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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3
Il y a d'ailleurs à ce système d'émigration systématique par les soins du gouvernement un obstacle auquel ses promoteurs n'ont probablement pas songé; c'est que le peuple ne consentira pas à se laisser transporter. Je puis dire du moins que les habitants de Stockport17, quoique arrivés au dernier degré de misère, seraient unanimes pour répondre: «Nous savons trop bien ce qu'est la tendre clémence du gouvernement chez nous pour nous mettre à sa merci de l'autre côté de l'Atlantique.» (Applaudissements.) Je n'ai aucune objection à faire contre l'émigration volontaire. Dans un pays comme celui-ci, il y a toujours des hommes que leur goût ou les circonstances poussent vers d'autres régions. Mais l'émigration, lorsqu'elle provient de la nécessité de fuir la famine légale, c'est de la déportation et pas autre chose. (Bruyantes acclamations.) Si l'on venait vous raconter qu'il existe une île dans l'océan Pacifique, à quelques milles du continent, dont les habitants sont devenus les esclaves d'une caste qui s'empara du sol il y a quelque sept siècles; si l'on vous disait que cette caste fait des lois pour empêcher le peuple de manger autre chose que ce qu'il plaît au conquérant de lui vendre; si l'on ajoutait que ce peuple est devenu si nombreux, que le territoire ne suffit plus à sa subsistance, et qu'il est réduit à se nourrir de racines; enfin, si l'on vous apprenait que ce peuple est doué d'une grande habileté, qu'il a inventé les machines les plus ingénieuses, et que néanmoins ses maîtres l'ont dépouillé du droit d'échanger les produits de son travail contre des aliments; si ces détails vous étaient rapportés par quelque voyageur philanthrope, par quelque missionnaire récemment arrivé des mers du Sud, et s'il concluait enfin en vous annonçant que la caste dominante de cette île s'apprête à en transporter l'habile et industrieuse population vers de lointaines et stériles solitudes, que diriez-vous, habitants de Londres? que dirait-on à Exeter-Hall18, dans cette enceinte dont l'usage a été refusé à la ligue? (Honte! honte!) Oh! Exeter-Hall retentirait des cris d'indignation de ces philanthropes dont la charité ne s'exerce qu'aux antipodes! On verrait la foule des dames élégantes tremper leurs mouchoirs brodés de larmes de pitié, et le clergé appellerait le peuple à souscrire pour que des flottes anglaises aillent arracher ces malheureux aux mains de leurs oppresseurs! (Applaudissements.) Mais cette hypothèse, c'est la réalité pour nos compatriotes! (Nouveaux applaudissements.) Rendez au peuple de ce pays le droit d'échanger le fruit de ses labeurs contre du blé étranger, et il n'y a pas en Angleterre un homme, une femme ou un enfant qui ne puisse pourvoir à sa subsistance et jouir d'autant de bonheur, sur sa terre natale, qu'il en pourrait trouver dans tout autre pays sur toute la surface de la terre.
Mais puisqu'il s'agit de plans, j'en ai aussi un à proposer aux monopoleurs-gouvernants. – Qu'ils laissent les manufacturiers travailler en entrepôt, qu'ils mettent la population du Lancastre en entrepôt; – non pour qu'elle échappe aux contributions dues à la reine, – non, nous ne voulons pas soustraire un farthing au revenu public, – mais qu'ils tirent un cordon autour du Lancastre, afin que le duc de Buckingham soit bien assuré qu'aucun grain de cet infâme blé étranger ne pénètre dans le Cheshire et le Buckinghamshire. Là, les fabricants travailleront à l'entrepôt, payant exactement leur subside à la reine, mais affranchis des exactions des monopoleurs oligarques. Si l'on nous permet de suivre ce plan, nous ne serons pas embarrassés pour obtenir des subsistances abondantes pour la population du Lancastre, quelque dense qu'elle soit; et bien loin de redouter de la voir s'augmenter, nous la verrons avec joie croître de génération en génération. Le plan que je propose, au lieu de dissoudre le lien social, donnera de l'emploi et du bien-être à tous; il montrera combien réagirait sur le commerce intérieur un peu d'encouragement donné au commerce extérieur par l'admission du blé étranger. Cela ne vaut-il pas mieux que d'expatrier les hommes?
