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La Comédie humaine, Volume 4
La Comédie humaine, Volume 4

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La Comédie humaine, Volume 4

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Язык: Французский
Год издания: 2017
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– Il faut la sauver! se dit-elle. – Attends-moi, Sabine, lui cria-t-elle, je vais savoir la vérité.

– Ah! dans ma tombe, je t'aimerai, toi!.. cria Sabine.

La vicomtesse alla chez la duchesse de Grandlieu, lui demanda le plus profond silence et la mit au courant de la situation de Sabine.

– Madame, dit la vicomtesse en terminant, n'êtes-vous pas d'avis que pour éviter une affreuse maladie, et, peut-être, que sais-je? la folie!.. nous devons tout confier au médecin, et inventer au profit de cet affreux Calyste des fables qui pour le moment le rendent innocent.

– Ma chère petite, dit la duchesse, à qui cette confidence avait donné froid au cœur, l'amitié vous a prêté pour un moment l'expérience d'une femme de mon âge. Je sais comment Sabine aime son mari, vous avez raison, elle peut devenir folle.

– Mais elle peut, ce qui serait pis, perdre sa beauté! dit la vicomtesse.

– Courons! cria la duchesse.

La vicomtesse et la duchesse gagnèrent fort heureusement quelques instants sur le fameux accoucheur Dommanget, le seul des deux savants que Calyste eût rencontrés.

– Ursule m'a tout confié, dit la duchesse à sa fille, et tu te trompes… D'abord Béatrix n'est pas à Paris… Quant à ce que ton mari, mon ange, a fait hier, il a perdu beaucoup d'argent, et il ne sait où en prendre pour payer ta toilette…

– Et cela?.. dit-elle à sa mère en tendant la lettre.

– Cela! s'écria la duchesse en riant, c'est le papier du Jockey-club, tout le monde écrit sur du papier à couronne, bientôt nos épiciers seront titrés…

La prudente mère lança dans le feu le papier malencontreux. Quand Calyste et Dommanget arrivèrent, la duchesse, qui venait de donner des instructions aux gens, en fut avertie; elle laissa Sabine aux soins de madame de Portenduère, et arrêta dans le salon l'accoucheur et Calyste.

– Il s'agit de la vie de Sabine, monsieur, dit-elle à Calyste, vous l'avez trahie pour madame de Rochefide…

Calyste rougit comme une jeune fille encore honnête prise en faute.

– Et, dit la duchesse en continuant, comme vous ne savez pas tromper, vous avez fait tant de gaucheries que Sabine a tout deviné; mais j'ai tout réparé. Vous ne voulez pas la mort de ma fille, n'est-ce pas?.. Tout ceci, monsieur Dommanget, vous met sur la voie de la vraie maladie et de sa cause… Quant à vous, Calyste, une vieille femme comme moi conçoit votre erreur, mais sans la pardonner. De tels pardons s'achètent par toute une vie de bonheur. Si vous voulez que je vous estime, sauvez d'abord ma fille; puis oubliez madame de Rochefide, elle n'est bonne à avoir qu'une fois!.. sachez mentir, ayez le courage du criminel et son impudence. J'ai bien menti, moi, qui serai forcée de faire de rudes pénitences pour ce péché mortel!..

Et elle le mit au fait des mensonges qu'elle venait d'inventer. L'habile accoucheur, assis au chevet de la malade, étudiait déjà dans les symptômes les moyens de parer au mal. Pendant qu'il ordonnait des mesures dont le succès dépendait de la plus grande rapidité dans l'exécution, Calyste, assis au pied du lit, tint ses yeux sur Sabine en essayant de donner une vive expression de tendresse à son regard.

– C'est donc le jeu qui vous a cerné les yeux comme ça?.. dit-elle d'une voix faible.

Cette phrase fit frémir le médecin, la mère et la vicomtesse, qui s'entre-regardèrent à la dérobée. Calyste devint rouge comme une cerise.

