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Les Rues de Paris, tome troisième
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Les Rues de Paris, tome troisième

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Dans le 18e siècle également, vécut un personnage du même nom et de la même famille. Toustain (Gaspard François) né à Richebourg, le 23 février 1716, ayant embrassé l'état militaire, s'éleva jusqu'au grade de lieutenant des maréchaux. Il avait fait avec distinction les campagnes de 1733, 1741, 1756, blessé deux fois à la bataille de Dettingen en 1743. La Révolution, en dépit de ses loyaux services, lui supprima (1792) la pension de retraite dont il jouissait depuis une année à peine. Bien plus, emprisonné comme suspect sous la Terreur, et menacé de perdre la vie, le vétéran ne recouvra sa liberté qu'après le 9 thermidor. Il mourut en avril 1799. Cet homme de guerre était aussi un homme d'étude: il cultivait les lettres avec zèle; on a de lui plusieurs dissertations qui prouvent de l'érudition, entre autres deux Mémoires sur Jeanne d'Arc.

LA TRÉMOUILLE OU LA TRÉMOILLE

(LOUIS, SIRE DE)

Louis XI qui, d'après Commines, était doué d'une sagacité si rare pour juger des hommes dès leurs premières années, avait deviné ce que serait un jour le jeune La Trémouille, venu à la cour pour être l'un de ses pages.

«Ce jeune Louis, dit Bouchet, historien contemporain, fut amiablement reçu par le roi (à qui son père n'avait pas osé le refuser, quoiqu'il en eût bonne envie), et mis au nombre des enfants d'honneur. Et il les surmonta bientôt tous en hardiesse, finesse, cautelles et ruses, comme à lutter, chasser, lancer la barre, chevaucher et tous autres jeux honnêtes et laborieux, en sorte qu'on ne parlait en cour que du petit Trémoille: dont le roi fut fort joyeux. Et lui voyant parfois faire ces bons tours, disait aux princes et seigneurs de sa compagnie:

« – Ce petit Trémoille sera quelquefois le soutènement (soutien) et la défense de mon royaume: je le veux garder pour un fort écu (bouclier) contre Bourgogne19.»

Un autre jour, montrant le jeune page «qui avait si bonne grâce, beau comme un semi-dieu, son corps étant de moyenne stature, ni trop grand ni trop petit, bien organisé de tous ses membres, la tête élevée, le front haut et clair, les yeux pers, le nez moyen et un peu aquilin, petite bouche, son teint net et brun, plus tirant sur vermeille blancheur que sur le noir, et les cheveux crêpelés et reluisant comme fin or,» Louis XI dit aux ambassadeurs du duc de Bourgogne:

«La maison de Bourgogne a nourri et entretenu longtemps ceux de la Trémoille, dont j'ai retiré ce rejeton, espérant qu'il tiendra barbe aux Bourguignons.»

La Trémouille ne trompa point ces espérances, arrivé promptement aux premiers grades de l'armée, surtout après la mort de Louis XI, dont Jean de Troyes, dans sa chronique, dit admirablement: «Ce prince fut si craint et redouté qu'il n'y avait si grand en son royaume et mêmement ceux de son sang qui dormît ni reposât sûrement en sa maison… Et avant son dit trépas, fut moult (beaucoup) molesté de plusieurs maladies pour la guérison desquelles furent faites par les médecins qui avaient la cure de sa personne de terribles et merveilleuses médecines.»

La régente Anne de Beaujeu, sœur et tutrice du jeune roi Charles VIII, connaissait dès longtemps La Trémouille, et confiante en sa loyauté comme en ses talents, elle lui donna le commandement des troupes royales qui défirent à Saint-Aubin-du-Cormier (Ile-et-Vilaine) l'armée des grands seigneurs et des princes révoltés, dont le duc d'Orléans, depuis Louis XII, était le chef. Celui-ci se trouvait au nombre des prisonniers.

Lors de l'expédition d'Italie par Charles VIII, La Trémouille avait également sous le roi le commandement en chef, et toujours il se montra à la hauteur de sa position, tour à tour capitaine et soldat, et payant au besoin de sa personne comme au passage de l'Apennin.

«Lui-même, dit Jean Bouchet, ses vêtements laissés, fors chausses et pourpoints, se mit à pousser aux charrois et porter gros boulets de fer, en si grand labeur et diligence qu'à son exemple la plupart de ceux de l'armée, mêmement les Allemands, de son grand et bon vouloir ébahis, se rangèrent à cette œuvre, et par ce moyen fut toute l'artillerie passée par monts et vallées avec les munitions.

