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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3
Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Pour les free-traders, la solution était très-simple: abroger tous les monopoles. Affranchir les importations, c'était nécessairement accroître les échanges et par conséquent les exportations; c'était donc donner au peuple tout à la fois du pain et du travail; c'était encore favoriser toutes les consommations, par conséquent les taxes indirectes, et en définitive rétablir l'équilibre des finances.

Pour les monopoleurs, le problème était pour ainsi dire insoluble. Il s'agissait de soulager le peuple sans le soustraire aux monopoles, de relever le revenu public sans augmenter les taxes, et de conserver le système colonial sans diminuer les dépenses nationales.

Le ministère Whig (Russell, Morpeth, Melbourne, Baring, etc.) présenta un plan qui se tenait entre ces deux solutions. Il affaiblissait, sans les détruire, les monopoles et le système colonial. Il ne fut accepté ni par les monopoleurs ni par les free-traders. Ceux-là voulaient le monopole absolu, ceux-ci la liberté illimitée. Les uns s'écriaient: «Pas de concessions!» les autres: «Pas de transactions!»

Battus au Parlement, les Whigs en appelèrent au corps électoral. Il donna amplement gain de cause aux Torys, c'est-à-dire à la protection et aux colonies. Le ministère Peel fut constitué (1841) avec mission expresse de trouver l'introuvable solution, dont je parlais tout à l'heure, au grand et terrible problème posé par le déficit et la misère publique; et il faut avouer qu'il a surmonté la difficulté avec une sagacité de conception et une énergie d'exécution remarquables.

J'essayerai d'expliquer le plan financier de M. Peel, tel du moins que je le comprends.

Il ne faut pas perdre de vue que les divers objets qu'a dû se proposer cet homme d'État, eu égard au parti qui l'appuie, sont les suivants:

1o Rétablir l'équilibre des finances;

2o Soulager les consommateurs;

3o Raviver le commerce et l'industrie;

4 °Conserver autant que possible le monopole essentiellement aristocratique, la loi céréale;

5 °Conserver le système colonial et avec lui l'armée, la marine, les hautes positions des branches cadettes;

6o On peut croire aussi que cet homme éminent, qui plus que tout autre sait lire dans les signes du temps, et qui voit le principe de la Ligue envahir l'Angleterre à pas de géant, nourrit encore au fond de son âme une pensée d'avenir personnelle mais glorieuse, celle de se ménager l'appui des free-traders pour l'époque où ils auront conquis la majorité, afin d'imprimer de sa main le sceau de la consommation à l'œuvre de la liberté commerciale, sans souffrir qu'un autre nom officiel que le sien s'attache à la plus grande révolution des temps modernes.

Il n'est pas une des mesures, une des paroles de Sir Robert Peel qui ne satisfasse aux conditions prochaines ou éloignées de ce programme. On va en juger.

Le pivot autour duquel s'accomplissent toutes les évolutions financières et économiques dont il nous reste à parler, c'est l'income-tax.

L'income-tax, on le sait, est un subside prélevé sur les revenus de toute nature. Cet impôt est essentiellement temporaire et patriotique. On n'y a recours que dans les circonstances les plus graves, et jusqu'ici, en cas de guerre. Sir Robert Peel l'obtint du parlement en 1842, et pour trois ans; il vient d'être prorogé jusqu'en 1849. C'est la première fois qu'au lieu de servir à des fins de destruction et à infliger à l'humanité les maux de la guerre, il sera devenu l'instrument de ces utiles réformes que cherchent à réaliser les nations qui veulent mettre à profit les bienfaits de la paix.

