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Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers
Son mérite le fit bientôt distinguer; et, soit qu'on voulût utiliser les dons de son intelligence, soit que ses envieux désirassent l'éloigner pour avoir le champ libre, on lui offrit l'ambassade de Rome. C'était alors, comme aujourd'hui, un poste important, mais difficile, et que la rivalité de la France et de l'Espagne rendait encore plus délicat. Aussi, n'y envoyait-on que les hommes les plus capables et les plus prudents; et lorsqu'ils avaient acquis l'expérience des négociations avec la cour de Rome, il était rare qu'on ne les y laissât pas longtemps. Le jeune Gusman le savait bien: rempli d'ambition, ayant la conscience de sa valeur, et visant déjà, peut-être, à vivre dans la familiarité de l'héritier présomptif de la couronne, il refusa les hautes fonctions qui lui étaient offertes, bien qu'on lui eût promis qu'elles le mèneraient à la Grandesse. Mais il considérait cette ambassade, dit le marquis Malvezzi, comme un temps d'arrêt dans sa carrière49.
Son avenir prouva qu'il avait raison: la fortune se chargea de lui offrir bientôt une nouvelle occasion de se produire, plus en rapport avec son ambition, et qu'il se garda bien de rejeter.
Dès 1612, le prince des Asturies, fils et héritier présomptif de Philippe III, quoiqu'à peine âgé de sept ans50, avait été fiancé à la fille aînée de Henri IV, la princesse Élisabeth, que les Espagnols nommèrent Isabelle. En même temps, le mariage de Louis XIII avait été arrêté avec l'infante Anne d'Autriche, fille aînée de Philippe III. Il entrait alors dans la politique des deux cours de chercher à se rapprocher par des alliances: après les luttes si longues et si acharnées qui, depuis le règne de François Ier jusqu'à la fin de celui de Henri IV, c'est-à-dire pendant près d'un siècle, avaient ensanglanté presque toutes les parties de l'Europe, il était naturel que les deux principaux antagonistes cherchassent à se donner des gages de paix, par l'union de leurs puissantes races. Trois ans plus tard, en novembre 1615, les cours d'Espagne et de France résolurent d'échanger les deux jeunes princesses, livrées, pour ainsi dire, comme des otages de paix. Cet échange eut lieu le 9 novembre, au milieu de la Bidassoa. Pour recevoir la fille de Henri IV avec les honneurs dus à son rang, on avait donné au prince des Asturies une maison composée de l'élite de la noblesse espagnole. Olivarès en faisait partie, comme gentilhomme de la chambre; il avait alors vingt-huit ans. Marié dès 1607 avec Agnès de Zuniga y Velasco, il entrait dans la maison de l'héritier présomptif avec le double appui de son mérite personnel et l'influence de deux puissantes familles. La différence d'âge lui permettait d'ailleurs d'acquérir facilement sur le jeune prince un empire d'autant plus irrésistible, que don Philippe était naturellement apathique. Aussi, la pénétration d'Olivarès, son habileté à flatter les goûts de son maître, lui assurèrent bientôt sur la conduite du prince un ascendant qui ne se démentit pas pendant plus de vingt-cinq années.
Ce ne fut pas toutefois sans éprouver une vive résistance de la part de ses rivaux, qu'il acquit une telle prépondérance. La vengeance et l'assassinat étaient alors admis presque publiquement en Espagne; aussi, le comte fut-il plusieurs fois en butte à des attaques imprévues qui le mirent à deux doigts de sa perte.
Le marquis Malvezzi51 raconte que bien qu'Olivarès n'eût offensé personne, il courut deux fois le danger d'être tué. La première, par quatre assassins qui l'attendaient à sa rentrée chez lui; la seconde, par trois hommes qui suivirent son carrosse, dans lequel il se trouvait seul. «Mais, ajoute-t-il, il fut toujours heureusement préservé, sans qu'il s'aperçût du péril qu'il venait de courir.»
En supposant que les rivalités politiques et les rancunes de l'ambition déçue aient pu inspirer ces vengeances, il est également permis de croire que l'amour et la jalousie ne sont peut-être pas restés étrangers à ces criminelles tentatives. – Voiture pourrait bien donner le mot de cette énigme, lorsqu'il dit d'Olivarès52: «Étant jeune… il fut sans doute le plus galant de la cour, jusqu'à ce qu'il en fût le plus puissant.» On ne doit donc pas s'étonner de voir le plus galant cavalier espagnol, exposé aux vengeances de ses rivaux. Le dominicain Guidi nous expliquera plus tard quelles furent les conséquences de ces galanteries sur la carrière politique du comte-duc.
