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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3
Dans le cours des opérations qui ont eu lieu au commencement de la séance, j'ai appris, avec une vive satisfaction, que, sous les auspices de notre infatigable, de notre indomptable président (acclamations), la Ligue se prépare à une campagne d'hiver plus audacieuse, et j'espère plus décisive qu'aucune de celles qu'ait jamais entreprises cette grande et influente association. En entrant dans les bureaux, j'ai été frappé à l'aspect de quatre énormes colis emballés et cordés comme les lourdes marchandises de nos magasins. J'ai pris des informations, et l'on m'a dit que c'étaient des brochures, – environ cinq quintaux de brochures – adressées à quatre de nos professeurs, pour être immédiatement et gratuitement distribués. (On applaudit.) J'ai été curieux de vérifier dans nos livres où en sont les affaires, en fait d'impressions. – L'impression sur coton, vous le savez, va mal, et menace d'aller plus mal encore; mais l'impression sur papier est conduite avec vigueur, sous ce toit, depuis quelque temps. Depuis trois semaines la Ligue a reçu des mains des imprimeurs trois cent quatre-vingt mille brochures. C'est bien quelque chose pour l'œuvre de trois semaines, mais ce n'est rien relativement aux besoins du pays. Le peuple a soif d'information; de toutes parts on demande des brochures, des discours, des publications; on veut s'éclairer sur ce grand débat. Dans ces circonstances, je crois qu'il nous suffit de faire connaître au public les moyens d'exécution dont nous pouvons disposer, – que la moisson est prête, qu'il ne manque que des bras pour l'engranger, – et le public mettra en nos mains toutes les ressources nécessaires pour conduire notre campagne d'hiver, avec dix fois plus d'énergie que nous n'en avons mis jusqu'ici. Nous dépensons 100 l. s. par semaine, à ce que je comprends, pour agiter la question. Il faut en dépenser 1,000 par semaine d'ici à février prochain. Je crains que Manchester ne se soit un peu trop attribué le monopole de cette lutte. Quel que soit l'honneur qui lui en revienne, il ne faut pas que Manchester monopolise toutes les invectives de la Presse privilégiée. Ouvrons donc cordialement nos rangs à ceux de nos nombreux concitoyens des autres comtés, qui désirent, j'en suis sûr, devenir nos collaborateurs dans cette grande œuvre. Leeds, Birmingham, Glasgow, Sheffield ne demandent pas mieux que de suivre Manchester dans la lice. Cela est dans le caractère anglais. Ils ne souffriront pas que nous soyons les seuls à les délivrer des étreintes du monopole; ce serait s'engager d'avance à se reconnaître redevables envers nous de tout ce qui peut leur échoir de liberté et de prospérité, et il n'est pas dans le caractère des Anglais de rechercher le fardeau de telles obligations. Que font nos compatriotes dans les luttes moins glorieuses de terre et de mer? Avez-vous entendu dire, avez-vous lu dans l'histoire de votre pays, qu'ils laissent à un vaisseau ou à un régiment tout l'honneur de la victoire? Non, ils se présentent devant l'ennemi, et demandent qu'on les place à l'avant-garde. – Il en sera ainsi de Leeds, de Glasgow, de Birmingham; offrons-leur une place honorable dans nos rangs. – Messieurs, la première considération, c'est le nerf de la guerre. Il faut de l'argent pour conduire convenablement une telle entreprise. Je sais que notre honorable ami, qui occupe le fauteuil, a dans les mains un plan qui ne va à rien moins, vous allez être surpris, qu'à demander au pays un subside de 50,000 l. s. (Écoutez! écoutez!) C'est juste un million de shillings; et, si deux millions de signatures ont réclamé l'abrogation de la loi-céréale, quelle difficulté peut présenter le recouvrement d'un