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Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile
Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile

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Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Et lorsque vous verrez que tout le mérite du dénoûment consiste en ce que le Tuteur a fermé sa porte en donnant son passe-partout à Bazile, pour que lui seul et le Notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'être étonné qu'un Critique aussi équitable se joue de la confiance de son Lecteur, ou se trompe au point d'écrire, et dans Bouillon encore: le Comte s'est donné la peine de monter au balcon par une échelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermée.

Enfin, lorsque vous verrez le malheureux Tuteur, abusé par toutes les précautions qu'il prend pour ne le point être, à la fin forcé de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prévenir, vous laisserez au Critique à décider si ce Tuteur étoit un imbécille de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachoit tout, lorsque lui Critique, à qui l'on ne cachoit rien, ne l'a pas devinée plus que le Tuteur.

En effet, s'il l'eût bien conçue, auroit-il manqué de louer tous les beaux endroits de l'Ouvrage?

Qu'il n'ait point remarqué la manière dont le premier Acte annonce et déploie avec gaieté tous les caractères de la Pièce, on peut lui pardonner.

Qu'il n'ait pas apperçu quelque peu de comédie dans la grande Scène du second Acte, où, malgré la défiance et la fureur du Jaloux, la Pupille parvient à lui donner le change sur une lettre remise en sa présence, et à lui faire demander pardon à genoux du soupçon qu'il a montré, je le conçois encore aisément.

Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la Scène de stupéfaction de Bazile, au troisième Acte, qui a paru si neuve au Théâtre, et a tant réjoui les Spectateurs, je n'en suis point réjoui du tout.

Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras où l'Auteur s'est jeté volontairement au dernier Acte, en faisant avouer par la Pupille à son Tuteur que le Comte avoit dérobé la clé de la jalousie; et comment l'Auteur s'en démêle en deux mots, et sort en se jouant de la nouvelle inquiétude qu'il a imprimée au Spectateur, c'est peu de chose en vérité.

Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu à l'esprit que la Pièce, une des plus gaies qui soient au Théâtre, est écrite sans la moindre équivoque, sans une pensée, un seul mot dont la pudeur, même des petites Loges, ait à s'allarmer, ce qui pourtant est bien quelque chose, Monsieur, dans un siècle où l'hypocrisie de la décence est poussée presque aussi loin que le relâchement des mœurs. Très-volontiers. Tout cela sans doute pouvoit n'être pas digne de l'attention d'un Critique aussi majeur.

Mais comment n'a-t-il pas admiré ce que tous les honnêtes gens n'ont pu voir sans répandre des larmes de tendresse et de plaisir? je veux dire, la piété filiale de ce bon Figaro, qui ne sauroit oublier sa mère!

Tu connois donc ce Tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mère, répond Figaro. Un avare auroit dit: Comme mes poches. Un Petit-Maître eût répondu: Comme moi-même. Un ambitieux: Comme le chemin de Versailles; et le Journaliste de Bouillon: Comme mon Libraire. Les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intéressant. Comme ma mère, a dit le fils tendre et respectueux!

Dans un autre endroit encore: Ah! vous êtes charmant! lui dit le Tuteur. Et ce bon, cet honnête Garçon, qui pouvoit gaiement assimiler cet éloge à tous ceux qu'il a reçus de ses Maîtresses, en revient toujours à sa bonne mère, et répond à ce mot: Vous êtes charmant! – Il est vrai, Monsieur, que ma mère me l'a dit autrefois. Et le Journal de Bouillon ne relève point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien desséché pour ne les pas voir, ou le cœur bien dur pour ne pas les sentir!