Mais la question a encore des aspects moraux qu'il est de notre devoir d'examiner. L'homme, a-t-on dit, est de tous les êtres créés le plus difficile à déplacer du lieu de sa naissance. L'arracher à son pays est une tâche plus lourde que celle de déraciner un chêne. (Applaudissements.) Oh! les signataires de la pétition se sont-ils jamais trouvés au dock de Sainte-Catherine au moment où un des navires de l'émigration s'apprêtait à entreprendre son funèbre voyage? (Écoutez!) Ont-ils vu les pauvres émigrants s'asseoir pour la dernière fois sur les dalles du quai, comme pour s'attacher jusqu'au moment suprême à cette terre où ils ont reçu le jour? (Écoutez! écoutez!) Avez-vous considéré leurs traits? Oh! vous n'avez pas eu à vous informer de leurs émotions, car leur cœur se peignait sur leur visage! Les avez-vous vus prendre congé de leurs amis? Si vous l'aviez vu, vous ne parleriez pas légèrement d'un système d'émigration forcée. Pour moi, j'ai été bien des fois témoin de ces scènes déchirantes. J'ai vu des femmes vénérables disant à leurs enfants un éternel adieu! J'ai vu la mère et l'aïeule se disputer la dernière étreinte de leurs fils. (Acclamations.) J'ai vu ces navires de l'émigration abandonner la Mersey pour les États-Unis; les yeux de tous les proscrits se tourner du tillac vers le rivage aimé et perdu pour toujours, et le dernier objet qui frappait leurs avides regards, alors que leur terre natale s'enfonçait à jamais dans les ténèbres, c'étaient ces vastes greniers, ces orgueilleux entrepôts (véhémentes acclamations), où, sous la garde, j'allais dire de notre reine, – mais non, – sous la garde de l'aristocratie, étaient entassées comme des montagnes, des substances alimentaires venues d'Amérique, seuls objets que ces tristes exilés allaient chercher au delà des mers. (Applaudissements enthousiastes.) Je ne suis pas accoutumé à faire du sentiment; on me dépeint comme un homme positif, comme un homme d'action et de fait, étranger aux impulsions de l'imagination. Je raconte ce que j'ai vu. J'ai vu ces souffrances, oui, et je les ai partagées! et c'est nous, membres de la Ligue, nous qui voulons aider ces malheureux à demeurer en paix auprès de leurs foyers, c'est nous qu'on dénonce comme des gens cupides, comme de froids économistes! Quelles seraient vos impressions, si un vote du Parlement vous condamnait à l'émigration, non point à une excursion temporaire, mais à une éternelle séparation de votre terre natale! Rappelez-vous que c'est là, après la mort, la plus cruelle pénalité que la loi inflige aux criminels! Rappelez-vous aussi que les classes populaires ont des liens et des affections comme les vôtres, et peut-être plus intimes; et si vous ressentez au cœur ces vives impressions, que le cri qui a provoqué le gouvernement à organiser l'émigration soit comme un tocsin qui rallie tous vos efforts contre cette cruelle calamité. (Applaudissements.) Je terminerai en répétant que vous ne devez pas venir ici comme à un lieu de diversion. L'objet que nous avons en vue réclame des efforts personnels, énergiques et persévérants. Parler sert de peu, et j'aurais honte de paraître devant vous, si la parole n'était pas le moindre des instruments que j'ai mis au service de notre cause. (Applaudissements.) On a dit que c'était ici l'agitation de la classe moyenne. Je n'aime pas cette définition, car je n'ai pas en vue l'avantage d'une classe, mais celui de tout le peuple. Que si, cependant, c'est ici l'agitation de la classe moyenne, je vous adjure de ne pas oublier ce qu'est cette classe. C'est elle qui nomme les législateurs; c'est elle qui soutient la presse. Il est en son pouvoir de signifier sa volonté au Parlement; il est en son pouvoir, et je l'engage à en user, de soutenir cette portion de la presse par qui elle est soutenue. (Acclamations véhémentes.) Faites cela, et vous détournerez la nécessité de transporter sur des terres lointaines la plus précieuse production des domaines de Sa Majesté, le peuple; faites cela, «et le peuple vivra en paix et en joie, à l'ombre de sa vigne et de son figuier, sans qu'aucun homme ose l'affliger.» (Véhémentes acclamations.)
Le président, en proposant un vote de remercîment envers les orateurs, saisit cette occasion pour engager les assistants à propager dans tout le pays les journaux qui contiendront le compte rendu le plus fidèle du présent meeting.
MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE
5 avril 1843
L'assemblée est aussi nombreuse qu'aux séances précédentes, et nous n'y avons jamais remarqué autant de dames. L'attention soutenue prêtée aux orateurs, l'ordre et la décence qui règnent dans toutes les parties de la salle, témoignent que la Ligue agit avec calme, mais avec efficacité sur l'esprit de cette métropole.
Nous avons remarqué sur l'estrade MM. Villiers, Gibson Hume, Cobden, Ricardo, le cap. Plumridge, Malculf, Scholefield, Holland, Bowring, tous membres du Parlement; Moore, Heyworth, l'amiral Dundas, Pallison, etc., etc.
«Le président, M. Georges Wilson, en ouvrant la séance, annonce que plusieurs meetings ont été tenus sur divers points du territoire: un à Salford, présidé par le premier officier de la municipalité; un autre à Doncastre, où plusieurs propriétaires du voisinage se sont fait entendre. Dans tous les deux, des résolutions ont été prises contre le monopole. Vendredi dernier, un meeting a eu lieu à Norwich, auquel assistait une députation de la Ligue, composée du col. Thompson, de M. Moore et de M. Cobden. Plus de 4,000 personnes assistaient à cette réunion, et les applaudissements dont elles ont salué la députation témoignent assez de leur sympathie pour notre cause. Samedi, un autre meeting, spécialement destiné à la classe des agriculteurs, a été tenu dans la même ville avec l'assistance de la même députation. Aucun murmure de désapprobation, aucune parole hostile, ne se sont fait entendre19. À la fin de la séance, le célèbre philanthrope M. John-Joseph Gurney de Norwich a invité le peuple à mettre de côté tout esprit de parti, toutes préventions politiques, et à ne voir dans cette cause qu'une question de justice et d'humanité. (Applaudissements.) Le président se félicite de voir aussi l'Irlande entrer dans le mouvement. La semaine dernière un grand meeting a eu lieu à Newtownards, sur la propriété de lord Londonderry. (Bruyante hilarité.) Faute d'un local assez vaste, la réunion a eu lieu en plein air, malgré la rigueur du temps. – Quelque importantes que soient ces grandes assemblées, la Ligue n'a pas négligé ses autres devoirs. Les professeurs d'économie politique ont continué leurs cours. Dès l'origine, la Ligue a senti combien il était désirable qu'elle concourût de ses efforts à l'avancement d'un bon système d'éducation libérale. Elle aspire à se préparer, pour l'époque où elle devra se dissoudre, d'honorables souvenirs, en guidant le peuple dans ces voies d'utilité publique qu'elle a eu le mérite d'ouvrir. On l'a accusée d'être révolutionnaire; mais les trois quarts de ses dépenses ont pour but la diffusion des saines doctrines économiques. Si la Ligue est révolutionnaire, Adam Smith et Ricardo étaient des révolutionnaires, et le bureau du commerce (board of trade) est lui-même rempli de révolutionnaires20. (Approbation.) Ce n'est pas ses propres opinions, mais les opinions de ces grands hommes, que la Ligue s'efforce de propager; elles commencent à dominer dans les esprits et sont destinées à dominer aussi dans les conseils publics, dans quelques mains que tombent le pouvoir et les portefeuilles. – Il faut excuser les personnes que leur intérêt aveugle sur la question du monopole; mais il est pénible d'avoir à dire que, dans quelques localités, le clergé de l'Église établie n'a pas craint de dégrader son caractère en maudissant les écrits de la Ligue, auxquels il n'a ni le talent ni le courage de répondre21. (Bruyantes acclamations.) Le doyen de Hereford a abandonné la présidence de la Société des ouvriers, parce que l'excellent secrétaire de cette institution avait déposé dans les bureaux quelques exemplaires de notre circulaire contre la taxe du pain (bread-tax). M. le doyen commença bien par offrir la faculté de retirer le malencontreux pamphlet; mais le secrétaire ayant préféré son devoir à un acte de courtoisie envers le haut dignitaire de l'Église, il en est résulté que la circulaire est restée et que c'est le doyen qui est sorti. (Rires.) J'ai devant moi une lettre authentique qui établit un cas plus grave. Dans un bourg de Norfolk, un gentleman avait été chargé de faire parvenir, par l'intermédiaire du sacristain, quelques brochures de la Ligue au curé et à la noblesse du voisinage. Le sacristain déposa ces brochures sur la table du vestiaire; mais lorsque le ministre entra pour revêtir sa robe, il s'en empara, les porta à l'église et en fit le texte d'un discours violent, où il traita les membres de la Ligue d'assassins (éclats de rires), ajoutant qu'un certain Cobden (on rit plus fort) avait menacé sir Robert Peel d'être assassiné s'il ne satisfaisait aux vœux de la Ligue; après quoi il fit brûler les brochures dans le poêle, disant qu'elles exhalaient une odeur de sang. (Nouveaux rires.) Je conviens qu'une telle conduite mérite plus de compassion que de colère, compassion pour le troupeau confié à la garde d'un tel ministre; compassion surtout pour le ministre lui-même, qui demande à son Créateur «le pain de chaque jour» avec un cœur fermé aux souffrances de ses frères; pour un ministre qui oublie à ce point la sainteté du sabbat et la majesté du temple, que de convertir le service divin en diffamation et le sanctuaire en une scène de scandale22. – La parole sera d'abord à M. Joseph Hume, cet ami éprouvé du peuple. Vous entendrez ensuite MM. Brotherton et Gibson. Nous comptions aussi sur la coopération de M. Bright, mais il est allé samedi à Nottingham et à Durham pour prendre part, dans l'intérêt de la liberté du commerce, aux luttes électorales de ces bourgs.»