million de shillings?.. – Ladies et gentlemen, ce à quoi nous devons aspirer, c'est de disséminer à profusion tous ces trésors d'informations enfouis dans les enquêtes parlementaires et dans les œuvres des économistes. Nous n'avons besoin ni de force, ni de violence, ni d'exhibition de puissance matérielle (applaudissements); tout ce que nous voulons, pour assurer le succès de notre cause, c'est de mettre en œuvre ces armes bien plus efficaces, qui s'attaquent à l'esprit. Puisque j'en suis sur ce sujet, je ne puis me dispenser de vous recommander la récente publication des œuvres du colonel Thompson (applaudissements); c'est un arsenal qui contient plus d'armes qu'il n'en faut pour atteindre notre but, si elles étaient distribuées dans tout le pays. Il n'est si chétif berger qui, pour abattre le Goliath du monopole, n'y trouve un caillou qui aille à son bras. Je ne saurais élever trop haut ceux de ces ouvrages qui se rapportent à notre question. Le colonel Thompson a été pour nous un trésor caché. Nous n'avons ni apprécié ni connu sa valeur. Ses écrits, publiés d'abord dans la Revue de Westminster, ont passé inaperçus pour un grand nombre d'entre nous. Il vient de les réunir en corps d'ouvrage, en six volumes complets, au prix de sacrifices pécuniaires très-considérables, dont je sais qu'il n'a guère de souci, pourvu qu'ils fassent progresser la bonne cause. Je n'hésite pas à reconnaître que tout ce que nous disons, tout ce que nous écrivons aujourd'hui, a été mieux dit et mieux écrit, il y a dix ans, par le colonel Thompson. Il n'est que lieutenant-colonel dans l'armée, à ce que je crois, mais c'est un vrai Bonaparte dans la grande cause de la liberté. Cette cause, nous la ferons triompher en propageant les connaissances qui sont exposées dans ses ouvrages, en les publiant par la voie des journaux et des revues, en les placardant aux murs de tous les ateliers, afin que le peuple soit forcé de lire et de comprendre. Qu'on ne dise pas que de tels moyens manquent d'efficacité. Je sais qu'ils sont tout-puissants. (Applaudissements.) Je ne suis certainement pas entré à la chambre des communes sous l'influence de préventions favorables à cette assemblée, mais je puis dire qu'elle n'est pas une représentation infidèle de l'opinion publique. Cette assertion vous étonne; mais songez donc que, sur cent personnes, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui ne concourent en rien à la formation de l'opinion publique; elles ne veulent pas penser par elles-mêmes. (Applaudissements.) À ce point de vue, je dis que la chambre des communes représente assez fidèlement l'esprit du pays. Ne répond-elle pas d'ailleurs aux moindres changements de l'opinion, avec autant de sensibilité et de promptitude qu'en met le vaisseau à obéir au gouvernail? Voulez-vous donc emporter, dans la chambre des communes, quelque question que ce soit? Instruisez le peuple, élevez son intelligence au-dessus des sophismes qui sont en usage au Parlement sur cette question; que les orateurs n'osent plus avoir recours à de tels sophismes, dans la crainte d'une juste impopularité au dehors, et la réforme se fera d'elle-même. (Applaudissements.) C'est ce qui a été fait déjà à l'occasion de grandes mesures, et c'est ce que nous ferons encore. (Applaudissements.) Ne craignez pas que, pour obéir à la voix du peuple, le Parlement attende jusqu'à ce que la force matérielle aille frapper à sa porte. Les membres de la Chambre ont coutume d'interroger de jour en jour l'opinion de leurs constituants, et d'y conformer leur conduite. Ils peuvent bien traiter, avec un mépris affecté, les efforts de cette association, ou de toute autre, mais soyez sûrs qu'en face de leurs commettants ils seront rampants comme des épagneuls. (Rires et bruyants applaudissements.)
