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Vies des dames galantes
– J'ay ouy parler que le roy François une fois voulut aller coucher avec une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son mary l'espée au poing pour l'aller tuer; mais le Roy lui porta la sien ne à la gorge, et luy commanda, sur sa vie, de ne luy faire aucun mal, et que s'il luy faisoit la moindre chose du monde, qu'il le tueroit, ou qu'il luy feroit trancher la teste; et pour ceste nuict l'envoya dehors, et prit sa place. Cette dame estoit bien heureuse d'avoir trouvé un si bon champion et protecteur de son c..; car oncques depuis le mary ne luy osa sonner mot, ains luy laissa du tout faire à sa guise. J'ai ouy dire que non seulement cette dame, mais plusieurs autres, obtindrent pareille sauve garde du Roy. Comme plusieurs font en guerre pour sauver leurs terres et y mettent les armoiries du Roy sur leurs portes, comme font ces femmes, celles de ces grands roys, au bord et au dedans de leur c… si bien que leurs marys ne leur osoient dire mot, qui, sans cela, les eussent passez au fil de l'espée.
– J'en ay cogneu d'autres dames, favorisées ainsi des roys et des grands, qui portoyent ainsi leurs passeports partout: toutefois, si en avoit-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys, n'osant y apporter le couteau, s'aydoient des poisons et morts cachées et secrettes, faisant accroire que c'estoyent catherres, apoplexie et mort subite: et tels marys sont détestables, de voir à leurs costez coucher leurs belles femmes, languir et tirer à la mort de jour en jour et méritent mieux la mort que leurs femmes; ou bien les font mourir entre deux murailles, en chartre perpétuelle, comme nous en avons aucunes croniques anciennes de France et j'en ai oceu un grand de France, qui fit ainsi mourir sa femme, qui estoit une fort belle et honneste dame, et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye à se faire déclarer cocu. De ces forcenez et furieux maris de cocus sont volontiers les vieillards, lesquels se deffiant de leurs forces et chaleurs, et s'asseurant de celles de leurs femmes, mesme quand ils ont esté si sots de les espouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et si ombrageux, tant par leur naturel que leurs vieilles pratiques, qu'ils ont traittées eux-mêmes autrefois ou veu traicter à d'autres, qu'ils meinent si misérablement ces pauvres créatures, que leur purgatoire leur seroit plus doux que non pas leur autorité. L'Espagnol dit: El diabolo sabe mucho, porque es viejo, c'est-à-dire que «le diable sçait beaucoup parce qu'il est vieux:» de mesmes ces vieillards, par leur aage et anciennes routines, sçavent force choses. Si sont ils grandement à blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent contenter les femmes, pourquoi les vont-ils épouser? et les femmes aussi belles et jeunes ont grand tort de les aller espouser, sous l'ombre des biens, en pensant joüir après leur mort, qu'elles attendent d'heure à autre; et cependant se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes d'elles en patissent griefvement.
– J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fait, son mari, vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus d'un an et vint seiche comme bois; et le mary l'alloit voir souvent, et se plaisoit en cette langueur, et en rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il luy falloit.
– Une autre, son mary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et à l'eau, et bien souvent la faisoit despouiller toute nue et la fouettoit son saoul, n'ayant compassion de cette belle charnure nue, ni non plus d'émotion. Voyla le pis d'eux, car, estant dégarnis de chaleur et dépourveus de tentation comme une statue de marbre, n'ont pitié de nulle beauté, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'estans jeunes la passeroyent possible sur leur beau corps nud, comme j'ay dit cy devant. Voyla pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels vieillards bizarres, car, encor que la veue leur baisse et vienne à manquer par l'aage, si en ont ils toujours prou pour espier et voir les frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.
– Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans être jaloux; et tout procede pour la débolezze de ses forces. C'est pourquoy un grand prince que je sçay disoit qu'il voudroit ressembler le lion, qui, pour vieillir, ne blanchit jamais; le singe, qui tant plus il le fait tant plus il le veut faire; le chien tant plus il vieillit son cas se grossit; et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le fait, et les biches vont plustôt à luy qu'aux jeunes. Or, pour en parler franchement, ainsi que j'ay ouy dire à un grand personnage, quelle raison y a-t-il, ni quelle puissance a-t-il le mary si grande, qu'il doive et puisse tuer sa femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa loy, ny de son saint Evangile, sinon de la répudier seulement? Il ne s'y parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de prisons ni de cruautez. Ah! que nostre Seigneur Jésus-Christ nous a bien remonstré qu'il y avoit de grands abus en ces façons de faire et en ces meurtres, et qu'il ne les approuvoit guières, lorsqu'on luy amena cette pauvre femme accusée d'adultere pour jeter sa sentence de punition; il leur dit en escrivant en terre de son doigt: «Celui de vous autres qui sera le plus net et le plus simple, qu'il prenne la premiere pierre et commence à la lapider;» ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par telle sage et douce repréhension. Nostre Créateur nous apprenoit à tous de n'estre si légers à condamner et faire mourir les personnes, mesmes sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature et l'abus que plusieurs y commettent; car tel fait mourir sa femme qui est plus adultere qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien y en a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultere est aussi punissable que la femme.
– J'ay ouy parler d'un très-grand prince de par le monde, qui, soubçonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, il le fit assassiner sortant un soir de son palais, et puis la dame, laquelle, un peu auparavant à un tournoy qui se fit à la Cour, et elle fixement arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se mit à dire: «Mon Dieu! qu'un tel pique bien! – Oüy, mais il pique trop haut;» ce qui l'estonna, et après fut empoisonnée par quelques parfums ou autrement par la bouche.
– J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui estoit très-belle et de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et bien faite avoit esté icelle poison, pour espouser une grande dame qui avoit espousé un prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis: et le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut trompé et fort scandalisé, et mal veu des hommes et des dames. J'ai veu de grands personnages blasmer grandement nos roys anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes: l'une, Marguerite, fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin, comte de Bourgogne: leur mettant à sus leurs adulteres; et les firent mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau Gaillard: et le comte de Foix en fit de mesme à Jeanne d'Artoys. Surquoy il n'y avoit point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient à croire; mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient à sus ces belles besognes, et en espousèrent d'autres.
– Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme Anne de Boulan, et la décapiter, pour en espouser une autre, ainsi qu'il estoit fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas mieux qu'ils les répudiassent selon la parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir? Mais il leur en faut de la viande fraîche à ces messieurs, qui veulent tenir table à part, sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens après qu'ils ont mangé ceux de leurs premières, ou n'en ont eu assez pour les rassasier, ainsi que fit Baudoüin, second roi de Jerusalem, qui, faisant croire à sa première femme qu'elle avoit paillardé, la répudia pour prendre une fille du duc de Maliterne5, parce qu'elle avoit une dot d'une grande somme d'argent, dont il estoit fort nécessiteux. Cela se trouve en l'histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien de corriger la loy de Dieu, et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres femmes!
– Le roy Loüis le Jeune n'en fit pas de mesme à l'endroit de Léonor, duchesse d'Aquitaine, qui, soupçonnée d'adultere, possible à faux, en son voyage de Syrie, fut répudiée de luy seulement, sans vouloir user de la loy des autres, inventée et pratiquée plus par autorité que de droit et raison: dont sur ce il en acquist plus grande réputation que les autres roys, et titre de bon, et les autres de mauvais, cruels et tyrans; aussi que dans son ame il avoit quelques remords de conscience d'ailleurs: et c'est vivre en chrestien cela, voire que les payens romains la pluspart s'en sont acquittés de mesme plus chrestiennement que payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus grande part ont esté sujets à estre cocus, et leurs femmes très-lubriques et fort putains: et, tels cruels qu'ils ont esté, vous en lirez force qui se sont défaits de leurs femmes, plus par répudiations que par tueries de nous autres Chrestiens.