M. Hume se lève au bruit d'acclamations prolongées. Lorsque le silence est rétabli, il s'exprime en ces termes:
Je suis venu à ce meeting pour écouter et non pour parler; mais le comité a fait un appel à mon zèle, et ne pouvant comme d'autres alléguer le prétexte de l'inhabitude23 (rires), j'ai dû m'exécuter malgré mon insuffisance. C'est avec plaisir que j'obéis, car je me rappelle un temps, qui n'est pas très-éloigné, où les opinions aujourd'hui généralement adoptées, non-seulement au sein de la communauté, mais encore parmi les ministres de la couronne, étaient par eux vivement controversées. Mais ces hommes, autrefois si opposés à la liberté du commerce, reconnaissent enfin la vérité des doctrines de la Ligue, et c'est avec une vive satisfaction que j'ai récemment entendu tomber de la bouche même de ceux qui furent nos plus chauds adversaires, cette déclaration: «Le principe du libre-échange est le principe du sens commun24.» (Acclamations.) Je me présente à ce meeting sous des auspices bien différents de ceux qui auraient pu m'y accompagner à l'époque à laquelle je fais allusion. Il y a quelque quatorze ans que je fis une motion devant une assemblée composée de six cent cinquante-huit gentlemen. (Rires. Écoutez, écoutez!) qui n'étaient pas des hommes ignorants et illettrés, mais connaissant, ou du moins censés connaître leurs devoirs envers eux-mêmes et envers le pays. Je proposai à ces six cent cinquante-huit gentlemen de retoucher la loi-céréale, de telle sorte que l'échelle mobile fût graduellement transformée en droit fixe, et que le droit fixe fît place en définitive à la liberté absolue. (Applaudissements.) Mais sur ces six cent cinquante-huit gentlemen, quatorze seulement me soutinrent. (Écoutez, écoutez.) Chaque année, depuis lors, des efforts sont tentés par quelques-uns de mes collègues, et il est consolant d'observer que chaque année aussi notre grande cause gagne du terrain. Je suis fâché de voir que les landlords, et ceux qui vivent sous leur dépendance, persistent à ne considérer la question que par le côté qui les touche. Plusieurs d'entre eux font partie de la législature, et, se plaçant à leur point de vue personnel, ils ont fait des lois dont le but avoué est de favoriser leurs intérêts privés sans égard à l'intérêt public. C'est là une violation des grands principes de notre constitution, qui veut que les lois embrassent les intérêts de toutes les classes. (Approbation.) Malheureusement la chambre des communes ne représente pas les opinions de toutes les classes. (Approbation.) Elle ne représente que les opinions d'une certaine classe, celle des législateurs eux-mêmes, qui ont fait tourner la puissance législative à leur propre avantage, au détriment du reste de la communauté. (Applaudissements.) Je voudrais demander à ces hommes, qui sont riches et possèdent plus que tous autres les moyens de se protéger eux-mêmes, comment ils peuvent, sans que leur conscience soit troublée, trouver sur leur chevet un paisible sommeil après avoir fait des lois, tellement injustes et oppressives, qu'elles vont jusqu'à priver de moyens d'existence plusieurs millions de leurs frères. (Applaudissements.) C'est sur ce principe que j'ai toujours plaidé la question, et voici la seule réponse que j'aie pu obtenir: «Si nous croyions mal agir, nous n'agirions pas ainsi.» (Rires.) Vous riez. Messieurs, et cependant je puis vous assurer qu'il y a beaucoup de personnes, et même de personnages, qui sont si ignorants des plus simples principes de l'économie politique, qu'ils n'hésiteraient pas à venir répéter cette assertion devant la portion la plus éclairée du peuple de ce pays. Mais une lumière nouvelle s'est levée à l'horizon des intelligences, et il y a dans les temps des signes capables de réveiller ceux-là mêmes qui sont les plus attachés à leurs sordides intérêts. (Applaudissements.) Il est temps qu'ils regardent autour d'eux et qu'ils s'aperçoivent que le moment est venu, où, en toute justice, la balance doit enfin pencher du côté de ceux qui sont pauvres et