Tout nous encourage donc à faire, pendant cette session, un effort herculéen. – Je m'entretenais aujourd'hui avec un gentleman de cette ville qui arrive de Paris. Il a traversé la Manche avec un honorable membre, créature du duc de Buckingham. «Dans mon opinion, disait l'honorable député, le droit actuel sur les céréales sera converti en un droit fixe, dans une très-prochaine session, et j'espère que ce droit sera assez modéré pour être permanent.» – Mais quant à nous, veillons à ce qu'il n'y ait pas de droit du tout. (Applaudissements.) Si nous avons pu amener une créature du duc de Buckingham à désirer une taxe assez modérée pour que ces messieurs soient sûrs de la conserver, quelques efforts de plus suffiront pour convaincre les fermiers qu'ils n'ont à attendre ni stabilité, ni loyale stipulation de rentes, ni apaisement de l'agitation actuelle, jusqu'à ce que tous droits protecteurs soient entièrement abrogés. C'est pourquoi je vous dis: Attachez-vous à ce principe: abrogation totale et immédiate. (Applaudissements.) N'abandonnez jamais ce cri de ralliement: abrogation totale et immédiate! Il y en a qui pensent qu'il vaudrait mieux transiger; c'est une grande erreur. Rappelez-vous ce que nous disait sir Robert Peel, à M. Villiers et à moi: «Je conviens, disait-il, que, comme avocats du rappel12 total et immédiat, vous avez sur moi un grand avantage dans la discussion.» Nous séparer de ce principe absolu, ce serait donc renoncer à toute la puissance qu'il nous donne, – etc.
MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE
16 mars 1843
Une brillante démonstration a eu lieu hier soir au théâtre de Drury-Lane. À peine le bruit s'est-il répandu que la Ligue devait tenir dans cette vaste enceinte sa première séance hebdomadaire, que les cartes d'entrées ont été enlevées. La foule encombrait les avenues et les couloirs de l'édifice longtemps après que la salle, les galeries et le parterre étaient occupés par la réunion la plus distinguée et la mieux choisie dont il nous ait jamais été donné d'être les témoins. – Les dames assistaient en grand nombre à la séance et paraissaient en suivre les travaux avec le plus vif intérêt.
Nous avons remarqué sur l'estrade MM. Cobden, m. P.13, Williams, m. P., Ewart, m. P., Thomely, m. P., Bowring, m. P., Gibson, m. P., Leader, m. P., Ricardo, m. P., Scholefield, m. P., Wallace, m. P., Chrestie, m. P., Bright, m. P., etc.
M. George Wilson occupe le fauteuil.
Le président annonce qu'il est prévenu que quelques perturbateurs se sont introduits dans l'assemblée avec le projet d'occasionner du désordre, soit en éteignant le gaz ou en criant au feu; si de pareilles manifestations ont lieu, que chacun se tienne sur ses gardes et reste calme à sa place.
M. Ewart parle le premier.
M. Cobden lui succède (bruyants applaudissements). Il s'exprime ainsi:
Monsieur le président, ladies et gentlemen: J'ai assisté à un grand nombre de meetings contre les lois-céréales14. J'en ai vu d'aussi imposants par le nombre, le bon ordre et l'enthousiasme; mais je crois qu'il y a dans cette enceinte la plus grande somme de puissance intellectuelle et d'influence morale qui se soit jamais trouvée réunie dans un édifice quelconque, pour le progrès de la grande cause que nous avons embrassée. Plus cette influence est étendue, plus est grande notre responsabilité à l'égard de l'usage que nous en saurons faire. Je me sens particulièrement responsable des quelques minutes pendant lesquelles j'occuperai votre attention, et je désire les faire servir au progrès de la cause commune. Je n'ai jamais aimé, dans aucune circonstance, à faire intervenir des personnalités dans la défense d'un grand principe. On m'assure cependant qu'à Londres on est assez enclin à ranger les opinions politiques sous la bannière des noms propres. Peut-être, au milieu du perpétuel mouvement d'idées qui s'agitent dans cette vaste métropole, cet usage a-t-il prévalu, afin de fixer l'attention, par un intérêt plus incisif, sur les questions particulières. Mais, ce dont