C'est sans doute à son désir de plaire aux belles de Madrid, qu'il faut rapporter ce que dit le comte de la Rocca, de sa passion pour les vers. «Elle lui dura longtemps; il en fit, dit notre auteur, et très-bien. Mais il eut honte après les avoir faits, les brûla, et condamnait, dans un âge plus avancé, les premières saillies d'un esprit faible et surpris. Il ne pouvait même souffrir qu'avec tant d'ambition il eût logé tant d'amour, et que la gloire eût succédé si tard à sa tendresse… D'autres n'en croient rien et logent ensemble ces deux passions, sur ce que l'une excite l'autre, si l'on se tempère, et s'il est vrai que l'amour délasse souvent un esprit tendu qui ne rumine que de grandes choses53.» Quoi qu'il en soit de cette théorie, Olivarès ne paraît l'avoir suivie que dans sa jeunesse; car l'ambition fut la seule passion dominante de sa vie. Exposé, dans la maison du prince des Asturies, à l'opposition de la princesse Isabelle, aux tiraillements des ministres et favoris du faible Philippe III, le duc de Lerme, le comte de Lemos et d'Uzède, qui se disputaient le pouvoir, le comte, assuré de son influence sur l'héritier présomptif, attendit patiemment la mort du roi. Elle arriva le 31 mai 1621, et, dès ce moment jusqu'en 1643, Olivarès fut le véritable souverain de l'Espagne.
CHAPITRE IV
Avènement de Philippe IV. – Son caractère, son amour des lettres et des arts. – Son talent et son goût pour la peinture, qu'il avait apprise de don Juan Bautista Mayno.
1621 – 1665Le jeune monarque, qui venait de succéder à son père, n'avait encore que seize ans; son favori en avait trente-quatre. Celui-ci arrivait au pouvoir, déjà rompu aux intrigues de la cour, et connaissant à fond le caractère et les inclinations du nouveau roi. S'il est vrai de dire que la paresse de ce prince, son apathie, son éloignement des affaires, habilement entretenus à dessein, exercèrent la plus fâcheuse influence sur le gouvernement de l'Espagne, il est encore plus juste de reconnaître, qu'il ne manquait d'aucune des qualités essentielles qui rendent ordinairement un souverain remarquable. Philippe IV était brave, judicieux, prudent, persévérant dans ses entreprises, modéré en toutes choses et nullement cruel. Son flegme et son impassibilité apparente n'étaient qu'un masque, dont il couvrait son visage et sa personne en public, pour ne pas déroger à la dignité, à la majesté royale. Mais, rentré dans ses appartements particuliers, la gravité du descendant de Philippe II faisait place à l'enjouement d'un homme d'esprit qui aimait les arts avec passion, composait des pièces de théâtre, et jouait lui-même des comédies dans lesquelles il ne craignait pas de donner la réplique au grand Calderon. Si ce prince eût appliqué aux affaires publiques les ressources de son intelligence, il aurait certainement occupé dans l'histoire une autre place que celle où il s'est laissé reléguer. Mais sans prétendre excuser son indifférence, l'explication de sa conduite se trouve naturellement dans l'âge auquel il parvint à la couronne. Comment un jeune homme de seize ans, tenu éloigné des choses sérieuses pendant toute la durée du règne de son père, aurait-il pu entreprendre de diriger la politique et le gouvernement de l'Espagne? Cette monarchie avait alors des possessions dans toutes les parties du monde; en Europe, elle voulait se soutenir ou dominer à la fois en Portugal, dans le Milanais, à Naples, en Sicile, en Sardaigne, dans les Pays-Bas et les Flandres, en Artois, dans la Franche-Comté, une partie de l'Alsace et du Luxembourg, et, avec l'Empire, dans toute l'Allemagne. Le vaste génie, l'activité dévorante de Charles-Quint, la sombre politique, le travail incessant de Philippe II avaient succombé sous cet écrasant fardeau. Leur petit-fils n'essaya pas même de le soulever; il en laissa le poids à Olivarès, et lorsqu'une fois l'habitude eut été prise d'abandonner entièrement au ministre la direction suprême de toutes les affaires, Philippe IV, satisfait de se livrer entièrement à son goût pour les arts, les lettres et les divertissements, ne se réveilla de ce long sommeil qu'au bout de vingt-deux années.
