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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7
Mais nous rejoindrez-vous pendant le banquet?
SALEMÈNESDispensez-moi, sire; – je ne suis pas un homme de table: je suis prêt à remplir tous les emplois, sauf celui de Bacchante.
SARDANAPALENéanmoins, il est bon de se réjouir de tems en tems.
SALEMÈNESEt bon aussi que quelques-uns veillent pour ceux qui trop souvent se réjouissent. Permettez-vous que je m'éloigne?
SARDANAPALEOui: – encore un instant, mon généreux Salemènes, mon frère, mon excellent sujet, prince meilleur que je ne suis roi. Vous devriez être le monarque, et moi, – je ne sais quoi, et je ne m'en soucie; mais ne va pas croire que je sois insensible à ta prudente sollicitude, et aux chagrins rudes, mais affectueux, que te causent mes folies. Si j'épargnai, contre ton avis, l'existence de ces hommes; – ce n'est pas que je crusse tes avis erronés; mais laissons-les respirer; ne les chicanons pas sur leur vie: – donnons-leur le loisir de l'amender. Leur exil me permet de dormir tranquille, et leur mort m'en eût empêché.
SALEMÈNESAinsi, pour sauver des traîtres, vous courez le risque de tomber dans l'éternel sommeil: – vous leur évitez un moment d'angoisse, pour des années de crime. Permettez-moi de les forcer à demeurer tranquilles.
SARDANAPALENe me tente pas: ma parole est donnée.
SALEMÈNESElle peut être reprise.
SARDANAPALEC'est celle d'un roi.
SALEMÈNESElle devrait donc être vigoureuse. Cette demi-indulgence, qui se contente de l'exil, ne fait qu'ajouter à l'irritation. – Il faut qu'un pardon soit entier, ou qu'il ne soit pas prononcé.
SARDANAPALEEt qui m'a persuadé, lorsque je m'étais contenté de les éloigner de ma présence, qui m'a pressé de les renvoyer dans leurs satrapies?
SALEMÈNESEn effet, je l'avais oublié: et si jamais ils gagnent leurs provinces, – vous devez, sire, me reprocher encore davantage ce conseil.
SARDANAPALEEt s'ils ne les gagnent pas, songez-y, – sains et saufs; entendez-vous, sains et saufs, et en toute sécurité, songez à la vôtre.
SALEMÈNESPermettez-moi de partir; on veillera à leur salut.
SARDANAPALEPars donc; et, je te prie, pense de ton frère avec plus de faveur.
SALEMÈNESSire, je servirai toujours, comme je le dois, mon souverain.
(Salemènes sort.)SARDANAPALE, seulCet homme est d'un caractère trop sévère: il est rude et fier comme le roc, libre de toutes les entraves vulgaires de la terre. Moi, je suis d'une argile plus tendre et mélangée de fleurs. Mais, comme notre enveloppe, les produits doivent différer entre eux. Si je me trompe, c'est sur des points qui affectent bien légèrement ce sens que je ne puis désigner, mais qui m'inspire souvent de la tristesse et quelquefois de la satisfaction; génie qui semble placé sur mon cœur pour régler plutôt que pour rendre plus vifs ses mouvemens, et pour me faire des questions que jamais aucun mortel ne m'a faites, ni Baal lui-même, avec tous ses divins oracles: – lui dont, ici, le marbre n'empêche pas la majestueuse figure de se rider, comme les ombres du soir, et de sembler mobile, au point de me laisser croire que la statue va parler. Éloignons ces vaines pensées: je veux être tout à l'allégresse; – et puis, voici le plus fidèle héraut du plaisir.
(Entre Mirrha.)MIRRHARoi! le ciel se couvre, le tonnerre commence à gronder, les nuages semblent approcher et recéler déjà dans leurs flancs les éclats d'une redoutable tempête. Voulez-vous donc quitter le palais?
SARDANAPALELa tempête, dis-tu!
MIRRHAOui, mon cher seigneur.