Sans compter mille autres finesses de l'Art répandues à pleines mains dans cet Ouvrage. Par exemple, on sait que les Comédiens ont multiplié chez eux les emplois à l'infini; emplois de grande, moyenne et petite Amoureuse; emplois de grands, moyens et petits Valets; emplois de Niais, d'Important, de Croquant, de Paysan, de Tabellion, de Bailly; mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointé celui de Bâillant. Qu'a fait l'Auteur pour former un Comédien peu exercé au talent d'ouvrir largement la bouche au Théâtre? Il s'est donné le soin de lui rassembler dans une seule phrase toutes les syllabes bâillantes du françois: Rien… qu'en… l'en… en… ten… dant… parler; syllabes en effet qui feroient bâiller un mort, et parviendroient à desserrer les dents même de l'envie!

En cet endroit admirable où, pressé par les reproches du Tuteur qui lui crie: Que direz-vous à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? et l'autre qui depuis trois heures éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle, que leur direz-vous? Le naïf Barbier répond: Eh parbleu! je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse; et va te coucher à celui qui dort. Réponse en effet si juste, si chrétienne et si admirable, qu'un de ces fiers Critiques, qui ont leurs entrées au Paradis, n'a pu s'empêcher de s'écrier: «Diable! l'Auteur a dû rester au moins huit jours à trouver cette réplique!»

Et le Journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautés sans nombre, use encre et papier, Approbation et Privilége, à mettre un pareil Ouvrage au-dessous même de la critique! On me couperoit le cou, Monsieur, que je ne saurois m'en taire.

N'a-t-il pas été jusqu'à dire, le Cruel: «Que pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le Théâtre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'élaguer, le réduire en quatre Actes et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembourgs, de jeux de mots, en un mot, de bas comique

A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'Ouvrage qu'il décompose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce Journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que, loin d'avoir purgé la Pièce d'aucuns des calembourgs, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'Auteur a fait rentrer dans les Actes restés au Théâtre tout ce qu'il en a pu reprendre à l'Acte au porte-feuille: tel un Charpentier économe cherche dans ses copeaux épars sur le chantier tout ce qui peut servir à cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage.

Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait à la jeune personne d'avoir tous les défauts d'une fille mal élevée? Il est vrai que, pour échapper aux conséquences d'une telle imputation, il tente à la rejeter sur autrui, comme s'il n'en étoit pas l'Auteur, en employant cette expression banale: On trouve à la jeune personne, etc. On trouve!..

Que vouloit-il donc qu'elle fît? Quoi! Qu'au lieu de se prêter aux vues d'un jeune Amant très-aimable et qui se trouve un homme de qualité, notre charmante enfant épousât le vieux podagre Médecin? Le noble établissement qu'il lui destinoit-là! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de Monsieur, on a tous les défauts d'une fille mal élevée!

En vérité, si le Journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses Critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delà des Pyrénées, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les Dames Espagnoles.

Eh! qui sait si son Excellence Madame la Comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son état et vivant comme un Ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertés qu'on se donne à Bouillon, sur elle, avec Approbation et Privilége?

L'imprudent Journaliste a-t-il au moins réfléchi que son Excellence ayant, par le rang de son mari, le plus grand crédit dans les Bureaux, eût pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne ou la Gazette elle-même, et que dans la carrière qu'il embrasse il faut garder plus de ménagemens pour les femmes de qualité? Qu'est-ce que cela me fait à moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle!

Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit à la tête des gens qui prétendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq Actes, je me suis mis en quatre pour ramener le Public. Eh! quand cela seroit? Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquième de son bien que de le voir aller tout entier au pillage?

Mais ne tombez pas, cher Lecteur… (Monsieur, veux-je dire), ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui feroit grand tort à votre jugement.

Ma Pièce, qui paroît n'être aujourd'hui qu'en quatre Actes, est réellement et de fait en cinq, qui sont le 1er, le 2e, le 3e, le 4e et le 5e, à l'ordinaire.

Il est vrai que, le jour du combat, voyant les Ennemis acharnés, le Parterre ondulant, agité, grondant au loin comme les flots de la mer, et trop certain que ces mugissements sourds, précurseurs des tempêtes, ont amené plus d'un naufrage, je vins à réfléchir que beaucoup de Pièces en cinq Actes (comme la mienne), toutes très-bien faites d'ailleurs (comme la mienne), n'auroient pas été au Diable en entier (comme la mienne), si l'Auteur eût pris un parti vigoureux (comme le mien).