Il est bon de faire observer ici que tous les revenus au-dessous de 150 liv. sterl. (3,700 fr.) sont affranchis de la taxe, en sorte qu'elle frappe exclusivement la classe riche. On a beaucoup répété, de ce côté comme de l'autre côté du détroit, que l'income-tax était définitivement inscrit dans le Code financier de l'Angleterre. Mais quiconque connaît la nature de cet impôt et le mode d'après lequel il est perçu, sait bien qu'il ne saurait être établi d'une manière permanente, du moins dans sa constitution actuelle; et, si le cabinet entretient à cet égard quelque arrière-pensée, il est permis de croire qu'en habituant les classes aisées à contribuer dans une plus forte proportion aux charges publiques, il songe à mettre l'impôt foncier (land-tax), dans la Grande-Bretagne, plus en harmonie avec les besoins de l'État et les exigences d'une équitable justice distributive.

Quoi qu'il en soit, le premier objet que le ministère Tory avait en vue, le rétablissement de l'équilibre dans les finances, fut atteint, grâce aux ressources de l'income-tax; et le déficit qui menaçait le crédit de l'Angleterre a, du moins provisoirement, disparu.

Un excédant de recettes était même prévu dès 1842. Il s'agissait de l'appliquer à la seconde et à la troisième condition du programme: Soulager les consommateurs; raviver le commerce et l'industrie.

Ici nous entrons dans la longue série des réformes douanières exécutées en 1842, 1843, 1844 et 1845. Notre intention ne peut être de les exposer en détail; nous devons nous borner à faire connaître l'esprit dans lequel elles ont été conçues.

Toutes les prohibitions ont été abolies. Les bœufs, les veaux, les moutons, la viande fraîche et salée, qui étaient repoussés d'une manière absolue, furent admis à des droits modérés: les bœufs, par exemple, à 25 fr. par tête (le droit est presque double en France), ce qui n'a pas empêché M. Gauthier de Rumilly de dire en pleine Chambre, en 1845, sans être contredit par personne, tant les journaux ont eu soin de nous tenir dans l'ignorance sur ce qui se passe de l'autre côté de la Manche, que les bestiaux sont encore prohibés en Angleterre.

Les droits furent abaissés dans une très-forte proportion, et quelquefois de moitié, des deux tiers et des trois quarts sur 650 articles de consommation: entre autres les farines, l'huile, le cuir, le riz, le café, le suif, la bière, etc., etc.

Ces droits, d'abord abaissés, ont été complétement abolis en 1845 sur 430 articles, parmi lesquels figurent toutes les matières premières de quelque importance, la laine, le coton, le lin, le vinaigre, etc., etc.

Les droits d'exportation furent aussi radicalement abrogés. Les machines et la houille, ces deux puissances dont, dans des idées étroites de rivalité commerciale, il serait peut-être assez naturel que l'Angleterre se montrât jalouse, sont en ce moment à la disposition de l'Europe. Nous en pourrions jouir aux mêmes prix que les Anglais, si, par une bizarrerie étrange, mais parfaitement conséquente au principe du système protecteur, nous ne nous étions placés nous-mêmes, par nos tarifs, dans des conditions d'infériorité à l'égard de ces instruments essentiels de travail, au moment même où l'égalité nous était offerte ou pour mieux dire conférée sans condition.

On conçoit que l'abrogation totale d'un droit d'entrée doit laisser un vide définitif; et l'abaissement, un vide au moins momentané dans le Trésor. C'est ce vide que les excédants de recette dus à l'income-tax sont destinés à couvrir.

Cependant l'income-tax n'a qu'une durée limitée. Le cabinet Tory a espéré que l'accroissement de la consommation, l'essor du commerce et de l'industrie réagirait sur toutes les branches de revenus de manière à ce que l'équilibre des finances fût rétabli en 1849, sans que la ressource de l'income-tax fût plus longtemps nécessaire. Autant qu'on en peut juger par les résultats de la réforme partielle de 1842, ces espérances ne seront pas trompées. Déjà les recettes générales de 1844 ont dépassé celles de 1843 de liv. sterl. 1,410,726 (35 millions de francs).

