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Vies des dames galantes
– Ce grand Alphonse, roy de Naples, disoit que la beauté estoit une vraye signifiance de bonnes et douces mœurs, ainsi comme est la belle fleur d'un bon et beau fruit: comme de vray, en ma vie j'ay veu force belles femmes toutes bonnes; et, bien qu'elles fissent l'amour, ne faisoyent point de mal, ny autre qu'à songer à ce plaisir, et y mettoyent tout leur soucy sans l'applicquer ailleurs. D'autres aussi en ay-je veu très-mauvaises, pernicieuses, dangereuses, crueles et fort malicieuses, nonobstant songer à l'amour et au mal tout ensemble. Sera t-il doncques dit qu'estant ainsi sujettes à l'humeur vollage et ombrageuse de leurs marys, qui méritent plus de punition cent fois envers Dieu, qu'elles soient ainsi punies? Or de telles gens la complexion est autant fascheuse comme est la peine d'en escrire.
– J'en parle maintenant encore d'un autre, qui estoit un seigneur de Dalmatie, lequel ayant tué le paillard de sa femme, la contraignit de coucher ordinairement avec son tronc mort, charogneux et puant; de telle sorte que la pauvre femme fut suffoquée de la mauvaise senteur qu'elle endura par plusieurs jours.
– Vous avez, dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, la plus belle et triste histoire que l'on sçauroit voir pour ce sujet, de cette belle dame d'Allemagne que son mary contraignoit à boire ordinairement dans le test de la teste de son amy qu'il y avoit tué; dont le seigneur Bernage, lors ambassadeur en ce pays pour le roy Charles huictiesme, en vit le pitoyable spectacle, et en fit l'accord.
– La première fois que je fus jamais en Italie, passant par Venise, il me fut fait un compte pour vray d'un certain chevalier albanais, lequel, ayant surpris sa femme en adultère, tua l'amoureux, et de despit qu'il eut que sa femme ne s'estoit contentée de luy; car il estoit un gallant cavallier, et des propres pour Vénus, jusques à entrer en jouxte dix ou douze fois pour une nuict: pour punition il fut curieux de rechercher par-tout une douzaine de bons compagnons, et fort ribauts, qui avoient la réputation d'estre bien et grandement proportionnez de leurs membres, et fort adroits et chauds à l'exécution; et les prit, les gagea, et loua pour argent, et les serra dans la chambre de sa femme, qui estoit très-belle, et la leur abandonna, les priant tous d'y faire bien leur devoir, avec double paye s'ils s'en acquittoient bien: et se mirent tous après elle, les uns après les autres, et la menèrent de telle façon qu'ils la rendirent morte, avec un très-grand contentement du mary; à laquelle il luy reprocha, tendante à la mort, que, puis qu'elle avoit tant aymé cette douce liqueur, qu'elle s'en saoulast, à mode que dit Sémiramis6 à Cyrus, luy mettant sa teste dans un vase plein de sang. Voila un terrible genre de mort! Cette pauvre dame ne fust ainsi morte, si elle eust esté de la robuste complexion d'une garce qui fut au camp de César en la Gaule, sur laquelle on dit que deux légions passèrent par dessus en peu de temps, et au partir de là fit la gambade, ne s'en trouvant point mal.
– J'ai ouy parler d'une dame françoise de ville, et damoiselle, et belle: en nos guerres civiles ayant esté forcée, dans une ville prise d'assaut, par une infinité de soldats, et, en estant échappée, elle demanda à un beau père si elle avoit péché grandement: après luy avoir conté son histoire, il lui dit que non, puisqu'elle avoit ainsi été prise par force, et violée sans sa volonté, mais y répugnant du tout. Elle répondit: «Dieu donc soit loüé, que je m'en suis une fois en ma vie saoulée sans pécher ni offenser Dieu!»
– Une dame de bonne part, au massacre de la Sainct-Barthélemy, ayant été ainsi forcée, et son mary mort, elle demanda à un homme de sçavoir et de conscience si elle avoit offensé Dieu, et si elle n'en seroit point punie de sa rigueur, et si elle n'avoit point fait tort aux manes de son mary qui ne venoit que d'estre frais tué. Il lui respondit que, quand elle estoit en cette besogne, si elle y avoit pris plaisir, certainement elle avoit péché; mais si elle y avoit eu du dégoust, c'étoit tout un. Voila une bonne sentence!
