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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7
C'est bien le tems de pareilles plaisanteries! – S'il le fallait, revêtirais-tu ces armes?
SARDANAPALEOu ne les revêtirais-je pas? Oh! s'il le faut, et que ces insolens esclaves ne veulent pas être redressés à moins, je saurai manier l'épée, jusqu'à ce qu'ils veuillent bien me permettre de revenir aux fuseaux.
SALEMÈNESIl y a déjà long-tems, disent-ils, que tu les as changés contre ton sceptre.
SARDANAPALEMensonge! mais laissons-les dire. Les anciens Grecs, dont nos captives chantent souvent les faits, racontaient la même chose de leur plus grand héros, Hercule, parce qu'il vint à aimer une reine de Lydie. Tu le vois, partout la populace s'empare de toutes les calomnies qui peuvent blesser leurs souverains.
SALEMÈNESIls ne parlaient pourtant pas ainsi de tes ancêtres.
SARDANAPALENon, ils n'osaient. Contraints de souffrir et de combattre, jamais ils n'échangeaient leurs chaînes que contre des armes. Maintenant, ils ont paix et bonheur, le loisir de rire et de railler; je ne m'en fâche pas. Je ne donnerais pas le gracieux sourire d'une seule belle fille, pour toute la renommée populaire qui jamais distingua un nom du néant. Et quelle est donc l'opinion de ce vil troupeau, devenu plus insolent par la pâture, pour me forcer à rechercher ses fastidieux éloges ou craindre ses assommantes clameurs?
SALEMÈNESVous l'avez dit, ce sont des hommes; et comme tels, ils ont parfois un cœur.
SARDANAPALEEt mes dogues aussi; le leur même est plus fidèle, et par conséquent meilleur; – mais, continuons. Tu as mon seing, et puisqu'ils sont soulevés, il faut les apaiser; mais sans trop de violence, à moins que la nécessité n'en fasse une loi. J'ai horreur de toutes les peines infligées ou subies; nous en avons assez en nous-mêmes, le dernier sujet comme le plus puissant monarque, pour ne pas encore ajouter au mutuel fardeau des misères humaines, et pour nous obliger, par une allégeance réciproque, à nous soulager l'un l'autre d'une partie de nos ennuis naturels. Mais voilà ce qu'ils ne savent pas, ou ne veulent pas savoir. J'en atteste Baal: j'ai fait tout ce que je pouvais pour les soulager; je n'ai pas entrepris de guerre, ajouté de nouveaux impôts, tourmenté leur existence; je les laisse couler leurs jours comme ils veulent, passant de mon côté les miens le plus agréablement que je puis.
SALEMÈNESTu recules devant les devoirs d'un roi: voilà pourquoi ils disent que tu n'es pas digne d'être le leur.
SARDANAPALEIls mentent. – Par malheur, je suis incapable d'être rien autre chose qu'un roi, et, par malheur encore pour moi, le dernier Mède peut aussi bien en tenir la place.
SALEMÈNESDu moins, il en est un qui désire l'être.
SARDANAPALEQue veux-tu dire? – Mais, c'est ton secret; tu crains les questions, et je ne suis pas d'une nature curieuse. Prends les moyens convenables; et puisque la nécessité l'exige, je t'avoue et je te soutiens. Jamais homme ne désira plus sincèrement régner paisiblement sur des citoyens paisibles; mais s'ils m'obligent à prendre les armes, mieux vaudrait pour eux avoir réveillé les cendres de l'implacable Nemrode, le chasseur puissant. Je ferai de ces royaumes une vaste forêt peuplée d'un gibier sauvage, jadis appartenant à l'espèce humaine, mais qui, par son choix, aura cessé de l'être. Ils calomnient ce que je suis; et ce que je ferai leur portera le défi de me calomnier encore: ils devront s'en prendre à eux-mêmes.
SALEMÈNESEnfin, tu peux donc sentir!
SARDANAPALESentir! Et qui peut ne pas sentir l'ingratitude?