D'un autre côté, tous les faits concordent à témoigner que l'activité a repris dans toutes les branches du travail, et que le bien-être s'est répandu dans toutes les classes de la société. Les prisons et les workhouses se sont dépeuplées; la taxe des pauvres a baissé; l'accise a fructifié; le Rébeccaïsme et l'Incendiarisme se sont apaisés; en un mot, le retour de la prospérité se montre par tous les signes qui servent à la révéler, et entre autres par les recettes des douanes.



Maintenant si l'on considère que, pendant cette dernière année, les marchandises qui ont passé par la douane n'ont rien payé à la sortie (abrogation des droits d'exportation), et n'ont acquitté à l'entrée que des taxes réduites, au moins pour 650 articles (abaissement des droits d'importation), on en conclura rigoureusement que la masse des produits importés a dû augmenter dans une proportion énorme pour que la recette totale, non-seulement n'ait pas diminué, mais encore se soit élevée de cent millions de francs.

Il est vrai que, d'après les économistes de la presse et de la tribune françaises, cet accroissement d'importations ne prouve autre chose que la décadence de l'industrie de la Grande-Bretagne, l'invasion, l'inondation de ses marchés par les produits étrangers, et la stagnation de son travail national! Nous laisserons ces messieurs concilier, s'ils le peuvent, cette conclusion avec tous les autres signes par lesquels se manifeste la renaissante prospérité de l'Angleterre; et, pour nous, qui croyons que les produits s'échangent contre des produits, satisfaits de trouver, dans l'accord des faits qui précèdent, une preuve nouvelle et éclatante de la vérité de cette doctrine, nous dirons que Sir Robert Peel a rempli la seconde et la troisième condition de son programme: Soulager le consommateur; raviver le commerce et l'industrie.

Mais ce n'était pas pour cela que les Torys l'avaient porté, le soutenaient au pouvoir. Encore tout émus de la frayeur que leur avait causée le plan bien autrement radical de John Russell, et de l'orgueil de leur récent triomphe sur les Whigs, ils n'étaient pas disposés à perdre le fruit de leur victoire, et ils entendaient bien ne laisser agir l'homme de leur choix, dans l'accomplissement de son œuvre, qu'autant qu'il ne toucherait pas ou qu'il ne toucherait que d'une manière illusoire aux deux grands instruments de rapine que s'est législativement attribués l'aristocratie anglaise: La loi-céréale et le système colonial.

C'est surtout dans cette difficile partie de sa tâche que le premier ministre a déployé toutes les ressources de son esprit fertile en expédients.

Lorsqu'un droit d'entrée a fait arriver le prix d'un produit à ce taux que la concurrence intérieure ne permet, en aucun cas, de dépasser, tout son effet protecteur est obtenu. Ce qu'on ajouterait à ce droit serait purement nominal, et ce qu'on en retrancherait, dans les limites de cet excédant, serait évidemment inefficace. Supposez qu'un produit français, soumis à la rivalité étrangère, se vende à 15 fr., et qu'affranchi de cette rivalité, il ne puisse, à cause de la concurrence intérieure, s'élever au-dessus de 20 fr. En ce cas, un droit de 5 ou 6 fr. sur le produit étranger donnera au similaire national toute la protection qu'il soit au pouvoir du tarif de conférer. Le droit, fût-il porté à 100 fr., n'élèverait pas d'un centime le prix du produit, d'après l'hypothèse même, et par conséquent toute réduction, qui ne descendrait pas au-dessous de 5 ou 6 fr., serait de nul effet pour le producteur et pour le consommateur.

Il semble que l'observation de ce phénomène ait dirigé la conduite de sir Robert Peel, en ce qui concerne le grand monopole aristocratique, le blé, et le grand monopole colonial, le sucre.

