bannerbannerbanner
Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes
Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes

Полная версия

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes

текст

0

0
Язык: Французский
Год издания: 2017
Добавлена:
Настройки чтения
Размер шрифта
Высота строк
Поля
На страницу:
1 из 7

Jacques Boulenger

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes

INTRODUCTION

Organisation générale du parti protestant. Les assemblées politiques. Les assemblées ecclésiastiques. Celles-ci maintiennent l’unité du parti. Importance du consistoire.

Plan de ce mémoire.

Sources.

On a déjà étudié la situation sociale des protestants avant et après l’édit de Nantes. M. Paul de Felice publie un ouvrage dans lequel il nous renseigne sur leur culte, la vie de leurs pasteurs, le fonctionnement de leurs assemblées et leur pédagogie1. Mais l’inconvénient de ce livre est de s’étendre sur un plan trop vaste. L’évolution du parti protestant n’y est pas nettement marquée, faute de précision, et le mot «autrefois» remplace trop souvent la date exacte que l’on souhaiterait.

En outre, comment se comportait le gouvernement communal dans les villes huguenotes? Quels étaient les rapports des réformés avec les catholiques? Est-il juste de dire que les protestants formaient un État dans l’État? On pourra élucider ces questions lorsqu’un certain nombre de monographies auront fait bien connaître l’organisation du parti réformé dans les différentes provinces de France. C’est dans l’espoir de contribuer à ce résultat que l’on s’est proposé d’étudier ici la situation sociale et religieuse des calvinistes dans le colloque de Nîmes.

Organisation générale du parti.– En 1594, les protestants, réunis à Sainte-Foy, réorganisaient leur parti comme il l’était avant l’avènement de Henri IV. Le règlement politique qu’ils adoptèrent les mettait peut-être à part du reste des Français, mais on n’avait pas alors ce patriotisme dont la dernière forme apparut sous la Révolution, et le reste des Français voulait massacrer, brûler ou pour le moins convertir les protestants. En outre, depuis l’avènement de Henri IV, cinq années s’étaient écoulées sans que les huguenots pussent rien obtenir de leur ancien chef que des promesses, d’ailleurs vagues2. Ils commençaient à se détromper sur son compte: tant qu’il fut roi de Navarre et héritier présomptif, il réclama avec eux la liberté du culte3; mais, devenu roi de France, il lui parut que les idées conservatrices étaient les bonnes et les protestants des rebelles; il voulait «vivre en réalité, jouir enfin, et se reposer4». Aussi ne se soucia-t-il plus de brouiller ses affaires avec le pape et de s’aliéner la majorité catholique de ses sujets. Les huguenots s’en aperçurent et crurent bon de se réorganiser: c’est alors qu’ils adoptèrent le fameux règlement de Sainte-Foy qui fut revisé à Saumur (1595) et à Loudun (1596).

Ils se divisaient en neuf provinces dont chacune avait: 1o un conseil provincial permanent de cinq ou sept membres; 2o une assemblée composée de trois députés par colloque qui se tenait une fois l’an. En outre une assemblée générale, composée de deux députés pour chaque province, plus un pour La Rochelle, devait s’occuper des affaires générales du parti5.

A côté de ces assemblées politiques, ils conservaient leur ancien système d’assemblées ecclésiastiques. La France était divisée en Provinces qui se composaient d’un certain nombre d’églises dressées6, gouvernées chacune par une assemblée élue nommée Consistoire et desservie par un ou plusieurs pasteurs. Dans chaque province, les églises se groupaient en Colloques; et, dans chacun de ces colloques, une assemblée, composée des députés de toutes les églises et nommée pareillement Colloque, jugeait en premier appel les causes déjà examinées par les consistoires et réglait les différends des églises entre elles. On pouvait appeler des décisions du colloque au Synode provincial formé des députés de tous les consistoires de la province. Et enfin, en dernier ressort, on recourait au Synode national composé par les députés des synodes provinciaux de France.

Toutes ces assemblées ecclésiastiques devaient faire appliquer la Discipline, et les assemblées politiques avaient à diriger la conduite politique du parti. Il semble au premier abord que celles-ci soient plus intéressantes que les premières. Mais, au point de vue un peu spécial de cette étude, cela n’est pas exact.