– J'ay bien cogneu une dame qui estoit différente de cette opinion, qui disoit qu'il n'y avoit si grand plaisir en cette affaire que quand elle estoit à demy forcée et abattue, et mesme d'un grand, d'autant que, tant plus on fait de la rebelle et de la refusante, d'autant plus on y prend d'ardeur et s'efforce-t-on: car, ayant une fois faussé sa breche, il jouit de sa victoire plus furieusement et rudement, et d'autant plus on donne d'appetit à sa dame, qui contrefait pour tel plaisir la demi-morte et pasmée, comme il semble, mais c'est de l'extrême plaisir qu'elle y prend: mesme ce disoit cette dame, que bien souvent elle donnoit de ces venues et alteres à son mary, et faisoit de la farouche, de la bizarre et desdaigneuse, le mettant plus en rut; et, quand il venoit là, luy et elle s'en trouvoient cent fois mieux: car, comme plusieurs ont escrit, une dame plaist plus qui fait un peu de la difficile et resiste, que quand elle se laisse sitost porter par terre. Aussi en guerre, une victoire obtenue de force est plus signalée, plus ardente et plaisante, que par la gratuité, et en triomphe-t-il mieux. Mais aussi ne faut que la dame fasse tant en cela la revesche ny terrible, car on la tiendroit plustost pour une putain rusée qui voudroit faire de la prude, dont bien souvent elle seroit escandalisée; ainsi que j'ay ouy dire à des plus savantes et habiles en ce fait, auxquelles je m'en rapporte, ne voulant estre si présomptueux de leur en donner des préceptes qu'elles sçavent mieux que moy. Or j'ay veu plusieurs blasmer grandement aucun de ces marys jaloux et meurtriers, d'une chose, que, si leurs femmes sont putains, eux-mêmes en sont cause. Car, comme dit saint Augustin, c'est une grande folie à un mary de requérir chasteté à sa femme, luy estant plongé au bourbier de paillardise; et en tel estat doit estre le mary qu'il veut trouver sa femme. Mesmes nous trouvons en nostre Sainte Escriture qu'il n'est pas besoin que le mary et la femme s'entr'ayment si fort; cela se veut entendre par des amours lascifs et paillards: d'autant que, mettant et occupant de tout leur cœur en ces plaisirs lubriques, y songent si fort et s'y adonnent si très-tant, qu'ils en laissent l'amour qu'ils doivent à Dieu; ainsi que moy-mesme j'ay veu beaucoup de femmes qui aymoient si très-tant leurs marys, et eux elles, et en brusloient de telle ardeur, qu'elles et eux en oublioient du tout le service de Dieu, si que, le temps qu'il y falloit mettre, le mettoient et consommoient après leurs paillardises. De plus, ces marys, qui pis est, apprennent à leurs femmes, dans leur lict propre, mille lubricitez, mille paillardises, mille tours contours, façons nouvelles, et leur pratiquent ces figures enormes de l'Aretin: de telle sorte que, pour un tison de feu qu'elles ont dans le corps, elles y en engendrent cent, et les rendent ainsi paillardes; si bien qu'estant de telle façon dressées, elles ne se peuvent engarder qu'elles ne quittent leurs marys, et aillent trouver autres chevaliers; et, sur ce, leurs marys en desesperent, et punissent leurs pauvres femmes, en quoy ils ont grand tort: car puis qu'elles sentent leur cœur pour estre si bien dressées, elles veulent monstrer à d'autres ce qu'elles sçavent faire; et leurs marys voudroient qu'elles cachassent leur sçavoir, en quoy il n'y a apparence ny raison, non plus que si un bon escuyer avoit un cheval bien dressé, allant de tous ayrs, et qu'il ne voulust permettre qu'on le vist aller, ny qu'on montast dessus, mais qu'on le creust à sa simple parole, et qu'on l'acheptast ainsi.