«Le Dieu des cabales est irrité,» dis-je aux Comédiens avec force:

Enfans! un sacrifice est ici nécessaire.

Alors, faisant la part au Diable et déchirant mon manuscrit: «Dieu des Siffleurs, Moucheurs, Cracheurs, Tousseurs et Perturbateurs, m'écriai-je, il te faut du sang? Bois mon quatrième Acte et que ta fureur s'appaise.»

A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal qui faisoit pâlir et broncher les Acteurs, s'affoiblir, s'éloigner, s'anéantir, l'applaudissement lui succéder, et des bas-fonds du Parterre un bravo général s'élever, en circulant, jusqu'aux hauts bancs du Paradis.

De cet exposé, Monsieur, il suit que ma Pièce est restée en cinq Actes, qui sont le 1er, le 2e, le 3e au Théâtre, le 4e au diable et le 5e avec les trois premiers. Tel Auteur même vous soutiendra que ce 4e Acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien à la Pièce, en ce qu'on ne l'y voit point.

Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvé mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq Actes, d'avoir montré mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac15 et les Modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la règle à couvert.

Par le second arrangement, le Diable a son affaire; mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquième roue, le Public est content, je le suis aussi. Pourquoi le Journal de Bouillon ne l'est-il pas? – Ah! pourquoi! C'est qu'il est bien difficile de plaire à des gens qui, par métier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sérieuses, ni les graves assez enjouées.

Je me flatte, Monsieur, que cela s'appelle raisonner principes et que vous n'êtes pas mécontent de mon petit syllogisme.

Reste à répondre aux observations dont quelques personnes ont honoré le moins important des Drames hazardés depuis un siècle au Théâtre.

Je mets à part les lettres écrites aux Comédiens, à moi-même, sans signature et vulgairement appellées anonymes; on juge à l'âpreté du style que leurs Auteurs, peu versés dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise Pièce n'est point une mauvaise action, et que telle injure, convenable à un méchant homme, est toujours déplacée à un méchant Ecrivain. Passons aux autres.

Des Connoisseurs ont remarqué que j'étois tombé dans l'inconvénient de faire critiquer des usages François par un Plaisant de Séville à Séville, tandis que la vraisemblance exigeoit qu'il s'égayât sur les mœurs Espagnoles. Ils ont raison; j'y avois même tellement pensé, que pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avois d'abord résolu d'écrire et de faire jouer la Pièce en langage Espagnol; mais un homme de goût m'a fait observer qu'elle en perdroit peut-être un peu de sa gaieté pour le Public de Paris, raison qui m'a déterminé à l'écrire en François; ensorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices à la gaieté, mais sans pouvoir parvenir à dérider le Journal de Bouillon.

Un autre Amateur, saisissant l'instant qu'il y avoit beaucoup de monde au foyer, m'a reproché du ton le plus sérieux, que ma Pièce ressembloit à: On ne s'avise jamais de tout. «Ressembler, Monsieur, je soutiens que ma Pièce est: On ne s'avise jamais de tout, lui-même. – Et comment cela? – C'est qu'on ne s'étoit pas encore avisé de ma Pièce.» L'Amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-là qui me reprochoit, on ne s'avise jamais de tout, est un homme qui ne s'est jamais avisé de rien.

Quelques jours après, ceci est plus sérieux, chez une Dame incommodée, un Monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne à corbin, lequel touchoit légèrement le poignet de la Dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vérité des traits que j'avois lancés contre les Médecins. «Monsieur, lui dis-je, Etes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serois désolé qu'un badinage… – On ne peut pas moins; je vois que vous ne me connoissez pas, je ne prends jamais le parti d'aucun, je parle ici pour le Corps en général.» Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvoit être. «En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, Monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne. – Eh! croyez-vous moins perdre à cet examen qu'au premier? – A merveille, Docteur, dit la Dame. Le Monstre qu'il est! n'a-t-il pas osé parler mal aussi de nous? Faisons cause commune.»

