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La Comédie humaine, Volume 4
La Comédie humaine, Volume 4

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La Comédie humaine, Volume 4

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Madame Schontz obtint alors un bel appartement, rue Neuve-Saint-Georges. Arthur, ne pouvant plus dissimuler sa fortune à madame Schontz, lui donna des meubles splendides, une argenterie complète, douze cents francs par mois, une petite voiture basse à un cheval, mais à location, et il accorda le tigre assez gracieusement. La Schontz ne sut aucun gré de cette munificence, elle découvrit les motifs de la conduite de son Arthur et y reconnut des calculs de rat. Excédé de la vie de restaurant où la chère est la plupart du temps exécrable, où le moindre dîner de gourmet coûte soixante francs pour un, et deux cents francs quand on invite trois amis, Rochefide offrit à madame Schontz quarante francs par jour pour son dîner et celui d'un ami, tout compris. Aurélie accepta. Après avoir fait accepter toutes ses lettres de change de morale, tirées à un an sur les habitudes de monsieur de Rochefide, elle fut alors écoutée avec faveur quand elle réclama cinq cents francs de plus par mois pour sa toilette, afin de ne pas couvrir de honte son gros papa dont les amis appartenaient tous au Jockey-club. « – Ce serait du joli, dit-elle, si Rostignac, Maxime de Trailles, d'Esgrignon, La Roche-Hugon, Ronquerolles, Laginski, Lenoncourt, et autres, vous trouvaient avec une madame Everard! D'ailleurs, ayez confiance en moi, mon gros père, vous y gagnerez!» En effet, Aurélie s'arrangea pour déployer de nouvelles vertus dans cette nouvelle phase. Elle se dessina dans un rôle de ménagère dont elle tira le plus grand parti. Elle nouait, disait-elle, les deux bouts du mois sans dettes avec deux mille cinq cents francs, ce qui ne s'était jamais vu dans le faubourg Saint-Germain du treizième arrondissement, et elle servait des dîners infiniment supérieurs à ceux de Rothschild, on y buvait des vins exquis à dix et douze francs la bouteille. Aussi, Rochefide émerveillé, très heureux de pouvoir inviter souvent ses amis chez sa maîtresse en y trouvant de l'économie, disait-il en la serrant par la taille: « – Voilà un trésor!..» Bientôt il loua pour elle un tiers de loge aux Italiens, puis il finit par la mener aux premières représentations. Il commençait à consulter son Aurélie en reconnaissant l'excellence de ses conseils, elle lui laissait prendre les mots spirituels qu'elle disait à tout propos et qui, n'étant pas connus, relevèrent sa réputation d'homme amusant. Enfin il acquit la certitude d'être aimé véritablement et pour lui-même. Aurélie refusa de faire le bonheur d'un prince russe à raison de cinq mille francs par mois. « – Vous êtes heureux, mon cher marquis, s'écria le vieux prince Galathionne en finissant au club une partie de whist. Hier, quand vous nous avez laissés seuls, madame Schontz et moi, j'ai voulu vous la souffler; mais elle m'a dit: «Mon prince, vous n'êtes pas plus beau, mais vous êtes plus âgé que Rochefide; vous me battriez, et il est comme un père pour moi, trouvez-moi là le quart d'une bonne raison pour changer?.. Je n'ai pas pour Arthur la passion folle que j'ai eue pour des petits drôles à bottes vernies, et de qui je payais les dettes; mais je l'aime comme une femme aime son mari quand elle est honnête femme. Et elle m'a mis à la porte.» Ce discours, qui ne sentait pas la charge, eut pour effet de prodigieusement aider à l'état d'abandon et de dégradation qui déshonorait l'hôtel de Rochefide. Bientôt, Arthur transporta sa vie et ses plaisirs chez madame Schontz, et il s'en trouva bien; car, au bout de trois ans, il eut quatre cent mille francs à placer.

