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La Comédie humaine, Volume 4
La Comédie humaine, Volume 4

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La Comédie humaine, Volume 4

Язык: Французский
Год издания: 2017
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– Madame, j'ai bien tout compris, lui dit-il alors après avoir jeté sur elle et sur le marquis un de ces regards fins, profonds, astucieux, complets, par lesquels ces grands roués savent compromettre leurs interlocuteurs. D'Ajuda vous dira que, si quelqu'un à Paris peut conduire cette double négociation, c'est moi, sans vous y mêler, sans qu'on sache même que je suis venu ce soir ici. Seulement, avant tout, posons les préliminaires de Léoben. Que comptez-vous sacrifier?..

– Tout ce qu'il faudra.

– Bien, madame la duchesse. Ainsi, pour prix de mes soins, vous me feriez l'honneur de recevoir chez vous et de protéger sérieusement madame la comtesse de Trailles.

– Tu es marié?.. s'écria d'Ajuda.

– Je me marie dans quinze jours avec l'héritière d'une famille riche mais excessivement bourgeoise, un sacrifice à l'opinion! j'entre dans le principe même de mon gouvernement! Je veux faire peau neuve. Ainsi madame la duchesse comprend de quelle importance serait pour moi l'adoption de ma femme par elle et par sa famille. J'ai la certitude d'être député par suite de la démission que donnera mon beau-père de ses fonctions, et j'ai la promesse d'un poste diplomatique en harmonie avec ma nouvelle fortune. Je ne vois pas pourquoi ma femme ne serait pas aussi bien reçue que madame de Portenduère dans cette société de jeunes femmes où brillent mesdames de La Bastie, Georges de Maufrigneuse, de l'Estorade, du Guénic, d'Ajuda, de Restaud, de Rastignac et de Vandenesse! Ma femme est jolie, et je me charge de la désenbonnetdecotonner!.. Ceci vous va-t-il, madame la duchesse?.. Vous êtes pieuse, et, si vous dites oui, votre promesse, que je sais être sacrée, aidera beaucoup à mon changement de vie. Encore une bonne action que vous ferez là!.. Hélas! j'ai pendant longtemps été le roi des mauvais sujets; mais je veux bien finir. Après tout, nous portons d'azur à la chimère d'or lançant du feu, armée de gueules et écaillée de sinople, au comble de contre-hermine, depuis François Ier qui jugea nécessaire d'anoblir le valet de chambre de Louis XI, et nous sommes comtes depuis Catherine de Médicis.

– Je recevrai, je patronerai votre femme, dit solennellement la duchesse, et les miens ne lui tourneront pas le dos, je vous en donne ma parole.

– Ah! madame la duchesse, s'écrie Maxime visiblement ému, si monsieur le duc daigne aussi me traiter avec quelque bonté, je vous promets, moi, de faire réussir votre plan sans qu'il vous en coûte grand'chose. Mais, reprit-il après une pause, il faut prendre sur vous d'obéir à mes instructions… Voici la dernière intrigue de ma vie de garçon, elle doit être d'autant mieux menée qu'il s'agit d'une belle action, dit-il en souriant.

– Vous obéir?.. dit la duchesse. Je paraîtrai donc dans tout ceci.

– Ah! madame, je ne vous compromettrai point, s'écria Maxime, et je vous estime trop pour prendre des sûretés. Il s'agit uniquement de suivre mes conseils. Ainsi, par exemple, il faut que du Guénic soit emmené comme un corps saint par sa femme, qu'il soit deux ans absent, qu'elle lui fasse voir la Suisse, l'Italie, l'Allemagne, enfin le plus de pays possible…

– Ah! vous répondez à une crainte de mon directeur, s'écria naïvement la duchesse en se souvenant de la judicieuse objection de l'abbé Brossette.

Maxime et d'Ajuda ne purent s'empêcher de sourire à l'idée de cette concordance entre le ciel et l'enfer.

