée, et, à voir la contraction de ses lèvres et de ses narines, M. Claypole crut qu'il allait fondre en larmes; aussi revint-il à la charge.
«De quoi est-elle morte, ta mère? dit Noé.
– De désespoir, à ce qu'on m'a dit, répondit Olivier, comme s'il se parlait à lui-même; et je crois que je comprends ce que c'est que de mourir ainsi!
– Tra déri déra, petit bâtard! dit Noé en voyant une larme couler sur la joue de l'enfant; qu'est-ce qui te fait pleurnicher à présent?
– Ce n'est pas vous, répondit Olivier en essuyant vite la larme qui mouillait sa joue; ne croyez pas que ce soit vous.
– Ah! vraiment! ce n'est pas moi? dit Noé en ricanant.
– Non, ce n'est pas vous, reprit Olivier d'un ton sec; tenez, en voilà assez; n'ajoutez plus un mot sur ma mère; c'est ce que vous avez de mieux à faire.
– Ce que j'ai de mieux à faire! s'écria Noé; en vérité! ne fais pas l'impudent, méchant orphelin. Il paraît que ta mère était une belle femme, hein?»
Et ici Noé secoua la tête d'une manière expressive et fronça de toute sa force son petit nez rouge.
«Tu sais bien, orphelin, continua Noé, encouragé par le silence d'Olivier, et d'un ton de feinte compassion (le plus blessant de tous), tu sais bien que tu n'y peux rien, que personne n'y peut rien; j'en suis bien fâché pour toi; tu sais sans doute, enfant trouvé, que ta mère était une vraie coureuse.
– Comment dites-vous? demanda Olivier en levant bien vite la tête.
– Une vraie coureuse, répondit froidement Noé; et au fait, il vaut mieux qu'elle soit morte, car elle se serait fait enfermer, ou transporter, ou pendre, ce qui est encore plus probable.»
Le visage en feu, Olivier s'élança, renversa chaise et table, saisit Noé à la gorge, le secoua avec une telle rage que ses dents claquaient, et, rassemblant toutes ses forces, il lui appliqua un tel coup qu'il l'étendit à terre.
Un instant auparavant, cet enfant accablé de mauvais traitements était la douceur même; mais son courage s'était éveillé enfin; l'outrage fait à la mémoire de sa mère l'avait mis hors de lui; son coeur battait violemment; il avait une attitude fière, l'oeil vif et animé; tout en lui était changé, maintenant qu'il voyait son lâche persécuteur étendu à ses pieds, et il le défiait avec une énergie qu'il ne s'était jamais connue auparavant.
«À l'assassin! criait Noé; Charlotte, madame! l'apprenti m'assassine; au secours! au secours! Olivier est enragé! Char…lotte!»
Aux hurlements de Noé, Charlotte répondit par un cri perçant et Mme Sowerberry par un cri plus perçant encore: la première s'élança dans la cuisine par une porte latérale; la seconde s'arrêta sur l'escalier, afin de s'assurer qu'elle n'exposait pas sa vie en allant plus loin.
«Ah! petit misérable! s'écria Charlotte en étreignant Olivier de toute sa force, qui égalait bien celle d'un homme robuste et bien portant; ah! petit ingrat! assassin! monstre!»
Et à chaque syllabe Charlotte donnait à Olivier un coup de toute sa force et l'accompagnait d'un cri perçant, pour la plus grande gloire de la société, dont elle prenait en main la cause.
Le poing de Charlotte n'était pas léger; mais, dans la crainte qu'il ne fût pas suffisant pour calmer la colère d'Olivier, Mme Sowerberry s'aventura dans la cuisine et d'une main saisit l'enfant, tandis que de l'autre elle lui égratignait la figure. Enfin Noé, profitant des avantages de sa position, se releva et donna des coups à Olivier par derrière.
Cet exercice était trop violent pour durer longtemps; quand ils furent tous trois fatigués de frapper, ils entraînèrent l'enfant qui criait et se débattait, mais n'était nullement intimidé, dans le cellier, où ils l'enfermèrent à clef; puis Mme Sowerberry tomba épuisée sur une chaise et fondit en larmes.
«Dieu! voilà qu'elle se pâme! dit Charlotte. Noé, mon cher, vite un verre d'eau!
– Oh! Charlotte, dit Mme Sowerberry en parlant de son mieux, malgré son étouffement et la forte dose d'eau froide que Noé lui versait sur la tête et les épaules; oh! Charlotte; quelle chance nous avons eue de n'être pas tous assassinée dans notre lit!
– Ah! une grande chance, bien vrai, madame, répondit Charlotte. J'espère seulement que ceci apprendra à monsieur à ne plus recevoir de ces êtres terribles, qui sont nés pour le meurtre et le vol, dès le berceau. Pauvre Noé! il était presque tué quand je suis entrée.
– Pauvre garçon! dit Mme Sowerberry en jetant un regard de compassion sur l'apprenti.
Noé, qui avait la tête et les épaules de plus qu'Olivier, se frottait les yeux avec la paume des mains tandis qu'on s'apitoyait ainsi sur son sort, et sanglotait de son mieux.