– Voilà ce que c'est que de nourrir, dit spirituellement et brutalement Dommanget. Les maris s'ennuient d'être séparés de leurs femmes, ils vont au club, et ils jouent… Mais ne regrettez pas les trente mille francs que monsieur le baron a perdus cette nuit-ci.

– Trente mille francs!.. s'écria niaisement Ursule.

– Oui, je le sais, répliqua Dommanget. On m'a dit ce matin chez la jeune duchesse Berthe de Maufrigneuse que c'est monsieur de Trailles qui vous les a gagnés, dit-il, à Calyste. Comment pouvez-vous jouer avec un pareil homme? Franchement, monsieur le baron, je conçois votre honte.

En voyant sa belle-mère, une pieuse duchesse, la jeune vicomtesse, une femme heureuse, et un vieil accoucheur, un égoïste, mentant comme des marchands de curiosités, le bon et noble Calyste comprit la grandeur du péril, et il lui coûta deux grosses larmes qui trompèrent Sabine.

– Monsieur, dit-elle en se dressant sur son séant et regardant Dommanget avec colère, monsieur du Guénic peut perdre trente, cinquante, cent mille francs, s'il lui plaît, sans que personne ait à le trouver mauvais et à lui donner des leçons. Il vaut mieux que monsieur de Trailles lui ait gagné de l'argent que nous, nous en ayons gagné à monsieur de Trailles.

Calyste se leva, prit sa femme par le cou, la baisa sur les deux joues, et lui dit à l'oreille: Sabine, tu es un ange!..

Deux jours après on regarda la jeune femme comme sauvée. Le lendemain Calyste était chez madame de Rochefide, et s'y faisait un mérite de son infamie.

– Béatrix, lui disait-il, vous me devez le bonheur. Je vous ai livré ma pauvre femme, elle a tout découvert. Ce fatal papier sur lequel vous m'avez fait écrire, et qui portait votre nom et votre couronne que je n'avais pas vus!.. Je ne voyais que vous!.. Le chiffre heureusement, votre B. était effacé par hasard. Mais le parfum que vous avez laissé sur moi, mais les mensonges dans lesquels je me suis entortillé comme un sot, ont trahi mon bonheur. Sabine a failli mourir, le lait est monté à la tête, elle a un érésipèle, peut-être en portera-t-elle les marques pendant toute sa vie…

En écoutant cette tirade, Béatrix eut une figure plein Nord à faire prendre la Seine si elle l'avait regardée.

– Eh bien, tant mieux, répondit-elle, ça vous la blanchira peut-être.

Et Béatrix, devenue sèche comme ses os, inégale comme son teint, aigre comme sa voix, continua sur ce ton par une kyrielle d'épigrammes atroces. Il n'y a pas de plus grande maladresse pour un mari que de parler de sa femme, quand elle est vertueuse, à sa maîtresse, si ce n'est de parler de sa maîtresse, quand elle est belle, à sa femme. Mais Calyste n'avait pas encore reçu cette espèce d'éducation parisienne qu'il faut nommer la politesse des passions. Il ne savait ni mentir à sa femme ni dire à sa maîtresse la vérité, deux apprentissages à faire pour pouvoir conduire les femmes. Aussi fut-il obligé d'employer toute la puissance de la passion pour obtenir de Béatrix un pardon sollicité pendant deux heures, refusé par un ange courroucé qui levait les yeux au plafond pour ne pas voir le coupable, et qui débitait les raisons particulières aux marquises d'une voix parsemée de petites larmes très-ressemblantes, furtivement essuyées avec la dentelle du mouchoir.

– Me parler de votre femme presque le lendemain de ma faute!.. Pourquoi ne me dites-vous pas qu'elle est une perle de vertu! Je le sais, elle vous trouve beau par admiration! en voilà de la dépravation! Moi, j'aime votre âme! car, sachez-le bien, mon cher, vous êtes affreux, comparé à certains pâtres de la Campagne de Rome! etc.