– Pour que madame de Rochefide ne revoie plus Calyste, reprit-elle, nous voyagerons tous, Juste et sa femme, Calyste et Sabine, et moi. Je laisserai Clotilde avec son père…

– Ne chantons pas victoire, madame, dit Maxime, j'entrevois d'énormes difficultés, je les vaincrai sans doute. Votre estime et votre protection sont un prix qui va me faire faire de grandes saletés; mais ce sera les…

– Des saletés? dit la duchesse en interrompant ce moderne condottiere et montrant dans sa physionomie autant de dégoût que d'étonnement.

– Et vous y tremperez, madame, puisque je suis votre procureur. Mais ignorez-vous donc à quel degré d'aveuglement madame de Rochefide a fait arriver votre gendre?.. je le sais par Nathan et par Canalis entre lesquels elle hésitait alors que Calyste s'est jeté dans cette gueule de lionne! Béatrix a su persuader à ce brave Breton qu'elle n'avait jamais aimé que lui, qu'elle est vertueuse, que Conti fut un amour de tête auquel le cœur et le reste ont pris très peu de part, un amour musical enfin!.. Quant à Rochefide, ce fut du devoir. Ainsi, vous comprenez, elle est vierge! Elle le prouve bien en ne se souvenant pas de son fils, elle n'a pas depuis un an fait la moindre démarche pour le voir. A la vérité, le petit comte a douze ans bientôt, et il trouve dans madame Schontz une mère d'autant plus mère que la maternité, vous le savez, est la passion de ces filles. Du Guénic se ferait hacher et hacherait sa femme pour Béatrix! Et vous croyez qu'on retire facilement un homme quand il est au fond du gouffre de la crédulité?.. Mais, madame, le Yago de Shakspeare y perdrait tous ses mouchoirs. L'on croit qu'Othello, que son cadet Orosmane, que Saint-Preux, René, Werther et autres amoureux en possession de la renommée, représentent l'amour! Jamais leurs pères à cœur de verglas n'ont connu ce qu'est un amour absolu, Molière seul s'en est douté. L'amour, madame la duchesse, ce n'est pas d'aimer une noble femme, une Clarisse, le bel effort, ma foi!.. L'amour, c'est de se dire: «Celle que j'aime est une infâme, elle me trompe, elle me trompera, c'est une rouée, elle sent toutes les fritures de l'enfer…» Et d'y courir, et d'y trouver le bleu de l'éther, les fleurs du paradis. Voilà comme aimait Molière, voilà comme nous aimons, nous autres mauvais sujets; car, moi, je pleure à la grande scène d'Arnolphe!.. Et voilà comment votre gendre aime Béatrix!.. J'aurai de la peine à séparer Rochefide de madame Schontz, mais madame Schontz s'y prêtera sans doute; je vais étudier son intérieur. Quant à Calyste et à Béatrix, il leur faut des coups de hache, des trahisons supérieures et d'une infamie si basse que votre vertueuse imagination n'y descendrait pas, à moins que votre directeur ne vous donnât la main… Vous avez demandé l'impossible, vous serez servie… Et, malgré mon parti pris d'employer le fer et le feu, je ne vous promets pas absolument le succès. Je sais des amants qui ne reculent pas devant les plus affreux désillusionnements. Vous êtes trop vertueuse pour connaître l'empire que prennent les femmes qui ne le sont pas…

– N'entamez pas ces infamies sans que j'aie consulté l'abbé Brossette pour savoir jusqu'à quel point je suis votre complice, s'écria la duchesse avec une naïveté qui découvrit tout ce qu'il y a d'égoïsme dans la dévotion.

– Vous ignorerez tout, ma chère mère, dit le marquis d'Ajuda.

Sur le perron, pendant que la voiture du marquis avançait, d'Ajuda dit à Maxime: – Vous avez effrayé cette bonne duchesse.