dénués. – L'état de détresse qui pèse sur le pays est la conséquence d'une injuste législation; c'est pour la renverser que nous sommes unis, et j'espère qu'en dépit de la calomnie, la Ligue ne tardera pas à être considérée comme l'amie la plus éclairée de l'humanité. Cette grande association, j'en ai la confiance, se montrera supérieure aux traits qu'il plaira à la malignité de lui infliger; elle apprendra, comme une longue expérience me l'a appris à moi-même, que plus elle se tiendra dans le sentier de la justice, plus elle sera en butte à la persécution. (Applaudissements.) Lorsqu'il m'est arrivé que quelque portion de la communauté m'a assailli par des paroles violentes, ma règle invariable a été de considérer attentivement les imputations dirigées contre moi. Si je leur avais trouvé quelque fondement, je me serais empressé de changer de conduite. Dans le cas contraire, j'y ai vu une forte présomption que j'étais dans le droit sentier et que mon devoir était d'y rester. Je ne puis que conseiller à la Ligue de faire de même. Vous êtes noblement entrés dans cette grande entreprise; vous n'avez épargné ni votre argent ni votre temps; vous avez fait pour le triomphe d'une noble cause tout ce qu'il est humainement possible de faire, et le temps approche où le succès va couronner vos généreux efforts. (Applaudissements.) C'est une idée très-répandue que les intérêts territoriaux font la force de ce pays; mais les intérêts territoriaux puisent eux-mêmes leur force dans la prospérité du commerce et des manufactures, et ils commencent enfin à comprendre ce qu'ils ont gagné à priver le travail et l'industrie de leur juste rémunération. L'ouvrier ne trouve plus de salaire, les moyens d'acheter les produits du sol lui échappent: de là, ces plaintes sur l'impossibilité de vendre le bétail et le blé. La souffrance pèse en ce moment sur les dernières classes, mais elle gagne les classes moyennes, elle atteindra les classes élevées, et le jour, peu éloigné, où celles-ci se sentiront froissées, ce jour-là elles reconnaîtront qu'un changement radical au présent système est devenu indispensable. (Approbation.) En me rappelant ce qui s'est passé aux dernières élections générales, je ne puis m'empêcher de remarquer combien le peuple s'est égaré, lorsqu'il a cru, en appuyant les monopoleurs, soutenir les vrais intérêts du pays. Les défenseurs de la liberté du commerce voient aujourd'hui avec orgueil que ceux-là mêmes qui les accusaient d'être des novateurs et qui combattaient la doctrine du libre-échange, ne sont pas plutôt arrivés au pouvoir, qu'ils se sont retournés contre leurs amis pour devenir les champions de nos principes. (Applaudissements.) Tout ce que je leur demande, c'est de suivre ces principes dans leurs conséquences. Il n'y a pas un homme, dans la chambre des communes ni dans toute l'Angleterre, plus capable que sir Robert Peel d'exposer clairement et distinctement les doctrines qui devraient régir notre commerce, et qui sont les mieux calculées pour promouvoir les intérêts et la prospérité de ce pays. (Marques d'approbation.) Le très-honorable baronnet a fait un pas dans cette voie, mais ce n'est qu'un pas. Il s'attarde et s'alanguit sur la route, sans doute parce que son parti ne lui permet pas d'avancer. Il a proclamé le principe, il ne lui reste qu'à l'appliquer pour assurer au pays une paix solide et une prospérité durable. (Applaudissements.) – Il y a un grand nombre de personnes bien intentionnées qui ne peuvent comprendre pourquoi une réforme commerciale est plus urgente aujourd'hui qu'à des époques antérieures. Les fermiers s'imaginent que, parce que au temps de la guerre, ils ont obtenu des prix élevés en même temps que les fabriques réalisaient de grands profits, il ne s'agit que d'avoir encore la guerre pour ramener et ces prix et ces bénéfices. Cette illusion existe même parmi quelques manufacturiers; dans les classes agricoles elle est presque universelle; mais il est aisé d'en montrer l'inanité. Si les circonstances étaient les mêmes qu'aux époques