La troisième phase commença. Madame Schontz devint la plus tendre des mères pour le fils d'Arthur, elle allait le chercher à son collége et l'y ramenait elle-même; elle accabla de cadeaux, de friandises, d'argent cet enfant qui l'appelait sa petite maman, et de qui elle fut adorée. Elle entra dans le maniement de la fortune de son Arthur, elle lui fit acheter des rentes en baisse avant le fameux traité de Londres qui renversa le ministère du 1er mars. Arthur gagna deux cent mille francs, et Aurélie ne demanda pas une obole. En gentilhomme qu'il était, Rochefide plaça ses six cent mille francs en actions de la Banque, et il en mit la moitié au nom de mademoiselle Joséphine Schiltz. Un petit hôtel, loué rue de la Bruyère, fut remis à Grindot, le célèbre architecte, avec ordre d'en faire une voluptueuse bonbonnière. Rochefide ne compta plus dès lors avec madame Schontz, qui recevait les revenus, et payait les mémoires. Devenue sa femme… de confiance, elle justifia ce titre en rendant son gros papa plus heureux que jamais; elle en avait reconnu les caprices, elle les satisfaisait comme madame de Pompadour caressait les fantaisies de Louis XV. Elle fut enfin maîtresse en titre, maîtresse absolue. Aussi se permit-elle alors de protéger de petits jeunes gens ravissants, des artistes, des gens de lettres nouveau-nés à la gloire qui niaient les anciens et les modernes et tâchaient de se faire une grande réputation en faisant peu de chose. La conduite de madame Schontz, chef-d'œuvre de tactique, doit vous en révéler toute la supériorité. D'abord, dix à douze jeunes gens amusaient Arthur, lui fournissaient des traits d'esprit, des jugements fins sur toutes choses, et ne mettaient pas en question la fidélité de la maîtresse de la maison; puis ils la tenaient pour une femme éminemment spirituelle. Aussi ces annonces vivantes, ces articles ambulants firent-ils passer madame Schontz pour la femme la plus agréable que l'on connût sur la lisière qui sépare le treizième arrondissement des douze autres. Ses rivales, Suzanne Gaillard qui, depuis 1838, avait sur elle l'avantage d'être devenue femme mariée en légitime mariage, pléonasme nécessaire pour expliquer un mariage solide, Fanny-Beaupré, Mariette, Antonia répandaient des calomnies plus que drolatiques sur la beauté de ces jeunes gens et sur la complaisance avec laquelle monsieur de Rochefide les accueillait. Madame Schontz, qui distançait de trois blagues, disait-elle, tout l'esprit de ces dames, un jour à un souper donné par Nathan chez Florine, après un bal de l'Opéra, leur dit, après leur avoir expliqué sa fortune et son succès, un « – Faites-en autant?..» dont on a gardé la mémoire. Madame Schontz fit vendre les chevaux de course pendant cette période, en se livrant à des considérations qu'elle devait sans doute à l'esprit critique de Claude Vignon, un de ses habitués. « – Je concevrais, dit-elle un soir après avoir longtemps cravaché les chevaux de ses plaisanteries, que les princes et les gens riches prissent à cœur l'hippiatrique; mais pour faire le bien du pays, et non pour les satisfactions puériles d'un amour-propre de joueur. Si vous aviez des haras dans vos terres, si vous y éleviez des mille à douze cents chevaux, si chacun faisait courir les meilleurs élèves de son haras, si tous les haras de France et de Navarre concouraient à chaque solennité, ce serait grand et beau; mais vous achetez des sujets comme des directeurs de spectacle font la traite des artistes, vous ravalez une institution jusqu'à n'être plus qu'un jeu, vous avez la Bourse des jambes comme vous avez la Bourse des rentes!.. C'est indigne. Dépenseriez-vous par hasard soixante mille francs pour lire dans les journaux: «Lélia, à monsieur de Rochefide, a battu d'une longueur Fleur-de-Genêt, à monsieur le duc de Rhétoré»?.. Il vaudrait mieux alors donner cet argent à des poëtes, ils vous feraient aller en vers ou en prose à l'immortalité, comme feu Monthyon!» A force d'être taonné, le marquis reconnut le creux du turf, il réalisa cette économie de soixante mille francs, et l'année suivante madame Schontz lui dit: « – Je ne te coûte plus rien, Arthur!» Beaucoup de gens riches envièrent alors madame Schontz au marquis et tâchèrent de la lui enlever; mais, comme le prince russe, ils y perdirent leur vieillesse. « – Écoute, mon cher, avait-elle dit quinze jours auparavant à Finot devenu fort riche, je suis sûre que Rochefide me pardonnerait une petite passion si je devenais folle de quelqu'un, et l'on ne quitte jamais un marquis de cette bonne-enfance-là pour un parvenu comme toi. Tu ne me maintiendrais pas dans la position où m'a mise Arthur, il a fait de moi une demi-femme comme il faut, et toi tu ne pourrais jamais y parvenir, même en m'épousant.» Ceci fut le dernier clou rivé qui compléta le ferrement de cet heureux forçat. Le propos parvint aux oreilles absentes pour lesquelles il fut tenu.