Cette phraséologie peut surprendre, mais elle constituait un système profondément médité par Béatrix. A sa troisième incarnation, car à chaque passion on devient tout autre, une femme s'avance d'autant dans la rouerie, seul mot qui rende bien l'effet de l'expérience que donnent de telles aventures. Or, la marquise de Rochefide s'était jugée à son miroir. Les femmes d'esprit ne s'abusent jamais sur elles-mêmes; elles comptent leurs rides, elles assistent à la naissance de la patte d'oie, elles voient poindre leurs grains de millet, elles se savent par cœur, et le disent même trop par la grandeur de leurs efforts à se conserver. Aussi, pour lutter avec une splendide jeune femme, pour remporter sur elle six triomphes par semaine, Béatrix avait-elle demandé ses avantages à la science des courtisanes. Sans s'avouer la noirceur de ce plan, entraînée à l'emploi de ces moyens par une passion turque pour le beau Calyste, elle s'était promis de lui faire croire qu'il était disgracieux, laid, mal fait, et de se conduire comme si elle le haïssait.

Nul système n'est plus fécond avec les hommes d'une nature conquérante. Pour eux, trouver ce savant dédain à vaincre, n'est-ce pas le triomphe du premier jour recommencé tous les lendemains? C'est mieux, c'est la flatterie cachée sous la livrée de la haine, et lui devant la grâce, la vérité dont sont revêtues toutes les métamorphoses par les sublimes poëtes inconnus qui les ont inventées. Un homme ne se dit-il pas alors: – Je suis irrésistible! Ou – J'aime bien, car je dompte sa répugnance.

Si vous niez ce principe deviné par les coquettes et les courtisanes de toutes les zones sociales, nions les pourchasseurs de science, les chercheurs de secrets, repoussés pendant des années dans leur duel avec les causes secrètes.

Béatrix avait doublé l'emploi du mépris comme piston moral, de la comparaison perpétuelle d'un chez soi poétique, confortable, opposé par elle à l'hôtel du Guénic. Toute épouse délaissée qui s'abandonne abandonne aussi son intérieur, tant elle est découragée. Dans cette prévision, madame de Rochefide commençait de sourdes attaques sur le luxe du faubourg Saint-Germain, qualifié de sot par elle. La scène de la réconciliation, où Béatrix fit jurer haine à l'épouse qui jouait, dit-elle, la comédie du lait répandu, se passa dans un vrai bocage où elle minaudait environnée de fleurs ravissantes, de jardinières d'un luxe effréné. La science des riens, des bagatelles à la mode, elle la poussa jusqu'à l'abus chez elle. Tombée en plein mépris par l'abandon de Conti, Béatrix voulait du moins la gloire que donne la perversité. Le malheur d'une jeune épouse, d'une Grandlieu riche et belle, allait être un piédestal pour elle.

Quand une femme revient de la nourriture de son premier enfant à la vie ordinaire, elle reparaît charmante, elle retourne au monde embellie. Si cette phase de la maternité rajeunit les femmes d'un certain âge, elle donne aux jeunes une splendeur pimpante, une activité gaie, un brio d'existence, s'il est permis d'appliquer au corps le mot que l'Italie a trouvé pour l'esprit. En essayant de reprendre les charmantes coutumes de la lune de miel, Sabine ne retrouva plus le même Calyste. Elle observa, la malheureuse, au lieu de se livrer au bonheur. Elle chercha le fatal parfum et le sentit. Enfin elle ne se confia plus ni à son amie ni à sa mère, qui l'avaient si charitablement trompée. Elle voulut une certitude, et la Certitude ne se fit pas attendre. La Certitude ne manque jamais, elle est comme le soleil, elle exige bientôt des stores. C'est en amour une répétition de la fable du bûcheron appelant la Mort, on demande à la Certitude de nous aveugler.

Un matin, quinze jours après la première crise, Sabine reçut cette lettre terrible.

A MADAME LA BARONNE DU GUÉNIC«Guérande.