qui ont précédé 1815, elles amèneraient sans doute les mêmes résultats. Bien heureusement, sous ce rapport du moins, la situation de l'Angleterre a tellement changé, qu'il est impossible que des conséquences semblables découlent d'une législation identique. Pendant la guerre, qui a rempli ce quart de siècle qui s'est terminé en 1815, il n'y avait pas de manufactures sur le continent, et à la paix, l'Angleterre, qui était en possession de pourvoir tous les marchés du monde, put maintenir pour un temps les hauts prix occasionnés par la guerre. C'est ce qu'elle fit, bien que le prix des aliments fût alors plus élevé de 50 p. 100, dans ce pays que partout ailleurs. Mais quel est l'état actuel des choses? La paix règne en Europe et en Amérique, et la population s'y partage entre l'industrie et l'agriculture. Elle rivalise, sur les marchés neutres, avec le fabricant anglais, et à moins que celui-ci ne puisse établir les mêmes prix, il lui est impossible de soutenir la concurrence. Que veut-il donc quand il demande l'abrogation des lois restrictives? Il veut que les ports de l'Angleterre soient ouverts aux denrées du monde entier, afin qu'elles s'y vendent à leur prix naturel, et que les Anglais soient placés sur le même pied que toutes les autres nations. Craignez-vous qu'à ces conditions le génie industriel, le capital et l'activité de la Grande-Bretagne aient rien à redouter? (Acclamation.) Vos acclamations répondent, Non. Ne nous lassons donc pas de réclamer la liberté du commerce. – J'adresserai maintenant quelques paroles à ceux qui jouissent du privilége d'envoyer des représentants au Parlement. Une grande responsabilité pèse sur eux; car ils ne doivent pas oublier que le mandat qu'ils confèrent dure sept ans, et pendant ce temps, quelles que soient leurs souffrances, fût-ce une ruine totale, ils ne peuvent plus rien pour eux-mêmes. C'est là un grave sujet de réflexions pour tous les électeurs. Tous sont intéressés à voir le pays florissant, et ce n'est certes pas son état actuel. Le seul moyen d'y arriver, c'est d'ouvrir nos ports à toutes les marchandises du monde. Je pourrais nommer plusieurs nations dont les produits nous conviennent: je n'en citerai qu'une. À un meeting tenu en septembre dernier, sous la présidence du duc de Rutland, M. Everett, ministre plénipotentiaire de l'Union américaine, fut appelé à prendre la parole, et dit en substance: «Mon pays désire échanger ses produits contre les vôtres. Vous avez beaucoup d'objets qui lui manquent, et il a pour vous payer des marchandises qui encombrent ses quais, jusqu'à ce point qu'on a été obligé de se servir de salaisons comme de combustibles.» (Et en effet un citoyen des États-Unis m'a confirmé qu'il y avait sur les quais de la Nouvelle-Orléans des amas de salaisons qu'on pourrait vendre à 6 deniers la livre, et qu'on employait en guise de charbon, à bord des bateaux à vapeur.) «Nous avons, ajoutait M. Everett, du blé qui pourrit dans nos magasins, et nous manquons de vêtements et d'instruments de travail.» Qui s'oppose à l'échange de ces choses? Le gouvernement britannique: ce que nous réclamons, c'est cette liberté d'échanges avec le monde entier. Chaque climat, chaque peuple a ses productions spéciales. Que toutes puissent librement arriver dans ce pays, pour s'y échanger contre ce qu'il produit en surabondance, et tout le monde y gagnera. Le manufacturier étendra ses entreprises; les salaires hausseront; la consommation des produits agricoles s'accroîtra; la propriété foncière et le revenu public sentiront le contre-coup de la prospérité générale. Mais avec notre législation restrictive, les usines sont de moins en moins occupées, les salaires de plus en plus déprimés, les productions du sol de plus en plus délaissées, et le mal s'étend à toutes les classes. Que ceux donc qui ont à cœur le bien-être de la patrie consacrent à ces graves sujets leurs plus sérieuses méditations. N'est-il pas vrai que le pays décline visiblement, et ne donneriez-vous pas à cette assertion votre témoignage unanime?..