– Mais elle ne se doute pas de la difficulté de ce qu'elle demande!.. – Allons-nous au Jockey-club? Il faut que Rochefide m'invite à dîner pour demain chez la Schontz, car cette nuit mon plan sera fait et j'aurai choisi sur mon échiquier les pions qui marcheront dans la partie que je vais jouer. Dans le temps de sa splendeur, Béatrix n'a pas voulu me recevoir, je solderai mon compte avec elle, et je vengerai votre belle-sœur si cruellement qu'elle se trouvera peut-être trop vengée…

Le lendemain, Rochefide dit à madame Schontz qu'ils auraient à dîner Maxime de Trailles. C'était la prévenir de déployer son luxe et de préparer la chère la plus exquise pour ce connaisseur émérite que redoutaient toutes les femmes du genre de madame Schontz; aussi songea-t-elle autant à sa toilette qu'à mettre sa maison en état de recevoir ce personnage.

A Paris, il existe presque autant de royautés qu'il s'y trouve d'arts différents, de spécialités morales, de sciences, de professions; et le plus fort de ceux qui les pratiquent a sa majesté qui lui est propre; il est apprécié, respecté par ses pairs qui connaissent les difficultés du métier, et dont l'admiration est acquise à qui peut s'en jouer. Maxime était aux yeux des rats et des courtisanes un homme excessivement puissant et capable, car il avait su se faire prodigieusement aimer. Il était admiré par tous les gens qui savaient combien il est difficile de vivre à Paris en bonne intelligence avec des créanciers; enfin il n'avait pas eu d'autre rival en élégance, en tenue et en esprit, que l'illustre de Marsay qui l'avait employé dans des missions politiques. Ceci suffit à expliquer son entrevue avec la duchesse, son prestige chez madame Schontz, et l'autorité de sa parole dans une conférence qu'il comptait avoir sur le boulevard des Italiens avec un jeune homme déjà célèbre, quoique nouvellement entré dans la Bohême.

Le lendemain, à son lever, Maxime de Trailles entendit annoncer Finot qu'il avait mandé la veille, il le pria d'arranger le hasard d'un déjeuner au Café Anglais où Finot, Couture et Lousteau babilleraient près de lui. Finot, qui se trouvait vis-à-vis du comte de Trailles dans la position d'un colonel devant un maréchal de France, ne pouvait lui rien refuser; il était d'ailleurs trop dangereux de piquer ce lion. Aussi, quand Maxime vint déjeuner, vit-il Finot et ses deux amis attablés, la conversation avait déjà mis le cap sur madame Schontz. Couture, bien manœuvré par Finot et par Lousteau qui fut à son insu le compère de Finot, apprit au comte de Trailles tout ce qu'il voulait savoir sur madame Schontz.

Vers une heure, Maxime mâchonnait son cure-dents en causant avec du Tillet sur le perron de Tortoni où se tient cette petite Bourse, préface de la grande. Il paraissait occupé d'affaires, mais il attendait le jeune comte de La Palférine qui, dans un temps donné, devait passer par là. Le boulevard des Italiens est aujourd'hui ce qu'était le Pont-Neuf en 1650, tous les gens connus le traversent au moins une fois par jour. En effet, au bout de dix minutes, Maxime quitta le bras de du Tillet en faisant un signe de tête au jeune prince de la Bohême, et lui dit en souriant: – A moi, comte, deux mots!..

Les deux rivaux, l'un astre à son déclin, l'autre un soleil à son lever, allèrent s'asseoir sur quatre chaises devant le Café de Paris. Maxime eut soin de se placer à une certaine distance de quelques vieillots qui par habitude se mettent en espalier, dès une heure après midi, pour sécher leurs affections rhumatiques. Il avait d'excellentes raisons pour se défier des vieillards. (Voir Une Esquisse d'après nature, Scènes de la Vie Parisienne.)

– Avez-vous des dettes?.. dit Maxime au jeune comte.