Je souhaiterais, en effet, de montrer l’état intime du parti. Comment vivaient les huguenots d’une ville comme Nîmes, par exemple? Quels étaient leurs rapports avec les autorités, à une époque où la loi ne fixait pas nettement leurs droits ni leurs devoirs? Comment se comportaient-ils à l’égard des catholiques?

Nous verrons que les protestants s’étaient organisés en république: dans chaque petite localité il y avait un consistoire qui gouvernait les habitants et, par suite, la ville quand les huguenots y étaient en majorité et pouvaient y élire des consuls de leur religion. Le laboureur de Saint-Gilles7 ou de Calvisson8 entendait peut-être parler des grandes négociations engagées par l’assemblée générale avec le roi en vue d’obtenir un édit qui réglerait sa situation, mais il s’intéressait davantage à l’élection de son consistoire, à la maladie de son pasteur, ou au moyen de ne pas payer sa «quotisation pour l’entretenement de l’église9».

Et il faudrait précisément savoir si le laboureur respecte le consistoire et paye sa taxe. Car s’il n’est pas attaché à ce consistoire, s’il ne craint pas son autorité, toutes les autres assemblées qui reposent sur celle-là vont se trouver «en l’air», séparées de la nation, impopulaires, et s’il ne paye pas, le parti va se trouver privé d’argent et de vie.

C’est le consistoire, avec les assemblées ecclésiastiques placées au-dessus de lui, qui forme, si je peux dire, le cadre du parti. La décadence ou l’accroissement de son influence sera le signe de la puissance ou de la faiblesse des protestants. Si le «fidèle» respecte la Discipline rigoureuse, qui soumet ses moindres actes au contrôle du consistoire, les assemblées politiques pourront alors faire leurs conditions au roi, certaines d’avoir derrière elles un peuple enrégimenté et tout prêt à les soutenir. Elles simplifient l’existence du parti en obtenant pour lui des conditions meilleures, mais les consistoires assurent sa vie.

Remarquons maintenant que leur pouvoir sur les fidèles pourrait donner aux consistoires une importance funeste à l’unité du parti, si les colloques et les synodes n’étaient pas là pour leur rappeler qu’ils ne sont que des membres du grand corps protestant, et les mettre en communication les uns avec les autres. Leur initiative, en effet, n’est pas nulle, mais toujours soumise au contrôle des assemblées supérieures, et aucune de leurs décisions n’a de valeur absolue, puisqu’on peut toujours en faire appel au colloque, puis au synode.

Cette parfaite subordination des assemblées les unes aux autres donne aux protestants une cohésion, une unité qui font la force de leur parti, à condition que le contact de la minorité dirigeante des assemblées avec la foule des fidèles soit maintenu, c’est-à-dire que l’autorité du consistoire sur le peuple soit absolue.

Plan.– Les deux premiers chapitres seront consacrés à étudier les ministres et le fonctionnement du consistoire. M. Paul de Felice a déjà traité cette question, d’une manière générale, dans ses deux volumes sur les Pasteurs et les Assemblées ecclésiastiques, aussi me contenterai-je de rapporter des détails nouveaux et propres à faire connaître l’état intérieur du parti à Nîmes.

Pour exister, pasteurs et assemblées ont besoin d’argent. Il faut en obtenir des fidèles: le consistoire lève des impôts (Chapitre III). S’il devient impopulaire, s’il n’est pas respecté, si son influence sur les fidèles diminue, ceux-ci commenceront par ne pas payer leurs taxes, et les assemblées ne pourront plus avoir lieu, les pasteurs ne pourront plus vivre: ce sera la fin du parti10.

Mais au contraire, le consistoire possède une autorité dont nous n’avons pas idée (Chapitre IV). Il fait respecter et applique rigoureusement la Discipline, recueil de décisions des synodes qui lui donne le droit de contrôler tous les actes de la vie de ses administrés. Un homme, par exemple, rapporte-t-il que M. X. a juré dans sa boutique, le consistoire informe aussitôt11. On voit quelle puissance peut lui donner une telle inquisition.

Cette autorité ne le met cependant pas en lutte avec les pouvoirs politiques. Les consuls et les magistrats protestants qui gouvernent la ville de Nîmes subissent son influence directe, et même prennent ses ordres. Ainsi le consistoire possède une autorité politique effective à côté de son autorité morale (Chapitre V).