je suis sûr, c'est que ce qui a fait notre succès à Manchester, le fera partout où la nature humaine a acquis ces nobles qualités, qui la distinguent au sein de la capitale industrielle du Royaume-Uni, je veux dire, la ferme conviction que, si l'on se renferme dans la défense des principes, on acquerra, à la longue, d'autant plus d'influence, qu'on se sera, avec plus de soin, interdit le dangereux terrain des personnalités. (Écoutez! écoutez!) Je suis pourtant forcé de revenir, contre ma volonté, sur ce qui vient de se passer à la chambre haute. Nous avons été assaillis – violemment, amèrement, malicieusement assaillis, – par un personnage (lord Brougham) qui fait profession de partager nos doctrines, d'aimer, d'estimer les membres les plus éminents de la Ligue. Je vois, dans les journaux de ce matin, un long discours dont les deux tiers sont une continuelle invective contre la Ligue, dont l'autre tiers est consacré à défendre ses principes. (Écoutez!) Je pense que le plus juste châtiment que l'on pourrait infliger à l'homme éminent qui s'est rendu coupable de la conduite à laquelle je fais allusion, ce serait de l'abandonner à ses propres réflexions; car, ce qu'on peut découvrir de plus clair dans la longue diatribe du noble lord, c'est que, quelque mécontent qu'il soit de la Ligue, il est encore plus mécontent de lui-même. Il est vrai que le noble et docte lord n'a pas été très-explicite quant aux personnes contre lesquelles il a entendu diriger ses attaques réitérées. Eh bien, je lui épargnerai l'embarras de désignations plus spéciales, en prenant pour moi le poids de ses invectives et de ses sarcasmes. (Applaudissements.) Bien plus, il a attaqué la conduite des membres de notre députation; il a blâmé les actes des ministres de la religion qui coopèrent à notre œuvre. Eh bien, je me porte fort pour cette conduite et pour ces actes. Il ne s'est pas prononcé une parole, – et je désire qu'on comprenne bien toute la portée de cette déclaration, – il n'a pas été prononcé une seule parole par un ministre de la religion dans nos assemblées et nos conférences, dont je ne sois prêt à accepter toute la responsabilité, pourvu qu'on ne lui prête qu'une interprétation honnête et loyale… J'ai été blâmé de n'avoir pas récusé le langage du Rév. M. Bailey de Sheffield. J'ai été accusé d'être son complice, parce que je ne m'étais pas levé pour répudier l'imputation dirigée contre lui d'avoir excité le peuple de ce pays à commettre un meurtre. – Eh, mon Dieu! cela ne m'est pas plus venu dans la pensée que d'aller trouver le lord-maire, pour cautionner M. Bailey contre une accusation de cannibalisme. M. Bailey, objet de ces imputations, à travers lesquelles perce le désir d'atteindre et de détruire la Ligue, est environné de respect et de confiance par une nombreuse congrégation de chrétiens qui le soutiennent par des cotisations volontaires. (Bruyants applaudissements.) C'est un homme de zèle ardent, de sentiments élevés, un cœur chaud et ami du bien public. Il y a longtemps qu'il s'est dévoué à une œuvre qui n'a pas d'exemple dans ce pays, la fondation d'un collége pour les classes laborieuses. C'est un homme d'un talent remarquable, supérieur. – Mais à travers ces belles qualités, il peut manquer de ce tact, de cette discrétion qui nous est si nécessaire, à nous qui savons à quelle sorte d'ennemis et de faux amis nous avons affaire. Il n'eut pas plutôt prononcé le discours, qui a été si insidieusement commenté, que je l'avertis de ce qui l'attendait. Mais ne souffrons pas que ses paroles soient défigurées. M. Bailey venait d'avancer que la dépression morale du peuple de Sheffield était la conséquence de sa détérioration physique. Pour établir son argumentation, pour montrer la profonde désaffection des basses classes, il a dit qu'un homme s'était vanté d'appartenir à une société de cent personnes, qui devaient tirer au sort pour savoir qui serait chargé d'assassiner le premier ministre. M. Bailey a exprimé son indignation à cet égard, en termes énergiques, et