»Ma chère fille, ma belle-sœur Zéphirine et moi, nous nous sommes perdues en conjectures sur la toilette dont parle votre lettre; j'en écris à Calyste et je vous prie de me pardonner notre ignorance. Vous ne pouvez pas douter de nos cœurs. Nous vous amassons des trésors. Grâce aux conseils de mademoiselle de Pen-Hoël sur la gestion de vos biens, vous vous trouverez dans quelques années un capital considérable, sans que vos revenus en aient souffert.

»Votre lettre, chère fille aussi aimée que si je vous avais portée dans mon sein et nourrie de mon lait, m'a surprise par son laconisme et surtout par votre silence sur mon cher petit Calyste; vous n'aviez rien à me dire du grand, je le sais heureux; mais, etc.»

Sabine mit sur cette lettre en travers: La noble Bretagne ne peut pas être tout entière à mentir!… Et elle posa la lettre sur le bureau de Calyste. Calyste trouva la lettre et la lut. Après avoir reconnu l'écriture et la ligne de Sabine, il jeta la lettre au feu, bien résolu de ne l'avoir jamais reçue. Sabine passa toute une semaine en angoisses dans le secret desquelles seront les âmes angéliques ou solitaires que l'aile du mauvais ange n'a jamais effleurées. Le silence de Calyste épouvantait Sabine.

– Moi qui devrais être tout douceur, tout plaisir pour lui je lui ai déplu, je l'ai blessé!.. Ma vertu s'est faite haineuse, j'ai sans doute humilié mon idole! se disait-elle.

Ces pensées lui creusèrent des sillons dans le cœur. Elle voulait demander pardon de cette faute, mais la Certitude lui décocha de nouvelles preuves.

Hardie et insolente, Béatrix écrivit un jour à Calyste chez lui, madame du Guénic reçut la lettre, la remit à son mari sans l'avoir ouverte; mais elle lui dit, la mort dans l'âme, et la voix altérée:

– Mon ami, cette lettre vient du Jockey-club… Je reconnais l'odeur et le papier…

Cette fois Calyste rougit et mit la lettre dans sa poche.

– Pourquoi ne la lis-tu pas?..

– Je sais ce qu'on me veut.

La jeune femme s'assit. Elle n'eut plus la fièvre, elle ne pleura plus, mais elle eut une de ces rages qui, chez ces faibles créatures, enfantent les miracles du crime, qui leur mettent l'arsenic à la main, ou pour elle ou pour leurs rivales. On amena le petit Calyste, elle le prit pour le dodiner. L'enfant, nouvellement sevré, chercha le sein à travers la robe.

– Il se souvient, lui!.. dit-elle tout bas.

Calyste alla lire sa lettre chez lui. Quand il ne fut plus là, la pauvre jeune femme fondit en larmes, mais comme les femmes pleurent quand elles sont seules.

La douleur, de même que le plaisir, a son initiation. La première crise, comme celle à laquelle Sabine avait failli succomber, ne revient pas plus que ne reviennent les prémices en toute chose. C'est le premier coin de la question du cœur, les autres sont attendus, le brisement des nerfs est connu, le capital de nos forces a fait son versement pour une énergique résistance. Aussi Sabine, sûre de la trahison, passa-t-elle trois heures avec son fils dans les bras, au coin de son feu, de manière à s'étonner, quand Gasselin, devenu valet de chambre, vint dire: – Madame est servie.

– Avertissez monsieur.

– Monsieur ne dîne pas ici, madame la baronne.

Sait-on tout ce qu'il y a de tortures pour une jeune femme de vingt-trois ans, dans le supplice de se trouver seule au milieu de l'immense salle à manger d'un hôtel antique, servie par de silencieux domestiques, en de pareilles circonstances?

– Attelez, dit-elle tout à coup, je vais aux Italiens.