Nous avons vu que la loi-céréale, qui avait pour but avoué d'assurer au producteur national 54 sh. par quarter de froment avait failli dans son objet. L'échelle mobile (sliding scale) était bien calculée pour atteindre ce but, car elle ajoutait au prix du blé étranger à l'entrepôt un droit graduel qui devait faire ressortir le prix vénal à 70 sh. et plus. Mais la concurrence des producteurs nationaux, d'une part, et, de l'autre, la diminution de consommation qui suit la cherté, ont concouru à retenir le blé à un taux moyen moins élevé et qui n'a pas dépassé 56 sh. Qu'a fait alors sir Robert Peel? Il a tranché dans cette portion de droit qui était radicalement inefficace, et il a baissé l'échelle mobile de manière, à ce qu'il pensait, à fixer le froment à 56 sh., c'est-à-dire au prix le plus élevé que la concurrence intérieure lui permette d'atteindre, dans les temps ordinaires; en sorte qu'en réalité il n'a rien arraché à l'aristocratie ni rien conféré au peuple.

À cet égard, sir Robert n'a pas caché cette politique de prestidigitateur, car à toute demande de droits plus élevés, il répondait: «Je crois que vous avez eu des preuves concluantes que vous êtes arrivés à l'extrême limite de la taxe utile (profitable taxation), sur les articles de subsistances. Je vous conseille de ne pas l'accroître, car, si vous le faites, vous serez certainement déjoués dans votre but.» «Most assuredly you will be defeated in your object.»

Je n'ai parlé que du froment, mais il est bon d'observer que la même loi embrasse les céréales de toutes sortes. De plus, le beurre et le fromage, qui entrent pour beaucoup dans les revenus des domaines seigneuriaux, n'ont point été dégrevés. Il est donc bien vrai que le monopole aristocratique n'a été que très-inefficacement entamé.

La même pensée a présidé aux diverses modifications introduites dans la loi des sucres. Nous avons vu que la prime accordée aux planteurs, ou le droit différentiel entre le sucre colonial et le sucre étranger, était de 39 sh. par quintal. C'est là la marge que la spoliation avait devant elle; mais à cause de la concurrence que se font entre elles les colonies, elles n'ont pu extorquer au consommateur, en excédant du prix naturel et du droit fiscal, que 18 sh. (Voir ci-dessus, pages 24 et suiv.) Sir Robert pouvait donc abaisser le droit différentiel de 39 sh. à 18 sans rien changer, si ce n'est une lettre morte, dans le statute-book.

Or, qu'a-t-il fait? Il a établi le tarif suivant:



Il estime qu'il entrera en Angleterre, sous l'empire de ce nouveau tarif, 230,000 tonnes de sucre colonial; et la protection étant de 10 sh. par quintal ou 10 liv. st. par tonne, la somme extorquée au consommateur, pour être livrée sans compensation aux planteurs, sera de 2,300,000 liv. st., ou fr. 57,000,000, au lieu de 86 millions. (Voir page 25.)

Mais d'un autre côté, il dit: «La conséquence sera que le Trésor recevra du droit sur le sucre, par suite de la réduction, liv. st. 3,960,000. Le revenu obtenu de cette denrée, l'année dernière, a été de 5,216,000 liv.; il y aura donc pour l'année prochaine une perte de revenu de 1,300,000 liv. sterl.,» soit fr. 32,500,000, et c'est l'income-tax, c'est-à-dire un nouvel impôt, qui est chargé de remplir le vide laissé à l'Échiquier; en sorte que si le peuple est soulagé, en ce qui concerne la consommation du sucre, ce n'est pas au préjudice du monopole, mais aux dépens du Trésor, et comme on rend à celui-ci par l'income-tax ce qu'il perd sur la douane, il en résulte que les spoliations et les charges restent les mêmes, et c'est tout au plus si l'on peut dire qu'elles subissent un léger déplacement.