La quatrième phase était donc commencée, celle de l'accoutumance, la dernière victoire de ces plans de campagne, et qui fait dire d'un homme par ces sortes de femmes: «Je le tiens!» Rochefide, qui venait d'acheter le petit hôtel au nom de mademoiselle Joséphine Schiltz, une bagatelle de quatre-vingt mille francs, en était arrivé, lors des projets formés par la duchesse, à tirer vanité de sa maîtresse qu'il nommait Ninon II, en en célébrant ainsi la probité rigoureuse, les excellentes manières, l'instruction et l'esprit. Il avait résumé ses défauts et ses qualités, ses goûts, ses plaisirs par madame Schontz, et il se trouvait à ce passage de la vie où, soit lassitude, soit indifférence, soit philosophie, un homme ne change plus, et s'en tient ou à sa femme ou à sa maîtresse.

On comprendra toute la valeur acquise en cinq ans par madame Schontz, en apprenant qu'il fallait être proposé longtemps à l'avance pour être présenté chez elle. Elle avait refusé de recevoir des gens riches ennuyeux, des gens tarés; elle ne se départait de ses rigueurs qu'en faveur des grands noms de l'aristocratie. « – Ceux-là, disait-elle, ont le droit d'être bêtes, parce qu'ils le sont comme il faut!» Elle possédait ostensiblement les trois cent mille francs que Rochefide lui avait donnés et qu'un bon enfant d'agent de change, Gobenheim, le seul qui fût admis chez elle, lui faisait valoir; mais elle manœuvrait à elle seule une petite fortune secrète de deux cent mille francs composée de ses bénéfices économisés depuis trois ans et de ceux produits par le mouvement perpétuel des trois cent mille francs, car elle n'accusait jamais que les trois cent mille francs connus. « – Plus vous gagnez, moins vous vous enrichissez, lui dit un jour Gobenheim. – L'eau est si chère, répondit-elle. – Celle des diamants? reprit Gobenheim. – Non, celle du fleuve de la vie.» Le trésor inconnu se grossissait de bijoux, de diamants, qu'Aurélie portait pendant un mois et qu'elle vendait après, de sommes données pour payer des fantaisies passées. Quand on la disait riche, madame Schontz répondait, qu'au taux des rentes, trois cent mille francs donnaient douze mille francs et qu'elle les avait dépensés dans les temps les plus rigoureux de sa vie, alors qu'elle aimait Lousteau.

Cette conduite annonçait un plan, et madame Schontz avait en effet un plan, croyez-le bien. Jalouse depuis deux ans de madame du Bruel, elle était mordue au cœur par l'ambition d'être mariée à la Mairie et à l'Église. Toutes les positions sociales ont leur fruit défendu, une petite chose grandie par le désir au point d'être aussi pesante que le monde. Cette ambition se doublait nécessairement de l'ambition d'un second Arthur qu'aucun espionnage ne pouvait découvrir. Bixiou voulut voir le préféré dans le peintre Léon de Lora, le peintre le voyait dans Bixiou qui dépassait la quarantaine et qui devait penser à se faire un sort. Les soupçons se portaient aussi sur Victor de Vernisset, un jeune poëte de l'école de Canalis, dont la passion pour madame Schontz allait jusqu'au délire; et le poëte accusait Stidmann, un jeune sculpteur, d'être son rival heureux. Cet artiste, un très joli garçon, travaillait pour les orfévres, pour les marchands de bronze, pour les bijoutiers, il espérait recommencer Benvenuto Cellini. Claude Vignon, le jeune comte de la Palférine, Gobenheim, Vermanton, philosophe cynique, autres habitués de ce salon amusant, furent tour à tour mis en suspicion et reconnus innocents. Personne n'était à la hauteur de madame Schontz, pas même Rochefide qui lui croyait un faible pour le jeune et spirituel La Palférine; elle était vertueuse par calcul et ne pensait qu'à faire un bon mariage.

