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Le Mariage de Mademoiselle Gimel, Dactylographe
» – J'ai souffert, répétait-il, jusqu'au moment où je vous ai connue. Ma vie a été seule, pauvre, et vous voici enfin.
»Quel bonheur il y avait pour moi, et pour lui, dans cette tristesse passée! Je compatissais. J'avais le sentiment que je commençais mon rôle de femme, qui est de consoler. Il radotait, et moi aussi, pour que cela durât. Nous laissions des silences entre les mots; mais ils étaient remplis par une espèce de pitié amoureuse, qu'il demandait et que je donnais. Il y a un langage, d'âme à âme, qui n'a point de paroles; c'est comme une couleur changeante dont on se serait enveloppé. Contre mon habitude, je n'étais pas gaie. Je ne retrouvais pas ce qui a été ma manière d'être heureuse jusqu'à présent. Je ne souhaitais rien tant que l'entendre dire toujours:
» – J'ai souffert, et vous voici enfin.
»Tout à coup, une porte s'ouvrit dans le fond de la serre; un jardinier entra par derrière les palmiers.
» – Eh bien! les amoureux! Pas gênés! Voulez-vous filer! C'est pas une marquise de restaurant, la serre des Tuileries!
»M. Louis Morand est un homme de sang-froid. Je l'ai bien vu. Il s'est dressé. Il a observé le jardinier qui arrivait, et, à trois pas, il lui a dit tranquillement:
» – Vous vous appelez Jean-Jules Plot, caporal, il y a trois ans, à la troisième du 2. Est-ce vrai?
» – Peut-être bien. Et vous?
» – Lieutenant Louis Morand. Vous n'étiez pas dans ma compagnie, mais je vous reconnais bien.
» – C'est que vous êtes en civil, mon lieutenant, excusez.
»Alors, ils se sont écartés de moi, et j'ai entendu le jardinier qui disait très bas:
» – Mes compliments: elle est tout à fait chic votre bonne amie, mon lieutenant.
» – Dites ma fiancée, Jean-Jules Plot.
»Et, se détournant, il m'a regardée. Ah! les beaux yeux francs, où il y avait de l'amour pour toute une vie et même pour deux! La pluie tombait moins fort; j'ai fait signe:
» – Si nous sortions?
»Il a ouvert son parapluie; je me suis mise tout près de mon «fiancé»; il était si content que je l'aurais emmené à droite, à gauche, n'importe où.
» – Je vous aime, mademoiselle Evelyne.
»Nous descendions la rampe du jardin, nous passions à côté du bassin, près du vieux père Nil, tout écrasé sous l'avalanche de ses enfants; nous franchissions la grille.
» – Mademoiselle Evelyne, je vous… Au fait, où allons-nous? demanda-t-il.
» – Voir maman: il est temps de la prévenir, après trois rendez-vous!
»Je ne sais s'il avait bien compris, car, des Tuileries jusqu'à la rue Saint-Honoré, il ne s'occupa que de moi, et ne me parla pas d'elle.
»Je n'ai jamais monté plus lentement l'escalier de notre maison. Ah! que j'avais raison! Le bonheur, c'est de la joie qui croit qu'elle va durer. Le mien n'était pas tout à fait complet, Il tremblait un peu. Qu'allait dire maman? Mais je la savais faible pour moi. M. Morand, dès la première marche, avait pris mon bras et l'avait posé sur le sien.
» – Il n'y a que quatre étages? disait-il. Quel dommage! J'apprécierais, en ce moment, une maison américaine.
»Je pensais de même. Il faisait jour encore, dans la grande cage blanche. Personne ne troubla l'ascension. Quand nous nous trouvâmes en haut, nous eûmes ensemble le même battement de cœur, le même recul devant le bouton de cuivre de la sonnette. Derrière la porte, quelle parole allait être dite? Quelle destinée nous guettait? J'avançai la main, très lentement. M. Morand vit le geste, et, peut-être pour retarder le moment où nous serions trois, il prit ma main et la porta à ses lèvres, et je sentis celles-ci qui priaient sur mes doigts et qui disaient:
» – Pas encore.
»Cela dura un peu. Je crois que j'aurais laissé durer la prière si je n'avais entendu le pas de maman. Elle venait, probablement, pour se pencher sur la rampe. Ce fut M. Morand qui sonna. Puis, il s'effaça. Et maman vint ouvrir, précipitamment, joyeusement, comme chaque soir.
»Elle m'aperçut d'abord; je vis commencer le sourire qui m'accueille et qui m'appartient; mais, tout de suite, il cessa. Maman venait de découvrir, en arrière, ce jeune homme; ses yeux myopes firent effort, elle plissa les paupières, elle se demanda:
» – Est-ce que je le connais?
»Elle eut son petit mouvement de tête qui précède le bonjour. Mais non, elle ne connaissait pas ce monsieur. C'était un étranger. Elle ne comprenait plus; elle pensa qu'elle avait encore son tablier de popeline noire, et je vis se reculer dans l'ombre du couloir sa pauvre figure troublée, froide, pincée, tandis que je m'avançais, et que je disais tout bas:
» – Maman, je vais vous expliquer. Ne craignez rien. Allons dans le salon.
»Son premier geste, en entrant dans le salon, c'est-à-dire dans sa chambre, fut de jeter, sous la machine à coudre, le tablier surpris. Alors, elle parut se remettre. Elle leva la mèche de la lampe.
» – Entrez donc, monsieur; qu'est-ce qu'il y a? Je ne m'attendais pas à une visite. Si tu fermais la fenêtre, Evelyne?
»Quand elle fut assise, à contre-jour, quand la fenêtre fut fermée, maman avait déjà repris son air très sûr, son air parisien.
