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Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers
Le chapitre IX du premier livre, des Nobles et des Saints qui ont exercé la peinture, et de quelques effets merveilleux produits par elle, est fort curieux. On y trouve74 des documents précieux, sur les grands seigneurs et sur les religieux de tous ordres qui ont cultivé cet art en Espagne.
Dans le chapitre X, Pacheco revient sur les différentes espèces de noblesse qui accompagnent la peinture, et sur l'utilité universelle qu'on en retire. L'importance que Pacheco attachait à l'exercice de sa profession le porte à s'indigner d'un impôt spécial qu'on avait mis sur la vente des tableaux, considérés comme une pure marchandise. Il ne cessa jamais, en compagnie de Vicencio Carducho75, de réclamer l'abolition de cette taxe, nommée la alcavala, que Velasquez finit par obtenir plus tard du comte-duc d'Olivarès.
On remarque, dans le chapitre XI, ce que dit l'auteur, de la peinture des tableaux de dévotion, de l'avantage qu'on en retire, et de l'autorité que leur accorde l'Église catholique.
Les artistes ne consulteront pas avec moins d'intérêt que de profit le dernier chapitre (XII) de ce livre, dans lequel Pacheco examine les trois états des peintres: de ceux qui commencent, de ceux qui sont arrivés au milieu de leur carrière, et de ceux qui finissent. Ils y pourront voir de quelle manière il démontre, en s'appuyant sur la lettre de Raphaël à Balthasar Castiglione76, «comment la perfection consiste à passer de l'idéal à la nature, et de la nature à l'idéal, en cherchant toujours le meilleur, le plus sûr et le plus parfait77.»
Le livre second est un traité didactique de la théorie de la peinture et des parties dont elle se compose, telles que l'invention, le dessin, le coloris, etc. Les conseils que Pacheco donne ici aux artistes sont pleins de justesse, et montrent que l'auteur avait fait une profonde étude de la théorie de son art. À l'appui de ses raisonnements, il cite souvent les ouvrages de Léonard de Vinci, d'Albert Durer et de Leo Battista Alberti, ainsi que les vers de Pablo de Cespedès, chanoine de Cordoue, peintre, sculpteur et architecte, dont l'opinion faisait alors autorité en Espagne78. Du reste, Pacheco se fonde toujours sur les exemples des grands maîtres pour établir ses préceptes.
Dans le troisième livre, l'art de la peinture est envisagé au point de vue de sa pratique, de quelque manière qu'on veuille l'exercer: soit à l'aide de dessins, de modèles et de cartons, soit à la détrempe, en enluminure sur étoffes, à fresque, à l'huile, sur toile, sur bois, sur métaux. L'auteur passe ensuite à la peinture des fleurs, des fruits; à celle des paysages, des animaux, des oiseaux, des poissons, des tavernes (Bodegones), et aux portraits d'après nature. Pacheco s'étend sur ce dernier genre de peinture, en s'appuyant sur Pablo de Cespedès, Albert Durer et autres maîtres; il trace, pour bien faire les portraits, des préceptes que son élève Velasquez mit en pratique avec le plus grand succès. Dans le chapitre IX, il explique comment la peinture éclaire et excite l'intelligence, apaise la colère et la dureté de l'âme, rend l'homme aimable et communicatif, et il démontre qu'il est difficile de s'y connaître et de la juger. Enfin, dans le chapitre X, il revient sur les raisons qui en font le plus noble des arts.
Ces trois livres sont suivis d'avertissements, dans lesquels Pacheco s'efforce d'expliquer de quelle manière les peintres doivent représenter les sujets sacrés, afin de se conformer à l'autorité de l'Écriture sainte et des docteurs de l'Église.