cela était à peine nécessaire. Et voilà ce dont on s'empare pour insinuer, par une basse calomnie, que M. Bailey est engagé dans une société d'assassins? Il est temps de rejeter, à la face des calomniateurs de haut et de bas étage, ces fausses imputations; et j'ai honte de ne l'avoir pas fait plus tôt. (Approbation.) – La Ligue, le pays, l'univers entier, doivent une reconnaissance profonde aux ministres dissidents pour leur coopération à notre grande cause. (Bruyantes acclamations.) Il y a deux ans, sur l'invitation de leurs frères, sept cents ministres de ce corps respectable se réunirent à Manchester pour protester contre les lois-céréales, contre ce Code de la famine; et il est à ma connaissance, que quelques-uns d'entre eux se sont éloignés de plus de deux cents milles de leurs résidences pour concourir à cette protestation. Quand des hommes ont montré un tel dévouement, je rougirais de moi-même si, par la considération d'obligations passées, j'hésitais à me lever pour les défendre. (Acclamations.) Mais nous avons perdu assez de temps au sujet du noble lord. Je pourrais gémir sur sa destinée, quand je compare ce qu'il est à ce qu'il a été. (Écoutez! écoutez!) Je n'ai pas oublié ce temps où, encore enfant, je me plaisais à fréquenter les cours de judicature, pour contempler, pour entendre celui que je regardais comme un fils prédestiné de la vieille Angleterre. Avec quel enthousiasme ne me suis-je pas abreuvé de son éloquence! avec quel orgueil patriotique n'ai-je pas suivi, mesuré tous ses pas vers les hautes régions où il est parvenu! Et qu'est-il maintenant? hélas! un nouvel exemple, un triste, mais éclatant exemple du naufrage qui attend toute intelligence que ne préserve pas la rectitude morale. (Applaudissements.) Oui, nous pourrions le comparer à ces ruines majestueuses, qui, désormais, loin d'offrir un sûr abri au voyageur, menacent de destruction quiconque ose se reposer sous leur ombre. J'en finis avec ce sujet, sur lequel je n'aurais pas détourné votre attention, si je n'y avais été provoqué, et j'arrive à l'objet principal de cette réunion.
Qu'est-ce que les lois-céréales? Vous pûtes le comprendre à Londres, le jour où elles furent votées. Il n'y eut pas alors (1815) un ouvrier qui ne pressentît les maux horribles qui en sont sortis. Il en est beaucoup parmi vous à qui je n'ai pas besoin de rappeler cette funèbre histoire; la chambre des communes, sous la garde de soldats armés, la foule se pressant aux avenues du Parlement, les députés ne pouvant pénétrer dans l'enceinte législative qu'au péril de leur vie…
Mais sous quel prétexte maintient-on ces lois? On nous dit: Pour que le sol soit cultivé, et que le peuple trouve ainsi de l'emploi. Mais, si c'est là le but, il y a un autre moyen de l'atteindre. – Abrogez les lois-céréales, et s'il vous plaît ensuite de faire vivre le peuple par le moyen des taxes, ayez recours à l'impôt, et non à la disette des choses mêmes qui alimentent la vie. (Applaudissements.) – À supposer que la mission du législateur soit d'assurer du travail au peuple, et, à défaut de travail, du pain, je dis: Pourquoi commencer par imposer ce pain lui-même? Imposez plutôt les revenus, et même, si vous le voulez, les machines à vapeur (rires), mais ne gênez pas les échanges, n'enchaînez pas l'industrie, ne nous plongez pas dans la détresse où nous succombons, sous prétexte d'occuper dans le Dorsetshire quelques manouvriers à 7 sh. par semaine. (Rires et applaudissements.) Le fermier de ce pays est à son seigneur ce qu'est le fellah d'Égypte à Méhémet-Ali. Traversant les champs de l'Égypte, armé d'un fusil et accompagné d'un interprète, je lui demandais comment il réglait ses comptes avec le pacha. «Avez-vous pris des arrangements?» lui demandai-je. – Oh! me répondit-il, nos arrangements ont à peu près la portée de votre fusil (rires); et quant aux comptes, il n'y a pas d'autre manière de les régler, sinon que le pacha prend tout, et nous laisse de quoi ne pas mourir de faim. (Rires et bruyantes acclamations.)