– J'ay ouy conter à un honneste gentilhomme de par le monde, lequel estant devenu fort amoureux d'une belle dame, il luy fut dit par un sien amy qu'il y perdroit son temps, car elle aimoit trop son mary. Il se va adviser une fois de faire un trou qui arregardoit droit dans leur lict, si bien qu'estant couchés ensemble il ne faillit de les espier par ce trou, d'où il vit les plus grandes lubricitez, paillardises, postures sales, monstrueuses et énormes, autant de la femme, voire plus que du mary, et avec des ardeurs très-extrêmes; si bien que le lendemain il vint à trouver son compagnon et luy raconter la belle vision qu'il avoit eue, et luy dit: «Cette femme est à moy aussitost que son mary sera party pour tel voyage; car elle ne se pourra tenir longuement en sa chaleur que la nature et l'art luy ont donné, et faut qu'elle la passe, et par ainsi, par ma persévérance je l'auray.»
– Je cognois un autre honneste gentilhomme qui, estant bien amoureux d'une belle et honneste dame, sçachant qu'elle avoit un Aretin en figure dans son cabinet, que son mary sçavoit et l'avoit veu et permis, augura aussi-tost par là qu'il l'attraperoit; et, sans perdre espérance, il la servit si bien et continua, qu'enfin il l'emporta; et cogneut en elle qu'elle y avoit appris de bonnes leçons et pratiques, ou fust de son mary ou d'autres, niant pourtant que ny les uns ny les autres n'en avoient point esté les premiers maistres, mais la dame nature, qui en estoit meilleure maistresse que tous les arts. Si est-ce que le livre et la pratique luy avoient beaucoup servy en cela, comme elle luy confessa puis après.
– Il se lit d'une grande courtisane et maquerelle insigne du temps de l'ancienne Rome, qui s'appeloit Elefantina, qui fit et composa de telles figures de l'Aretin, encore pires, auxquelles les dames grandes et princesses faisant estat de putanisme estudioient comme un très-beau livre; et cette bonne dame putain cyréniene, laquelle estoit surnommée aux douze Inventions, parce qu'elle avoit trouvé douze manières pour rendre le plaisir plus voluptueux et lubrique.
– Héliogabale gaigeoit et entretenoit, par grand argent et dons, ceux et celles qui luy inventoient et produisoient nouvelles et telles inventions pour mieux esveiller sa paillardise. J'en ay ouy parler d'autres pareils de par le monde.
– Un de ces ans le pape Sixte7 fit pendre à Rome un secrétaire qui avoit esté au cardinal d'Est, et s'appeloit Capella, pour beaucoup de forfaits, mais entre autres qu'il avoit composé un livre de ces belles figures, lesquelles estoient représentées par un grand que je ne nommeray point pour l'amour de sa robe, et par une grande, l'une des belles dames de Rome, et tous représentés au vif, et peints au naturel8.
– J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il achepta d'un orfevre une très-belle coupe d'argent doré, comme pour un chef-d'œuvre et grand spéciauté, la mieux élabourée, gravée et sigillée qu'il estoit possible de voir, où estoient taillées bien gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de l'homme et de la femme; et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et au haut plusieurs aussi de diverses manières de cohabitations de bestes, là où j'appris la première fois (car j'ay veu souvent ladicte coupe et beu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute contraire à celle des autres animaux, que je n'avois jamais sceu, dont je m'en rapporte à ceux qui le sçavent sans que je le die. Cette coupe estoit l'honneur du buffet de ce prince; car, comme j'ay dit, elle estoit très-belle et riche d'art, et agréable à voir au dedans et au dehors. Quand ce prince festinoit les dames et filles de la Cour, comme souvent il les convioit, ses sommeilliers ne failloient jamais, par son commandement, de leur bailler à boire dedans; et celles qui ne l'avoient jamais veue, ou en beuvant ou après, les unes demeuroient estonnées et ne sçavoient que dire là-dessus: aucunes demeuroient honteuses, et la couleur leur sautoit au visage; aucunes s'entredisoient entr'elles: «Qu'est-ce que cela qui est gravé là-dedans? Je crois que ce sont des salauderies. Je n'y bois plus. J'aurois bien grand soif avant que j'y retournasse boire.» Mais il falloit qu'elles beussent là, ou bien qu'elles esclatassent de soif; et, pour ce, aucunes fermoient les yeux en beuvant; les autres moins vergogneuses point; qui en avoient ouy parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent à rire sous bourre; les autres en crevoient tout à trac. Les unes disoient, quand on leur demandoit qu'elles avoient à rire et ce qu'elles avoient veu, disoient qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour cela elles n'y lairroient à boire une autre fois. Les autres disoient: «Quant à moy, je n'y songe point à mal; la veue et la peinture