Dans tout l'ensemble des réformes réelles ou apparentes accomplies par sir Robert Peel, sa prédilection en faveur du système colonial ne cesse de se manifester, et c'est là surtout ce qui le sépare profondément des free-traders. Chaque fois que le ministre a dégrévé une denrée étrangère, il a eu soin de dégréver, dans une proportion au moins aussi forte, la denrée similaire venue des colonies anglaises; en sorte que la protection reste la même. Ainsi, pour n'en citer qu'un exemple, le bois de construction étranger a été réduit des cinq sixièmes; mais le bois des colonies l'a été des neuf dixièmes. Le patrimoine des branches cadettes de l'aristocratie n'a donc pas été sérieusement entamé, pas plus que celui des branches aînées, et, à ce point de vue, l'on peut dire que le plan financier (financial statement), l'audacieuse expérience (bold experiment), du ministre dirigeant, demeurent renfermés dans les bornes d'une question anglaise, et ne s'élèvent pas à la hauteur d'une question humanitaire; car l'humanité n'est que fort indirectement intéressée au régime intérieur de l'échiquier anglais, mais elle eût été profondément et favorablement affectée d'une réforme, même financière, impliquant la chute de ce système colonial qui a tant troublé et menace encore si gravement la paix et la liberté du monde.

Loin que sir Robert Peel suive la Ligue sur ce terrain, il ne perd pas une occasion de se prononcer en faveur des colonies, et, dans l'exposé des motifs de son plan financier, après avoir rappelé à la Chambre que l'Angleterre possède quarante-cinq colonies, après avoir même demandé à ce sujet un accroissement d'allocations, il ajoute: «On pourra dire qu'il est contraire à la sagesse d'étendre autant que nous l'avons fait notre système colonial. Mais je m'en tiens au fait que vous avez des colonies, et que, les ayant, il faut les pourvoir de forces suffisantes. Je répugnerais d'ailleurs, quoique je sache combien ce système entraîne de dépenses et de dangers, je répugnerais à condamner cette politique qui nous a conduits à jeter sur divers points du globe les bases de ces possessions animées de l'esprit anglais, parlant la langue anglaise et destinées peut-être à s'élever dans l'avenir au rang de grandes puissances commerciales!»

Je crois avoir démontré que sir Robert Peel a rempli avec habileté les plus funestes parties de son programme. Il me resterait à justifier les motifs des prévisions qui m'ont fait dire: «On peut croire encore que cet homme éminent qui, plus que tout autre, sait lire dans les signes du temps, et qui voit le principe de la Ligue envahir l'Angleterre à pas de géant, nourrit au fond de son âme une pensée personnelle, mais glorieuse, celle de se ménager l'appui des free-traders pour l'époque où ils auront conquis la majorité, afin d'imprimer de ses mains le sceau de la consommation à l'œuvre de la liberté commerciale, sans souffrir qu'un autre nom officiel que le sien s'attache à la plus grande révolution des temps modernes.»

Comme il ne s'agit ici que d'une simple conjecture qui, vu l'humble source d'où elle émane, ne peut avoir pour le lecteur qu'une faible importance, je ne vois aucune utilité à la justifier à ses yeux10. Je ne crois pas qu'elle ait rien de chimérique pour quiconque a étudié la situation économique du Royaume-Uni, le dénoûment probable des réformes qu'il subit, le caractère de celui qui les dirige, le mouvement et le déplacement, même actuels, des majorités, et surtout les rapides progrès de l'opinion dans les masses et au sein du corps électoral. Jusqu'ici sir Robert Peel s'est montré grand financier, grand ministre, grand homme d'État peut-être; pourquoi n'aspirerait-il pas au titre de grand homme, que la postérité ne décernera plus sans doute qu'aux bienfaiteurs de l'humanité?