«Qu'allons-nous faire? s'écria Mme Sowerberry; mon mari est sorti, il n'y a point d'homme à la maison; et Olivier va enfoncer la porte à coups de pied avant dix minutes.»
Les violentes secousses que celui-ci imprimait à la porte du cellier rendaient en effet ce résultat probable.
«Mon Dieu! mon Dieu! je n'en sais rien, madame, dit Charlotte…
Si nous faisions venir la police?
– Ou la garde? ajouta M. Claypole.
– Non, non, dit Mme Sowerberry se souvenant de l'ancien ami d'Olivier. Noé, courez chez M. Bumble et dites-lui de venir tout de suite, de ne pas perdre une minute; ne cherchez pas votre casquette. Dépêchez-vous; vous n'avez en chemin qu'à tenir un couteau appliqué sur votre oeil, cela fera diminuer l'enflure.»
Noé n'en attendit pas davantage et s'élança dehors au plus vite. Les gens qui étaient dans les rues s'étonnèrent de voir un garçon de l'école de charité courir ainsi à perdre haleine, sans casquette et une lame de couteau sur l'oeil.
CHAPITRE VII. Olivier persiste dans sa rébellion
Noé Claypole courut à toutes jambes et ne s'arrêta pour reprendre haleine qu'à la porte du dépôt de mendicité. Il attendit une minute environ, afin de recommencer ses sanglots de plus belle, et de donner à sa figure une expression de douleur et de terreur violente; puis il frappa rudement à la porte, et présenta au vieil indigent qui vint lui ouvrir une physionomie si piteuse que celui- ci, bien qu'habitué à ne voir autour de lui que des visages malheureux, recula d'étonnement.
«Que peut-il être arrivé à ce garçon? se dit le vieux pauvre.
– Monsieur Bumble! monsieur Bumble!» criait Noé, feignant l'épouvante, et avec une telle force, que non seulement il se fit entendre de M. Bumble qui avait l'oreille dure, mais qu'il l'alarma au point de le faire s'élancer dans la cour sans son tricorne; circonstance remarquable et vraiment curieuse en ce qu'elle montre qu'un bedeau lui-même, sous l'empire d'une émotion soudaine et puissante, peut momentanément perdre la tète et oublier sa dignité personnelle, «Oh! monsieur Bumble, dit Noé; c'est Olivier, monsieur, c'est Olivier qui a…
– Comment? comment? interrompit M. Bumble avec une expression de joie dans son regard terne. Il ne s'est pas échappé? il ne s'est pas échappé, n'est-ce pas, Noé?
– Non, non, monsieur, il ne s'est pas échappé; mais il est devenu mauvais sujet, répondit Noé. Il a voulu m'assassiner, monsieur, puis il a essayé de tuer Charlotte et madame. Oh! que je souffre! oh! monsieur, quelles tortures!
Et Noé se tordait en tous sens comme une anguille, pour faire croire à M. Bumble que, dans l'attaque violente et féroce d'Olivier Twist, il avait éprouvé quelque grave lésion interne qui lui faisait souffrir des douleurs atroces.
Quand Noé vit l'effet que ses paroles produisaient sur M. Bumble, il voulut l'émouvoir encore davantage en se lamentant sur ses blessures bien plus fort qu'auparavant; et, quand il vit un monsieur à gilet blanc traverser la cour, il gémit d'une manière plus tragique que jamais, parce qu'il crut de la plus grande importance d'attirer l'attention et d'exciter l'indignation dudit personnage.
L'attention de celui-ci fut en effet bientôt éveillée: car il n'avait pas fait trois pas qu'il se retourna brusquement et demanda pourquoi hurlait ce jeune mâtin, et pourquoi M. Bumble ne lui administrait pas quelques coups pour lui faire mieux articuler ses plaintes.
«C'est un pauvre garçon de l'école de charité, monsieur, répondit M. Bumble, qui a été presque assassiné par le jeune Twist. Il l'a échappé belle.
– Parbleu, j'en étais sûr, s'écria le monsieur au gilet blanc en s'arrêtant tout court; j'ai eu dès le principe un singulier pressentiment, c'est que ce jeune sauvage finirait à la potence.
– Il a aussi voulu assassiner la domestique, dit M. Bumble, pâle de frayeur.
– Et sa maîtresse aussi, ajouta M. Claypole.
– Et puis son maître, n'est-ce pas, Noé? dit M. Bumble.
– Non, il était sorti, sans quoi il l'eût tué, répondit Noé; il disait qu'il voulait le tuer.
– Ah! il a dit cela, mon garçon? répliqua le monsieur au gilet blanc.
– Oui, monsieur, répondit Noé, et ma maîtresse demande si M. Bumble pourrait venir tout de suite fouetter Olivier, parce que monsieur est sorti.
– Certainement, mon garçon,» dit le monsieur au gilet blanc, en souriant avec bonté et en passant sa main sur la tête de Noé qui avait au moins trois pouces de plus que lui; il ajouta: «Tu es un brave garçon, un digne garçon; voici un penny pour ta peine. Bumble, prenez votre canne, et allez chez Sowerberry. Faites pour le mieux, ne le ménagez pas, Bumble.