– Si je n'en avais pas, serais-je digne de vous succéder?.. répondit La Palférine.

– Quand je vous fais une semblable question, je ne mets pas la chose en doute, répliqua Maxime, je veux uniquement savoir si le total est respectable, et s'il va sur cinq ou sur six?

– Six, quoi?

– Six chiffres! si vous devez cinquante ou cent mille?.. J'ai dû, moi, jusqu'à six cent mille.

La Palférine ôta son chapeau d'une façon aussi respectueuse que railleuse.

– Si j'avais le crédit d'emprunter cent mille francs, répondit le jeune homme, j'oublierais mes créanciers et j'irais passer ma vie à Venise, au milieu des chefs-d'œuvre de la peinture, au théâtre le soir, la nuit avec de jolies femmes, et…

– Et à mon âge, que deviendriez-vous? demanda Maxime.

– Je n'irais pas jusque-là, répliqua le jeune comte.

Maxime rendit la politesse à son rival en soulevant légèrement son chapeau par un geste de gravité risible.

– C'est une autre manière de voir la vie, répondit-il d'un ton de connaisseur à connaisseur. Vous devez…?

– Oh! une misère indigne d'être avouée à un oncle; si j'en avais un, il me déshériterait à cause de ce pauvre chiffre, six mille!..

– On est plus gêné par six que par cent mille francs, dit sentencieusement Maxime. La Palférine! vous avez de la hardiesse dans l'esprit, vous avez encore plus d'esprit que de hardiesse, vous pouvez aller très loin, devenir un homme politique. Tenez… de tous ceux qui se sont lancés dans la carrière au bout de laquelle je suis et qu'on a voulu m'opposer, vous êtes le seul qui m'ayez plu.

La Palférine rougit, tant il se trouva flatté de cet aveu fait avec une gracieuse bonhomie par le chef des aventuriers parisiens. Ce mouvement de son amour-propre fut une reconnaissance d'infériorité qui le blessa; mais Maxime devina ce retour offensif, facile à prévoir chez une nature si spirituelle, et il y porta remède aussitôt en se mettant à la discrétion du jeune homme.

– Voulez-vous faire quelque chose pour moi, qui me retire du cirque olympique par un beau mariage, je ferai beaucoup pour vous, reprit-il.

– Vous allez me rendre bien fier: c'est réaliser la fable du rat et du lion, dit La Palférine.

– Je commencerai par vous prêter vingt mille francs, répondit Maxime en continuant.

– Vingt mille francs?.. Je savais bien qu'à force de me promener sur ce boulevard… dit La Palférine en façon de parenthèse.

– Mon cher, il faut vous mettre sur un certain pied, dit Maxime en souriant, ne restez pas sur vos deux pieds, ayez-en six; faites comme moi, je ne suis jamais descendu de mon tilbury…

– Mais alors vous allez me demander des choses par-dessus mes forces!

– Non, il s'agit de vous faire aimer d'une femme, en quinze jours.

– Est-ce une fille?

– Pourquoi!

– Ce serait impossible; mais s'il s'agissait d'une femme très comme il faut, et de beaucoup d'esprit…

– C'est une très illustre marquise!

– Vous voulez avoir de ses lettres?.. dit le jeune comte.

– Ah!.. tu me vas au cœur, s'écria Maxime. Non, il ne s'agit pas de cela.

– Il faut donc l'aimer?

– Oui, dans le sens réel…

– Si je dois sortir de l'esthétique, c'est tout à fait impossible, dit La Palférine. J'ai, voyez-vous, à l'endroit des femmes, une certaine probité, nous pouvons les rouer, mais non les…

– Ah! l'on ne m'a donc pas trompé, s'écria Maxime. Crois-tu donc que je sois homme à proposer de petites infamies de deux sous?.. Non, il faut aller, il faut éblouir, il faut vaincre. Mon compère, je te donne vingt mille francs ce soir et dix jours pour triompher. A ce soir, chez madame Schontz!