On ne voyait chez madame Schontz qu'un seul homme à réputation macairienne, Couture qui plus d'une fois avait fait hurler les Boursiers; mais Couture était un des premiers amis de madame Schontz, elle seule lui restait fidèle. La fausse alerte de 1840 rafla les derniers capitaux de ce spéculateur qui crut à l'habileté du 1er mars; Aurélie, le voyant en mauvaise veine, fit jouer, comme on l'a vu, Rochefide en sens contraire. Ce fut elle qui nomma le dernier malheur de cet inventeur des primes et des commandites, une découture. Heureux de trouver son couvert mis chez Aurélie, Couture à qui Finot, l'homme habile, ou si l'on veut heureux entre tous les parvenus, donnait de temps en temps quelques billets de mille francs, était seul assez calculateur pour offrir son nom à madame Schontz qui l'étudiait, pour savoir si le hardi spéculateur aurait la puissance de se frayer un chemin en politique, et assez de reconnaissance pour ne pas abandonner sa femme. Couture, homme d'environ quarante-trois ans, très usé, ne rachetait pas la mauvaise sonorité de son nom par la naissance, il parlait peu des auteurs de ses jours. Madame Schontz gémissait de la rareté des gens capables, lorsque Couture lui présenta lui-même un provincial qui se trouva garni des deux anses par lesquelles les femmes prennent ces sortes de cruches quand elles veulent les garder.

Esquisser ce personnage, ce sera peindre une certaine portion de la jeunesse actuelle. Ici la digression sera de l'histoire.

En 1838, Fabien du Ronceret, fils d'un président de chambre à la cour royale de Caen mort depuis un an, quitta la ville d'Alençon en donnant sa démission de juge, siége où son père l'avait obligé de perdre son temps, disait-il, et vint à Paris dans l'intention de faire son chemin en faisant du tapage, idée normande difficile à réaliser, car il pouvait à peine compter huit mille francs de rentes, sa mère vivant encore et occupant comme usufruitière un très important immeuble au milieu d'Alençon. Ce garçon avait déjà, dans plusieurs voyages à Paris, essayé sa corde comme un saltimbanque, et reconnu le grand vice du replâtrage social de 1830; aussi comptait-il l'exploiter à son profit, en suivant l'exemple des finauds de la bourgeoisie. Ceci demande un rapide coup d'œil sur un des effets du nouvel ordre de choses.

L'égalité moderne, développée de nos jours outre mesure, a nécessairement développé dans la vie privée sur une ligne parallèle à la vie politique, l'orgueil, l'amour-propre, la vanité, les trois grandes divisions du Moi social. Les sots veulent passer pour gens d'esprit, les gens d'esprit veulent être des gens de talent, les gens de talent veulent être traités de gens de génie; quant aux gens de génie, ils sont plus raisonnables, ils consentent à n'être que des demi-dieux. Cette pente de l'esprit public actuel, qui rend à la Chambre le manufacturier jaloux de l'homme d'État et l'administrateur jaloux du poëte, pousse les sots à dénigrer les gens d'esprit, les gens d'esprit à dénigrer les gens de talent, les gens de talent à dénigrer ceux d'entre eux qui les dépassent de quelques pouces, et les demi-dieux à menacer les institutions, le trône, enfin tout ce qui ne les adore pas sans condition. Dès qu'une nation a très impolitiquement abattu les supériorités sociales reconnues, elle ouvre des écluses par où se précipite un torrent d'ambitions secondaires dont la moindre veut encore primer; elle avait dans son aristocratie un mal, au dire des démocrates, mais un mal défini, circonscrit; elle l'échange contre dix aristocraties contendantes et armées, la pire des situations. En proclamant l'égalité de tous, on a promulgué la déclaration des droits de l'Envie. Nous jouissons aujourd'hui des saturnales de la Révolution transportées dans le domaine, paisible en apparence, de l'esprit, de l'industrie et de la politique; aussi, semble-t-il aujourd'hui que les réputations dues au travail, aux services rendus, au talent, soient des priviléges accordés aux dépens de la masse. On étendra bientôt la loi agraire jusque dans le champ de la gloire. Donc, jamais dans aucun temps, on n'a demandé le triage de son nom sur le volet public à des motifs plus puérils. On se distingue à tout prix par le ridicule, par une affectation d'amour pour la cause polonaise, pour le système pénitentiaire, pour l'avenir des forçats libérés, pour les petits mauvais sujets au-dessus ou au-dessous de douze ans, pour toutes les misères sociales. Ces diverses manies créent des dignités postiches, des présidents, des vice-présidents et des secrétaires de sociétés dont le nombre dépasse à Paris celui des questions sociales qu'on cherche à résoudre. On a démoli la grande société pour en faire un millier de petites à l'image de la défunte. Ces organisations parasites ne révèlent-elles pas la décomposition? n'est-ce pas le fourmillement des vers dans le cadavre? Toutes ces sociétés sont filles de la même mère, la Vanité. Ce n'est pas ainsi que procèdent la Charité catholique ou la vraie Bienfaisance, elles étudient les maux sur les plaies en les guérissant, et ne pérorent pas en assemblée sur les principes morbifiques pour le plaisir de pérorer.