Cette partie de l'ouvrage n'est pas la moins curieuse: elle a été composée par Pacheco, pour l'acquit de sa conscience d'inspecteur ou censeur des tableaux des choses sacrées. Cette fonction était alors fort recherchée; Pacheco en fut investi par décret du Saint-Office du 7 de mars 1618, dont il rapporte le passage suivant79: «Eu égard à la satisfaction que nous donne la personne de Francisco Pacheco, habitant de cette ville, excellent peintre et frère de Jean Perez Pacheco, familier de ce Saint-Office, et prenant en considération sa droiture et sa prudence, nous le chargeons d'avoir un soin particulier d'examiner et visiter les peintures des choses sacrées qui seront exposées dans les boutiques et les lieux publics… Et c'est pourquoi nous lui donnons telle commission que de droit.» Cette fonction consistait, ainsi que Pacheco l'explique lui-même, à vérifier s'il y avait quelque chose à changer dans les peintures sacrées, comme n'étant pas conforme à la foi catholique. Dans ce cas, l'inspecteur devait faire séquestrer les tableaux, afin de les montrer aux familiers de l'inquisition, qui décidaient de leur sort80.
Ainsi, le pouvoir du Saint-Office, en Espagne, s'étendait sur les œuvres de l'art aussi bien que sur celles de la pensée; et tandis qu'en Italie, et à Rome plus qu'ailleurs, les artistes jouissaient d'une liberté qui, dans leurs œuvres, dégénérait souvent en licence, et dépassait les limites de toute pudeur, en Espagne, l'inquisition réglait tout, même les points, en apparence, les plus insignifiants. Par exemple, Pacheco, en compagnie d'un théologien de ses amis, don Francesco de Rioja, examine longuement la question de savoir si Jésus-Christ a été attaché à la croix avec quatre clous, au lieu de trois, comme quelques artistes l'avaient représenté81. Il résout cette question avec grands renforts d'autorités et de citations de toutes sortes: il n'est pas jusqu'à Plaute qu'il n'invoque82, pour démontrer que les Romains avaient coutume de crucifier les criminels avec quatre clous, et les deux pieds appuyés séparément sur un morceau de bois, scabellum, attaché à l'arbre principal de la croix83.
Au demeurant, bien que censeur, pour le Saint-Office, des peintures des choses sacrées, Pacheco ne paraît avoir fait brûler aucun artiste, même en peinture. Fervent catholique, comme tout bon Espagnol du dix-septième siècle, sa verve pittoresque et les souvenirs de son séjour en Italie lui font mêler le sacré avec le profane. Tout en expliquant la manière, approuvée par l'Inquisition, de peindre la Sainte Trinité, les anges, les saints, les mystères, les scènes tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament, il n'en admire pas avec moins d'enthousiasme, la Danse d'amours, le Bain de Diane, la Vénus et Adonis, la Vénus et Cupidon, et autres compositions très-profanes du Titien84. À l'appui de ses opinions et de ses jugements, il cite souvent les poëtes et les écrivains de l'antiquité, et il n'a pas moins recours aux grands poëtes italiens. C'est ainsi qu'il termine sa longue dissertation sur les quatre clous du crucifiement, en faisant l'éloge d'Homère, et en citant ce vers que Pétrarque, dans le troisième chapitre du triomphe de la Renommée, applique au chantre d'Achille et d'Ulysse:
Primo pittore delle memorie antiche.En parcourant avec attention l'Arte de la pintura, nous avons été frappé de l'extrême modestie avec laquelle Pacheco parle de lui-même et de ses ouvrages. Dans tout ce gros volume de 641 pages, il ne cite de lui que deux tableaux: l'un, la Présentation de la sainte Vierge Marie au Temple, qu'il peignit pour un couvent de religieuses de Port-Sainte-Marie, en 1634; l'autre, un Saint Sébastien, qu'il exécuta en 1616, pour l'hôpital de Saint-Sébastien de Alcala de Guadeira. Il donne la description85 de ces deux tableaux, sans les vanter, et avec une réserve qui lui fait honneur. Il parle aussi86 de la part qu'il prit à la peinture décorative du tombeau que Séville érigea, en 1598, à la mémoire de Philippe II; mais en se bornant à dire que ce travail devait être exécuté très-rapidement.