SALEMÈNESJe ne m'arrêterai pas à te répondre en paroles, mais par les faits. Entretiens seulement l'énergie qui pouvait long-tems sommeiller, mais ne fut jamais éteinte en toi; ainsi, tu peux encore régner glorieux et redouté. Adieu.
(Salemènes sort.)SARDANAPALE, seulAdieu! Il est parti. Le seing qu'il porte à son doigt est un sceptre pour lui. Sa violence égale ma faiblesse; les esclaves méritent un pareil maître. Quant au danger, j'en ignore l'étendue; – il l'a mesuré, qu'il le prévienne. Consumerai-je donc ma vie-une vie si courte-à chercher tous les moyens de ne pas l'abréger encore? ce serait le sort le plus déplorable! Ce serait mourir d'avance que de vivre dans la crainte de la mort, déjouant des révoltes, soupçonnant tous ceux qui m'entourent, parce qu'ils m'approchent, tous ceux qui sont loin, parce que je ne les vois pas. Si pourtant il en était ainsi, – s'ils devaient me ravir et l'empire et la vie: eh bien! qu'est-ce que la terre et l'empire de la terre? J'ai aimé, j'ai vécu; je laisse de nombreux descendans: mourir maintenant serait aussi naturel que tous ces actes de la matière! Je n'ai pas, il est vrai, répandu le sang, comme je l'aurais pu, par torrens; je n'ai pas fait de mon nom le synonyme de la mort, – le signal de la terreur et des trophées. Mais je n'éprouve de cela nul remords; ma vie est tout amour: si je verse le sang, ce ne sera que par force. Jusqu'à présent, une seule goutte des veines assyriennes n'a été répandue en mon nom, et jamais la plus faible parcelle des immenses trésors de Ninive n'est tombée sur des objets qui puissent coûter à ses enfans une seule larme. Si donc ils me haïssent, c'est parce que je ne les hais pas; et s'ils se révoltent, c'est parce que je crains de les opprimer. O hommes! c'est avec des faux et non avec un sceptre qu'il faut vous gouverner; il faut vous moissonner chaque année comme les épis mûrs; autrement nous ne produisons qu'une excessive abondance, un amas infect de mécontens, corrompant les sources de la prospérité publique, et faisant de la fertilité un déplorable désert. – Laissons-là ces pensées. Holà, ici! quelqu'un.
(Entre un officier.)SARDANAPALEEsclave, dis à l'Ionienne Mirrha que nous souhaitons sa présence.
L'OFFICIERRoi, la voici.
(Entre Mirrha.)SARDANAPALE, bas à l'officierDehors. (A Mirrha.). Être charmant, tu as à peine prévenu mon cœur; il palpitait pour toi et tu venais à lui: laisse-moi croire qu'il existe entre nous quelqu'influence secrète, quelque douce sympathie, qui, sans nous voir, et de loin, nous attire l'un vers l'autre.
MIRRHAIl est vrai.
SARDANAPALEJe sais qu'elle existe, mais j'ignore son nom; quel est-il?
MIRRHAUn dieu dans ma patrie, et dans mon cœur un sentiment exalté et comme divin; mais j'avoue qu'il est seulement mortel, car mon ame est humble et pourtant heureuse, – c'est-à-dire, désirant de l'être; mais-
(Elle s'arrête.)SARDANAPALEIl y a toujours un intervalle entre nous et ce que nous regardons comme le bonheur: laisse-moi écarter la barrière que ta voix hésitante m'indique devant le tien: celle qui s'oppose au mien sera en même tems rompue.