A ce mot de Docteur, je commencai à soupçonner qu'elle parloit à son Médecin. «Il est vrai, Madame et Monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces légers torts, d'autant plus aisément, qu'ils tirent moins à conséquence.

Eh! qui pourroit nuire à deux Corps puissans dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? Malgré les Envieux, les Belles y règneront toujours par le plaisir et les Médecins par la douleur, et la brillante santé nous ramène à l'Amour, comme la maladie nous rend à la Médecine.

Cependant, je ne sais si, dans la balance des avantages, la Faculté ne l'emporte pas un peu sur la Beauté. Souvent on voit les Belles nous renvoyer aux Médecins, mais plus souvent encore les Médecins nous gardent et ne nous renvoient plus aux Belles.

En plaisantant donc, il faudroit peut-être avoir égard à la différence des ressentimens et songer que, si les Belles se vengent en se séparant de nous, ce n'est là qu'un mal négatif; au lieu que les Médecins se vengent en s'en emparant, ce qui devient très-positif;

Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les Belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent;

Que le commerce des Belles nous les rend bientôt nécessaires; au lieu que l'usage des Médecins finit par nous les rendre indispensables;

Enfin, que l'un de ces empires ne semble établi que pour assurer la durée de l'autre, puisque, plus la verte jeunesse est livrée à l'Amour, plus la pâle vieillesse appartient sûrement à la Médecine.

Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il étoit juste, Madame et Monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadés que, faisant profession d'adorer les Belles et de redouter les Médecins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la beauté; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la Faculté.

Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, Mesdames, et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur où mon dépit contre une Belle alloit s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrêter tout court au 25e Couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi dans le 26e amende honorable aux belles irritées:

Sexe charmant, si je décèleVotre cœur en proie au desir,Souvent à l'amour infidèle,Mais toujours fidèle au plaisir;D'un badinage, ô mes Déesses!Ne cherchez point à vous venger:Tel glose, hélas! sur vos foiblessesQui brûle de les partager.

Quant à vous, Monsieur le Docteur, on sait assez que Molière…

– Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus long-temps de vos lumières: mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs.»Il me laissa, ma foi, la bouche ouverte avec ma phrase en l'air.«Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre Docteur ne vous pardonne pas. – Le nôtre, Madame? Il ne sera jamais le mien. – Eh! pourquoi? – Je ne sais; je craindrois qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire.

Ce Docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible: tel est mon Médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites; en me donnant ses conseils qu'ils nomment ordonnances, il remplit dignement et sans faste la plus noble fonction d'une âme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier à l'opposer au pédantisme. A l'infatué qui lui dit gravement: «De quatre-vingts fluxions de poitrine que j'ai traitées cet Automne, un seul malade a péri dans mes mains,» mon Docteur répond en souriant: «Pour moi, j'ai prêté mes secours à plus de cent cet Hiver; hélas! je n'en ai pu sauver qu'un seul.» Tel est mon aimable Médecin. – Je le connois. – Vous permettez bien que je ne l'échange pas contre le vôtre. Un Pédant n'aura pas plus ma confiance en maladie qu'une bégueule n'obtiendroit mon hommage en santé. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeller mon amende honorable au beau sexe, je devois lui chanter le Couplet de la bégueule; il est tout fait pour lui.

Pour égayer ma poésie,Au hasard j'assemble des traits:J'en fais, peintre de fantaisie,Des tableaux, jamais des portraits.La Femme d'esprit, qui s'en moque,Sourit finement à l'Auteur;Pour l'imprudente qui s'en choque,Sa colère est son délateur.