– Jules César ne fit autre mal a sa femme Pompeïa, sinon la répudier, laquelle avoit esté adultere de Publius Claudius, beau gentilhomme romain, de laquelle estant éperdument amoureux, et elle de luy, espia l'occasion qu'un jour elle faisoit un sacrifice en sa maison où il n'y entroit que des dames; il s'habilla en garce, luy qui n'avoit encore point de barbe au menton, qui se meslant de chanter et de joüer des instruments, et par ainsi passant par cette monstre, eut loisir de faire avec sa maistresse ce qu'il voulut; mais estant recogneu, il fut chassé et accusé; et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut autre chose. Cicéron y perdit son latin par une belle oraison qu'il fit contre lui. Il est vrai que César, voulant faire à croire au monde qui luy persuadoit sa femme innocente, il respondit qu'il ne vouloit pas que seulement son lict fust taché de ce crime, mais exempt de toute suspition. Cela estoit bon pour en abbreuver ainsi le monde; mais, dans son ame, il sçavoit bien que vouloit dire cela, sa femme avoit esté ainsi trouvée avec son amant; si que possible luy avoit-elle donné cette assignation et cette commodité; car, en cela, quand la femme veut et désire, il ne faut point que l'amant se soucie d'excogiter des commoditez, car elle en trouvera plus en une heure que tous nous autres sçaurions faire en cent ans, ainsi que dit une dame de par le monde, que je sçay, qui dit à son amant: «Trouvez moyen seulement de m'en faire venir l'envie, car d'ailleurs, j'en trouveray prou pour en venir là.» César aussi sçavoit bien combien vaut l'aune de ces choses-là, car il estoit un fort grand ruffian, et l'appeloit-on le coq à toutes poules, et en fit force cocus en sa ville, tesmoing le sobriquet que luy donnoient ses soldats à son triomphe: Romani, servate uxores, mœchum adducimus calvum, c'est-à-dire, «Romains, serrez bien vos femmes, car nous vous amenons ce grand paillard et adultere de César le chauve, qui vous les repassera toutes.» Voilà donc comme César, par cette sage response qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de cocu qu'il faisoit porter aux autres; mais, dans son ame, il se sentoit bien touché.
– Octavie César répudia aussi Scribonia pour l'amour de sa paillardise sans autre chose, et ne luy fit autre mal, bien qu'elle eust raison de le faire cocu, à cause d'une infinité de dames qu'il entretenoit; et devant leurs marys publiquement les prenoit à table aux festins qu'il leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, après en avoir fait, les renvoyoit, les cheveux défaits un peu et destortillez, avec les oreilles rouges: grand signe qu'elles en venoient, lequel je n'avois ouy dire propre pour descouvrir que l'on en vient; ouy bien le visage, mais non l'oreille. Aussi luy donna-t-on la réputation d'estre fort paillard; mesmes Marc-Antoine le luy reprocha: mais il s'excusoit qu'il n'entretenoit point tant les dames pour la paillardise, que pour descouvrir plus facilement les secrets de leurs marys, desquels il se mesfioit. J'ai cogneu plusieurs grands et autres, qui en ont fait de mesme et ont recherché les dames pour ce mesme sujet, dont s'en sont bien trouvez; j'en nommerois bien aucuns: ce qui est une bonne finesse, car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi descouverte par une dame de joye.
– Ce mesme Octavie, à sa fille Julia, femme d'Agrippa, pour avoir esté une très-grande putain, et qui luy faisoit grande honte (car quelques-fois les filles font à leurs peres plus de deshonneur que les femmes ne font à leurs marys), fut une fois en délibération de la faire mourir; mais il ne la fit que bannir, luy oster le vin et l'usage des beaux habillements, et d'user des parures, pour très-grande punition, et la fréquentation des hommes: grande punition pourtant pour les femmes de cette condition, de les priver de ces deux derniers points!
– César Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que sa femme Livia Hostilia lui avoit dérobé quelques coups en robe, et donné à son premier mary C. Piso, duquel il l'avoit ostée par force, et à luy encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieuseté de son gentil corps cependant qu'il estoit absent en quelque voyage, n'usa point en son endroit de sa cruauté accoustumée, ains la bannit de soy seulement, au bout de deux ans qu'il l'eust ostée à son mary Piso et espousée. Il en fit de mesme à Tullia Paulina, qu'il avoit ostée à son mary C. Memmius: il ne la fit que chasser, mais avec défense expresse de n'user nullement de ce mestier doux, non pas seulement à son mary: rigueur cruelle pourtant de n'en donner à son mary! J'ay ouy parler d'un grand prince chrestien qui fit cette défense à une dame qu'il entretenoit, et à son mary de n'y toucher, tant il estoit jaloux.