Le musée royal de Madrid possède de ce maître quatre tableaux: deux saint Jean-Baptiste, une sainte Catherine, et une sainte Inès avec la palme du martyre. Tous ces tableaux sont sur bois87. Ces compositions, dessinées avec pureté, pèchent par le coloris qui est dur et sec, et ne sont, après tout, que les productions d'un artiste de second ordre.
Pour donner une idée de la difficulté de l'art, Pacheco cite ces quatre premiers vers d'un sonnet de Michel-Ange.
Non ha l'ottimo artista alcun concetto,Che un marmo solo in se non circoscrivaCol suo soverchio, e solo a quello arrivaLa mano che ubbidisce all'intelletto88.Le peintre espagnol est lui-même un exemple remarquable de la justesse de cette appréciation de l'auteur du Moïse et du jugement dernier. L'invention, la théorie, la connaissance approfondie de toutes les parties de l'art ne manquaient pas à Pacheco; mais sa main n'a pas obéi à son intelligence, et faute de cet accord, entre l'esprit qui conçoit et le pinceau qui exécute, il est resté confondu dans la foule des peintres d'un talent ordinaire.
Tel qu'il était, néanmoins, le maître de Velasquez paraît avoir exercé une grande influence sur son élève. Palomino dit que Velasquez avait étudié toutes les sciences nécessaires à son art, et qu'il aimait et s'était rendu familiers les poëtes et les orateurs89: il avait donc autant profité de l'instruction profonde que des leçons du savant auteur de l'Art de la peinture. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'influence de Pacheco est peu sensible dans les tableaux religieux, en petit nombre, que le peintre de Philippe IV a traités. Pacheco faisait de ces sujets son étude de prédilection presque exclusive. Son élève, au contraire, semble n'avoir peint que malgré lui des compositions tirées de l'Écriture sainte. Il brille surtout dans les sujets de fantaisie, où il s'abandonne à toute sa verve, et il excelle dans la reproduction des scènes de la vie ordinaire, même commune et de bas étage, et dans la peinture des animaux, des fleurs, des fruits, de la soie, des étoffes; enfin dans les portraits, où il est l'égal des plus habiles. Dans tous ces genres, on voit qu'il a profité des leçons et des préceptes de son judicieux maître, tout en conservant son originalité propre.
CHAPITRE VII
Commencements de Velasquez à la cour. – Portraits de Gongora, de Juan de Fonseca et du jeune roi Philippe IV.
1622 – 1623Velasquez avait atteint sa vingt-troisième année; il venait d'épouser Juana Pacheco, lorsque, pour se perfectionner dans son art, il résolut d'aller étudier à l'Escurial, ce Vatican de l'Espagne, les œuvres des maîtres italiens, flamands et espagnols qui, depuis Philippe II, avaient contribué à l'embellissement de ce couvent royal. Il partit de Séville dans le mois d'avril 1622, et après s'être arrêté quelque temps à l'Escurial, il se rendit à Madrid. Il y fut amicalement accueilli par les deux frères don Luis et don Melchior de l'Alcazar, ses compatriotes, et aussi par don Juan de Fonseca, huissier du rideau90, grand amateur de peinture. À ce premier voyage, Velasquez ne put obtenir la permission de faire le portrait du roi, bien qu'il l'eût sollicitée: mais, à la demande de son beau-père Pacheco, il fit celui de Louis Gongora, qui eut beaucoup de succès91. Le personnage était bien choisi pour attirer l'attention sur l'artiste à ses débuts. Louis de Gongora était un poëte bizarre, à force de vouloir trouver l'originalité: affectant de mépriser les poëtes et les écrivains espagnols qui l'avaient précédé, il avait conçu l'idée de créer un nouveau style poétique qu'il appelait Estilo culto, style visant à l'effet, précieux, guindé, violant toutes les règles reçues. C'est dans cette manière qu'il écrivit ses Solitudes, Soledades, son Polyphème et plusieurs autres ouvrages92. Bien que ces poëmes fussent plutôt composés de mots pompeux que de pensées, ils excitèrent, comme tout ce qui est nouveau, la curiosité du public, et firent naître des imitations encore plus déraisonnables. On appelait ce genre le nouvel art, et Gongora, qui l'avait créé, passait alors pour un homme de génie. Philippe IV, ou plutôt Olivarès, l'avait nommé chapelain titulaire du roi, et il était dans tout l'éclat de sa renommée, à l'époque où Velasquez fit son portrait. L'artiste n'avait donc pu mieux choisir son personnage. Cependant, soit qu'il eût épuisé ses ressources, soit qu'il désirât revoir sa femme, qu'il avait laissée à Séville, il ne voulut pas prolonger son séjour dans la capitale; il reprit donc le chemin de l'Andalousie: mais il ne devait pas y rester longtemps.