MIRRHAMon Seigneur! -
SARDANAPALEMon Seigneur, – mon roi, – sire, – souverain, – toujours ainsi, toujours me parler avec respect. Il est dit que jamais je n'obtiendrai un sourire, si ce n'est au milieu de l'étourdissante joie d'un banquet, alors que les bouffons ont, à force d'ivresse, reconquis leur égalité, ou que moi-même je me suis mis au niveau de leur abaissement. Mirrha, je puis souffrir tout cela; ces noms de seigneur, roi, sire, monarque, je les ai même quelque tems accueillis, ou plutôt soufferts de la bouche des esclaves et des nobles; mais quand ils s'échappent des lèvres que j'adore, des lèvres que les miennes ont tendrement pressées, un frisson se répand sur mon cœur; je reviens au sentiment de la fausseté d'une situation qui réprime toute espèce de tendresse chez ceux même qui m'en inspirent davantage, situation qui me fait souhaiter de pouvoir déposer enfin la pesante tiare pour me réfugier sous une chaumière du Caucase avec toi, et pour n'y plus jamais porter que des couronnes de fleurs.
MIRRHAPlût au ciel!
SARDANAPALEAurais-tu les mêmes sentimens? – Pourquoi?
MIRRHATu connaîtrais alors ce que tu ne peux jamais connaître.
SARDANAPALEC'est-
MIRRHALe véritable prix d'un cœur; celui d'une femme, du moins.
SARDANAPALEJ'en ai éprouvé un, mille, – et mille, et mille.
MIRRHADes cœurs?
SARDANAPALEJe l'imagine.
MIRRHAAucun! mais le tems d'en éprouver un viendra peut-être.
SARDANAPALEJe l'espère. Écoute, Mirrha; Salemènes a déclaré-pourquoi ou comment l'a-t-il deviné, c'est ce que Bélus, le fondateur de mes états, connaît mieux que moi: – mais Salemènes a déclaré mon trône en péril.
MIRRHAIl a bien fait.
SARDANAPALEEt toi aussi! Toi qu'il a si rudement insultée; qu'il osait, il n'y a qu'un instant encore, chasser de notre présence, par ses grossières invectives; toi dont il excitait la rougeur et les larmes?
MIRRHAJe devrais les rappeler plus fréquemment: il a bien fait de m'indiquer mon devoir. Mais tu parles de péril-de péril pour toi-
SARDANAPALEOui, il existe de conspirations, des noirs complots parmi les Mèdes: – les troupes et les peuples murmurent. Je ne sais ce que c'est: – un labyrinthe, – un abîme de mystères et de menaces. Tu connais Salemènes, c'est là son habitude; mais il est honnête. Allons, ne songeons plus à cela, – mais à la fête de minuit.
MIRRHAIl est tems de penser à tout autre chose. N'as-tu pas repoussé ses sages précautions?
SARDANAPALEEh quoi! – aurais-tu peur?
MIRRHAPeur! – Je suis Grecque, comment aurais-je peur de la mort? je suis esclave, pourquoi redouterais-je l'instant de ma liberté?
SARDANAPALECependant, tu viens de pâlir?
MIRRHAC'est que j'aime.
SARDANAPALEEt moi? Je t'aime plus, – bien plus que tout ce que m'offrent cette courte vie, cet immense royaume, également menacés; – cependant, je ne pâlis pas.
MIRRHACela prouve que tu n'aimes ni toi-même ni moi; car celui qui aime un autre s'aime lui-même, quand ce ne serait que pour cela. Ce que je vois est trop révoltant: des royaumes et des vies ne doivent pas être ainsi sacrifiés.
SARDANAPALESacrifiés! – Et quel est donc l'ambitieux qui tenterait de les conquérir?
MIRRHAMagnanime courage en effet! Quand celui qui les gouverne s'oublie lui-même, est-ce à eux de le lui rappeler?
SARDANAPALEMirrha!
MIRRHANe fronce pas ainsi le sourcil: trop souvent j'ai recueilli ton sourire pour que la seule expression de ton courroux ne soit pas à mes yeux plus amère que le châtiment le plus cruel. – Roi, je suis ta sujette; maître, je suis ton esclave! homme, je t'ai aimé! – aimé, j'ignore par quelle fatale faiblesse, bien que la Grèce soit ma patrie, et que j'aie sucé la haine des rois. – Esclave, je devrais haïr les chaînes; Ionienne, je me sens, en aimant un étranger, plus avilie encore par cette passion que par l'esclavage! pourtant, je t'ai aimé. Si cet amour a eu le pouvoir d'étouffer tous les premiers sentimens de la nature, dis-moi, ne peut-il réclamer le privilége de te sauver?