»… Et l'œuvre mise à louable fin, le seigneur de La Trémoille, noir comme un Maure, pour l'exténuante chaleur qu'il avait supportée, en fit rapport au roi qui lui dit:

« – Par le jourd'hui, mon cousin, vous avez fait plus que purent faire oncques Annibal de Carthage, ni Jules César, au danger de votre personne que ne voulûtes oncques épargner, dont vous sais à toujours gré.»

La victoire de Fornoue (1495), le seul fait éclatant de cette campagne, fut due aux habiles dispositions de La Trémouille au moins autant qu'au vaillant exemple donné par le monarque. Il en fut de même de la bataille d'Agnadel (1509), livrée et gagnée plus tard par Louis XII dans les mêmes conditions. C'est à propos de La Trémouille que ce prince, en montant sur le trône, dit cette mémorable parole que l'histoire s'est plu à enregistrer:

«Le roi de France ne venge pas les querelles du duc d'Orléans. Si La Trémoille a bien servi son maître contre moi, il me servira de même contre ceux qui seraient tentés de troubler l'État.»

Le Chevalier sans Reproche, comme l'appelle Jean Bouchet, ne trompa point ces espérances. Chargé de nouveau par Louis XII (en 1500) du commandement en chef de l'armée d'Italie, il conquit rapidement le Milanais en faisant prisonniers Louis Sforce et son frère. En 1509, repassant les monts avec le roi, il prit, comme nous l'avons dit, une part glorieuse à la victoire d'Agnadel. Marignan, la Journée des Géants, fut pour lui encore une illustre journée, mais aussi douloureuse, car son fils unique, le prince de Talmont, s'étant lancé trop avant, «fut retiré de la presse, navré de soixante-deux blessures,» dont plusieurs mortelles, et le lendemain il succomba. Le duc, malgré son chagrin profond, sut ne point se laisser abattre; mais la mère du jeune homme, Gabrielle de Bourbon, fut inconsolable: «dont en son cœur s'engendra une mortelle aposthume non curable aux remèdes… Une fièvre lente accompagnée de langueur, en decevant les médecins, la conduisit jusqu'au tombeau… Je n'oublierai, ajoute Jean Bouchet, sa très-louable mort, portant témoignage de sa sainte vie… Quant au bon seigneur de La Trémoille, fut son deuil si grand qu'il ne prenait repos assuré ni consolation pour laquelle il pût l'excès de ses soupirs modérer.»

Néanmoins, trois ans après, il épousa «par honneur,» c'est-à-dire dans l'espoir de laisser un héritier, la fille du duc de Valentinois dont le chroniqueur ne parle pas avec moins de complaisance que de la première épouse. «La jeune demoiselle était humble sans rusticité, grave sans orgueil, bénigne sans sottise, affable sans trop grande familiarité, dévote sans hypocrisie, joyeuse sans folie et bien parlante sans fard de langage, libérale sans prodigalité et prudente sans présomption.» Une merveille pour tout dire, et la perfection incarnée si le portrait n'est point flatté.

Pourtant le vieux guerrier n'hésita point à la quitter pour suivre le roi François Ier en Italie. Il se trouvait près du prince à la bataille de Pavie (1525) et «là fut abattu mort d'un coup d'arquebuse.» «Et en la bataille de Pavie, dit à son tour Brantôme, après avoir combattu vaillamment et plus que son vieil âge ne lui concédait, il mourut au champ de bataille et lit d'honneur, montrant par sa mort au monde que si quelquefois les grands capitaines sont défavorisés de la fortune en quelques exploits, pourtant il ne les en faut blâmer ni eux ni leurs courages, ni leurs valeurs, mais que la fortune qui tient toutes choses mondaines en sa main et se plaît en faveur, en disgrâce, en gloire et déshonneur, les donne en abondance et en épargne, ainsi que porte sa volonté, aux uns et aux autres.»

Or, le fidèle Bouchet (qui sans doute se mêlait de rimer) fit à La Trémouille cette épitaphe:

Au lit d'honneur il a perdu la vie,Le bon Louis Trémoille ci-gisant,Au dur conflit qui fut devant Pavie,Entre Espagnols et Français par envie;Dont son renom en tous lieux est luisant.Il n'eut voulu mourir en languissantEn sa maison, ni sous obscure roche,De lâcheté, comme il allait disant;Pour ce est nommé: Chevalier sans Reproche.