Elle fit une toilette splendide, elle voulut se montrer seule et souriant comme une femme heureuse. Au milieu des remords causés par l'apostille mise sur la lettre, elle avait résolu de vaincre, de ramener Calyste par une excessive douleur, par les vertus de l'épouse, par une tendresse d'agneau pascal. Elle voulut mentir à tout Paris. Elle aimait, elle aimait comme aiment les courtisanes et les anges, avec orgueil, avec humilité. Mais on donnait Otello! Quand Rubini chanta: Il mio cor si divide, elle se sauva. La musique est souvent plus puissante que le poëte et que l'acteur, les deux plus formidables natures réunies. Savinien de Portenduère accompagna Sabine jusqu'au péristyle et la mit en voiture, sans pouvoir s'expliquer cette fuite précipitée.

Madame du Guénic entra dès lors dans une période de souffrances particulière à l'aristocratie. Envieux, pauvres, souffrants, quand vous voyez aux bras des femmes ces serpents d'or à têtes de diamant, ces colliers, ces agrafes, dites-vous que ces vipères mordent, que ces colliers ont des pointes venimeuses, que ces liens si légers entrent au vif dans ces chairs délicates. Tout ce luxe se paie. Dans la situation de Sabine les femmes maudissent les plaisirs de la richesse, elles n'aperçoivent plus les dorures de leurs salons, la soie des divans est de l'étoupe, les fleurs exotiques sont des orties, les parfums puent, les miracles de la cuisine grattent le gosier comme du pain d'orge, et la vie prend l'amertume de la mer Morte.

Deux ou trois exemples peindront cette réaction d'un salon ou d'une femme sur un bonheur, de manière que toutes celles qui l'ont subie y retrouvent leurs impressions de ménage.

Prévenue de cette affreuse rivalité, Sabine étudia son mari quand il sortait pour deviner l'avenir de la journée. Et avec quelle fureur contenue une femme ne se jette-t-elle pas sur les pointes rouges de ces supplices de sauvage?.. Quelle joie délirante s'il n'allait pas rue de Chartres! Calyste rentrait-il? l'observation du front, de la coiffure, des yeux, de la physionomie et du maintien prêtait un horrible intérêt à des riens, à des remarques poursuivies jusque dans les profondeurs de la toilette, et qui font alors perdre à une femme sa noblesse et sa dignité. Ces funestes investigations, gardées au fond du cœur, s'y aigrissaient et y corrompaient les racines délicates d'où s'épanouissent les fleurs bleues de la sainte confiance, les étoiles d'or de l'amour unique.

Un jour, Calyste regarda tout chez lui de mauvaise humeur, il y restait! Sabine se fit chatte et humble, gaie et spirituelle.

– Tu me boudes, Calyste, je ne suis donc pas une bonne femme?.. Qu'y a-t-il ici qui te déplaise? demanda-t-elle.

– Tous ces appartements sont froids et nus, dit-il, vous ne vous entendez pas à ces choses-là.

– Que manque-t-il?

– Des fleurs.

– Bien, se dit en elle-même Sabine, il paraît que madame de Rochefide aime les fleurs.

Deux jours après, les appartements avaient changé de face à l'hôtel du Guénic, personne à Paris ne pouvait se flatter d'avoir de plus belles fleurs que celles qui les ornaient.

Quelque temps après, Calyste, un soir après dîner, se plaignit du froid. Il se tordait sur sa causeuse en regardant d'où venait l'air, en cherchant quelque chose autour de lui. Sabine fut pendant un certain temps à deviner ce que signifiait cette nouvelle fantaisie, elle dont l'hôtel avait un calorifère qui chauffait les escaliers, les antichambres et les couloirs. Enfin, après trois jours de méditations, elle trouva que sa rivale devait être entourée d'un paravent pour obtenir le demi-jour si favorable à la décadence de son visage, et elle eut un paravent, mais en glaces et d'une richesse israélite.

– D'où soufflera l'orage maintenant? se disait-elle.

Elle n'était pas au bout des critiques indirectes de la maîtresse. Calyste mangea chez lui d'une façon à rendre Sabine folle, il rendait au domestique ses assiettes après y avoir chipoté deux ou trois bouchées.

– Ce n'est donc pas bon? demanda Sabine, au désespoir de voir ainsi perdus tous les soins auxquels elle descendait en conférant avec son cuisinier.