Pour assurer la durée de son pouvoir, le ministre n'eut qu'à flatter les goûts de son jeune maître, et à lui procurer sans cesse des distractions nouvelles. Parmi celles qui charmaient le mieux le roi, les arts tenaient la première place. Ce prince aimait la peinture avec passion. Selon la coutume établie depuis Charles-Quint, il avait eu pour maître de dessin un artiste distingué, le frère Jean-Baptiste Mayno, religieux dominicain, l'un des meilleurs élèves du Greco, peintre, sculpteur et architecte, lequel, suivant Palomino54, était lui-même élève du Titien.
Le Mayno travailla surtout au couvent de Saint-Pierre martyr à Tolède; il fut également employé à Madrid, et le comte-duc lui fit faire, pour un des salons du Buen Retiro, son principal tableau, la Conquête d'une province de Flandres, maintenant au musée royal de Madrid55. Le frère tira si bien parti des dispositions naturelles de son royal élève, qu'il en fit un amateur des plus distingués, et aussi fort que beaucoup d'artistes. Mais les dessins et les tableaux de Philippe IV n'ont pas été aussi respectés que sa tragédie du comte d'Essex, et que ses comédies56, qui ont été imprimées, et sont restées au répertoire du théâtre espagnol. Les guerres qui ont désolé la Péninsule, tant avant l'avénement de Philippe V, que pendant le premier empire, ont détruit ou dispersé les œuvres dues au crayon et au pinceau du troisième descendant de Charles-Quint. Le mérite de ces ouvrages est attesté par des artistes et des connaisseurs. «Butron57, dit M. William Stirling, dans son livre sur Velasquez et ses ouvrages58, qui publia ses discours apologétiques sur la peinture en 1626, rend témoignage du mérite des nombreux tableaux et dessins du jeune roi. Un de ces derniers, à la plume, esquisse d'un Saint Jean-Baptiste avec l'agneau, ayant été envoyé à Séville, en 1619, par Olivarès, tomba entre les mains du peintre Pacheco, et devint le sujet d'un poëme élogieux, par Jean de Espinosa, qui prédisait, dans le règne du peintre royal, un nouvel âge d'or:
Para animar la lassitud de Hesperia.Carducho mentionne comme une production remarquable du pinceau royal, une Vierge peinte à l'huile, qui était exposée de son temps dans le salon des joyaux du palais de Madrid, et Palomino note deux tableaux portant la signature de Philippe IV, et placés par Charles II à l'Escurial; probablement les deux petits saints Jean vus par Ponz dans un oratoire, près la chambre du prieur. Un paysage avec ruines, esquissé dans un style franc et spirituel, fut la dernière relique du talent de Philippe IV qui frappa l'œil scrutateur de Cean Bermudez.»
On le voit, le royal élève du Mayno faisait honneur à son maître; heureux si son goût pour le dessin et la peinture ne l'avait pas détourné du gouvernement de son vaste empire. Olivarès, qui connaissait depuis l'enfance du prince des Asturies son inclination à vivre en homme privé plutôt qu'en roi, et à passer ses journées entières à dessiner et à peindre, n'eut garde, pour consolider sa propre prépondérance, de combattre cette disposition. Dès que le prince fut monté sur le trône, le favori s'empressa d'attirer à Madrid les artistes de quelque renom, soit espagnols, soit étrangers, afin de pouvoir procurer à son jeune maître, en lui montrant leurs œuvres, la distraction qu'il préférait à toute autre. Si le ministre fut souvent malheureux dans le choix des vice-rois, des gouverneurs de provinces et des commandants d'armées, le sort lui réserva, comme compensation, l'heureuse chance de trouver un peintre, dont le génie, en illustrant l'école espagnole, devait, pendant plus de trente années, charmer le roi et sa cour.
CHAPITRE V
Les arts à Madrid sous Philippe IV. – Éclat des écoles de Tolède, Valence et Séville. – Vincencio Carducho, Eugenio Caxes et Angelo Nardi, peintres ordinaires du roi.