SARDANAPALEMe sauver, ma belle maîtresse! Tu es mille fois trop belle; et ce que j'implore de toi, c'est ton amour, et non ta protection.
MIRRHAEt quelle sécurité peut exister loin de l'amour?
SARDANAPALEJe parle de l'amour des femmes.
MIRRHALa première source de la vie humaine jaillit du sein de la femme; vos premiers bégaiemens sont recueillis de ses lèvres, elle tarit vos premières larmes, elle recueille trop souvent vos derniers soupirs alors que les hommes ont déposé l'ignoble soin de garder la dernière heure de celui qui les commandait.
SARDANAPALEMa sublime Ionienne! tes accens sont de la mélodie; c'est le chœur de ces tragédies dont je t'ai entendu parler comme du plaisir favori de tes antiques aïeux. Va, ne pleure pas, – calme-toi.
MIRRHAJe ne pleure pas. – Mais, je te prie, ne parle jamais de mes pères ou de ma patrie.
SARDANAPALEPourtant, tu en parles souvent toi-même.
MIRRHAOui, je l'avoue, l'opiniâtre pensée se fait souvent jour, malgré moi, dans mes paroles; mais quand un autre parle de la Grèce, il m'offense.
SARDANAPALEEh bien donc, comment voudrais-tu me sauver, comme tu parles?
MIRRHAEn t'apprenant à te sauver toi-même; et non pas toi seul, mais ton vaste empire, de la rage de la plus cruelle guerre-la guerre des concitoyens.
SARDANAPALEIgnores-tu donc, mon enfant, que j'ai en horreur et la guerre et les guerriers? Je vis dans la paix et les plaisirs: que peut-on exiger de plus d'un homme?
MIRRHAHélas! seigneur, il faut trop souvent montrer à la multitude l'apparence de la guerre, pour obtenir les bienfaits de la paix; et, pour un roi, il vaut bien mieux être craint qu'aimé.
SARDANAPALEJe n'ai jamais recherché que ce dernier sentiment.
MIRRHAEt l'un et l'autre t'est échappé.
SARDANAPALEEst-ce toi, Mirrha, qui parles ainsi?
MIRRHAJe parle de l'amour populaire, amour égoïste, qui témoigne toujours que les hommes sont gouvernés par la crainte et par les lois, sans pourtant être opprimés; – du moins ne le supposent-ils pas. Ou, s'ils l'imaginent, ils le jugent nécessaire pour les préserver d'une tyrannie plus cruelle, celle de leurs passions. Pour un roi de fête, de fleurs, de vin, de banquets, d'amour et d'allégresse, jamais il ne sera un roi de gloire.
SARDANAPALEGloire! Qu'est-ce que cela?
MIRRHADemande-le aux dieux tes ancêtres.
SARDANAPALEIls ne me répondront pas; quand les prêtres parlent pour eux, c'est pour obtenir quelques collectes nouvelles pour leurs temples.
MIRRHAVois les annales des fondateurs de ton empire.
SARDANAPALEElles sont tellement souillées de sang, que cela m'est impossible; mais que prétendrais-tu? L'empire a été fondé; je ne puis fonder empire sur empire.
MIRRHAConserve du moins le tien.
SARDANAPALEQuoi qu'il arrive, j'en veux jouir. Viens, Mirrha, avance vers l'Euphrate, l'heure nous invite, la barque est prête, et le pavillon disposé pour notre retour après nous avoir offert la décoration d'un nocturne banquet, offrira à nos yeux ravis un globe lumineux, tel qu'un astre opposé aux étoiles célestes qui marcheront sur nos têtes; et cependant nous reposerons couronnés de fleurs, semblables-
MIRRHAA des victimes.
SARDANAPALENon, non, mais comme ces souverains rois pasteurs, des tems reculés, qui ne connaissaient pas de plus brillantes pierreries que les guirlandes de l'été, et dont les triomphes ne coûtaient jamais de larmes. Allons.