ne souillent point l'ame.» Les unes disoient: «Le bon vin est aussi bon leans qu'ailleurs.» Les autres affermoient qu'il y faisoit aussi bon boire qu'en une autre coupe, et que la soif s'y passoit aussi bien. Aux unes on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoient les yeux en beuvant; elles respondoient qu'elles vouloient voir ce qu'elles beuvoient, craignant que ce ne fust du vin, mais quelque médecine ou poison. Aux autres on demandoit à quoy elles prenoient plus de plaisir, ou à voir ou à boire; elles respondoient: «A tout.» Les unes disoient: «Voilà de belles grotesques;» les autres: «Voilà de plaisantes nommeries;» les unes disoient: «Voilà de beaux images;» les autres: «Voilà de beaux miroirs;» les unes disoient: «L'orfevre estoit bien à loisir de s'amuser à faire ces fadezes;» les autres disoient: «Et vous, monsieur, encore plus d'avoir achepté ce beau hanap.» Aux unes on demandoit si elles sentoient rien qui les picquast au mitan du corps pour cela: elles respondoient que nulle de ces drolleries y avoit eu pouvoir pour les picquer: aux autres on demandoit si elles n'avoient point senty le vin chaut et qu'il les eust eschauffées, encore que ce fust en hyver; elles respondoient qu'elles n'avoient garde, car elles avoient beu bien froid, qui les avoit bien rafraischies: aux unes on demandoit quelles images de toutes celles elles voudroient tenir en leur lict; elles respondoient qu'elles ne se pouvoient oster de là pour les y transporter. Bref, cent mille brocards et sornettes sur ce sujet s'entre-donnoient les gentilshommes et dames ainsi à table, comme j'ay veu que c'estoit une très-plaisante gausserie, et chose à voir et ouyr; mais surtout à mon gré, le plus et le meilleur estoit à contempler ces filles innocentes, ou qui feignoient l'estre, et autres dames nouvellement venues, à tenir leur mine froide riante du bout du nez et des lèvres, ou à se contraindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en faisoient de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les sommelliers n'eussent osé leur donner à boire en une autre coupe ny verre. Et, qui plus est, aucunes juroient, pour faire bon minois, qu'elles ne tourneroient jamais à ces festins; mais elles ne laissoient pour cela à y tourner souvent, car ce prince estoit très-splendide et friand. D'autres disoient, quand on les convioit: «J'iray, mais en protestation qu'on ne nous baillera point à boire dans la coupe;» et quand elles y estoient, elles y beuvoient plus que jamais. Enfin elles s'y anezèrent si bien, qu'elles ne firent plus de scrupule d'y boire; et si firent bien mieux aucunes, qu'elles se servirent de telles visions en temps et lieu, et, qui, plus est, aucunes s'en débauscherent pour en faire l'essay; car toute personne d'esprit veut essayer tout. Voilà les effets de cette belle coupe si bien historiée. A quoy se faut imaginer les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles dames disoient et faisoient entr'elles, à part ou en compagnie. Je pense que telle coupe estoit bien différente à celle dont parle M. de Ronsard en l'une de ses premières odes, dédiée au feu Roy Henry, qui se commence ainsi:
Comme un qui prend une couppe,Seul honneur de son trésor,Et de son rang verse à la trouppeDu vin qui rit dedans l'or.Mais en cette coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les personnes au vin: car les unes beuvoient en riant, et les autres beuvoient en se ravissant; les unes se compissoient en beuvant, et les autres beuvoient en se compissant; je dis d'autre chose que du pissat. Bref, cette coupe faisoit de terribles effets, tant y estoient pénétrantes ces visions, images et perspectives: dont je me souviens qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasteauvilain, dit le seigneur Adjacet, une troupe de dames avec leurs serviteurs estant allés voir cette belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux qui estoient en ladite gallerie. A elles se présenta un tableau beau, où estoient représentées force belles dames nues qui estoient aux bains, qui s'entre touchoient, se palpoient, se manioient et frottoient, s'entre-mesloient, se tastonnoient, et, qui plus est, se faisoient le poil tant gentiment et si proprement en monstrant tout, qu'une froide recluse ou hermite s'en fust eschauffée et esmeue; et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler et cogneue, se perdant en ce tableau, dit à son serviteur en se tournant vers luy, comme enragée de cette rage d'amour: «C'est trop demeuré icy: montons en carrosse promptement, et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur; il la faut aller esteindre: c'est trop bruslé.» Et ainsi partit, et alla avec son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre, que son serviteur lui donna de sa petite burette.
Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance à une ame fragile qu'on ne pense; comme en estoit un là mesme d'une Vénus toute nue, couchée et regardée de son fils Cupidon; l'autre d'un Mars couché avec sa Vénus, l'autre d'une Léda couchée avec son cygne. Tant d'autres y a-t-il, et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et voilez mieux que les figures de l'Aretin; mais quasi tout vient à un, et en approchant de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault de Montauban en ce chasteau dont parle l'Arioste, laquelle à plein descouvroit les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit; mais l'une portoit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et cette-cy point. Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ni de ces peintures, car les marys leur en apprennent prou: et voilà que servent telles escholes de marys.
– J'ai cogneu un bon imprimeur vénitien à Paris, qui s'appelloit messer Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise9, qui tenoit sa boutique en la rue de Sainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de l'Aretin à force gens mariés et non mariés, et à des femmes, dont il me nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les leur bailla à elles-mesmes, et très-bien reliés, sous serment presté qu'il n'en sonneroit pas mot, mais pourtant il me le dist, et me dist davantage qu'une autre dame lui en ayant demandé au bout de quelque temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu entre les mains d'une de ces trois, il luy respondit: Signora, si, et peggio, et soudain argent en campagne, les acheptant tous au poids de l'or. Voilà une folle curiosité pour envoyer son mari faire un voyage à Cornette près de Civita-Vecchia.
Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct Hierosme dit: «Qui se monstre plustost débordé amoureux de sa femme que mary, est adultère et pèche.» Et parce qu'aucuns docteurs ecclésiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefvement en mots latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont voulu dire en françois. Excessus, disent-ils, conjugum fit, quando uxor cognoscitur ante retro stando, sedendo in latere, et mulier super virum; comme un petit quolibet que j'ay leu d'autrefois, qui dit:
In prato viridi monialem ludere vidiCum monacho leviter, ille sub, illa super.D'autres disent quand ils s'accommodent autrement que la femme ne puisse concevoir. Toutesfois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles conçoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et estranges, que naturelles et communes, d'autant qu'elles y prennent plaisir davantage, et comme dit le poëte, quand elles s'accommodent more canino, ce qui est odieux: toutes-fois les femmes grosses, au moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gaster par le devant. D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais que semen ejaculetur in matricen mulieris, et quomodocunque uxor cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum mortale. Vous trouverez ces disputes dans Summa Benedicti, qui est un cordelier docteur qui a très-bien escrit de tous les péchés, et monstre qu'il a beaucoup leu et veu10. Qui voudra lire ce passage y verra beaucoup d'abus que commettent les marys à l'endroit de leurs femmes. Aussi dit-il que, quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter coïre, que par telles postures, non est peccatum mortale, modò vir ejaculetur semen in vas naturale. Dont disent aucuns qu'il vaudroit mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par telles vilainies.