Molière dirait:

La rime n'est pas riche et le style en est vieux.

Mais, au point de vue de l'histoire, ce document contemporain est précieux, et Clio s'accommode volontiers de ce qui ne suffirait pas à sa sœur.

VAUCANSON

Il est des vocations innées, des natures heureuses, privilégiées chez lesquelles les aptitudes se trahissent par une facilité merveilleuse pour le genre de travail qui éveille leur génie. Aussi l'effort ne leur coûte point et l'obstacle est pour eux un aiguillon. Ils produisent des chefs-d'œuvre comme l'arbre tout naturellement porte des fleurs et des fruits, comme l'abeille dans ses courses matinales, fait le miel en pompant le suc des fleurs. Tel un Giotto dessinant sur le sable les chèvres de son troupeau, avant de savoir mème ce que c'est que le dessin; tel Pascal inventant, en quelque sorte, les mathématiques; tel enfin, Vaucanson devinant l'art de la mécanique, témoin ce trait de sa première enfance, qu'à l'envi nous racontent les biographes.

Né à Grenoble, 24 février 1690, d'une famille d'artisans, ou mieux de petits bourgeois, il eut pour père Jacques Vocanson (car, d'après l'acte de baptème relevé sur les registres de la ville par M. Pilot, telle serait la vraie orthographe du nom), pour mère Dorothée Lacroix. Celle-ci, «femme d'une piété sévère, dit la Biographie universelle, ne permettait à l'enfant d'autre distraction que celle de venir avec elle le dimanche chez des dames d'une dévotion égale à la sienne. Pendant leurs pieuses conversations, le jeune Vaucanson s'amusait à examiner, à travers les fentes d'une cloison, une horloge placée dans la chambre voisine. Il en étudiait le mouvement, s'occupait à en dessiner la structure et à découvrir le jeu des pièces dont il ne voyait qu'une partie. Cette idée le poursuivait partout. Enfin, il saisit tout d'un coup le mécanisme de l'échappement qu'il cherchait depuis plusieurs mois. Dès ce moment, toutes ses idées se tournèrent vers la mécanique. Il fit en bois, et avec des instruments grossiers, une horloge qui marquait les heures assez exactement. Il composa pour une chapelle d'enfant des petits anges qui agitaient leurs ailes, des prêtres automates qui imitaient quelques fonctions ecclésiastiques.»

Ces premiers et étonnants résultats étaient faits pour l'encourager; mais il dut, pour un temps, interrompre ses travaux pour d'autres études, placé par ses parents dans le collége des Jésuites, où se fit son éducation. On ne peut douter, d'ailleurs, que, pendant ses heures de loisir, il ne continuât ses travaux de prédilection. Il était au collége encore peut-être, ou l'avait quitté récemment, lorsqu'il entendit parler d'une machine hydraulique projetée par la ville de Lyon. Sa tête aussitôt s'enflamme; pendant plusieurs jours il s'absorbe dans une préoccupation profonde, il réfléchit, il combine et, enfin, il exécute un modèle de machine, qu'il n'osa présenter crainte d'être accusé de présomption et de vanité. Mais venu à Paris quelque temps après, quelle ne fut pas sa joie quand il constata que la fameuse Samaritaine, aujourd'hui détruite et que longtemps les Parisiens virent fonctionner sur le Pont-Neuf, était précisément la machine qu'il avait imaginée et que, dans son mécanisme simple et ingénieux, elle amenait l'eau par les mêmes moyens.

Le jeune homme ne put se défendre d'un mouvement de vive satisfaction, mais exempt d'orgueil; comprenant que ses connaissances en anatomie, en mécanique, etc., ne pouvaient lui suffire et qu'il avait beaucoup à apprendre encore, «car savoir sert beaucoup pour inventer», ainsi que l'a dit Mme Staël; il se mit de nouveau et courageusement aux études spéciales. Il n'eut pas à le regretter; car son horizon s'agrandit et une connaissance plus sérieuse, plus complète de l'organisme humain, comme des diverses sciences se rattachant de près ou de loin à la mécanique, donnèrent une singulière lucidité à son esprit d'investigation comme d'imitation; en voici la preuve!