Fabien du Ronceret, sans être un homme supérieur, avait deviné, par l'exercice de ce sens avide particulier à la Normandie, tout le parti qu'il pouvait tirer de ce vice public. Chaque époque a son caractère que les gens habiles exploitent. Fabien ne pensait qu'à faire parler de lui. « – Mon cher, il faut faire parler de soi pour être quelque chose! disait-il en parlant au roi d'Alençon, à du Bousquier, un ami de son père. Dans six mois je serai plus connu que vous!» Fabien traduisait ainsi l'esprit de son temps, il ne le dominait pas, il y obéissait. Il avait débuté dans la Bohême, un district de la topographie morale de Paris (Voir Un Prince de la Bohême, Scènes de la Vie Parisienne), où il fut connu sous le nom de l'héritier à cause de quelques prodigalités préméditées. Du Ronceret avait profité des folies de Couture pour la jolie madame Cadine, une des actrices nouvelles à qui l'on accordait le plus de talent sur une des scènes secondaires, et à qui, durant son opulence éphémère, il avait arrangé, rue Blanche, un délicieux rez-de-chaussée à jardin. Ce fut ainsi que du Ronceret et Couture firent connaissance. Le Normand, qui voulait du luxe tout prêt et tout fait, acheta le mobilier de Couture et les embellissements qu'il était obligé de laisser dans l'appartement, un kiosque où l'on fumait, une galerie en bois rustiqué garnie de nattes indiennes et ornée de poteries pour gagner le kiosque par les temps de pluie. Quand on complimentait l'Héritier sur son appartement, il l'appelait sa tanière. Le provincial se gardait bien de dire que Grindot l'architecte y avait déployé tout son savoir-faire, comme Stidmann dans les sculptures, et Léon de Lora dans la peinture; car il avait pour défaut capital cet amour-propre qui va jusqu'au mensonge dans le désir de se grandir. L'Héritier compléta ces magnificences par une serre qu'il établit le long d'un mur à l'exposition du midi, non qu'il aimât les fleurs, mais il voulut attaquer l'opinion publique par l'horticulture. En ce moment, il atteignait presque à son but. Devenu vice-président d'une société jardinière quelconque présidée par le duc de Vissembourg, frère du prince de Chiavari, le fils cadet du feu maréchal Vernon, il avait orné du ruban de la Légion-d'Honneur son habit de vice-président, après une exposition de produits dont le discours d'ouverture acheté cinq cents francs à Lousteau fut hardiment prononcé comme de son cru. Il fut remarqué pour une fleur que lui avait donnée le vieux Blondet d'Alençon, père d'Émile Blondet, et qu'il présenta comme obtenue dans sa serre. Ce succès n'était rien. L'Héritier, qui voulait être accepté comme un homme d'esprit, avait formé le plan de se lier avec les gens célèbres pour en refléter la gloire, plan d'une mise à exécution difficile en ne lui donnant pour base qu'un budget de huit mille francs. Aussi, Fabien du Ronceret s'était-il adressé tour à tour et sans succès à Bixiou, à Stidmann, à Léon de Lora pour être présenté chez madame Schontz et faire partie de cette ménagerie de lions en tous genres. Il paya si souvent à dîner à Couture, que Couture prouva catégoriquement à madame Schontz qu'elle devait acquérir un pareil original, ne fût-ce que pour en faire un de ces élégants valets sans gages que les maîtresses de maison emploient aux commissions pour lesquelles on ne trouve pas de domestiques.