SARDANAPALEPour ma part, je ne serais pas fâché de rompre la monotonie de la scène, et de contempler les élémens en guerre; mais ce plaisir contrasterait avec les vêtemens de soie et les figures paisibles de nos joyeux amis. Dis-moi, Mirrha, es-tu de ceux qui craignent le grondement des nuages?
MIRRHADans mon pays, nous respectons leurs voix, comme les augures de Jupiter.
SARDANAPALEJupiter! – Ah! oui, votre Baal. – Le nôtre a du crédit aussi sur le tonnerre; et, de tems en tems, quelque éclat témoigne sa divinité, et même vient parfois briser ses propres autels.
MIRRHACe serait un sinistre présage.
SARDANAPALEOui, – pour les prêtres. Eh bien! cette nuit, nous ne sortirons pas du palais: nous banquetterons à l'intérieur.
MIRRHAJupiter en soit donc loué! il a exaucé la prière que tu n'avais pas voulu entendre. Les dieux ont pour toi plus de tendresse que toi-même; et s'ils ont soulevé cette tempête entre toi et tes ennemis, c'est pour te protéger contre eux.
SARDANAPALES'il y a du péril, mon enfant, il est, je crois, le même dans ces murs et sur les bords du fleuve.
MIRRHANon, non; ces murs sont élevés, forts, et d'ailleurs garnis de gardes. Pour y pénétrer, la trahison doit franchir une foule de détours et de portes massives: mais dans le pavillon, elle ne trouvera aucune défense.
SARDANAPALENon, s'il y a trahison; mais ni dans le palais, ni dans la forteresse, ni sur les sommets, séjour des orages, où l'aigle repose au milieu d'impraticables rochers. La flèche sait atteindre le roi des airs: et celui de la terre n'est pas à l'abri du poignard meurtrier. Mais, calme-toi: innocens ou coupables, les hommes que tu crains sont bannis et déjà loin.
MIRRHAIls vivent encore?
SARDANAPALEQuoi, si cruelle aussi!
MIRRHAJe ne puis frémir de la juste exécution d'un châtiment mérité, sur ceux qui menacent votre vie: s'il en était autrement, je ne mériterais pas de conserver la mienne. D'ailleurs, vous avez le conseil du noble Salemènes.
SARDANAPALEMa surprise est extrême: l'indulgence et la sévérité se réunissent contre moi pour me forcer à la vengeance.
MIRRHAC'est là une de nos vertus en Grèce.
SARDANAPALEElle n'en est pas plus royale. – Je ne l'observerai pas; ou si je m'y laisse entraîner, ce sera à l'égard des rois: – de mes égaux.
MIRRHAMais ces hommes cherchent à devenir tels.
SARDANAPALEMirrha, cela est trop de ton sexe; c'est la peur qui t'inspire.
MIRRHAOui, pour vous.
SARDANAPALEPeu importe: – c'est toujours la peur. J'ai étudié les femmes; une fois soulevées par le ressentiment, elles aspirent, par suite de leur timidité, à la vengeance, avec une persévérance que je ne veux pas prendre pour modèle. Je vous croyais, vous autres Grecques, exemptes de cette faiblesse, aussi bien que de la puérile mollesse des femmes asiatiques.
MIRRHAMon seigneur, je n'aime pas à faire parade de mon amour ni de mes qualités; j'eus part à votre splendeur, je partagerai, quoi qu'il arrive, votre destinée. Un jour peut venir où vous trouverez dans une esclave plus de dévouement que dans les innombrables sujets de votre empire. Mais puissent les dieux ne le pas permettre! J'aime mieux être aimée sur la foi de ce que j'éprouve moi-même, que de vous en donner jamais la preuve au milieu de peines que mes tendres soins pourraient ne pas assez adoucir.
SARDANAPALELa peine ne saurait pénétrer où existe le parfait amour; ou, si elle se présente, c'est pour le rendre encore plus vif, et s'évanouir loin de ceux qu'elle ne saurait atteindre. Rentrons. – L'heure approche; et il faut nous préparer à recevoir les hôtes qui doivent embellir notre fête.