L'orateur continue pendant longtemps. – M. Bright lui succède. – À 10 heures le président ferme la séance.
MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE
30 mars 1843
Le troisième meeting de la Ligue contre les lois-céréales s'est tenu hier au théâtre de Drury-Lane. La vaste enceinte avait été envahie de bonne heure par une société des plus distinguées.
Nous avons remarqué sur l'estrade les personnages dont les noms suivent: MM. Villiers, Cobden, Napier, Scholefield, James Wilson, Gisborne, Elphinstone, Ricardo, etc.
La séance est ouverte à 7 heures, sous la présidence de M. George Wilson.
Le président justifie le comité de s'être vu forcé de refuser un grand nombre de billets. La salle eût-elle été deux fois plus vaste, elle n'aurait pas pu contenir tous ceux qui désiraient assister à la séance. Des arrangements sont pris pour que ceux qui n'ont pu être admis aujourd'hui aient leur tour la semaine prochaine. – L'intention de votre président était de vous présenter ce soir un rapport sur les progrès de notre cause. Mais la liste des orateurs qui doivent prendre la parole contient des noms trop connus de vous pour que je veuille retarder le plaisir que vous vous promettez à les entendre. La tribune sera occupée d'abord par M. James Wilson de Londres (applaudissements), ensuite par M. W. J. Fox, de Finsburg (applaudissements), Th. Gisborne (applaudissements), et enfin, en l'absence de M. Milner Gibson (représentant de Manchester), que de douloureuses circonstances empêchent d'assister à la réunion, j'aurai le plaisir de vous présenter l'honorable M. Richard Cobden. (Applaudissements bruyants et prolongés.)
M. James Wilson se lève. – Après l'annonce que vous venez d'entendre, je me sens obligé d'être aussi concis que possible dans les remarques que j'ai à vous présenter, et je me renfermerai strictement dans mon sujet, ayant une trop haute opinion de ceux qui m'écoutent, pour croire qu'un autre but que celui que la Ligue a en vue, les a déterminés à se réunir dans cette enceinte. Je ne m'écarterai donc pas des principes et des faits qu'implique cette grande cause nationale. (Approbation.) La question est celle-ci: Les lois qui affectent l'importation des céréales et le prix des aliments du peuple, doivent-elles, ou non, être maintenues? Je ne fais aucun doute que l'opinion publique, quelle que soit celle de la législature, ne les regarde comme incompatibles avec l'état de choses actuel. Qu'un changement dans cette législation soit devenu indispensable, c'est ce qui est admis par toute la communauté, sinon par le Parlement. Il est vrai que l'opinion se divise sur la nature de ce changement. Le commerce des céréales sera-t-il entièrement affranchi, ou soumis à un droit fixe? Dans ces derniers temps, le système du droit fixe a rencontré beaucoup de défenseurs15. La protection a été par eux abandonnée, et le principe auquel ils adhèrent est celui du droit fixe, non point en tant que droit protecteur, mais en tant que droit fiscal. Mais la Ligue élève contre ce droit, renfermé dans ces limites, une objection péremptoire, savoir qu'il viole les principes d'après lesquels doit se prélever le revenu public. Le premier de ces principes, c'est que l'impôt doit donner la plus grande somme possible de revenus à l'État, avec la moindre charge possible sur la communauté. Mais, sous l'un et l'autre rapport, le but est manqué par le droit fixe, car il ne peut produire un revenu sans agir comme protection, en élevant le prix des céréales de tout le montant du droit lui-même. Aux époques où il serait efficace, il produirait du revenu, mais il élèverait le prix des grains. Aux époques où il ne serait pas efficace, il n'influerait pas sur le prix, mais il ne remplirait pas non plus le but du chancelier de l'Échiquier. On a dit que le droit serait supporté par l'étranger et non par les habitants de ce pays; alors, je demande pourquoi fixer le droit à 8 sh.? Pourquoi pas 10, 15, 20 sh.? C'est une grande inconséquence que de répondre: Au