1621 – 1665Madrid, érigée par Charles-Quint en capitale des Espagnes, n'était pas encore, à l'avénement de Philippe IV, la métropole de l'art dans ce pays. Tolède, Valence, et surtout Séville, avaient conservé leurs anciennes écoles de peinture, et les artistes, nés ou élevés dans ces villes ou aux environs, se faisaient comme un devoir et un honneur d'y continuer les traditions qu'ils avaient reçues de leurs maîtres. De son côté, le clergé, tant séculier que régulier de ces grandes cités, siéges d'archevêchés, de couvents nombreux et d'autres établissements religieux aussi riches que puissants, cherchait à y retenir les peintres, les sculpteurs et les architectes. Il s'était établi entre les corporations religieuses des principales églises et des couvents comme une pieuse rivalité: c'était à qui, de Séville ou de Tolède, aurait la plus magnifique cathédrale; les Dominicains de Tolède opposaient aux Chartreux de Séville les peintures du Greco, tandis que ceux-ci se vantaient de posséder les plus belles œuvres du Becerra, de Pablo de Cespedès, de Luis de Vargas. Valence n'était pas moins fière de son Juanès, auquel elle avait décerné le nom de Divin59. La translation de la cour et son établissement permanent à Madrid avaient bien fait construire, dans cette ville et aux environs, des palais et des églises; mais il est à remarquer que ce furent des artistes étrangers, italiens pour la plupart, qui dirigèrent ces travaux, et en décorèrent l'intérieur de fresques, de tableaux et de sculptures. C'est ainsi que Titien envoya de Venise à Philippe II d'immenses toiles, destinées à garnir les murs du réfectoire et des autres salles de l'Escurial; c'est ainsi que, dans le même couvent, l'Italien Crescenzi fut l'architecte du Panthéon, ou nécropole des rois d'Espagne, et que plus tard, le Napolitain Luca Giordano vint décorer les voûtes de l'église vieille de ses fresques immenses, mais sans caractère religieux.
À l'avénement du jeune Philippe IV, les plus célèbres parmi les peintres qui vivaient ordinairement à Madrid, étaient, avec Mayno: Vicencio Carducho, Eugenio Caxes et Angelo Nardi. Ces trois artistes, peintres ordinaires du roi, étaient Italiens soit de naissance, soit d'origine.
Vicencio Carducho, que Palomino qualifie de gentilhombre Florentino, est le plus connu d'entre eux, non parce qu'il fut le plus habile, mais parce qu'il a composé un traité, sous forme de dialogue entre le maître et ses élèves, De l'excellence de la peinture et du dessin, qu'il publia, in-folio, à Madrid en 1633. Cet ouvrage, écrit en espagnol, donne une opinion favorable de son esprit et de son instruction: il est précieux par les renseignements qu'on y trouve sur les œuvres de beaucoup d'artistes espagnols contemporains. Considéré comme peintre, Vicencio Carducho était élève de son frère Barthélémy. «Dans le temps de l'immense construction de l'Escurial, dit Baldinucci60, on fit, par ordre de Philippe II, les plus beaux ornements de peinture et de sculpture que l'on connaisse, et l'on appela, pour les exécuter, un grand nombre d'excellents maîtres dans l'un et l'autre de ces arts. Parmi ceux-ci, on cite Federigo Zuccheri; indépendamment des autres jeunes gens qui l'avaient aidé à peindre la grande coupole de Florence, il emmena avec lui (en Espagne) Bartolommeo Carducci, encore jeune, mais déjà vieux pour l'art. Sous l'Ammanato, à Florence, il avait étudié la sculpture et l'architecture, et avec Zuccheri, il avait appris à peindre à fresque. Arrivé à Madrid, et voyant les grandes occasions qu'on y rencontrait pour travailler, il fit venir de Florence son frère Vincenzio, fort jeune encore, auquel il enseigna son art, et, en peu de temps, il en fit un peintre tellement distingué, que sous les règnes de Philippe III et Philippe IV, il obtint des commandes très-importantes pour embellir les palais royaux. Vincenzio donne lui-même dans son livre61 la description des peintures, tant à fresque qu'à l'huile, qu'il exécuta au palais du Pardo, et dans les galeries, chapelles, salles et autres lieux du palais de Madrid. Le musée royal d'Espagne a hérité en partie de ses œuvres: bien qu'elles ne manquent pas de mérite, elles n'indiquent cependant qu'un talent de second ordre. Il était meilleur dessinateur que coloriste, et conserva toute sa vie la plus profonde admiration pour le grand62 Michel-Ange, qu'il s'efforçait de prendre pour modèle.