Un jour qu'il se promenait dans le jardin des Tuileries, s'étant arrêté devant le Flûteur, l'idée lui vint d'exécuter une statue qui jouerait des airs et, à l'aide d'un mécanisme intérieur, ferait ce que fait un musicien vivant. Tout plein de ce projet, en rentrant à la maison, chez un oncle qui lui donnait l'hospitalité, il en parla avec un enthousiasme qui, par malheur, trouva peu d'échos. L'oncle, en homme positif, lui dit:

– Tu es fou, mon neveu, de rêver de telles chimères! Si c'est là tout le fruit de tes lectures et de tes expériences, en vérité, je ne t'en fais point compliment, et je ne puis m'empêcher de dire qu'il est fâcheux de te voir ainsi perdre un temps que tu pourrais mieux employer. En ce qui me concerne, je m'opposerai très-fermement à la mise à exécution de ce projet extravagant, qui ne pourrait qu'entraîner inutilement des sacrifices considérables. Tu n'as donc pas à compter sur moi, au contraire.

Tout confus de ces reproches assez rudement formulés, Vaucanson, quoique à regret, n'insista point; mais, toutefois, il n'abandonna pas son idée, et trois ans après, pendant une maladie qui le retint de longs jours, soit au lit, soit dans sa chambre, il revint à son projet, qu'il réalisa. Telle était la netteté de sa conception et la lucidité de sa pensée, que la machine put être exécutée sur ses dessins par divers ouvriers qui ne se connaissaient point entre eux, et dont chacun exécuta telle ou telle partie du mécanisme. Or, toutes ces parties réunies s'emboîtèrent, se soudèrent si parfaitement, après avoir été mises chacune en sa place, qu'au premier ordre de l'inventeur, elles fonctionnèrent avec une merveilleuse régularité. On vit les mains et les doigts du Flûteur remuer en cadence comme ceux d'un musicien ordinaire et la flûte fit entendre des sons harmonieux et non différents de ceux d'une flûte réelle. Le domestique de Vaucanson, seul présent à cette première expérience, et que la curiosité avait porté à se cacher dans l'appartement derrière un rideau de lit, saisi d'une sorte de terreur semblable à celle qui pétrifia Sganarelle quand il vit la statue du commandeur incliner la tête, ne put retenir un cri et vint éperdu se jeter aux pieds de son maître, qu'il jugeait un vrai sorcier. Vaucanson, tout à la joie de sa découverte, et avec des larmes dans les yeux, l'embrassa en murmurant comme Archimède: Eureka! Eureka! Je l'ai trouvé! je l'ai trouvé!

Après cette machine, l'inventeur fit un automate qui jouait à la fois du tambourin et du galoubet; puis deux canards si parfaitement imités qu'on les voyait agiter les ailes, la queue, les pattes, en un mot barboter dans la mare, prendre ensuite dans l'auge le grain et, en remuant le col, l'avaler. Ce grain subissait dans leur estomac une espèce de trituration et passait ensuite dans les intestins, suivant ainsi tous les degrés de la digestion animale.

Ces curieuses inventions firent connaître au loin le nom de l'habile mécanicien, et le roi de Prusse, Frédéric II, qui cherchait à attirer dans ses états les hommes célèbres en tout genre, lui fit faire, en 1740, des offres magnifiques que Vaucanson, par l'inspiration d'un patriotisme que tous n'imitèrent pas, déclina noblement; il refusa de quitter la France. Il en fut récompensé; car, peu de temps après, le cardinal de Fleury, qui sans doute avait été instruit de ce généreux refus, nomma Vaucanson inspecteur en chef des manufactures de soie. Cette position permit au savant d'appliquer son génie d'invention à des résultats utiles, pratiques. «Il imagina, d'après ce qu'on nous apprend, des machines propres à donner à volonté de l'apprêt aux diverses espèces de soie, à rendre cet apprêt égal pour toutes les bobines ou tous les écheveaux d'un même travail, et pour toute la longueur du fil qui formait chaque bobine ou chaque écheveau. Il imagina de plus les instruments nécessaires pour exécuter avec régularité et d'une manière uniforme les différentes parties de ces machines. Ainsi une chaîne sans fin donnait le mouvement à son moulin à organsiner; il inventa une machine pour fermer la chaîne de mailles toujours égales: elle est regardée comme un chef-d'œuvre.»