Dès le commencement de 1623, le comte-duc d'Olivarès, qui avait entendu Juan de Fonseca vanter le talent du jeune artiste, et qui, sans doute, avait pu en juger par le portrait du poëte à la mode, donna l'ordre à l'huissier du rideau de le faire revenir à Madrid. Velasquez se hâta d'obéir, et reçut de nouveau, à son retour, l'hospitalité la plus bienveillante dans la maison de son protecteur. Pour lui témoigner sa reconnaissance, il s'empressa de faire son portrait. Dès le soir du jour où il fut terminé, un fils du comte de Peñaranda, camérier du cardinal-infant, don Fernando, l'emporta au palais pour le montrer à toute la cour. «Au bout d'une heure, raconte Pacheco93, toutes les personnes de la cour, les infants et le roi, l'avaient vu, ce qui était la plus grande épreuve qu'il eût à supporter. Le roi ne se trompa point. L'œuvre du jeune Sévillan lui plut; il augura bien de son talent, et de suite, il voulut qu'il fît le portrait du cardinal-infant. Mais, en y réfléchissant, il parut plus convenable que le peintre commençât par celui du roi, bien qu'il fût obligé, à cause de ses grandes occupations, de faire attendre l'artiste. Le 30 août 1623, le portrait royal était terminé à la satisfaction de Sa Majesté, des infants et du comte-duc, qui affirma que, jusqu'alors, le roi n'avait pas été peint; jugement qui fut confirmé par tous les seigneurs qui vinrent voir l'œuvre de Velasquez94
Tel est le récit que le bon Pacheco fait du succès de son élève et gendre, et il perce dans sa narration une satisfaction si vive, qu'on n'y aperçoit pas la moindre trace de jalousie. Ce début menait tout d'un coup le jeune artiste à la gloire et à la fortune. Avec l'approbation du roi et la protection de son tout-puissant ministre, n'aurait-il eu qu'un talent médiocre, il eût été certain de réussir; mais possédant déjà, malgré sa grande jeunesse, tous les dons du génie, la promptitude dans l'invention, la facilité dans l'exécution, un coloris égal aux Vénitiens les plus éclatants, une sûreté de main incroyable, quel devait être son avenir! Sa route était toute tracée; il n'avait qu'à la suivre en s'élevant à la perfection par le travail, sans se laisser détourner par les plaisirs de la cour, les désirs de l'ambition, ou les mauvaises pensées de l'envie. Dès ce moment, jusqu'à la fin de sa carrière, Velasquez prouva, par son application soutenue à son art, que si la fortune avait favorisé ses débuts, sa conduite, sa dignité personnelle et ses constants efforts pour mieux faire, le rendaient digne de la faveur du sort et de la bienveillance du roi et de son ministre.