delà de 8 sh., le droit restreindrait l'importation; à 20 sh., il équivaudrait à une prohibition. Car, n'en résulte-t-il pas ceci: que 8 sh. laisse plus de place à l'importation que 10 sh.? et dès lors ne suis-je pas fondé à dire que l'importation serait plus grande avec le droit de 5 sh.; plus grande encore avec celui de 2 sh., et la plus grande possible avec la liberté absolue? (Approbation.) Il n'y a pas en économie politique de proposition mieux établie que celle-ci: Le prix varie suivant la proportion de l'offre à la demande. – Si la liberté amène de plus grands approvisionnements que le droit fixe, il est clair que celui-ci restreint l'offre, élève le prix et agit dans le sens de la protection. C'est pourquoi je comprendrais qu'on défendît le droit fixe en tant que protecteur, mais je ne puis comprendre qu'on le soutienne au point de vue du revenu public, et comme indifférent à toute action protectrice. – Un droit fixe serait certainement quelquefois une source de revenus; autant on en peut dire du droit graduel (sliding scale). Mais la question, pour le public, est précisément de savoir si c'est là un mode juste et économique de prélever l'impôt. (Approbation.) Les partisans eux-mêmes du droit fixe conviennent que lorsque le froment serait arrivé à 70 sh. le quarter, il faudrait renoncer à la taxe et affranchir l'importation. C'est avouer qu'il implique tous les inconvénients de l'échelle mobile, qu'il nous rejette dans les embarras des prix-moyens, et dans tous les désavantages du système actuel16. – Je crois être l'interprète fidèle des membres de la Ligue, en disant que le blé n'est pas une matière qui se puisse convenablement imposer; mais s'il doit être imposé, la taxe doit retomber aussi bien sur le blé indigène, que sur le blé étranger. (Applaudissements). Les Hollandais mettent une taxe de 9 deniers sur le blé, à la mouture. Une taxe semblable donnerait autant de revenu à l'Échiquier que le droit de 8 sh. sur le blé étranger, et elle n'élèverait le prix du blé pour le consommateur, que de 9 deniers au lieu de 8 sh. – Mais le blé, – ce premier aliment de la vie, – est la dernière chose qu'un gouvernement doive imposer. (Approbation.) – C'est un des premiers principes du commerce, que les matières premières ne doivent pas être taxées. C'est sur ce principe que notre législature a réduit les droits sur toutes les matières premières. L'honorable représentant de Dumfries (M. Ewart) a établi, dans une des précédentes séances, que le blé est matière première, et cela est vrai. Mais il y a plus, c'est la principale matière première de toute industrie. – Prenez, au hasard, un des articles qui s'exportent le plus de ce pays, l'acier poli, par exemple, et considérez l'extrême disproportion qu'il y a entre la valeur de la matière première et le prix de l'ouvrage achevé. – Depuis le moment où le minerai a été arraché de la terre, jusqu'à celui où il s'est transformé en brillant acier, la quantité de travail humain qui s'est combinée avec le produit est vraiment immense. Or, ce travail représente des aliments. Les aliments sont donc de la matière première. (Approbation.) La classe agricole est aveugle à cet égard, comme aussi sur l'intérêt dont sont pour elle le commerce et l'industrie de ce pays. C'est pourtant ce que lui montrent clairement les faits qui se sont passés l'année dernière. En 1842, nos exportations sont tombées de 4,500,000 l. s. C'est là la vraie cause de la détresse qui règne dans nos districts agricoles; car, pour combien les produits de l'agriculture entrent-ils dans ce chiffre? Le fer, la soie, la laine, le coton, dont ces objets auraient été faits, ne peuvent être estimés à plus de 1,500,000 l. Le reste, ou trois millions de livres auraient été dépensées en travail humain; et le travail, je le répète, représente des aliments ou des produits agricoles; en sorte que, sur un déficit de 4,500,000 l. dans nos exportations, la part de perte supportée par l'agriculture est de trois millions. (Assentiment.)