(Ils sortent.)FIN DU DEUXIÈME ACTEACTE III
SCÈNE PREMIÈRE(La salle du palais illuminée. – Sardanapale et ses hôtes sont à table. Une tempête au dehors, et de tems en tems le tonnerre.)SARDANAPALERemplis la coupe! Nous sommes ici dans l'ordre: c'est ici mon vrai royaume, entre de beaux yeux et des figures aussi heureuses que belles! Ici, le chagrin ne saurait pénétrer.
ZAMESNi partout ailleurs: – où est le roi, brille aussitôt le plaisir.
SARDANAPALECela ne vaut-il pas mieux que les chasses de Nemrod, ou les courses de ma fière grand'-mère à la recherche de royaumes qu'elle n'aurait pu gouverner, si elle en eût fait la conquête?
ALTADAQuelque grands qu'ils fussent, et comme le fut toute la royale race, nul de ceux qui ont précédemment régné n'a pourtant atteint la gloire de Sardanapale, qui mit toute sa joie dans la paix, la plus solide des gloires.
SARDANAPALEEt dans le plaisir, cher Altada, vers lequel la gloire n'est qu'un chemin. Que recherchons-nous? le plaisir. Nous devons abréger la route qui y conduit; nous ne la poursuivons pas à travers les cendres de l'humanité, et nous évitons de signaler par autant de tombeaux chacun de nos pas.
ZAMESNon; tous les cœurs sont heureux; toutes les voix s'accordent pour bénir le roi de paix, qui tient l'univers en joie.
SARDANAPALEEn es-tu bien sûr? J'ai ouï parler différemment; quelques-uns parlent de traîtres.
ZAMESSire, les traîtres sont ceux qui parlent ainsi2. Cela est impossible. Dans quel but?
SARDANAPALEDans quel but? tu as raison: – Remplis la coupe; nous n'y songerons plus. Il n'y a pas de traîtres: ou s'il en est, ils sont partis.
ALTADAAmis, faites-moi raison! Vidons tous, à genoux, une coupe à la santé du roi, – du monarque, dis-je, du dieu Sardanapale!
ZAMES et les hôtes s'agenouillent, et s'écrient:Au roi plus puissant que Baal son père, au dieu Sardanapale! (Le tonnerre interrompt leur toast, quelques-uns se relèvent effrayés.) Pourquoi vous relever, mes amis? Ses ancêtres divins expriment, par cette éclatante voix, leur consentement à nos vœux.
MIRRHADis plutôt leurs menaces. Souffriras-tu, roi, cette ridicule impiété?
SARDANAPALEImpiété! – Eh bien! si mes aïeux et prédécesseurs sont des dieux, je ne déshonorerai pas leur lignée. Mais levez-vous, mes pieux amis; réservez votre dévotion pour le maître du tonnerre: mes vœux sont d'être aimé, et non pas déifié.
ALTADAVous êtes l'un et l'autre; – et vous le serez toujours par vos fidèles sujets.
SARDANAPALELe tonnerre semble redoubler: voilà une horrible nuit.
MIRRHAOh! oui, pour les dieux qui n'ont pas de palais où puissent être à l'abri leurs adorateurs.
SARDANAPALEIl est vrai, Mirrha; et si je pouvais transformer mon royaume en un vaste asile pour les malheureux, je le ferais.
MIRRHATu n'es donc pas dieu, puisque tu ne peux exécuter le grand et noble vœu que tu formes.
SARDANAPALEEt vos dieux donc, que sont-ils? eux qui le peuvent et ne le font pas?
MIRRHANe parle pas de cela, de crainte de les provoquer.
SARDANAPALEEn effet; ils n'aiment pas mieux que les mortels la censure. Une pensée me frappe, mes amis: s'il n'existait pas de temple, croyez-vous qu'il y eût des adorateurs de l'air? – c'est-à-dire, quand il est triste et furieux comme en ce moment.
MIRRHALe Perse prie sur ses montagnes.
SARDANAPALEOui, quand brille le soleil.
MIRRHAMais moi, je demanderais, si ce palais était renversé et détruit, combien de flatteurs baiseraient la poussière sur laquelle marchait le roi?