Cette bienveillance ne tarda pas à se manifester d'une manière éclatante; d'abord, de la part du comte-duc, lequel, la première fois qu'il eut l'occasion de le rencontrer, l'assura de sa haute protection, faisant l'éloge de son talent, qu'il considérait comme l'honneur de l'école espagnole, et lui promettant que, désormais, il aurait seul, parmi ses compatriotes, l'avantage de faire le portrait du roi. Il lui ordonna de venir se fixer à Madrid, et, le 31 octobre 1623, il lui fit expédier son brevet de peintre du roi, avec vingt ducats de traitement par mois, plus, le payement de ses ouvrages, et en outre, avec les soins gratuits du médecin et de l'apothicaire de Sa Majesté. Peu de temps après, Velasquez étant tombé malade, le comte-duc, de l'ordre du roi, lui envoya ledit médecin le visiter95. Tels furent, à la cour, les débuts de l'élève de Pacheco.
CHAPITRE VIII
Le prince de Galles à Madrid. – Négociations pour son mariage avec l'infante Marie. – Divertissements à la cour. – Principaux amateurs de peinture. – Olivarès et le Buen-Retiro. – Représentations d'Autos Sacramentales. – Goût du prince de Galles pour les œuvres d'art.
1623Dans le même temps que Velasquez quittait Séville pour se rendre à Madrid sur l'ordre d'Olivarès, le prince de Galles, second fils de Jacques Ier, et depuis roi d'Angleterre sous le nom de Charles Ier, s'embarquait pour l'Espagne. Il y venait à l'improviste, et avec le dessein, d'abord arrêté, de garder le plus strict incognito. Son but était d'activer, et de faire aboutir par sa présence, les négociations depuis longtemps commencées pour son mariage avec l'infante Marie d'Autriche, seconde fille de Philippe III, qui épousa plus tard l'empereur d'Allemagne Ferdinand. Il voulait, en galant chevalier, faire en personne la cour à sa princesse, et montrer, par sa présence dans la capitale espagnole, quelle importance la cour d'Angleterre attachait à cette alliance. Charles était accompagné, dans cette aventure, par son fidèle Steenie, duc de Buckingham, aussi avancé dans les bonnes grâces du roi Jacques, son père, que dans les siennes, et fort capable de lutter de ruse, d'adresse, d'intrigue et de rouerie avec les plus fins et les plus madrés négociateurs du pays de Philippe II. Ce mariage était depuis longtemps en train; mais, comme il arrive presque toujours dans les unions des princes, l'alliance des deux familles d'Angleterre et d'Espagne, ne devait être que l'appoint de plusieurs combinaisons politiques. D'abord, en donnant sa sœur à l'héritier protestant de la couronne d'Angleterre, le roi d'Espagne, fidèle à la politique traditionnelle de ses ancêtres, voulait obtenir pour la religion catholique, persécutée en Angleterre depuis Henri VIII, des garanties et une sorte d'émancipation, que les protestants anglais et écossais de toutes sectes n'auraient pas consenti à lui laisser accorder. Sur ce point, Philippe IV était soutenu et excité par tout son entourage. Son premier ministre lui-même, qui avait le mot de la cour de Rome, était bien décidé à ne rien céder sur une question aussi capitale. De son côté, l'ambassadeur d'Angleterre à Madrid, Digby, comte de Bristol, qui avait, dès 1617, entamé cette négociation, en même temps que la main de l'infante, voulait obtenir en faveur de l'électeur palatin, gendre du roi d'Angleterre, la restitution du Palatinat, occupé alors par les armées de la maison d'Autriche, alliée de l'Espagne. L'infante, objet du débat, n'était pas, à ce qu'il paraît, disposée à ce mariage: en bonne catholique, elle redoutait une alliance avec un protestant, et, comme descendante de Charles-Quint, elle préférait le trône de l'empire d'Allemagne à celui du royaume d'Angleterre. Aussi, a-t-on prétendu96 qu'elle avait fait connaître ses véritables sentiments au premier ministre de son frère, en l'invitant à user de tous les moyens en son pouvoir pour faire manquer ce mariage. Olivarès était déjà disposé, par des considérations personnelles, à amener cette rupture, s'il est vrai, comme on l'a écrit, qu'il ait eu à se plaindre de la conduite de sa femme avec le séduisant Buckingham. Quoi qu'il en soit, en attendant l'occasion d'une rupture que chacun désirait peut-être, mais n'osait pas brusquer, les fêtes, les spectacles, les courses de taureaux, les chasses au Pardo, les divertissements de tous genres se succédèrent à Madrid, pendant les cinq mois du séjour du prince Charles.