– Je ne dis pas cela, mon ange, répondit Calyste sans se fâcher, je n'ai pas faim! voilà tout.

Une femme dévorée d'une passion légitime, et qui lutte ainsi, se livre à une sorte de rage pour l'emporter sur sa rivale, et dépasse souvent le but, jusque dans les régions secrètes du mariage. Ce combat si cruel, ardent, incessant dans les choses apercevables et pour ainsi dire extérieures du ménage, se poursuivait tout aussi acharné dans les choses du cœur. Sabine étudiait ses poses, sa toilette, elle se surveillait dans les infiniment petits de l'amour.

L'affaire de la cuisine dura près d'un mois. Sabine, secourue par Mariotte et Gasselin, inventa des ruses de vaudeville pour savoir quels étaient les plats que madame de Rochefide servait à Calyste. Gasselin remplaça le cocher de Calyste, tombé malade par ordre, Gasselin put alors camarader avec la cuisinière de Béatrix, et Sabine finit par donner à Calyste la même chère et meilleure, mais elle lui vit faire de nouvelles façons.

– Que manque-t-il donc?.. demanda-t-elle.

– Rien, répondit-il en cherchant sur la table un objet qui ne s'y trouvait pas.

– Ah! s'écria Sabine le lendemain en s'éveillant, Calyste voulait de ces hannetons pilés, de ces ingrédients anglais qui se servent dans des pharmacies en forme d'huiliers; madame de Rochefide l'accoutume à toutes sortes de piments!

Elle acheta l'huilier anglais et ses flacons ardents; mais elle ne pouvait pas poursuivre de telles découvertes jusque dans toutes les préparations conjugales.

Cette période dura pendant quelques mois, l'on ne s'en étonnera pas si l'on songe aux attraits que présente une lutte. C'est la vie, elle est préférable avec ses blessures et ses douleurs aux noires ténèbres du dégoût, au poison du mépris, au néant de l'abdication, à cette mort du cœur qui s'appelle l'indifférence. Tout son courage abandonna néanmoins Sabine un soir qu'elle se montra dans une toilette comme en inspire aux femmes le désir de l'emporter sur une autre, et que Calyste lui dit en riant: – Tu auras beau faire, Sabine, tu ne seras jamais qu'une belle Andalouse!

– Hélas! répondit-elle en tombant sur sa causeuse, je ne pourrai jamais être blonde; mais je sais, si cela continue, que j'aurai bientôt trente-cinq ans.

Elle refusa d'aller aux Italiens, elle voulut rester chez elle pendant toute la soirée. Seule, elle arracha les fleurs de ses cheveux et trépigna dessus, elle se déshabilla, foula sa robe, son écharpe, toute sa toilette aux pieds, absolument comme une chèvre prise dans le lacet de sa corde, qui ne s'arrête en se débattant que quand elle sent la mort. Et elle se coucha. La femme de chambre entra, qu'on juge de son étonnement.

– Ce n'est rien, dit Sabine, c'est monsieur!

Les femmes malheureuses ont de ces sublimes fatuités, de ces mensonges où de deux hontes qui se combattent la plus féminine a le dessus.

A ce jeu terrible, Sabine maigrit, le chagrin la rongea; mais elle ne sortit jamais du rôle qu'elle s'était imposé. Soutenue par une sorte de fièvre, ses lèvres refoulaient les mots amers jusque dans sa gorge quand la douleur lui en suggérait; elle réprimait les éclairs de ses magnifiques yeux noirs, et les rendait doux jusqu'à l'humilité. Enfin son dépérissement fut bientôt sensible. La duchesse, excellente mère, quoique sa dévotion fût devenue de plus en plus portugaise, aperçut une cause mortelle dans l'état véritablement maladif où se complaisait Sabine. Elle savait l'intimité réglée existant entre Béatrix et Calyste. Elle eut soin d'attirer sa fille chez elle pour essayer de panser les plaies de ce cœur, et de l'arracher surtout à son martyre; mais Sabine garda pendant quelque temps le plus profond silence sur ses malheurs en craignant qu'on n'intervînt entre elle et Calyste. Elle se disait heureuse!.. Au bout du malheur, elle retrouvait sa fierté, toutes ses vertus! Mais, après un mois pendant lequel Sabine fut caressée par sa sœur Clotilde et par sa mère, elle avoua ses chagrins, confia ses douleurs, maudit la vie, et déclara qu'elle voyait venir la mort avec une joie délirante. Elle pria Clotilde, qui voulait rester fille, de se faire la mère du petit Calyste, le plus bel enfant que jamais race royale eût pu désirer pour héritier présomptif.