Voici donc les protestants parfaitement organisés et disciplinés. Au-dessus des fidèles et les gouvernant, le consistoire, dont l’autorité et l’influence familières sont considérables, et qui se trouve rigoureusement subordonné au colloque et au synode. Maintenant quels sont les rapports de cette petite société protestante, ainsi constituée, avec les catholiques? Elle les opprime, car elle est la plus forte, de même que les catholiques le sont presque partout ailleurs. L’exercice du culte romain est autant que possible empêché; les papistes eux-mêmes sont écartés des emplois publics et soumis à toute une série de mesures vexatoires que prend contre eux la municipalité de Nîmes (Chapitre VI). Mais ils ne renoncent pas à la lutte et, entre prêtres et pasteurs, se livre une guerre de sermons, de pamphlets, d’influences, dont le but est de provoquer des conversions (Chapitre VII).

Il ressort de tout cela que les huguenots de Nîmes, à qui leur nombre assurait la prépondérance, vivaient tranquillement en république, sous leurs consuls et leurs magistrats dirigés eux-mêmes par le consistoire. Ils ne souhaitaient nullement qu’un nouvel édit vînt changer quelque chose à leur état. Aussi, lorsqu’il fut question de l’édit de Nantes, bien loin de seconder les négociations de l’assemblée générale, ils montrèrent une mauvaise volonté que celle-ci, plus tard, leur reprocha. Leurs intérêts, en effet, se trouvaient opposés à ceux des réformés de presque tout le reste de la France: à Nîmes et dans son colloque, c’étaient les catholiques qui souhaitaient l’édit de Nantes pour replacer leur religion au premier rang, tandis que les protestants s’efforçaient d’en empêcher les effets, comme l’exigeait l’intérêt particulier de leur petit État.

Sources.– J’ai tiré la plus grande partie de ce mémoire des registres de délibérations du consistoire de Nîmes, conservés aux archives de ce consistoire12, où j’ai pu travailler en 1899 et 1900 grâce à l’obligeance de M. le pasteur Fabre. Ces registres renferment tous les renseignements sur la vie privée des protestants.

Les actes des synodes provinciaux de 1596 à 1609 se trouvent aussi dans ces mêmes archives13: il en existe une copie faite par M. le pasteur Auzière à la Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français. Cette copie est préparée pour l’impression et il est dommage qu’elle ne soit pas publiée. J’en ai collationné sur le registre original une certaine partie dont on trouvera des extraits dans les pièces justificatives. Je n’y ai point relevé d’erreurs, ce qui n’a rien d’étonnant puisque M. Auzière, pour en avoir copié plusieurs registres in-folio, possédait mieux que personne cette difficile écriture.

Enfin, le consistoire de Nîmes renfermait une pleine armoire de documents non classés, que j’ai dépouillés, et où j’ai vu beaucoup de pièces concernant le duc de Rohan, mais fort peu intéressant mon sujet.

Aux archives départementales du Gard, j’ai trouvé plusieurs cahiers de remontrances des catholiques ou des protestants sur l’application de l’édit de Nantes; j’ai parcouru aussi un certain nombre de registres de notaires14 qui m’ont fourni de bons renseignements sur l’état des personnes.

Les archives communales de Nîmes renferment un registre des délibérations consulaires qui va de 1599 à 1604. Le précédent est malheureusement perdu.

Celles d’Aigues-Mortes se trouvaient en 1899 dans de fort belles armoires, mais dans un grand désordre.

Dans la série TT des Archives nationales, j’ai eu sous les yeux tout ce qui intéressait le colloque de Nîmes, et les actes des États de Languedoc (H1 74810 1109).

A la Bibliothèque nationale, j’ai dépouillé notamment les lettres du duc de Ventadour (franç. 3225, 3337, 3550, 3562, 3575, 3586, 3589) et du connétable Henri de Montmorency (franç. 3549, 3550, 3559, 3561, 3570, 16061), les actes des assemblées (Brienne 208, 209, 219, 221; franç. 15814, 15815, 15816), et un certain nombre d’autres manuscrits, notamment, les franç. 20870, Dupuy 62, 63, etc.