Claudius, fils de Drusus Germanicus, répudia tant seulement sa femme Plantia Herculalina, pour avoir esté une signalée putain, et, qui pis est, pour avoir entendu qu'elle avoit attenté sur sa vie; et, tout cruel qu'il estoit, encor que ces deux raisons fussent assez bastantes pour la faire mourir, il se contenta du divorce. Davantage, combien de temps porta-t-il les fredaines et sales bourdelleries de Valeria Messalina, son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec l'un et l'autre, dissolument et indiscrètement, mais faisoit profession d'aller aux bourdeaux s'en faire donner, comme la plus grande bagasse de la ville, jusques-là, comme dit Juvenal, qu'ainsi que son mary estoit couché avec elle, se déroboit tout bellement d'auprès de luy le voyant bien endormy et se déguisoit le mieux qu'elle pouvoit, et s'en alloit en plein bourdeau, et là s'en faisoit donner si très-tant, et jusques qu'elle en partoit plustost lasse que saoule et rassasiée, et faisoit encore pis: pour mieux se satisfaire et avoir cette réputation et contentement en soy d'estre une grande putain et bagasse, se faisoit payer, et taxoit ses coups et ses chevauchées, comme un commissaire qui va par pays jusqu'à la dernière maille.
– J'ay ouy parler d'une dame de par le monde, d'assez chère étoffe, qui quelque temps fit cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux déguisée, pour en essayer la vie et s'en faire donner; si que le guet de la ville, en faisant la ronde, l'y surprit une nuict. Il y en a d'autres qui font ces coups, que l'on sçait bien.
Bocace, en son livre des Illustres Malheureux, parle de cette Messaline gentiment, et la fait alléguant ses excuses en cela, d'autant qu'elle estoit du tout née à cela, si que le jour qu'elle naquist ce fut en certains signes du ciel qui l'embraserent et elle et autres. Son mary le sçavoit, et l'endura long-temps, jusques à ce qu'il sceut qu'elle s'estoit mariée sous bourre avec un Caïus Silius, l'un des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que c'estoit une assignation sur sa vie, la fit mourir sur ce sujet, mais nullement pour sa paillardise, car il y estoit tout accoustumé à la voir, la sçavoir et l'endurer. Qui a veu la statue de ladite Messaline trouvée ces jours passez en la ville de Bourdeaux, advouera qu'elle avoit bien la vraye mine de faire une telle vie. C'est une médaille antique, trouvée parmy aucunes ruines, qui est très-belle, et digne de la garder pour la voir et bien contempler. C'estoit une fort grande femme, de très-belle haute taille, les beaux traits de son visage, et sa coeffure tant gentille à l'antique romaine, et sa taille très-haute, démonstrant bien qu'elle estoit ce qu'on a dit: car, à ce que je tiens de plusieurs philosophes, médecins et physionomistes, les grandes femmes sont à cela volontiers inclinées, d'autant qu'elles sont hommasses; et, estant ainsi, participent des chaleurs de l'homme et de la femme; et, jointes ensemble en un seul corps et sujet, sont plus violentes et ont plus de force qu'une seule; aussi qu'à un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le soutenir. Davantage, à ce que disent les grands docteurs en l'art de Vénus, une grande femme y est plus propre et plus gente qu'une petite. Sur quoi il me souvient d'un très-grand prince que j'ai cogneu: voulant loüer une femme de laquelle il avoit eu joüissance, il dit ces mots: «C'est une très-belle putain, grande comme madame ma mere.» Dont ayant esté surpris sur la promptitude de sa parole, il dit qu'il ne vouloit pas dire qu'elle fust une grande putain comme madame sa mere, mais qu'elle fust de la taille et grande comme madame sa mere.