Un soir, en famille, entre sa jeune sœur Athénaïs, dont le mariage avec le vicomte de Grandlieu devait se faire à la fin du carême, entre Clotilde et la duchesse, Sabine jeta les cris suprêmes de l'agonie du cœur, excités par l'excès d'une dernière humiliation.

– Athénaïs, dit-elle en voyant partir vers les onze heures le jeune vicomte Juste de Grandlieu, tu vas te marier, que mon exemple te serve. Garde-toi comme d'un crime de déployer tes qualités, résiste au plaisir de t'en parer pour plaire à Juste. Sois calme, digne et froide, mesure le bonheur que tu donneras sur celui que tu recevras! C'est infâme, mais c'est nécessaire. Vois!.. je péris par mes qualités. Tout ce que je me sens de beau, de saint, de grand, toutes mes vertus sont des écueils sur lesquels s'est brisé mon bonheur. Je cesse de plaire parce que je n'ai pas trente-six ans! Aux yeux de certains hommes, c'est une infériorité que la jeunesse! Il n'y a rien à deviner sur une figure naïve. Je ris franchement, et c'est un tort! quand, pour séduire, on doit savoir préparer ce demi-sourire mélancolique des anges tombés qui sont forcés de cacher des dents longues et jaunes. Un teint frais est monotone! l'on préfère un enduit de poupée fait avec du rouge, du blanc de baleine et du cold cream. J'ai de la droiture, et c'est la perversité qui plaît! Je suis loyalement passionnée comme une honnête femme, et il faudrait être manégée, tricheuse et façonnière comme une comédienne de province. Je suis ivre du bonheur d'avoir pour mari l'un des plus charmants hommes de France, je lui dis naïvement combien il est distingué, combien ses mouvements sont gracieux, je le trouve beau; pour lui plaire il faudrait détourner la tête avec une feinte horreur, ne rien aimer de l'amour, et lui dire que sa distinction est tout bonnement un air maladif, une tournure de poitrinaire, lui vanter les épaules de l'Hercule Farnèse, le mettre en colère et me défendre, comme si j'avais besoin d'une lutte pour cacher des imperfections qui peuvent tuer l'amour. J'ai le malheur d'admirer les belles choses, sans songer à me rehausser par la critique amère et envieuse de tout ce qui reluit de poésie et de beauté. Je n'ai pas besoin de me faire dire en vers et en prose, par Canalis et Nathan, que je suis une intelligence supérieure! Je suis une pauvre enfant naïve, je ne connais que Calyste. Ah! si j'avais couru le monde comme elle, si j'avais comme elle dit: – Je t'aime! dans toutes les langues de l'Europe, on me consolerait, on me plaindrait, on m'adorerait, et je servirais le régal macédonien d'un amour cosmopolite! On ne vous sait gré de vos tendresses que quand vous les avez mises en relief par des méchancetés. Enfin, moi, noble femme, il faut que je m'instruise de toutes les impuretés, de tous les calculs des filles!.. Et Calyste qui est la dupe de ces singeries!.. Oh! ma mère! oh! ma chère Clotilde, je me sens blessée à mort. Ma fierté est une trompeuse égide, je suis sans défense contre la douleur, j'aime toujours mon mari comme une folle, et pour le ramener à moi, je devrais emprunter à l'indifférence toutes ses clartés.

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