En trois soirées madame Schontz pénétra Fabien et se dit: – «Si Couture ne me convient pas, je suis sûre de bâter celui-là. Maintenant mon avenir va sur deux pieds!» Ce sot de qui tout le monde se moquait devint donc le préféré, mais dans une intention qui rendait la préférence injurieuse, et ce choix échappait à toutes les suppositions par son improbabilité même. Madame Schontz enivrait Fabien de sourires accordés à la dérobée, de petites scènes jouées au seuil de la porte en le reconduisant le dernier lorsque monsieur de Rochefide restait le soir. Elle mettait souvent Fabien en tiers avec Arthur dans sa loge aux Italiens et aux premières représentations; elle s'en excusait en disant qu'il lui rendait tel ou tel service, et qu'elle ne savait comment le remercier. Les hommes ont entre eux une fatuité qui leur est d'ailleurs commune avec les femmes, celle d'être aimés absolument. Or, de toutes les passions flatteuses, il n'en est pas de plus prisée que celle d'une madame Schontz pour ceux qu'elles rendent l'objet d'un amour dit de cœur par opposition à l'autre amour. Une femme comme madame Schontz, qui jouait à la grande dame, et dont la valeur réelle était supérieure, devait être et fut un sujet d'orgueil pour Fabien qui s'éprit d'elle au point de ne jamais se présenter qu'en toilette, bottes vernies, gants paille, chemise brodée et à jabot, gilets de plus en plus variés, enfin avec tous les symptômes extérieurs d'un culte profond. Un mois avant la conférence de la duchesse et de son directeur, madame Schontz avait confié le secret de sa naissance et de son vrai nom à Fabien qui ne comprit pas le but de cette confidence. Quinze jours après, madame Schontz, étonnée du défaut d'intelligence du Normand, s'écria: « – Mon Dieu! suis-je niaise! il se croit aimé pour lui-même.» Et alors elle emmena l'Héritier dans sa calèche, au Bois, car elle avait depuis un an petite calèche et petite voiture basse à deux chevaux. Dans ce tête-à-tête public, elle traita la question de sa destinée et déclara vouloir se marier. « – J'ai sept cent mille francs, dit-elle, je vous avoue que, si je rencontrais un homme plein d'ambition et qui sût comprendre mon caractère, je changerais de position, car savez-vous quel est mon rêve? Je voudrais être une bonne bourgeoise, entrer dans une famille honnête, et rendre mon mari, mes enfants, tous bien heureux!» Le Normand voulait bien être distingué par madame Schontz; mais l'épouser, cette folie parut discutable à un garçon de trente-huit ans que la révolution de juillet avait fait juge. En voyant cette hésitation, madame Schontz prit l'Héritier pour cible de ses traits d'esprit, de ses plaisanteries, de son dédain, et se tourna vers Couture. En huit jours, le spéculateur, à qui elle fit flairer sa caisse, offrit sa main, son cœur et son avenir, trois choses de la même valeur.

Les manéges de madame Schontz en étaient là lorsque madame de Grandlieu s'enquit de la vie et des mœurs de la Béatrix de la rue Saint-Georges.

D'après le conseil de l'abbé Brossette, la duchesse pria le marquis d'Ajuda de lui amener le roi des coupe-jarrets politiques, le célèbre comte Maxime de Trailles, l'archiduc de la Bohême, le plus jeune des jeunes gens, quoiqu'il eût quarante-huit ans. Monsieur d'Ajuda s'arrangea pour dîner avec Maxime au club de la rue de Beaune, et lui proposa d'aller faire un mort chez le duc de Grandlieu qui, pris par la goutte avant le dîner, se trouvait seul. Quoique le gendre du duc de Grandlieu, le cousin de la duchesse, eût bien le droit de le présenter dans un salon où jamais il n'avait mis les pieds, Maxime de Trailles ne s'abusa pas sur la portée d'une invitation ainsi faite, il pensa que le duc ou la duchesse avaient besoin de lui. Ce n'est pas un des moindres traits de ce temps-ci que cette vie de club où l'on joue avec des gens qu'on ne reçoit point chez soi.

Le duc de Grandlieu fit à Maxime l'honneur de paraître souffrant. Après quinze parties de whist, il alla se coucher, laissant sa femme en tête-à-tête avec Maxime et d'Ajuda. La duchesse, secondée par le marquis, communiqua son projet à monsieur de Trailles, et lui demanda sa collaboration en paraissant ne lui demander que des conseils. Maxime écouta jusqu'au bout sans se prononcer, et attendit pour parler que la duchesse eût réclamé directement sa coopération.

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