Eugenio Caxes, bien que né à Madrid, était également Florentin d'origine. Son père, Patricio Cacci, était venu en Espagne appelé par Philippe II, au service duquel il entra comme peintre et architecte. Il traduisit en espagnol le traité d'architecture de Vignola, et peignit à fresque, au Pardo, la galerie de la reine, où il exécuta l'histoire de Joseph. Mais, lors de l'incendie de ce palais, sous Philippe III, en 1604, ces ouvrages furent presque entièrement détruits63. Son fils, Eugenio, paraît avoir cultivé seulement la peinture: il jouissait de son temps d'une grande réputation, et Palomino vante, comme l'honneur de l'art espagnol, pouvant rivaliser avec ce que les Italiens ont produit de meilleur, les compositions que Caxes avait peintes dans l'église de Saint-Bernard à Madrid64. Telle était sa réputation, que le comte-duc lui commanda de retracer sur la toile «le débarquement hostile des Anglais sous Cadix en 1625, et leur défaite par Diego Ruiz,» le seul tableau d'Eugenio qui soit au real museo65.
Italien comme les précédents, Angelo Nardi était, dit-on, élève de Paul Véronèse. Ses compositions à Madrid et à Alcala de Henarès, firent l'admiration de son siècle. Palomino66 indique les églises, les chapelles et les couvents dans lesquels cet artiste avait travaillé. On doit supposer qu'il peignit beaucoup à fresque, puisqu'aucun de ses ouvrages ne figure sur le catalogue du real museo de Madrid.
Si le Valencien Giuseppe Ribera eût vécu à la cour d'Espagne, il eût sans doute effacé et fait oublier ces artistes: mais bien qu'on le considère, par sa naissance et par son style, comme un peintre espagnol, on sait qu'il passa presque toute sa vie à Rome, et surtout à Naples; il ne contribua donc que de loin à rehausser l'éclat des arts sous le règne de Philippe IV.
La fortune réservait à ce prince la satisfaction qu'il souhaitait le plus ardemment: Elle lui donna dans Velasquez un peintre comparable aux plus grands artistes de l'Italie, avec une originalité, une perfection de style tout espagnole.
CHAPITRE VI
Naissance de Velasquez. – Il entre dans l'atelier de Francisco Pacheco. – Science profonde de cet artiste. – Analyse de son livre sur l'art de la peinture.
1599 – 1650Don Diego Velasquez de Silva, ou, comme l'appelle Francisco Pacheco67, son beau-père, Diego de Silva Velasquez, naquit à Séville en 1599. Ses ancêtres paternels, d'origine portugaise, descendaient d'une famille noble et très-ancienne; mais ils avaient, à ce qu'il paraît, perdu leur fortune, et s'étaient réfugiés à Séville, où le père de Velasquez se maria. Cette grande cité était alors l'entrepôt d'un commerce immense avec l'Amérique et les Indes, et l'opulence de ses habitants y avait introduit le goût des arts. Aussi, depuis plus d'un siècle, l'école de peinture de Séville se vantait d'être la première des Espagnes. Soit que le jeune Diego eût montré, dès son enfance, des dispositions extraordinaires pour le dessin, soit qu'il y eût été poussé par la seule volonté de son père, toujours est-il qu'il était entré de bonne heure dans l'école de Francisco Pacheco, peintre qui jouissait alors à Séville d'une grande considération68. Cet artiste n'avait pas seulement appris à manier le pinceau, mais il avait reçu en même temps, dans sa patrie, une très-forte éducation classique, dont il avait beaucoup profité. Son oncle, chanoine de la cathédrale de Séville, était un des lettrés qui se chargeaient volontiers de composer, en vers latins, des inscriptions ou des éloges, à l'occasion des ouvrages d'art exécutés à Séville. Pacheco rapporte69 ceux que le savant chanoine avait faits, pour être placés au-dessous d'un tableau de saint Christophe peint par Mateo Perez de Alecio, et qui se trouvait dans la cathédrale. Cet oncle, en destinant Pacheco à la peinture, voulut qu'il allât l'étudier en Italie: on ignore le temps qu'il y passa; Palomino70 dit seulement qu'il y séjourna plusieurs années, et qu'il étudia beaucoup les œuvres de Raphaël. Mais, d'après son livre sur la peinture et d'après ses propres œuvres, nous croyons que Pacheco dut préférer Michel-Ange au Sanzio; car il revient souvent, dans son traité71 sur les œuvres du grand Florentin, qu'il appelle: el divino, clarissima luz de la pintura y escultura; revenu en Espagne, Pacheco rentra dans sa ville natale, où il peignit, en concurrence avec Alonzo Vasquez les six tableaux du cloître de la Merced Calzada72. Mais comme c'était un peintre, muy especulativo, suivant l'expression de Palomino, qui réfléchissait beaucoup sur son art et le tenait en grand honneur, il en négligea peu à peu la pratique pour la théorie; soit qu'il ne fût pas satisfait de ses tableaux, dont le dessin était pur et remarquable, mais dont le coloris paraissait sec et froid; soit au contraire que se considérant, d'après les succès de Velasquez son élève, comme un des premiers maîtres de son temps, il ait voulu laisser aux artistes ses compatriotes un écrit contenant ses préceptes et ses leçons.