Enfin, la Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme m’a fourni la copie Auzière dont j’ai parlé; des inventaires manuscrits d’archives protestantes, communales ou particulières, de Bas-Languedoc, faits par M. Teissier; et des analyses des dires par écrit avec pièces et notes à l’appui de Peiremales, l’un des commissaires députés par Louis XIV pour exécuter l’édit de Nantes, qui ont pour auteur le même M. Teissier. L’original s’en trouve aux archives de la Cour d’appel de Nîmes (9e division, no 50): je n’en ai tiré que peu de choses15.

I

LES PASTEURS

Leurs fonctions.

Leur entretien: Contrats d’engagement. Gages en espèces. Gages en nature. Avantages matériels. Pauvreté. Pension de retraite. «Assistance» des veuves et des orphelins.

Petit nombre des pasteurs. Difficulté d’acquérir un pasteur «perpétuel». Dissensions entre les églises à ce sujet.

Les «proposants». Contrats d’engagement. Leurs études. Leurs prérogatives. Leur entretien. Exemples: Jean Terond, Mardochée Suffren.

Conclusion: De l’influence des pasteurs.

Chaque église du colloque de Nîmes16 avait à sa tête un consistoire et un ou plusieurs pasteurs. Il est nécessaire de bien connaître les pouvoirs et les droits de cette assemblée et de ces ministres pour se rendre compte de l’influence qu’ils pouvaient exercer sur le peuple.

Étudions en premier lieu les pasteurs.

Tout d’abord, qu’avaient-ils à faire? Je ne m’étendrai pas longtemps sur ce point, car les obligations du ministère sont réglées par la Discipline17 et, étant officielles, elles se trouvent les mêmes dans le colloque de Nîmes qu’ailleurs. En outre, M. P. de Felice les a étudiées18.

Les ministres avaient comme fonction principale la prédication. Ils devaient exposer un livre entier de la Bible, et non, comme aujourd’hui, en développer un passage19.

Encore fallait-il qu’ils fussent fort circonspects et qu’ils se gardassent d’alléguer des passages d’Origène «et autre faulx docteurs», car ils prêchaient devant un public averti, et les fidèles ne manquaient pas de se plaindre au consistoire si le pasteur avait à leur avis erré sur des points de doctrine20. C’est ainsi qu’un marchand, le sieur Péladan, reprochait au ministre Venturin d’avoir dit en chaire «que le feu d’enfer estoyt ung feu qui consume tout, ung feu consumant21». Ce fait témoigne de la forte instruction théologique que le peuple avait alors; il nous aide à comprendre comment les controverses scolastiques, insupportables pour nous, auxquelles se livraient en public pasteurs et prêtres, pouvaient déterminer des conversions22.

A Nîmes il y avait un service religieux complet tous les jours23, c’est-à-dire prêche et prières publiques. Le dimanche, en 1600, on prêchait à 5 heures et à 8 heures du matin; puis les «après-dynées», on faisait encore deux prêches: l’un au petit-temple et l’autre à l’audience présidiale24, ce qui scandalisait fort les catholiques25. Et trois pasteurs seulement se partageaient tous ces sermons26.

Outre ces prédications, les ministres devaient faire le catéchisme aux enfants et aux grandes personnes27, et ne pas négliger les visites aux pauvres. En 1601, on les voit se partager la ville de Nîmes «pour la vizitation des mallades et autres charges28»; ils devaient inspecter aussi, en compagnie d’anciens, les pauvres de l’hôpital et des prisons29.

Telles sont en quelques mots les obligations des ministres de Nîmes. Si l’on songe qu’ils pouvaient avoir, en dehors de leurs prêches, leurs catéchismes, leurs visites, à répondre aux pamphlets et aux défis des controversistes catholiques30, on trouvera comme nous qu’ils gagnaient bien la pension que l’église leur allouait.

Leurs occupations ne leur permettaient pas d’exercer des fonctions profanes. La Discipline leur interdit même la médecine et la jurisprudence31. Leur entretien était donc à la charge de leur «troupeau».

Le synode provincial de Sauve en 1597 engage les églises à donner aux pasteurs une somme suffisant à leur entretien et à celui de leur famille et propre à leur assurer «la liberté et le repos d’esprit» qui leur sont nécessaires pour vaquer à leur charge32. Ces gages fixes étaient de beaucoup la partie la plus importante de leur revenu. Il n’y avait pas en effet de casuel: «Les actes pastoraux sont tous gratuits33». D’autre part, on ne peut pas compter parmi les revenus des pasteurs les sommes que le roi leur avait promises en 1592 et 1594, car, depuis 1596 au moins, ils n’en touchaient plus rien. Henri IV renouvela ces promesses au moment de l’édit de Nantes, mais les ministres n’en virent guère davantage l’exécution: c’est ce que je montrerai plus loin34.