– J'ai cogneu une fameuse courtisane à Rome, dite la Grecque, qu'un grand seigneur de France avoit là entretenue. Au bout de quelque temps, il luy prit envie de venir voir la France, par le moyen du seigneur Bonusi11, banquier de Lyon, Lucquois très-riche, de laquelle il estoit amoureux; où estant elle s'enquit fort de ce seigneur et de sa femme, et, entr'autres choses, si elle ne le faisoit point cocu, «d'autant, disoit-elle, que j'ay dressé son mary de si bel air, et luy ay appris de si bonnes leçons, que les luy ayant monstrées et pratiquées avec sa femme, il n'est possible qu'elle ne les ait voulu monstrer à d'autres; car nostre mestier est si chaud quand il est bien appris, qu'on prend cent fois plus de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs qu'avec un.» Et disoit bien plus, que cette dame luy devoit faire un beau présent et condigne de sa peine et de son sallaire, parce que, quand son mary vint à son eschole premièrement, il n'y sçavoit rien, et estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif qu'elle vist jamais; mais elle l'avoit si bien dressé et façonné, que sa femme devoit s'en trouver cent fois mieux. Et de fait cette dame, la voulant voir, alla chez elle en habit dissimulé, dont la courtisane s'en douta et luy tint tous les propos que je viens de dire, et pires encore et plus débordés, car elle estoit courtisane fort débordée. Et voilà comment les marys se forgent les couteaux pour se couper la gorge; cela s'entend des cornes; par ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit; et puis veulent avoir leurs revanches sur leurs femmes, en quoy ils sont cent fois plus punissables. Aussi ne m'estonne-je pas si ce sainct docteur disoit que le mariage estoit quasi une vraye espèce d'adultère: cela vouloit-il entendre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire. Aussi a-t-on deffendu le mariage à nos prestres; car, venant de coucher avec leurs femmes, et s'estre bien souillés avec elles, il n'y a point de propos de venir à un sacré autel. Car, ma foy, ainsi que j'ay ouy dire, aucuns bourdellent plus avec leurs femmes que non pas les ruffiens avec les putains des bourdeaux, qui, craignant prendre mal, ne s'acharnent et ne s'eschauffent avec elles comme les marys avec leurs femmes, qui sont nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes; car j'en ai bien cogneu qui leur en donnent aussi bien que leurs marys à elles. Les marys, abusans de leurs femmes, sont fort punissables, comme j'ay ouy dire à de grands docteurs, que les marys, ne se gouvernans avec leurs femmes modestement dans leur lict comme ils doivent, paillardent avec elles comme avec concubines; n'estant le mariage introduit que pour la nécessité et procréation, et non pour le plaisir désordonné et paillardise. Ce que nous sceut très-bien représenter l'empereur Cejonius Commodus, dit autrement Anchus Verus12, lorsqu'il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il portoit à des putains et courtisanes et autres ce qu'à elle appartenoit en son lict, et luy ostoit ses menues et petites pratiques: «Supportez, ma femme, luy dit-il, qu'avec les autres je saoulle mes désirs, d'autant que le nom de femme et de consorte est un nom de dignité et d'honneur, et non de plaisir et de paillardise.» Je n'ay point encore leu ny trouvé la response que luy fit là dessus madame sa femme l'impératrice; mais il ne faut douter que, ne se contentant de cette sentence dorée, elle ne luy respondit de bon cœur, et par la voix de la plus part, voire de toutes les femmes mariées: «Fy de cet honneur, et vive le plaisir! Nous vivons mieux de l'un que de l'autre.» Il ne faut non plus douter aussi que la plus part de nos mariés aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi; car ils ne se marient et lient, ny ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes, et pour le mouvement de leur corps, et pour les débordées et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Vénus en soit mieux esveillée et excitée; et, après les avoir bien ainsi instruites et débauschées, si elles vont ailleurs, ils les punissent, les battent, les assomment, et les font mourir. Il y a aussi un peu de raison en cela, comme si quelqu'un avoit débausché une pauvre fille d'entre les bras de sa mère, et lui eust fait perdre l'honneur de sa virginité, et puis, après en avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, en toute chasteté: vrayment! car il en est bien temps, et bien à propos, qui est celuy qui ne le condamne pour homme sans raison et digne d'estre chastié? L'on en deust dire de mesme de plusieurs marys, lesquels, quand tout est dit, débauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus de préceptes pour tomber en paillardise, que ne font leur propres amoureux: car ils en ont plus de temps et loisir que es amans; et venans à discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maistre, à mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de monter à cheval, qu'un qui n'y entend rien. »Et de malheur, ce disoit cette courtisane, il n'y a nul mestier au monde qui ne soit plus coquin, ny qui désire tant de continue, que celuy de Vénus.» En quoy ces marys doivent estre avertis de ne faire tels enseignements à leurs femmes, car ils leur sont par trop préjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque ç'ont esté eux qui leur en ont ouvert le chemin.