(Entre Pania.)PANIAVive à jamais le roi!
SARDANAPALEPas une heure après qu'il aura cessé d'aimer. Combien je hais ce langage, qui, faisant de la vie un mensonge, ose flatter la fragile poussière, de l'espoir de l'éternité! Eh bien, Pania, sois bref.
PANIAJe suis chargé par Salemènes de renouveler au roi sa prière, de ne pas, au moins pour aujourd'hui, sortir du palais: quand le général reviendra, il donnera des motifs capables de justifier sa hardiesse, et peut-être lui feront-ils obtenir le pardon de sa présomption.
SARDANAPALEEh quoi! suis-je donc cerné? Suis-je déjà captif? Ne puis-je même respirer l'air du ciel? Dis au prince Salemènes que, toute la Syrie se pressât-elle en fureur et par millions autour de ces murailles, je sortirais.
PANIAJe dois obéir, et cependant-
MIRRHADe grâce, roi, écoute. – Combien de jours et de nuits es-tu resté renfermé dans ces murs, dans des robes de soies; combien de fois refusas-tu de te montrer aux vœux du peuple; laissant tes sujets privés de ta vue, les satrapes libres de le tourmenter, les dieux privés de leur culte, tout enfin dans l'anarchie, produit de ton indolence; tout, dans ton royaume assoupi, excepté le génie du mal! Et maintenant tu ne peux demeurer un seul jour, un jour d'où ton salut dépend? Oh! n'accorderas-tu pas au petit nombre de ceux qui te sont encore fidèles quelques heures pour eux, pour toi, pour la vieille race de tes pères, pour l'héritage enfin de tes fils?
PANIAIl est vrai! l'empressement extrême avec lequel le prince m'envoya devant votre personne sacrée m'oblige à joindre ma faible voix à celle qui vient de se faire entendre.
SARDANAPALENon, il n'en sera rien.
MIRRHAPar le salut de ton royaume!
SARDANAPALESortons!
PANIAPar celui de tous tes fidèles sujets qui vont se rallier autour de toi et des tiens.
SARDANAPALEPure chimère; il n'y a pas de danger; – c'est une habile invention de Salemènes pour justifier son zèle et pour se rendre plus nécessaire à nos yeux.
MIRRHAAu nom de tout ce qui est bon et glorieux, suis ce conseil.
SARDANAPALELes affaires à demain.
MIRRHAOui, ou la mort à la nuit.
SARDANAPALEEh bien, laissons-la venir, inattendue, au milieu de la joie et des grâces, des plaisirs et de l'amour; qu'elle me fasse tomber comme une rose effeuillée, – plus heureuse ainsi que de vieillir fanée.
MIRRHAAinsi, tu ne veux pas consentir, même au prix de tout ce qui jamais réveilla l'activité d'un monarque, à renoncer à un frivole festin?
SARDANAPALENon.
MIRRHACède donc au moins pour moi, pour mon salut!
SARDANAPALELe tien, chère Mirrha?
MIRRHAC'est la première demande que j'aie faite à un roi d'Assyrie.
SARDANAPALEJe le sais; et serait-ce celle de mon royaume, qu'il faudrait te l'accorder. Eh bien! pour ton salut, je cède. Pania, hors d'ici! tu as entendu.
PANIAEt j'obéis.
(Pania sort.)SARDANAPALETu me surprends. Quel est donc, Mirrha, le motif de pareilles instances?
MIRRHALe soin de ta conservation, et la conviction que rien dans le monde, que le plus imminent danger, ne pourrait forcer le prince ton parent à te faire une prière aussi pressante.
SARDANAPALEMais ce danger, si je le brave, pourquoi le craindrais-tu?
MIRRHAC'est justement parce que tu ne crains pas, que je crains pour toi.
SARDANAPALEDemain, tu riras de ces vaines imaginations.
MIRRHASi j'ai cessé d'espérer, je serai alors au lieu où personne ne pleure, et j'y serai mieux que s'il me restait la liberté de sourire. Et toi?