Il ne sera peut-être pas sans intérêt pour le lecteur d'entrevoir l'issue probable des réformes dont nous ne connaissons encore que les premiers linéaments. Une brochure récente vient de révéler un plan financier qui doit rallier les membres influents de la Ligue. Nous le mentionnerons ici, tant à cause de son admirable simplicité et de sa parfaite conformité aux principes les plus purs de la liberté commerciale, que parce qu'il est loin d'être dépourvu de tout caractère officiel. Il émane, en effet, d'un officier du Board of trade, M. Mac-Grégor, comme la réforme postale eut pour promoteur un employé du post-office, M. Rowland-Hill. On peut ajouter qu'il a assez d'analogie avec les changements opérés par sir Robert Peel pour laisser supposer qu'il n'a pas été jeté dans le public à l'insu, et moins encore contre la volonté du premier ministre.

Voici le plan du secrétaire du Board of trade.

Il suppose que les dépenses s'élèveront comme aujourd'hui, à 50 millions st. Elles devront subir sans doute une grande diminution, car ce plan entraîne une forte réduction dans l'armée, la marine, l'administration des colonies et la perception de l'impôt; en ce cas, les excédants de recettes pourront être affectés, soit au remboursement de la dette, soit au dégrèvement de la contribution directe dont il va être parlé.

Les recettes se puiseraient aux sources suivantes:



Quant à la poste, M. Mac-Grégor pense qu'elle ne doit pas être une source de revenus. On ne peut pas abaisser le tarif actuel, puisqu'il est réduit à la plus minime monnaie usitée en Angleterre; mais les excédants de recettes seraient appliqués à l'amélioration du service et au développement des paquebots à vapeur.

Il faut observer que dans ce système:

1o La protection est complétement abolie, puisque la douane ne frappe que des objets que l'Angleterre ne produit pas, excepté les esprits et la drêche. Mais ceux-ci sont soumis à un droit égal à leurs similaires étrangers.

2o Le système colonial est radicalement renversé. Au point de vue commercial, les colonies sont indépendantes de la métropole et la métropole des colonies, car les droits sont uniformes; il n'y a plus de priviléges, et chacun reste libre de se pourvoir au marché le plus avantageux. Il suit de là qu'une colonie qui se séparerait politiquement de la mère patrie n'apporterait aucun changement dans son commerce et son industrie. Elle ne ferait que soulager ses finances.

3o Toute l'administration financière de la Grande-Bretagne se réduit à la perception de l'impôt direct, à la douane, considérablement simplifiée, et au timbre. Les assessed taxes et l'accise sont supprimées, et les transactions intérieures et extérieures laissées à une liberté et une rapidité dont les effets sont incalculables.

Tel est, très en abrégé, le plan financier qui semble être comme le type, l'idéal vers lequel on ne peut s'empêcher de reconnaître que tendent de fort loin, il est vrai, les réformes qui s'accomplissent sous les yeux de la France inattentive. Cette digression servira peut-être de justification à la conjecture que j'ai osé hasarder sur l'avenir et les vues ultérieures de sir Robert Peel.

Je me suis efforcé de poser nettement la question qui s'agite en Angleterre. J'ai décrit et le champ de bataille, et la grandeur des intérêts qui s'y discutent, et les forces qui s'y rencontrent, et les conséquences de la victoire. J'ai démontré, je crois, que, bien que toute la chaleur de l'action semble se concentrer sur des questions d'impôt, de douanes, de céréales, de sucre, – au fait il s'agit de monopole et de liberté, d'aristocratie et de démocratie, d'égalité ou d'inégalité dans la distribution du bien-être. Il s'agit de savoir si la puissance législative et l'influence politique demeureront aux hommes de rapine ou aux hommes de travail, c'est-à-dire si elles continueront à jeter dans le monde des ferments de troubles et de violences, ou des semences de concorde, d'union, de justice et de paix.