– A propos de Chanson, dit la Dame, vous êtes bien honnête d'avoir été donner votre Pièce aux François! moi qui n'ai de petite Loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un Opéra Comique? ce fut, dit-on, votre première idée. La Pièce est d'un genre à comporter de la musique.

– Je ne sais si elle est propre à la supporter16, ou si je m'étois trompé d'abord en le supposant; mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, Madame, répond à tout.

Notre Musique Dramatique ressemble trop encore à notre Musique chansonnière pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaité franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au Théâtre quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos Musiciens se rapprocheront de la nature, et sur-tout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des Reprises et des Rondeaux dans un Drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt et dénote un vide insupportable dans les idées.

Moi qui toujours ai chéri la Musique sans inconstance et même sans infidélité, souvent, aux Pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur: Eh! va donc, Musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabaches! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le Poëte se tue à serrer l'évènement, et toi tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux Chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connoisses le langage sublime et tumultueux des passions.

En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au Théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérêt marche à sens contraire; l'action s'allanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à devenir ce que voudrois, il m'arrive souvent de trouver que je voudrois la fin du Spectacle.

Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la Musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variété seulement, la Danse élevée est déjà le modèle du chant.

Voyez le superbe Vestris17 ou le fier d'Auberval18 engager un pas de caractère. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paroît, son port libre et dégagé fait déjà lever la tête aux Spectateurs. Il inspire autant de fierté qu'il promet de plaisirs. Il est parti… Pendant que le Musicien redit vingt fois ses phrases et monotone19 ses mouvemens, le Danseur varie les siens à l'infini.

Le voyez-vous s'avancer légèrement à petits bonds, reculer à grands pas et faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieuse négligence? Tantôt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son à plomb… Et soudain, comme s'il regrettoit le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du Théâtre, et revient, en pirouettant, avec une rapidité que l'œil peut suivre à peine.

L'air a beau recommencer, rigaudonner, se répéter, se radoter, il ne se répète point, lui! tout en déployant les mâles beautés d'un corps souple et puissant, il peint les mouvemens violens dont son âme est agitée; il vous lance un regard passionné que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif; et, comme s'il se lassoit bientôt de vous plaire, il se relève avec dédain, se dérobe à l'œil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naître et sortir de la plus douce ivresse. Impétueux, turbulent, il exprime une colère si bouillante et si vraie qu'il m'arrache à mon siége et me fait froncer le sourcil. Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une grâce, une mollesse, et des mouvemens si délicats, qu'il enlève autant de suffrages qu'il y a de regards attachés sur sa Danse enchanteresse.

Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'Opéra, des Mélodrames! Mais j'entends mon éternel Censeur (je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon), qui me dit: «Que prétend-t-on par ce tableau? Je vois un talent supérieur, et non la Danse en général. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas…»

Je l'arrête à mon tour. Eh quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idée de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gémissant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plâtrier qui siffle? Je le prends au haras, fier Etalon, vigoureux, découplé, l'œil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les nazeaux, bondissant de desirs et d'impatience, ou fendant l'air, qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon Danseur.

Et quand je crayonne un art, c'est parmi les plus grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modèles, tous les efforts du génie… mais je m'éloigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de Séville… ou plutôt, Monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberois dans le défaut reproché trop justement à nos François, de toujours faire de petites Chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites.

Je suis, avec le plus profond respect,

MONSIEUR,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,L'AUTEUR.

PERSONNAGES

(Les habits des Acteurs doivent être dans l'ancien costume Espagnol.)

LE COMTE ALMAVIVA, Grand d'Espagne, Amant inconnu de Rosine, paroît au premier Acte en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun, ou cape espagnole; chapeau noir rabattu avec un ruban de couleur au tour de la forme. Au 2e Acte: habit uniforme de cavalier avec des moustaches et des bottines. Au 3e habillé en Bachelier; cheveux ronds; grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'Abbé. Au 4e Acte, il est vêtu superbement à l'Espagnol avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé.

BARTHOLO, Médecin, Tuteur de Rosine: habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate.

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