SARDANAPALEJe serai roi comme précédemment.
MIRRHAOù?
SARDANAPALEAvec Baal, Nemrode et Sémiramis; seul en Assyrie, ou bien avec eux ailleurs. Le destin m'a fait ce que je suis, – il peut m'anéantir; – mais il faut que je sois ou roi, ou rien: je ne vivrai pas dégradé.
MIRRHAAh! si toujours tu avais eu les mêmes sentimens, personne jamais n'eût songé à te dégrader.
SARDANAPALEEt qui maintenant y songerait?
MIRRHAN'as-tu de soupçons sur personne?
SARDANAPALEDes soupçons! – c'est là le métier des espions. Mais nous perdons mille momens précieux en paroles vaines, en craintes plus vaines encore. Renfermons-nous! – Vous, esclaves, préparez la salle de Nemrode pour la fête du soir. S'il faut faire une prison de notre palais, nous voulons du moins porter gaiement nos fers; l'Euphrate nous est-il interdit, et la demeure où l'été nous conviait sur ses charmans rivages? Eh bien, nous sommes ici hors d'atteinte. Allons, rentrons.
(Sardanapale sort.)MIRRHA, seuleEt cet homme, je le chéris! Les filles de ma patrie n'aiment que des héros; mais je n'ai pas de patrie: l'esclave a tout perdu, excepté ses fers. Je l'aime, et l'anneau le plus pesant d'une longue chaîne est d'aimer ce que nous ne pouvons estimer. Soit: l'heure approche où il aura besoin de l'amour de tous, où il n'en trouvera nulle part. Me séparer de lui en ce moment serait plus infâme que ne serait glorieux, dans l'opinion de ma patrie, de l'avoir poignardé sur son trône, lorsqu'il y était le mieux affermi: je ne suis capable de l'un ni de l'autre. Si je pouvais le sauver, j'aimerais mieux, non pas lui, mais moi-même; et j'ai besoin de ce dernier sentiment: car je me suis avilie dans ma propre pensée en aimant ce séduisant étranger. Il me semble pourtant que je l'aime davantage depuis que je le vois haï de ces barbares, les ennemis naturels de la race grecque. Si je pouvais seulement éveiller dans son cœur une seule pensée comme celle qui animait les Phrygiens eux-mêmes quand ils combattaient entre les murs d'Ilion et les bords de la mer! Il voudrait écraser ces tumultueux barbares, et triompher de leur révolte. Il m'aime, et je l'aime moi-même: que l'esclave, en chérissant son maître, cherche à l'affranchir de ses vices. Si je n'y puis parvenir, il me reste un chemin vers la liberté; et si je ne puis lui apprendre à régner, je lui montrerai comment un roi peut seulement abandonner son trône. Il ne faut pas le perdre de vue.
(Elle sort.)FIN DU PREMIER ACTEACTE II
SCÈNE PREMIÈRE(Le portique de la même salle du palais.)BELÈSES, seulLe soleil descend; il me semble marcher plus lentement, en jetant un dernier regard sur l'empire d'Assyrie. De quel rouge éclat, semblable aux flots de sang qu'il nous prédit, il colore les épais nuages! Oh! soleil, qui vas disparaître; étoiles, qui commencez votre course, si ce n'est pas en vain que je vous ai poursuivis, lisant dans chacun de vos rayons ces arrêts de vos orbes, que le tems frémit d'apporter aux nations, voici la dernière heure des années assyriennes. Quel calme, cependant! Une catastrophe que devraient annoncer des tremblemens de terre, – c'est un soleil d'été qui la révèle. Son disque offre sur son immortelle page, à l'œil du savant Chaldéen, la fin de ce qui semblait infini. Mais d'où vient donc que ce véridique soleil, cet oracle embrasé de tout ce qui respire, cette fontaine de toute vie, symbole de celui qui la donne, pourquoi restreint-il ses instructions dans les bornes du malheur? pourquoi n'éclaircit-il pas à nos yeux la venue de jours plus dignes de son glorieux essor de l'océan? pourquoi ne jette-t-il pas sur les années futures un rayon d'espérance, quand il en jette un de rage sur les présens jours? Écoute! oh! daigne m'écouter! Je suis ton adorateur, ton prêtre, ton esclave: – j'ai porté mes regards sur toi à ton lever comme à ton déclin; j'ai courbé ma tête sous les rayons de ton midi, alors que mes yeux n'osaient te fixer. J'ai veillé pour toi et après toi, j'ai prié vers toi, je t'ai offert des sacrifices, j'ai tremblé devant toi, je t'ai consulté, j'ai lu et tu as répondu. – Le tems fuit; l'astre, tandis que je parle, tombe; – il n'est plus. – Il va porter sa beauté, et non les mêmes arrêts, à l'heureux couchant, qui trouvera dans les couleurs de sa gloire déclinante des causes d'allégresse. Qu'est-ce, après tout, que la mort, pourvu qu'elle soit glorieuse? un soleil couchant; et les mortels sont peut-être heureux de ressembler, même en cessant d'exister, aux dieux du ciel.