– J'y dîne.

– Bien, reprit Maxime. Plus tard, quand vous aurez besoin de moi, monsieur le comte, vous me trouverez, ajouta-t-il d'un ton de roi qui s'engage au lieu de promettre.

– Cette pauvre femme vous a donc fait bien du mal? demanda La Palférine.

– N'essaie pas de jeter la sonde dans mes eaux, mon petit, et laisse-moi te dire qu'en cas de succès tu te trouveras de si puissantes protections que tu pourras, comme moi, te retirer dans un beau mariage, quand tu t'ennuieras de ta vie de Bohême.

– Il y a donc un moment où l'on s'ennuie de s'amuser? dit La Palférine, de n'être rien, de vivre comme les oiseaux, de chasser dans Paris comme les Sauvages et de rire de tout!..

– Tout fatigue, même l'Enfer, dit Maxime en riant. A ce soir!

Les deux roués, le jeune et le vieux, se levèrent. En regagnant son escargot à un cheval, Maxime se dit: – Madame d'Espard ne peut pas souffrir Béatrix, elle va m'aider… A l'hôtel de Grandlieu, cria-t-il à son cocher en voyant passer Rastignac.

Trouvez un grand homme sans faiblesses?.. Maxime vit la duchesse, madame du Guénic et Clotilde en larmes.

– Qu'y a-t-il? demanda-t-il à la duchesse.

– Calyste n'est pas rentré, c'est la première fois, et ma pauvre Sabine est au désespoir.

– Madame la duchesse, dit Maxime en attirant la femme pieuse dans l'embrasure d'une fenêtre, au nom de Dieu qui nous jugera, gardez le plus profond secret sur mon dévouement, exigez-le de d'Ajuda, que jamais Calyste ne sache rien de nos trames, ou nous aurions ensemble un duel à mort… Quand je vous ai dit qu'il ne vous en coûterait pas grand'chose, j'entendais que vous ne dépenseriez pas des sommes folles, il me faut environ vingt mille francs; mais tout le reste me regarde, et il faudra faire donner des places importantes, peut-être une Recette générale.

La duchesse et Maxime sortirent. Quand madame de Grandlieu revint près de ses deux filles, elle entendit un nouveau dithyrambe de Sabine émaillé de faits domestiques encore plus cruels que ceux par lesquels la jeune épouse avait vu finir son bonheur.

– Sois tranquille, ma petite, dit la duchesse à sa fille, Béatrix paiera bien cher tes larmes et tes souffrances, la main de Satan s'appesantit sur elle, elle recevra dix humiliations pour chacune des tiennes!..

Madame Schontz fit prévenir Claude Vignon qui plusieurs fois avait manifesté le désir de connaître personnellement Maxime de Trailles; elle invita Couture, Fabien, Bixiou, Léon de Lora, La Palférine et Nathan. Ce dernier fut demandé par Rochefide pour le compte de Maxime. Aurélie eut ainsi neuf convives tous de première force, à l'exception de du Ronceret; mais la vanité normande et l'ambition brutale de l'Héritier se trouvaient à la hauteur de la puissance littéraire de Claude Vignon, de la poésie de Nathan, de la finesse de La Palférine, du coup d'œil financier de Couture, de l'esprit de Bixiou, du calcul de Finot, de la profondeur de Maxime et du génie de Léon de Lora.