ALTADALa belle Ionienne parle avec trop de dédain d'une nation qu'elle ne connaît pas assez; les Assyriens ne savent de plaisir que celui de leur roi: ils sont fiers de leurs hommages.
SARDANAPALEEh bien! mes hôtes, pardonnez la vivacité d'expression de la belle Grecque.
ALTADALui pardonner, sire! nous lui devons honneur, comme à tout ce qui vous appartient. Mais quel est ce bruit?
ZAMESCe bruit! rien que les éclats de portes lointaines frappées du vent.
ALTADAIl a retenti comme le cri de-Écoutez encore.
ZAMESC'est la pluie tombant par torrens sur le toit.
SARDANAPALEN'en parlons plus. Mirrha, mon amour, as-tu préparé ta lyre? Chante-moi une pièce de Sapho; de celle, tu sais, qui, dans ton pays, se précipita-
(Entre Pania, l'épée et les vêtemens ensanglantés et en désordre. Les hôtes se lèvent tous effrayés.)PANIA, aux gardesAssurez-vous des portes; courez de toutes vos forces vers les murs. Aux armes! aux armes! le roi est en péril. Monarque, excusez cette hâte: – ma fidélité l'exige.
SARDANAPALEExplique-toi.
PANIALes craintes de Salemènes étaient fondées: les perfides satrapes-
SARDANAPALEVous êtes blessé: – qu'on lui présente du vin. Reprenez vos sens, cher Pania.
PANIACe n'est rien: – c'est une légère blessure. Je suis plus accablé de l'empressement que j'ai mis à avertir mon prince, que du sang répandu pour le défendre.
MIRRHAEh bien! les rebelles?
PANIAÀ peine Arbaces et Belèses eurent-ils atteint leur demeure dans la ville, qu'ils refusèrent de marcher: et quand je voulus user du pouvoir qui m'était délégué, ils invoquèrent leurs troupes, qui se soulevèrent aussitôt en furie.
MIRRHATous?
PANIABeaucoup trop.
SARDANAPALENe va pas, en mettant une borne à ta franchise, épargner la vérité à mes oreilles.
PANIAMa faible garde était fidèle; – et ce qui en reste le demeure encore.
MIRRHAEst-ce là tout ce qu'il y a de fidèle dans l'armée?
PANIANon: – les Bactriens, conduits par Salemènes, qui, toujours oppressé de violens soupçons sur les gouverneurs de Médie, était alors en marche. Les Bactriens sont nombreux; ils font aux rebelles une résistance opiniâtre, disputent le terrain pas à pas, et forment un cercle autour du palais: c'est là qu'ils songent à réunir toutes leurs forces, et à protéger le roi. (Il hésite.) Je suis chargé de-
MIRRHAIl n'est pas tems d'hésiter.
PANIALe prince Salemènes supplie donc le roi de s'armer lui-même, quoique pour un moment, et de se montrer en soldat: dans cette circonstance, sa seule présence ferait plus que n'en saurait faire une armée.
SARDANAPALEAlors donc, mes armes!
MIRRHATu le veux bien?
SARDANAPALESans doute. Allons! – mais ne cherchez pas le bouclier; il est trop lourd: – une légère cuirasse et mon épée. Où sont les rebelles?
PANIALe plus vif combat se donne maintenant à une stade, à peu près, des murs extérieurs.
SARDANAPALEJe puis donc monter à cheval. Sféro, faites préparer mon cheval. – Il y a dans nos cours assez d'espace pour faire agir la moitié des cavaliers arabes.
(Sféro sort.)MIRRHACombien je t'aime!
SARDANAPALEJe n'en ai jamais douté.
MIRRHAMais, à présent, je te connais.
SARDANAPALE, à l'un des suivansApportez-moi aussi ma lance. – Où est Salemènes?
PANIAOù doit être un soldat: dans le fort de la mêlée.
SARDANAPALECours vers lui. – La route est-elle libre encore entre le palais et l'armée?
PANIAElle l'était quand j'accourus ici, et je n'ai nulle crainte: nos troupes étaient déterminées, et la phalange formée.
SARDANAPALEDis-lui, pour le présent, qu'il épargne sa personne, et que, pour moi, je n'épargnerai pas la mienne: – ajoute que j'arrive.