Le traité sur l'art de la peinture, qu'il publia en 1649 à Séville, peu connu de ce côté des Pyrénées, mérite de fixer l'attention des amateurs et des artistes: c'est pourquoi nous allons en donner une rapide analyse.
Comme il le dit lui-même dans le titre de son ouvrage, Pacheco s'est proposé, en le composant, d'écrire des notices sur les hommes éminents, tant anciens que modernes, qui ont exercé l'art de la peinture; de traiter du dessin et du coloris; de la manière de peindre à la détrempe et à l'huile; de l'enluminure; de la peinture des étoffes, de celle à fresque; des chairs, du vernis, de la dorure, du bruni et du mat; enfin, d'enseigner la manière de composer toutes les peintures sacrées.
Pour remplir ce vaste cadre, l'ouvrage est divisé en trois livres qui contiennent chacun douze chapitres, et sont suivis d'un appendice sur l'exécution des tableaux tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament et de la Vie des saints.
Le premier livre, qui traite de l'antiquité et de la grandeur de la peinture, nous paraît le plus intéressant. Après avoir remonté à l'origine de cet art, qu'il raconte à sa manière, et après avoir reproduit le débat, tant de fois agité en Italie, de la supériorité de la peinture sur la sculpture, Pacheco arrive, dans le chapitre VI, à rappeler les faveurs que les plus fameux peintres ont reçues des princes et des maîtres de ce monde. Son sujet le conduit à décrire, dans le chapitre VII, les honneurs funèbres rendus, à Florence, aux restes mortels de Michel-Ange, dont Pacheco vante avec raison le génie extraordinaire. On sait que ce service fut célébré dans l'église de San Lorenzo, en présence du grand-duc Cosme II, par l'Académie du dessin, sous la direction de quatre de ses membres, Angelo Bronzino et Georges Vasari, peintres, et Benvenuto Cellini et Bartolomeo Ammanato, sculpteurs. Dans le chapitre VIII, Pacheco donne des notices sur les peintres célèbres de son temps, que les rois et les princes traitèrent, à cause de leur art, avec une faveur toute particulière. C'est dans ce chapitre, qu'après avoir parlé de Diego Romulo Cincinnato, artiste fort oublié maintenant, et de Pierre-Paul Rubens, Pacheco a écrit une biographie de son élève et gendre Velasquez. Elle est malheureusement trop abrégée, et ne s'étend pas au delà de 1638. Les renseignements qu'on y trouve, les seuls véritablement authentiques, font vivement regretter que Pacheco n'ait pas donné plus d'étendue à la vie du premier peintre de Philippe IV. Mais il paraît avoir voulu se borner à revendiquer la part du maître dans les éclatants succès de l'élève; car après avoir réclamé pour lui seul, ainsi que nous l'avons rapporté, la gloire d'avoir formé un tel disciple, il ajoute, avec un orgueil que sa bonhomie fait excuser: «Je ne crois pas me faire tort en faisant honneur au maître de l'élève, n'ayant dit que la vérité. Léonard de Vinci ne perdit rien à avoir Raphaël pour disciple, non plus que Georges de Castelfranco (le Giorgione) pour avoir eu le Titien; et Platon, maître d'Aristote, n'en conserva pas moins le nom de divin. J'écris cela, non pas tant pour vanter celui qui en est l'objet (dont je parlerai ailleurs), que pour montrer la noblesse de l'art de la peinture, et surtout par reconnaissance et respect envers Sa Majesté notre grand monarque Philippe IV, auquel le ciel accorde longues années, puisque, de sa main généreuse, il a reçu et reçoit encore tant de faveurs73.» Malgré la promesse qu'il avait ainsi faite de s'occuper ailleurs de Velasquez, aucune autre notice que celle renfermée dans le chapitre VII de l'Arte de la Pintura, ne nous est parvenue de la composition de Pacheco.