– Quelquesfois on dit des choses qu'on ne pense pas dire, quelquesfois aussi sans y penser l'on dit bien la vérité. Voilà donc comme il fait meilleur avec les grandes et hautes femmes, quand ce ne seroit que pour la belle grace, la majesté qui est en elles; car, en ces choses, elle y est aussi requise et autant aimable qu'en d'autres actions et exercices, ny plus ny moins que le manège d'un beau et grand coursier du règne est bien cent fois plus agréable et plaisant que d'un petit bidet, et donne bien plus de plaisir à son escuyer; mais aussi il faut bien que cet escuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et d'adresse: de mesme se faut-il porter à l'endroit des grandes et hautes femmes; car, de cette taille, elles sont sujettes d'aller d'un air plus haut que les autres, et bien souvent font perdre l'estrier, voire l'arçon, si l'on n'a bonne tenuë, comme j'ay ouy conter à aucuns cavalcadours qui les ont montées; et lesquelles font gloire et grand mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout à plat: ainsi que j'en ay ouy parler d'une de cette ville, laquelle, la première fois que son serviteur coucha avec elle, luy dit franchement: «Embrassez-moy bien, et me liez à vous de bras et de jambes le mieux que vous pourrez, et tenez-vous bien hardiment, car je vays haut, et gardez bien de tomber. Aussi, d'un costé, ne m'espargnez pas; je suis assez forte et habile pour soutenir vos coups, tant rudes soient ils; et si vous m'espargnez je ne vous espargneray point. C'est pourquoy à beau jeu beau retour.» Mais la femme le gaigna. Voilà donc comme il faut bien adviser à se gouverner avec telles femmes hardies, joyeuses, renforcées, charnuës et proportionnées; et, bien que la chaleur surabondante en elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop pressantes pour estre si chaleureuses. Toutesfois, comme l'on dit, de toutes tailles bons levriers: aussi y a-t-il de petites femmes nabottes qui ont le geste, la grace, la façon en ces choses un peu approchante des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres à la curée, voire plus: je m'en rapporte aux maistres en ces arts. Ainsi qu'un petit cheval se remue aussi prestement qu'un grand, et, comme disoit un honneste homme, que la femme ressembloit à plusieurs animaux, et principalement à un singe, quand dans le lict elle ne fait que se mouvoir et remuer. J'ay fait cette digression; en me souvenant il faut retourner à nostre premier texte.
– Et ce cruel Néron ne fit aussi que répudier sa femme Octavia, fille de Claudius et Messalina, pour adultère, et sa cruauté s'abstint jusques-là.
– Domitian fit encore mieux, lequel répudia sa femme Domitia Longina parce qu'elle estoit si amoureuse d'un certain comédien et basteleur nommé Pâris, et ne faisoit tout le jour que paillarder avec luy, sans tenir compagnie à son mary; mais, au bout de peu de temps, il la reprit encore et se repentit de sa séparation; pensez que ce basteleur luy avoit appris des tours de souplesse et de maniement dont il croyoit qu'il se trouveroit bien.
– Pertinax en fit de mesme à sa femme Flavia Sulpitiana, non qu'il la répudiast ni qu'il la reprist, mais la sachant faire l'amour à un chantre et joueur d'instruments, et s'adonner du tout à luy, n'en fit autre compte sinon la laisser faire, et luy faire l'amour de son costé à une Cornificia estant sa cousine germaine; suivant en cel a l'opinion d'Eliogabale, qui disoit qu'il n'y avoit rien au monde plus beau que la conversation de ses parents et parentes. Il y en a force qui ont fait tels eschanges que je sçay, se fondans sur ces opinions.
– Aussi l'empereur Severus non plus se soucia de l'honneur de sa femme, laquelle estoit putain publique, sans qu'il se souciast jamais de l'en corriger, disant qu'elle se nommoit Jullia, et, pour ce, qu'il la falloit excuser, d'autant que toutes celles qui portoient ce nom de toute ancienneté estoient sujettes d'estre très-grandes putains et faire leurs marys cocus: ainsi que je connois beaucoup de dames portans certains noms de notre christianisme, que je ne veux dire pour la révérence que je dois à nostre saincte religion, qui sont coustumièrement sujettes à estre puttes et à hausser le devant plus que d'autres portans autres noms, et n'en a-t-on veu guères qui s'en soient eschappées.