Madame Schontz, qui tenait à paraître jeune et belle, s'arma d'une toilette comme savent en faire ces sortes de femmes. Ce fut une pèlerine en guipure d'une finesse aranéide, une robe de velours bleu dont le fin corsage était boutonné d'opales, et une coiffure à bandeaux luisants comme de l'ébène. Madame Schontz devait sa célébrité de jolie femme à l'éclat et à la fraîcheur d'un teint blanc et chaud comme celui des créoles, à cette figure pleine de détails spirituels, de traits nettement dessinés et fermes dont le type le plus célèbre fut offert si longtemps jeune par la comtesse Merlin, et qui peut-être est particulier aux figures méridionales. Malheureusement la petite madame Schontz tendait à l'embonpoint depuis que sa vie était devenue heureuse et calme. Le cou, d'une rondeur séduisante, commençait à s'empâter ainsi que les épaules. On se repaît en France si principalement de la tête des femmes, que les belles têtes font longtemps vivre les corps déformés.

– Ma chère enfant, dit Maxime en entrant et en embrassant madame Schontz au front, Rochefide a voulu me faire voir votre nouvel établissement où je n'étais pas encore venu; mais c'est presque en harmonie avec ses quatre cent mille francs de rente… Eh bien, il s'en fallait de cinquante qu'il ne les eût, quand il vous a connue, et en moins de cinq ans vous lui avez fait gagner ce qu'une autre, une Antonia, une Malaga, Cadine ou Florentine lui auraient mangé.

– Je ne suis pas une fille, je suis une artiste! dit madame Schontz avec une espèce de dignité. J'espère bien finir, comme dit la comédie, par faire souche d'honnêtes gens…

– C'est désespérant, nous nous marions tous, reprit Maxime en se jetant dans un fauteuil au coin du feu. Me voilà bientôt à la veille de faire une comtesse Maxime.

– Oh! comme je voudrais la voir!.. s'écria madame Schontz. Mais permettez-moi, dit-elle, de vous présenter monsieur Claude Vignon. – Monsieur Claude Vignon, monsieur de Trailles!..

– Ah! c'est vous qui avez laissé Camille Maupin, l'aubergiste de la littérature, aller dans un couvent?.. s'écria Maxime. Après vous, Dieu!.. Je n'ai jamais reçu pareil honneur. Mademoiselle des Touches vous a traité, monsieur, en Louis XIV…

– Et voilà comme on écrit l'histoire!.. répondit Claude Vignon, ne savez-vous pas que sa fortune a été employée à dégager les terres de monsieur du Guénic?.. Si elle savait que Calyste est à son ex-amie… (Maxime poussa le pied au critique en lui montrant monsieur de Rochefide)… elle sortirait de son couvent, je crois, pour le lui arracher.

– Ma foi, Rochefide, mon ami, dit Maxime en voyant que son avertissement n'avait pas arrêté Claude Vignon, à ta place, je rendrais à ma femme sa fortune, afin qu'on ne crût pas dans le monde qu'elle s'attaque à Calyste par nécessité.

– Maxime a raison, dit madame Schontz en regardant Arthur qui rougit excessivement. Si je vous ai gagné quelques mille francs de rentes, vous ne sauriez mieux les employer. J'aurai fait le bonheur de la femme et du mari, en voilà un chevron!..

– Je n'y avais jamais pensé, répondit le marquis; mais on doit être gentilhomme avant d'être mari.

– Laisse-moi te dire quand il sera temps d'être généreux, dit Maxime.

– Arthur! dit Aurélie, Maxime a raison. Vois-tu, mon bon homme, nos actions généreuses sont comme les actions de Couture, dit-elle en regardant à la glace pour voir quelle personne arrivait, il faut les placer à temps.

Couture était suivi de Finot. Quelques instants après, tous les convives furent réunis dans le beau salon bleu et or de l'hôtel Schontz; tel était le nom que les artistes donnaient à leur auberge depuis que Rochefide l'avait achetée à sa Ninon II. En voyant entrer La Palférine qui vint le dernier, Maxime alla vers lui, l'attira dans l'embrasure d'une croisée et lui remit les vingt billets de banque.

– Surtout, mon petit, ne les ménage pas, dit-il avec la grâce particulière aux mauvais sujets.

– Il n'y a que vous pour savoir ainsi les doubler!.. répondit La Palférine.