Ils ne pouvaient donc compter que sur ce que leur église leur promettait. Or, aucune règle n’existait pour forcer celle-ci à leur donner une somme d’argent fixée.

Les traitements étaient, en effet, proportionnés non à la place, mais à la personne, et l’on payait le pasteur suivant son importance et sa célébrité. En conséquence, on faisait marché avec lui avant de le prendre: en 1600, par exemple, l’église de Nîmes offre à Gigord 400 écus pour les deux charges de pasteur et de lecteur en théologie à son académie35. Les synodes reconnaissaient la valeur de ces sortes de traités36, mais ils ne les encourageaient pas et souhaitaient qu’ils se réduisissent à de simples promesses enregistrées dans le livre du consistoire37.

Ces contrats pouvaient présenter des clauses assez variables. Ainsi, le ministre Ricaud ne reçoit par an que 324 ou 347 l. environ de Saint-Jean de Gardonnenc38, mais Jérémie Ferrier en touche 690 à Alais39. – L’église d’Anduze donne 500 l. à chacun de ses deux ministres, Alphonse et Baille, qui ne se trouvent pas assez payés40; le colloque et le synode sont de leur avis et condamnent Anduze à donner 600 l. à Baille, qui en a besoin «à cause de la grandeur de sa famille41». – Gasques touche 600 l. du Vigan, plus 50 l. d’Avèze42. – Plus tard, en 1610, cette même ville du Vigan n’offrira à Daniel Venturin que 450 l. par an, payables par quartiers, plus 60 l. des habitants de Molières et 30 de ceux d’Avèze; elle lui abandonnera en plus sa part des deniers du roi, et, s’il ne croit pas Molières et Avèze solvables, elle prendra les 90 l. à sa charge en se faisant annexer ces deux églises, quitte à exiger d’elles son remboursement. En revanche, Venturin fera les voyages aux synodes et colloques à ses frais, et il devra donner quatre cènes par an à ceux de Molières43. Ces conditions lui parurent suffisantes, car il les accepta44. – M. Fillon fait quittance, les 20 et 21 février 1597, aux habitants d’Aimargues de 700 l. qu’ils lui ont avancées sur ses gages de 1596 et 159745. Or, en février ils ne lui ont sans doute payé que le premier quartier de ses gages de l’année, il est donc probable qu’il a au moins 525 l. par an. – Brunier, d’Uzès, touche 200 écus, soit 600 l. chaque année46. – Falguerolles reçoit à Nîmes 600 l. de traitement47, et cette église fait offrir 1200 l. à Gigord, qu’elle lui payera «à quartiers avancés», et dont il aura 600 comme ministre et 600 comme lecteur en théologie48.

Il ne faudrait pourtant pas croire que les ministres qui enseignaient la théologie dans l’académie de Nîmes49 fussent bien payés. Ainsi, Moynier et Falguerolles (ou plutôt ses hoirs50) recevaient, en 1600, 150 l. chacun à titre de gratification, pour avoir, «au grand avancement des escoliers», professé «despuis huict ans ou environ51». Puis l’année suivante, Moynier touche encore 200 l.52. Et c’est là tout son salaire. Aussi conçoit-on qu’il se plaigne au synode53.

Quelquefois, on payait une partie des gages en nature. Voici, par exemple, une pièce que sire Cappon, en bon «receveur des deniers du ministère54», joignit à ses comptes. C’est une quittance de Moynier datée du 15 mars 1595, où il reconnaît avoir reçu six «saumées» de blé valant 54 l., plus des marchandises pour 17 l. 8 sols et 8 deniers que led. Cappon lui a «forni de sa boutique», le tout en déduction de son «assistance55». Ainsi le pasteur et le receveur trouvaient là leur compte.