(Entre Arbaces, par une porte intérieure.)ARBACESPourquoi, Belèses, te vois-je ainsi ravi dans tes pratiques dévotes? Suivrais-tu la trace de ton dieu disparu dans quelques royaumes d'un jour interdit à nos yeux? Soyons tout à la nuit: – elle est venue.
BELÈSESElle n'est pas terminée.
ARBACESQu'elle se passe, – nous sommes prêts.
BELÈSESOui, que n'est-elle écoulée!
ARBACESLe prophète aurait-il des doutes, lui auquel les astres viennent de promettre la victoire?
BELÈSESJe ne doute pas de la victoire, – mais du vainqueur.
ARBACESEh bien, c'est à ta science à te rassurer. En attendant, j'ai disposé assez de glaives étincelans pour obscurcir l'éclat de tes astres nos alliés: rien ne doit plus nous arrêter. Le roi femme, et même moins que femme, vogue en ce moment sur les ondes, avec ses compagnons féminins; l'ordre est donné pour la fête dans le pavillon: et la première coupe qu'il portera à ses lèvres sera la dernière vidée par la race de Nemrod.
BELÈSESCe fut une brave race.
ARBACESElle n'est plus que faible; – elle est usée: – nous la restaurerons.
BELÈSESEs-tu sûr de cela?
ARBACESSon fondateur était un chasseur; – je suis un soldat: – que doit-on ici craindre?
BELÈSESLe soldat.
ARBACESEt le prêtre, peut-être. Mais si vous en jugiez, ou en jugez ainsi, pourquoi ne pas garder votre roi de concubines? pourquoi me solliciter, m'entraîner à cette entreprise, la vôtre non moins que la mienne?
BELÈSESRegarde le ciel!
ARBACESJe regarde.
BELÈSESQu'y vois tu?
ARBACESUn beau crépuscule d'été, et l'assemblée des étoiles.
BELÈSESAu milieu d'elles, vois la plus avancée et la plus radieuse; comme elle sautille et semble vouloir abandonner sa place dans le dais d'azur!
ARBACESEh bien!
BELÈSESC'est ta propre étoile, la planète qui présida à ta naissance.
ARBACES, touchant la pomme de son épéeMon étoile est dans ce fourreau: quand elle brillera, elle effacera l'éclat des comètes. Mais songeons à ce qu'il faut faire pour justifier tes planètes et leur prophétie. Quand nous aurons vaincu, elles auront des temples, – oui, et des prêtres: – tu seras le pontife-des dieux que tu choisiras; car j'observe qu'ils sont toujours justes, et qu'ils ne manquent pas d'avouer le plus brave pour celui qui les aime le mieux.
BELÈSESOui, et le plus dévot pour brave. – Tu ne m'as pas vu reculer dans le combat?
ARBACESNon; je te reconnais aussi brave dans une bataille qu'un capitaine babylonien, aussi intrépide que savant dans les mystères chaldéens. Mais consens-tu pour le moment à oublier le prêtre pour ne plus être que guerrier?