Or je n'aurois jamais fait si je voulois alléguer une infinité d'autres grandes dames et emperieres romaines de jadis, à l'endroict desquelles leurs marys cocus, et très-cruels, n'ont usé de leurs cruautez, autoritez et privileges, encore qu'elles fussent très-débordées; et croy qu'il y en a peu de prudes de ce vieux temps, comme la description de leur vie le manifeste: mesmes, que l'on regarde bien leurs effigies et médailles antiques, on y verra tout à plain, dans leur beau visage, la mesme lubricité toute gravée et peinte; et pourtant leurs marys cruels la leur pardonnoient, et ne les faisoient mourir, au moins aucuns: et qu'il faille qu'eux payens, ne connaissans Dieu, ayent esté si doux et benings à l'endroit de leurs femmes et du genre humain, et la pluspart de nos roys, princes, seigneurs et autres chrestiens, soyent si cruels envers elles par un tel forfait!
– Encore faut-il loüer ce brave Philippe Auguste, nostre roy de France, lequel, ayant répudié sa femme Angerberge, sœur de Canut, roy de Danemarck, qui estoit sa seconde femme, sous prétexte qu'elle estoit sa cousine en troisiesme degré du costé de sa premiere femme Isabel (autres disent qu'il la soubçonnoit de faire l'amour), néantmoins ce roy, forcé par censures ecclésiastiques, quoy qu'il fust remarié d'ailleurs, la reprit, et l'emmena derrière luy tout à cheval, sans le sceu de l'assemblée de Soissons faite pour cet effet, et trop séjournant pour en décider. Aujourd'huy aucun de nos grands n'en font de mesmes; mais la moindre punition qu'ils font à leurs femmes, c'est les mettre en chartre perpétuelle, au pain et à l'eau, et là les faire mourir, les empoisonnent, les tuent, soit de leur main ou de la justice. Et s'ils ont tant d'envie de s'en défaire et espouser d'autres, comme cela advient souvent, que ne les répudient-ils, et s'en separent honnestement, sans autre mal, et demandent puissance au pape d'en espouser une autre, encor que ce qui est conjoint l'homme ne le doit séparer? Toutesfois, nous en avons eu des exemples de frais, et du roy Charles huit et de Loüis douze, nos roys; sur quoy j'ay ouy discourir un grand théologien, et c'estoit sur le feu roy d'Espagne Philippe, qui avoit espousé sa niepce, mère du roy d'aujourd'huy, et ce par dispense, qui disoit: «Ou du tout il faut advoüer le Pape pour lieutenant général de Dieu en terre, et absolu, ou non: s'il l'est, comme nous autres catholiques le devons croire, il faut du tout confesser sa puissance bien absolue et infinie en terre, et sans bornes, et qu'il peut noüer et desnoüer comme il luy plaist; mais, si nous ne le tenons tel, je le quitte pour ceux qui sont en telle erreur, non pour les bons catholiques, et par ainsi nostre Pere sainct peut remédier à ces dissolutions de mariages, et à de grands inconvénients qui arrivent pour cela entre le mary et la femme, quand ils font tels mauvais ménages.» Certainement les femmes sont fort blasmables de traitter ainsi leurs marys par leur foy violée, que Dieu leur a tant recommandée mais pourtant de l'autre costé, il a bien défendu le meurtre, et lui est grandement odieux de quelque costé que ce soit: et jamais guieres n'ay-je veu gens sanguinaires et meurtriers, mesmes de leurs femmes, qui n'en ayent payé le debte, et peu de gens aimant le sang ont bien finy; car plusieurs femmes pécheresses ont obtenu et gaigné miséricorde de Dieu, comme la Madelaine. Enfin, ces pauvres femmes sont créatures plus ressemblantes à la Divinité que nous autres à cause de leur beauté; car ce qui est beau est plus approchant de Dieu qui est tout beau, que le laid qui appartient au diable.