La cour d'Espagne était alors la plus brillante de l'Europe: les grands seigneurs castillans, comblés d'honneurs et de dignités, chargés de l'or du Mexique et du Pérou, enrichis des dépouilles du duché de Milan, des vice-royautés de Naples et de Sicile, vivaient dans un luxe et un éclat faits pour éblouir les autres nations. Depuis Charles-Quint, le goût des arts s'était répandu en Espagne, à la suite des guerres et des conquêtes de Milan et de Naples. La construction de l'Escurial par Philippe II avait attiré à Madrid un grand nombre d'artistes italiens, et il s'en fallait de beaucoup, à l'avénement de Philippe IV, que les travaux de cet immense monument, à la fois palais, couvent et sépulture des rois d'Espagne, fussent entièrement terminés. Le jeune roi, nous l'avons dit, aimait et cultivait la peinture; à son exemple, ou par inclination naturelle, bon nombre de seigneurs de la cour se livraient à l'exercice de cet art, et s'appliquaient à en réunir les œuvres les plus remarquables. Parmi les premiers, Pacheco cite97 avec le plus grand éloge: Don Geronimo de Ayança si connu, dit-il, pour son talent et ses excellentes qualités; don Geronimo Muñoz, digne des plus grandes louanges à cause de la place qu'il occupe dans la théorie et la pratique de cette profession; l'un chevalier d'Alcantara, l'autre de Santiago; don Juan de Fonseca i Figueroa, père du marquis de Orellana, professeur et chanoine de Séville, et depuis huissier du rideau de Philippe IV, lequel, avec son esprit pénétrant et une grande érudition, n'estime pas peu le noble exercice de la peinture. —
«J'ai connu dans notre heureuse patrie, ajoute Pacheco, un grand nombre de cavaliers et d'hommes haut placés, qui possédaient un talent remarquable pour le dessin, parmi lesquels on doit citer: don Francisco Duarte, qui fut président de la contractation98, et sa sœur doña Mariana, très-habile en l'art d'écrire, desquels j'ai vu de merveilleux dessins à la plume; Diego Vidal, et son cousin du même nom, tous les deux prébendiers (rationeros) de cette église (de Séville); don Estevan Hurtado de Mendoça, chevalier de Santiago, qui, dans sa jeunesse, donna des preuves de son rare talent pour cet art; le marquis del Aula; Juan de Xauregui, connu de tous, lequel a pris une place avantageuse et honorable parmi ceux qui professent la peinture, et dont l'esprit élevé doit faire, comme de raison, espérer d'illustres œuvres.»
Au premier rang des amateurs de son temps, Pacheco cite encore: «Notre duc de Alcala (don Fernando Enriquez de Ribera), vice-roi de Barcelone, qui a joint à l'exercice des lettres et des armes celui de la peinture99. Le nom de ce grand seigneur revient souvent sous sa plume, comme celui d'un véritable Mécènes. Il raconte que, dans son ambassade extraordinaire à Rome, où il fut envoyé en 1625, pour faire acte d'obédience, au nom de Philippe IV, au souverain pontife Urbain VIII, le duc s'était fait accompagner par un jeune peintre, Diego Romulo Cincinnato, né à Madrid, fils d'un autre Romulo, peintre du roi Philippe II, et qui était originaire de Florence100. Comme le roi d'Espagne n'avait pas de portrait du pape, Diego avait obtenu de faire celui d'Urbain VIII, et le pontife en avait été tellement satisfait, qu'il avait conféré à l'artiste l'ordre du Christ, de Portugal, et lui avait donné une chaîne d'or avec une médaille à son effigie. «Mais, dit Pacheco, que la gloire humaine est peu durable! À peine venait-il de recevoir cet honneur de la main du cardinal espagnol Trexo de Paniagua, commis par le pape à cet effet, que le jeune homme mourut le 14 décembre 1625, et fut enterré dans l'église de San-Lorenzo, de Rome, avec les insignes de chevalier de l'ordre du Christ101.»