– Es-tu décidé?

– Puisque je prends, répondit le jeune comte avec hauteur et raillerie.

– Eh bien, Nathan, que voici, te présentera dans deux jours chez madame la marquise de Rochefide, lui dit-il à l'oreille.

La Palférine fit un bond en entendant le nom.

– Ne manque pas de te dire amoureux-fou d'elle; et, pour ne pas éveiller de soupçons, bois du vin, des liqueurs à mort! Je vais dire à Aurélie de te mettre à côté de Nathan. Seulement, mon petit, il faudra maintenant nous rencontrer tous les soirs, sur le boulevard de la Madeleine, à une heure du matin, toi pour me rendre compte de tes progrès, moi pour te donner des instructions.

– On y sera, mon maître… dit le jeune comte en s'inclinant.

– Comment nous fais-tu dîner avec un drôle habillé comme un premier garçon de restaurant? demanda Maxime à l'oreille de madame Schontz en lui désignant du Ronceret.

– Tu n'as donc jamais vu l'Héritier? Du Ronceret d'Alençon.

– Monsieur, dit Maxime à Fabien, vous devez connaître mon ami d'Esgrignon?

– Il y a longtemps que Victurnien ne me connaît plus, répondit Fabien; mais nous avons été très liés dans notre première jeunesse.

Le dîner fut un de ceux qui ne se donnent qu'à Paris, et chez ces grandes dissipatrices, car elles surprennent les gens les plus difficiles. Ce fut à un souper semblable, chez une courtisane belle et riche comme madame Schontz, que Paganini déclara n'avoir jamais fait pareille chère chez aucun souverain, ni bu de tels vins chez aucun prince, ni entendu de conversation si spirituelle, ni vu reluire de luxe si coquet.

Maxime et madame Schontz rentrèrent dans le salon les premiers, vers dix heures, en laissant les convives qui ne gazaient plus les anecdotes et qui se vantaient leurs qualités en collant leurs lèvres visqueuses au bord des petits verres sans pouvoir les vider.

– Eh bien, ma petite, dit Maxime, tu ne t'es pas trompée, oui, je viens pour tes beaux yeux, il s'agit d'une grande affaire, il faut quitter Arthur; mais je me charge de te faire offrir deux cent mille francs par lui.

– Et pourquoi le quitterais-je, ce pauvre homme?

– Pour te marier avec cet imbécile venu d'Alençon exprès pour cela. Il a été déjà juge, je le ferai nommer président à la place du père de Blondet qui va sur quatre-vingt-deux ans; et, si tu sais mener ta barque, ton mari deviendra député. Vous serez des personnages et tu pourras enfoncer madame la comtesse du Bruel…

– Jamais! dit madame Schontz, elle est comtesse.

– Est-il d'étoffe à devenir comte?..

– Tiens, il a des armes, dit Aurélie en cherchant une lettre dans un magnifique cabas pendu au coin de sa cheminée et la présentant à Maxime, qu'est-ce que cela veut dire? voilà des peignes.

– Il porte coupé au un d'argent à trois peignes de gueules; deux et un, entrecroisés à trois grappes de raisin de pourpre tigées et feuillées de sinople, un et deux; au deux, d'azur à quatre plumes d'or posées en fret, avec SERVIR pour devise et le casque d'écuyer. C'est pas grand'chose, ils ont été anoblis sous Louis XV, ils ont eu quelque grand-père mercier, la ligne maternelle a fait fortune dans le commerce des vins, et le du Ronceret anobli devait être greffier… Mais, si tu réussis à te défaire d'Arthur, les du Ronceret seront au moins barons, je te le promets, ma petite biche. Vois-tu, mon enfant, il faut te faire mariner pendant cinq ou six ans en province si tu veux enterrer la Schontz dans la présidente… Ce drôle t'a jeté des regards dont les intentions étaient claires, tu le tiens…

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