Mais des intérêts menacés, ou du moins qui croyaient l'être par ces inventions, s'inquiétèrent, s'irritèrent et peu s'en fallut qu'il n'en coûtât cher à l'inventeur. Vaucanson étant venu à Lyon pour les besoins de son inspection, les ouvriers en soie furent prévenus de son arrivée. Aussitôt la fermentation commence dans les ateliers que bientôt on déserte.

– Cet homme, murmurent les meneurs, ou plutôt ce diable, par ses inventions maudites qui tendent à rendre les métiers inutiles, veut nous ôter notre pain et nous réduire à l'aumône, le souffrirons-nous, le souffrirons-nous?

– Non, non, vengeance, vengeance!

Sur ces entrefaites, Vaucanson arrive au milieu des groupes, soit par un effet du hasard, soit par un dessein prémédité, afin de les éclairer et de démontrer aux ouvriers que leurs alarmes n'étaient nullement fondées et qu'ils se méprenaient sur la nature de ses inventions. Il se voit accueilli par des injures et des huées, puis les pierres commencent à pleuvoir. Contraint à la retraite par cette grêle de projectiles dont plus d'un l'atteint, il lance en fuyant, comme le Parthe, sa flèche, c'est-à-dire cette menace aux assaillants:

– Vous prétendez que vous seuls êtes capables d'exécuter un dessin; eh bien! je prouverai le contraire, car j'en chargerai un âne.

En effet, bientôt après, il fit construire une machine avec laquelle un âne exécutait un dessin à fleurs et par là coupa court aux intrigues dont le gouvernement se voyait assiégé et qui avaient pour but d'obtenir de nouveaux priviléges pour les fabriques, dont les ouvriers, disait-on, pour exécuter leurs travaux, devaient être doués d'une intelligence peu commune.

Vaucanson s'occupa ensuite d'un automate des plus curieux et dans l'intérieur duquel on devait voir s'opérer tous les phénomènes de la circulation du sang, cette récente et admirable découverte d'Harvey. Le roi Louis XV avait fort encouragé l'artiste (on peut certes lui donner ce nom), dans l'exécution de ce travail qui inspirait à Voltaire ces vers qui ne sont point des pires qu'il ait faits:

Le hardi Vaucanson, rival de Prométhée,Semblait, de la nature imitant les ressorts,Prendre le feu des cieux pour animer les corps.

Comme poésie c'est pauvre sans doute, mais il y a du vrai dans la pensée. Vaucanson cependant n'acheva pas cette machine, dégoûté, dit-on, par les lenteurs qu'éprouvaient les ordres du roi: c'est-à-dire qu'il ne touchait pas l'argent qui lui avait été promis. Cette bureaucratie est toujours et en tout temps la même.

Attaqué par une cruelle maladie, dont il souffrit pendant plusieurs années, Vaucanson, presque jusqu'au dernier jour, s'occupa de ses travaux et en particulier de l'exécution d'une machine inventée pour composer la chaîne sans fin. De son lit de douleur, où il languit pendant dix-huit mois, il surveillait le travail des ouvriers, répétant incessamment: – Hâtez-vous, hâtez-vous! pas de temps à perdre; je ne vivrai pas assez peut-être pour expliquer toute mon idée.

Enfin son état s'aggravant de plus en plus, il prêta l'oreille aux exhortations de parents chrétiens qui, avec le courage et la sincérité de la vraie affection, lui rappelaient ces croyances et ces devoirs qu'il avait un peu trop négligés, soit par l'entraînement de la science, soit par l'influence de certaines et fatales amitiés. Docile à leurs conseils, il accueillit avec reconnaissance la visite du prêtre auquel il se confessa et mérita que sur sa tombe, placée dans l'église Sainte-Marguerite, on inscrivît cette épitaphe:

Bonis omnibus, pietate, caritate, verecundiâ, flebilis.

Vaucanson, par son testament avait légué son cabinet à la reine Marie-Antoinette. Par suite de regrettables malentendus, le legs n'ayant point été accepté, le cabinet fut dispersé et les merveilles qui le composaient se trouvent aujourd'hui dans les divers musées de l'Europe.

Une jolie anecdote pour terminer. Vaucanson, à la demande de Marmontel, avait fait pour la Cléopâtre de celui-ci, tragédie plus que médiocre, un aspic qui sifflait en mordant le sein de la reine.

– Que pensez-vous de cette pièce? demanda un spectateur à son voisin.

– Moi, je suis de l'avis de l'aspic! fut-il répondu.

Ce mot inspira-t-il à Lebrun son épigramme?