On ne pouvait naturellement, sauf conventions spéciales dont je n’ai pas relevé d’exemple, forcer les pasteurs à accepter leurs gages en nature. Ils touchaient de 5 à 600 l. par an, en moyenne, ce qui correspond approximativement à un traitement de 3.000 à 3.600 fr. d’aujourd’hui56. En outre, leurs églises leur accordaient certains avantages. Par exemple, à Nîmes, ils sont logés, ou du moins ils touchent pour ce de l’argent: en 1578, Claude de Falguerolles n’a que 30 l.57; cette somme est loin de suffire à son fils Jean58, qui déclare en juin 1597 «qu’il n’a moyen de se loger à cinquante livres». Le consistoire projette en conséquence de louer la maison de M. Chabaut où l’on pourra mettre ensemble deux ministres59.

Les frais de voyage aux colloques et aux synodes leur sont remboursés60, à moins de conventions spéciales61 que les synodes désapprouvent62. De même, quand on les envoie en mission, on paye leur déplacement, leurs dépenses63, et s’ils vont assister une église qui manque momentanément de pasteur, ils sont nourris, logés, défrayés de tout64. Très souvent, on stipule dans les conditions d’engagement que l’église payera non seulement le voyage de son nouveau ministre et de sa famille, mais encore le déménagement de ses meubles et de ses livres. Ainsi, le «changement de la famille et mesnage» de M. Ferrier coûte 58 l. 15 sols aux Nîmois65, ce qui est cher, puisque pour faire venir de Genève le mobilier de M. Fillon, leur nouveau pasteur, ceux d’Aimargues n’ont que 60 l. à débourser66.

On reconnaît encore aux ministres certains droits plus ou moins considérables. Voici, par exemple, M. Moynier qui requiert son consistoire de lui délivrer le «carteyron [de] pleumes» et la rame de papier qu’il est d’usage de donner chaque année à chacun des pasteurs, qui ont à faire «une infinité de dépêches67». C’est une économie de 2 l. 5 sols68. De plus, ce même Moynier loge en pension, au prix de 9 l. par mois69, des écoliers qui, il est vrai, battent sa bonne70, vont tous les soirs à la danse et dérobent à M. Blisson des poules qu’ils mangent ensuite chez Jean Pons71.

Ainsi les gages des pasteurs n’étaient pas considérables. Pourtant ils leur auraient permis de vivre en conservant cette «liberté et repos d’esprit» que le synode provincial de Sauve72 leur croit nécessaires, s’ils les avaient régulièrement touchés. Mais, comme nous le verrons dans le chapitre IV, les églises étaient souvent «ingrates» et il est bien rare qu’elles aient payé leurs ministres sans retard et intégralement. Aussi, ceux qui, comme M. Baille, d’Anduze, se trouvaient à la tête d’une nombreuse famille73 et qui ne possédaient pas de fortune personnelle, devaient avoir de la peine à vivre. C’est le cas de M. Brunier; il est chargé de trois enfants de son premier lit dont l’aîné a treize ans, et d’un enfant du premier lit de sa seconde femme, encore enceinte, et il touche 300 l. de gages74. En 1599, on voit le consistoire de Nîmes faire l’aumône de 5 l. à la fille du pasteur Tempeste75.

D’ailleurs les synodes recommandent sans cesse aux églises d’assister les ministres malades ou très âgés76, leurs veuves et leurs orphelins77. Il était d’usage de payer aux veuves et aux hoirs la valeur d’une année de gages ou à peu près: c’est ce qu’on appelait l’«année de viduité78»; et si l’église paraissait s’y refuser, le colloque et le synode l’ordonnaient au besoin79. Enfin, on dressait à la fin du synode provincial un «despartement» pour les veuves de la province, c’est-à-dire qu’on taxait chaque colloque suivant sa richesse et ses moyens. Chaque femme assistée obtenait alors la somme minime de 20 ou 25 l. environ80.

On voit que la profession de pasteur n’était point lucrative: elle comportait beaucoup de travail et peu d’argent. Je montrerai81 que les consistoires avaient grand mal à obtenir de leurs administrés qu’ils déliassent les cordons de leurs bourses et que les ministres se trouvaient le plus souvent privés de la pension qu’ils auraient dû toucher. Ceci nous explique pourquoi l’on prenait soin de n’en créer qu’un nombre restreint et de s’assurer auparavant, «par tous les colloques», s’il n’y avait «aucun pasteur à pourvoir ayant les qualités requises», et si nul ministre «capable de sa charge» n’en pouvait «recevoir dommage82».

На страницу:
1 из 7