PANIACe mot est à lui seul la victoire.
(Pania sort.)SARDANAPALEAltada, – Zames, avancez et armez-vous: tout dépend de la célérité, à la guerre. Voyez à ce que les femmes soient mises en sûreté dans les appartemens secrets: qu'on leur laisse une garde, avec l'ordre exprès de ne quitter leur poste qu'avec leur vie. – Zames, vous la commanderez. Altada, armez-vous, et revenez ici: votre poste est près de notre personne.
(Zames, Altada et tous les autres sortent, excepté Mirrha. – Entrent Sféro et autres, avec les armes du roi, etc.)SFÉRORoi, voici votre armure.
SARDANAPALE, s'en revêtantDonnez-moi la cuirasse; – bien: mon baudrier; puis mon épée: et le casque, j'oubliais, où est-il? c'est bien. – Non, il est trop lourd: vous vous êtes trompé, aussi, – ce n'est pas lui que je voulais, mais celui que surmonte un diadème.
SFÉROSire, les pierres précieuses qui l'entourent le mettraient trop en vue pour être placé sur votre tête sacrée; – Veuillez me croire, celui-ci, bien que moins riche, est d'une meilleure trempe.
SARDANAPALEVous croyez! Êtes-vous aussi devenu rebelle? Apprenez que votre devoir est d'obéir: retournez; – mais, non, – il est trop tard: je sortirai sans lui.
SFÉROAu moins, prenez celui-ci.
SARDANAPALEPrendre le Caucase! mais ce serait une montagne sur mes tempes.
SFÉROSire, le dernier soldat ne s'avance pas aussi exposé au combat. Tout le monde vous reconnaîtra, – car l'orage a cessé, et la lune a reparu dans tout son éclat.
SARDANAPALEJe sors pour qu'on me reconnaisse, et, par ce moyen, j'y réussirai plus tôt. Allons, – ma lance! me voici armé. (Il s'avance; puis s'arrêtant tout court, à Sféro.) Sféro, j'oubliais; – apportez le miroir3.
SFÉROUn miroir, sire?
SARDANAPALEOui, le miroir d'acier poli trouvé parmi les dépouilles de l'Inde; – mais hâte-toi. (Sféro sort.) Mirrha, retire-toi dans un lieu de sûreté. Pourquoi n'as-tu pas déjà suivi les autres femmes?
MIRRHAParce que c'est ici ma place.
SARDANAPALEMais quand je la quitterai? -
MIRRHAJe vous suivrai.
SARDANAPALEAu combat, vous!
MIRRHADans ce cas-là, je ne serais pas la première fille grecque qui s'y fût montrée. Mais j'attendrai ici votre retour.
SARDANAPALELa place est spacieuse: c'est la première qu'on occupera, si nous sommes vaincus; et s'il en arrive ainsi, je ne retournerai pas-
MIRRHANous ne nous en rejoindrons pas moins.
SARDANAPALEComment?
MIRRHAAux lieux où tous finiront par se rejoindre: – dans les enfers! Nous y réunirons nos ombres, s'il est, comme je le crois; des rives au-delà du Styx; et nos cendres, s'il n'en est pas.
SARDANAPALEAurais-tu bien le courage de l'oser?
MIRRHAJ'oserai tout, si ce n'est de survivre à ce que j'aimais, pour devenir la proie d'un rebelle: séparons-nous, et montre toute ta valeur.
(Rentre Sféro, avec le miroir.)SARDANAPALE, se regardantCette cuirasse me va bien, le baudrier mieux encore; mais le casque, pas du tout. (Il jette le casque, après l'avoir essayé de nouveau.) À mon avis, je ne suis pas trop mal dans ce costume; à présent, il s'agit d'en faire l'épreuve. Altada! où est Altada?
SFÉROSire, il attend au dehors: il doit vous présenter votre bouclier.
SARDANAPALEEn effet, j'oubliais qu'il est mon porte-bouclier, par droit de naissance dérivé d'âge en âge. Embrasse-moi, Mirrha; encore une fois, – encore, – et quoi qu'il arrive, aime-moi: ma première gloire serait de me rendre plus digne de ta tendresse.