Que penserait-on de l'historien qui s'imaginerait que l'Europe en armes, au commencement de ce siècle, ne faisait exécuter, sous la conduite des plus habiles généraux, tant de savantes manœuvres à ses innombrables armées que pour savoir à qui resteraient les champs étroits où se livrèrent les batailles d'Austerlitz ou de Wagram? Les dynasties et les empires dépendaient de ces luttes. Mais les triomphes de la force peuvent être éphémères; il n'en est pas de même de ceux de l'opinion. Et quand nous voyons tout un grand peuple, dont l'action sur le monde n'est pas contestée, s'imprégner des doctrines de la justice et de la vérité, quand nous le voyons renier les fausses idées de suprématie qui l'ont si longtemps rendu dangereux aux nations, quand nous le voyons prêt à arracher l'ascendant politique à une oligarchie cupide et turbulente, gardons-nous de croire, alors même que l'effort des premiers combats se porterait sur des questions économiques, que de plus grands et plus nobles intérêts ne sont pas engagés dans la lutte. Car, si à travers bien des leçons d'iniquité, bien des exemples de perversité internationale, l'Angleterre, ce point imperceptible du globe, a vu germer sur son sol tant d'idées grandes et utiles; si elle fut le berceau de la presse, du jury, du système représentatif, de l'abolition de l'esclavage, malgré les résistances d'une oligarchie puissante et impitoyable; que ne doit pas attendre l'univers de cette même Angleterre, alors que toute sa puissance morale, sociale et politique aura passé aux mains de la démocratie, par une révolution lente et pénible, paisiblement accomplie dans les esprits, sous la conduite d'une association qui renferme dans son sein tant d'hommes, dont l'intelligence supérieure et la moralité éprouvée jettent un si grand éclat sur leur pays et sur leur siècle? Une telle révolution n'est pas un événement, un accident, une catastrophe due à un enthousiasme irrésistible, mais éphémère. C'est, si je puis le dire, un lent cataclysme social qui change toutes les conditions d'existence de la société, le milieu où elle vit et respire. C'est la justice s'emparant de la puissance, et le bon sens entrant en possession de l'autorité. C'est le bien général, le bien du peuple, des masses, des petits et des grands, des forts et des faibles devenant la règle de la politique; c'est le privilége, l'abus, la caste disparaissant de dessus la scène, non par une révolution de palais ou une émeute de la rue, mais par la progressive et générale appréciation des droits et des devoirs de l'homme. En un mot, c'est le triomphe de la liberté humaine, c'est la mort du monopole, ce Protée aux mille formes, tour à tour conquérant, possesseur d'esclaves, théocrate, féodal, industriel, commercial, financier et même philanthrope. Quelque déguisement qu'il emprunte, il ne saurait plus soutenir le regard de l'opinion publique; car elle a appris à le reconnaître sous l'uniforme rouge, comme sous la robe noire, sous la veste du planteur, comme sous l'habit brodé du noble pair. Liberté à tous! à chacun juste et naturelle rémunération de ses œuvres! à chacun juste et naturelle accession à l'égalité, en proportion de ses efforts, de son intelligence, de sa prévoyance et de moralité. Libre échange avec l'univers! Paix avec l'univers! Plus d'asservissement colonial, plus d'armée, plus de marine que ce qui est nécessaire pour le maintien de l'indépendance nationale! Distinction radicale de ce qui est et de ce qui n'est pas la mission du gouvernement et de la loi! L'association politique réduite à garantir à chacun sa liberté et sa sûreté contre toute agression inique, soit au dehors, soit au dedans; impôt équitable pour défrayer convenablement les hommes chargés de cette mission, et non pour servir de masque, sous le nom de débouchés, à l'usurpation extérieure, et, sous le nom de protection, à la spoliation des citoyens les uns par les autres: voilà ce qui s'agite en Angleterre, sur le champ de bataille, en apparence si restreint, d'une question douanière. Mais cette question implique l'esclavage dans sa forme moderne, car, comme le disait au Parlement un membre de la Ligue, M. Gibson: «S'emparer des hommes pour les faire travailler à son profit, ou s'emparer des fruits de leur travail, c'est toujours de l'esclavage'; il n'y a de différence que dans le degré.»

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