Le duc d'Alcala, qui fut ensuite vice-roi de Naples, rapporta d'Italie un grand nombre de tableaux, et continua, lorsqu'il fut rentré en Espagne à protéger les artistes, ses compatriotes. Il avait formé à Séville une belle galerie et une riche collection de livres rares et curieux, et toute sa vie se partagea entre le maniement des plus grandes affaires et l'amour des lettres et des arts.
Le prince Francisco de Borja y Esquillache, qui cultivait la poésie avec succès, comme Xauregui, n'était pas moins amateur des œuvres de la peinture, dont il possédait de remarquables spécimens. Le duc d'Alba se faisait également remarquer par le même goût; il en était ainsi d'un grand nombre de nobles qui avaient rapporté ce goût d'Italie, et parmi lesquels on doit citer, d'après Pacheco102: don Francisco de Castro, ambassadeur d'Espagne, puis vice-roi de Sicile, qui offrit quatre mille ducats d'un tableau du Corrège au cardinal Sforza, sans pouvoir l'obtenir; le duc d'Ossuna, qui rapporta plus tard, en 1629, à Madrid, un grand tableau de Raphaël, peint sur bois, de la Sainte-Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste, que le duc de Florence lui avait offert lorsqu'il était vice-roi de Naples, et qui fut payé par don Gaspar de Monterey seize cents ducats; et le marquis de Leganes, vice-roi du duché de Milan.
Au milieu de tous ces grands seigneurs, le tout-puissant ministre de Philippe IV se faisait remarquer par son luxe, et par les encouragements qu'il accordait aux lettres et aux arts. Le vieux Lope de Vega, devenu son chapelain, vivait dans sa maison: sa bibliothèque était une des plus nombreuses et des plus curieuses de l'Espagne, et l'on y comptait beaucoup de manuscrits et de livres rares. À l'une des portes de Madrid, il avait fait bâtir le palais du Buen Retiro, qu'il offrit au roi peu de temps après son avénement. Il n'avait d'abord fait construire qu'une petite maison qu'il avait nommée Galinera, parce qu'il y avait mis des poules fort rares qu'on lui avait données. «Comme il allait les voir assez souvent, dit madame d'Aulnoy103, la situation de ce lieu, qui est sur le penchant d'une colline, et dont la vue est très-agréable, l'engagea d'entreprendre un bâtiment considérable. Quatre grands corps de logis et quatre gros pavillons font un carré parfait. On trouve au milieu un parterre rempli de fleurs, et une fontaine dont la statue, qui jette beaucoup d'eau, arrose, quand on veut, les fleurs et les contr'allées par lesquelles on passe d'un corps de logis à l'autre. Ce bâtiment a le défaut d'être trop bas. Ses appartements en sont vastes, magnifiques et embellis de bonnes peintures. Tout y brille d'or et de couleurs vives, dont les plafonds et les lambris sont ornés. Je remarquai dans une grande galerie l'entrée de la reine Élisabeth, mère de la feue reine. Elle est à cheval, vêtue de blanc, avec une fraise au cou et un garde-infant. Elle a un petit chapeau garni de pierreries avec des plumes et une aigrette. Elle était grasse, blanche et très-agréable; les yeux beaux, l'air doux et spirituel. La salle pour les comédies est d'un beau dessin, fort grande, tout ornée de sculpture et de dorure… le parc a plus d'une grande lieue de tour. Il y a des grottes, des cascades, des étangs, du couvert, et même quelque chose de champêtre en certains endroits, qui conserve la simplicité de la campagne et qui plaît infiniment.»