Au beau drame de CléopâtreOù fut l'aspic de Vaucanson,Tant fut sifflé qu'à l'unissonSifflaient et parterre et théâtre;Et le souffleur, oyant cela,Croyant encor souffler, siffla.

SAINT VICTOR

Peu après le massacre de la légion thébaine, le césar Maximien vint à Marseille où, comme la bête féroce plus terrible quand elle a goûté du sang, il déclara avec une fureur nouvelle la guerre aux chrétiens, aux Christocoles, comme il les appelait par dérision. Dès le lendemain de son arrivée, il fait annoncer que tous ceux qui refuseront de sacrifier aux idoles périront par les plus cruels supplices. Au milieu de la consternation que ces menaces répandent dans la ville, Victor, soldat chrétien que la foi rend intrépide, court de maison en maison, pour raffermir et consoler ses frères. Arrêté dans ce pieux office, il est traîné devant le tribunal militaire où d'un visage assuré, d'une voix ferme, il se déclare hautement, hardiment chrétien. Alors du milieu de la multitude païenne qui se pressait autour du tribunal, s'élèvent des cris et des murmures qui bientôt sont des malédictions et des outrages. Le préfet militaire ordonne que la cause, la première sans doute depuis l'entrée du César, soit renvoyée à celui-ci. Victor en effet comparaît devant Maximien qui, tour à tour employant les promesses et les menaces, le presse de sacrifier aux idoles; mais le martyr ne répond à ces sollicitations que par une généreuse profession de foi:

– Je suis le soldat du Christ, dit-il, de Jésus, Seigneur et Sauveur, qui par amour pour nous s'est fait homme! Mort parce que lui-même l'a voulu de la main des impies, et ressuscité le troisième jour par la toute puissance de sa vertu divine, il est remonté au ciel où il règne et règnera éternellement. Lui seul est Dieu, lui seul mérite nos adorations et nos hommages!

Maximien, plein de colère, ordonne que le brave soldat soit à l'instant dépouillé de ses vêtements et qu'on lui ôte ses armes. Après cette espèce de dégradation, le légionnaire, les mains liées derrière le dos, devra être promené par toute la ville pour y être livré aux risées et aux insultes de la populace. Mais Victor, le front serein, souriait aux insulteurs dont plusieurs aux outrages joignaient les coups, et s'applaudissait de souffrir pour Jésus-Christ.

Après qu'il eût été ainsi quelque temps le jouet de cette sauvage multitude, le Martyr, souillé de boue et de crachats, tout déchiré et tout sanglant, est ramené au tribunal du préfet militaire. Là de nouveau on le presse de sacrifier aux idoles:

«Après avoir appris par une première expérience, lui dit le président, ce qu'il en coûte de désobéir en oubliant ce que tu dois à César et à la République, oseras-tu bien t'obstiner encore? Seras-tu assez aveugle pour dédaigner la faveur des Dieux et celle de notre invincible prince, assez insensé pour sacrifier toutes les joies du monde, la gloire, l'honneur et la vie même qui est d'un si grand prix, à je ne sais quel Jésus, obscur malfaiteur que les Juifs eux-mêmes, ses compatriotes, ont crucifié? Voudras-tu de gaîté de cœur attirer sur toi la colère des Dieux et des hommes; et, en désespérant tous ceux qui te sont chers, te condamner toi-même à la plus cruelle des morts? Va, crois-moi plutôt, renonce à cette chimère d'un Dieu que tu n'as jamais vu, qui toujours d'ailleurs a vécu pauvre et misérable, et par sa triste fin a prouvé combien faible était sa puissance. Si tu obéis, non-seulement par cet acte de sagesse tu évites l'horreur des supplices, mais tu t'acquiers la bienveillance de César et tu peux espérer de te voir un jour porté aux plus hauts honneurs. Que si follement au contraire tu t'obstines, malheur à toi, malheur! Pour cette gloire chimérique que tu rêves, il faut t'attendre au sort du Crucifié et même à une destinée pire.

Victor inébranlable, et le cœur plein de l'esprit divin qui se reflète sur son visage intrépide, répond:

«Pourquoi ces injustes reproches au sujet de César et de la République; jamais je n'oubliai, le ciel m'en est témoin, ce que je dois à l'une et l'autre. Chaque jour, je prie, matin et soir, pour le salut de notre prince et la conservation de tout l'empire; chaque jour, devant Dieu j'immole ces hosties spirituelles pour la prospérité de l'état.»

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