MIRRHAPartez, et soyez vainqueur!
(Sardanapale et Sféro sortent.)MIRRHAMe voilà seule: tous sont partis, et peut-être un bien petit nombre reviendront. Qu'il triomphe seulement, et que je meure! S'il est vaincu, je n'en mourrai pas moins, car je ne veux pas lui survivre. Il a touché mon cœur, je ne sais comment et pourquoi. Ce n'est pas parce qu'il est roi; son royaume chancelle en ce moment autour de son trône; la terre s'entr'ouvre pour ne lui laisser d'autre place qu'un tombeau: et je l'aime encore davantage. Pardonne, ô puissant Jupiter! à cet amour monstrueux pour un barbare qui méconnaît l'Olympe! Oui, je l'adore maintenant, bien plus encore que-Écoutons: – quels cris de guerre! ils semblent approcher. S'il en était ainsi (elle tire une petite fiole), ce subtil poison de Colchos, que mon père apprit à composer sur les rivages d'Euxin, et qu'il m'enseigna à conserver, pourrait m'affranchir! Et déjà, depuis long-tems, il m'eût affranchie; mais j'aimais, j'aimais au point d'oublier que je fusse esclave, dans les lieux même où tous, à l'exception d'un seul, sont esclaves et fiers de leur servitude, quand, à leur tour, ils voient sous leurs ordres un seul être plus bas et plus méprisable qu'eux. C'est ainsi que nous oublions que des fers portés comme ornement n'en sont pas moins des chaînes. – Encore ce bruit!.. – Et puis, le cliquetis des armes: – et puis-
(Entre Altada.)ALTADASféro! – Sféro!
MIRRHAIl n'est pas ici; que lui voulez-vous? où en est le combat?
ALTADADouteux et cruel.
MIRRHAEt le roi?
ALTADAIl agit en roi. Je cherche Sféro, afin de demander pour lui une nouvelle lance et son casque. Jusqu'à présent, il a combattu la tête nue, et beaucoup trop exposé. Les soldats connaissent ses traits, et malheureusement aussi les ennemis: à la claire lueur de la lune, sa tiare de soie et ses cheveux épars lui donnent une apparence trop royale. Tous les arcs sont dirigés sur ses beaux cheveux, sur sa belle tête, et sur le léger bandeau qui les couronne tous deux.
MIRRHADieux qui tonnez sur la terre de mes pères, protégez-le! Est-ce le roi qui vous a envoyé?
ALTADAC'est Salemènes qui, sans en avoir instruit le prince, trop peu soucieux du danger, m'a donné confidentiellement cet ordre. Mais le roi, le roi est au combat comme au plaisir! Où peut donc être Sféro? Je vais chercher dans l'arsenal, il doit s'y tenir.
(Altada sort.)MIRRHANon, – il n'y a pas de déshonneur, – il n'en est pas à le chérir. Je voudrais presque, – ce que jamais je n'ai souhaité, qu'il fût Grec. Si Alcide fut blâmé pour avoir porté la robe de la Lydienne Omphale, et pour avoir manié son vil fuseau; celui qui tout-à-coup se montre un Hercule; qui, depuis sa jeunesse jusqu'à l'âge viril, nourri dans des habitudes efféminées, s'élance du banquet au combat, comme si c'était son lit voluptueux, certes, celui-là mérite d'avoir une fille grecque pour amante, un chantre grec pour poète, une tombe grecque pour monument. Eh bien, seigneur, comment va le combat?
(Entre un officier.)L'OFFICIERPerdu, perdu presque sans ressource. Zames! Où est Zames?
MIRRHAIl commande la garde placée devant l'appartement des femmes.
(L'officier sort.)MIRRHA, seuleIl est parti; et tout, m'a-t-il dit, est perdu! Qu'ai-je besoin d'en savoir davantage? Dans ce peu de mots se trouvent abîmés un royaume et un roi, une famille de treize siècles, des milliers de vies, et la fortune de tous ceux qui n'ont pas succombé; et moi aussi, semblable à la bulle légère sortie de la vague qui engouffre tant de victimes, je vais cesser d'exister. Du moins, mon destin est-il entre mes mains: nul insolent vainqueur ne me comptera parmi ses dépouilles.
(Entre Pania.)PANIAMirrha, suivez-moi sans délai; nous n'avons pas un moment à perdre: – c'est tout ce qui nous reste.
MIRRHAEt le roi?
PANIAIl m'a envoyé ici pour vous conduire au-delà du fleuve, par un passage secret.
MIRRHAAinsi donc, il vit-
PANIAEt m'a chargé d'assurer votre vie, et de vous conjurer de vivre pour lui, jusqu'à ce qu'il pût vous rejoindre.
MIRRHASongerait-il à quitter le combat?
PANIANon, jusqu'à la dernière extrémité. Encore à présent, il n'écoute que les inspirations du désespoir; et, pied à pied, il dispute le palais lui-même.
MIRRHAIls y sont donc! – oui, leurs cris retentissent au travers des vieilles salles que n'avaient jamais profanées des échos rebelles, jusqu'à cette nuit fatale. Adieu, race d'Assyrie! adieu à toutes celles de Nemrod! tout, jusqu'à son nom, est à présent disparu.
PANIASuivez-moi, sortons!
MIRRHANon; je veux mourir ici! – Fuyez, et dites à votre roi que jusqu'à la fin je l'ai aimé.
(Entrent Sardanapale et Salemènes, avec soldats. Pania quitte Mirrha et entre dans leurs rangs.)SARDANAPALEPuisqu'il en est ainsi, nous mourrons où nous sommes nés: – dans nos appartemens. Serrez vos rangs, – demeurez fermes. J'ai dépêché un satrape fidèle vers Zames, dont la garde est fraîche et dévouée: ils ne tarderont pas. Tout n'est pas désespéré! Pania, veille sur Mirrha.
(Pania revient près de Mirrha.)SALEMÈNESNous avons le tems de respirer: encore un effort, mes amis, – un effort pour Assyrie!
SARDANAPALEDis plutôt pour Bactriane! Mes fidèles Bactriens, je veux désormais être roi de votre pays, et nous tiendrons ensemble ce royaume en province.
SALEMÈNESÉcoutez! ils viennent, – ils viennent.
(Entrent Belèses et Arbaces à la tête des rebelles.)ARBACESAvançons! nous les avons pris dans le piége. À la charge! à la charge!
BELÈSESEn avant! – Le ciel combat pour nous et avec nous: – sus!
(Ils chargent le roi, Salemènes et leurs troupes, qui se défendent jusqu'à l'arrivée de Zames, avec les gardes ci-dessus mentionnées. Les rebelles sont alors repoussés et poursuivis par Salemènes, etc. Comme le roi va rejoindre les poursuivans, Belèses l'arrête.)BELÈSESÀ moi, le tyran. – Je vais terminer cette guerre.
SARDANAPALEEt moi aussi, belliqueux prêtre, sublime prophète, sujet reconnaissant et fidèle: – cède, je t'en prie. Je te réserverai pour un jugement en forme, au lieu de plonger mes mains dans ton sang sacré.
BELÈSESTon heure est venue.
SARDANAPALENon, c'est la tienne. – Dernièrement, quoique je ne sois qu'un jeune astrologue, j'ai lu dans les astres; et parmi les lumières du zodiaque, j'ai trouvé ton destin dans le signe du Scorpion, qui proclame que tu vas être terrassé.
BELÈSESCe ne sera pas par toi.
(Ils combattent; Belèses est blessé et désarmé.)SARDANAPALE, levant son épée pour le tuerInvoque maintenant les planètes. Descendront-elles du ciel pour sauver leur crédit et leur interprète?
(Un parti de rebelles entre et délivre Belèses. Ils attaquent le roi, qui, à son tour, est délivré par un parti de ses soldats: les rebelles sont mis en fuite.)SARDANAPALEAprès tout, le vilain avait prophétisé juste. Allons! – sur eux: – la victoire est à nous.