» – Mais asseyez-vous donc, monsieur.
»Et elle le regardait, pendant ce temps-là. Elle l'étudiait. Elle le cataloguait. Moi, j'étais à sa gauche, près du fauteuil, et joliment plus émue qu'aux Tuileries, et je le regardais, lui aussi, et je le trouvais stupéfiant et charmant.
»Il n'était pas embarrassé, pas gauche, pas godiche; il était ému, et, ce qui me parut très bien et très fort, de tout ce qui était dans le salon, il ne considérait que maman. Il la laissait, avec déférence, s'agiter. Il attendait, sans impatience, qu'il pût dire ce qu'il voulait dire. Il restait debout; et ce fut très simple. Moi, je n'avais eu le temps de rien expliquer. Il se chargea des éclaircissements.
» – Madame, dit-il, j'aurais dû vous parler avant-hier; voilà trois jours déjà que j'ai fait ma déclaration à mademoiselle Evelyne.
»Elle a pris son air étonné, – heureux, au fond, pauvre maman, très heureux, – un air qu'elle avait vu prendre à Bartet, dans les comédies.
» – Quelle sorte de déclaration, monsieur?
»J'étais si près d'elle, je me suis penchée, je l'ai embrassée là où commencent ses cheveux blancs, et j'ai dit:
» – D'amour, maman.
»Et, un peu bas:
» – Ça s'est très bien passé… Aux Tuileries… Il est très comme il faut… Recevez-le bien.
»Lui, il ne disait plus rien. Elle l'a considéré peut-être une demi-minute. Elle est sensible, impressionnable! Je lisais tout sur son visage; elle se demandait:
» – Voyons, cette physionomie-là me revient-elle? Du temps de ma jeunesse, quand j'étais vendeuse chez Revillon, m'aurait-il plu? Voyons, ces moustaches, ces sourcils un peu rudes, ce front calme et têtu, ces yeux de commandement, mais qui aiment, qui ont un peu peur, non pas de moi, mais de ce que je vais dire… Oui, sûrement, Evelyne a fait ce que j'aurais fait… Quoique… Vraiment oui, monsieur Gimel, adjudant de la garde républicaine, était un plus bel homme.
» – Excusez-moi, monsieur; on ne s'attend pas à des nouvelles pareilles. Je suis toute saisie. Dites-moi comment vous avez connu Evelyne. Êtes-vous de sa banque?
»Il se mit à rire, et j'entends encore ce rire contenu, mais si franc, le dernier entre nous.
» – Oh! non, madame! non! J'ai commencé par deux années au Soudan…
» – Seigneur! Vous habitez les colonies?
» – Je les habitais hier; j'y retournerais volontiers si je n'avais pas une idée que je viens de vous avouer. Je suis lieutenant d'infanterie.
»Maman devint toute pâle, subitement. Elle chercha ses mots, elle qui les trouve toujours, et si vite!
» – Officier! Mais, monsieur, il faut une dot réglementaire? Je ne sais pas si Evelyne, même après ma mort…
» – Non, maman, il n'en faut plus! J'ai fait l'objection, moi aussi, vous rappelez-vous, monsieur, à côté du myrte, quand le jardinier est entré? Je vous demandais, justement… Non, maman, il y a une circulaire du général…
»Je croyais que maman allait rire. Non, elle pâlissait encore; elle avait l'air de défaillir; elle nous regardait avec une espèce de stupeur, comme si nous allions mourir l'un ou l'autre.
» – En vérité, monsieur, dit-elle, ce projet-là est impossible… tout à fait impossible… L'honneur était grand, sans doute… Mais Evelyne ne peut pas épouser un officier. Voulez-vous m'attendre ici?.. J'ai à parler à l'enfant, qui ne comprend pas plus que vous ce que je veux dire. Viens, ma petite.
»Et, en disant cela, elle m'entraînait dans ma chambre. Je n'avais pas peur; je me sentais forte contre toute opposition, capable d'attendre, de m'exiler, de continuer de travailler, d'apprendre un métier nouveau, s'il le fallait, de tant de choses, que j'étais sûre que celle que maman allait m'opposer comme argument ne tiendrait pas contre ma volonté… Pouvais-je prévoir? Ah! trop confiante que j'étais! Un mot a suffi pour m'accabler. Elle m'a emmenée près de la fenêtre; elle a passé sa main autour de ma taille; elle m'a caché son visage; son front touchant mes cheveux, elle m'a parlé. Aussitôt, j'ai senti mon pauvre amour frappé à mort. Je ne me suis pas défendue; je ne répondais pas; je souffrais. Combien de temps suis-je restée là, sans force, tandis qu'elle me disait:
» – Allons, rentre, mon enfant, trouve un prétexte, écarte-le puisqu'il le faut!
»Voyant que je me taisais, elle me proposa même de retourner seule et de dire elle-même à M. Morand:
» – C'est fini, ne revenez pas.
»Alors seulement, je revins à moi; je la repoussai; elle me laissa faire. J'étais nerveuse, dès lors courageuse. Je devais être très singulière avec mes yeux brillants de larmes que je retenais; avec ma volonté nouvelle de le quitter; avec ma voix que j'avais peur d'entendre moi-même parce qu'elle allait nous séparer. Je ne sais pas comment j'ai eu le courage. J'ai été droit à lui, qui était debout au milieu du salon.
» – Monsieur, voici un grand chagrin pour moi, et pour vous: madame Gimel vient de me parler… J'ignorais ce qu'elle m'a appris, je vous le jure. Elle a bien fait de me l'apprendre. Je ne dois pas, je ne peux pas être votre fiancée.
» – Mais que vous a-t-elle appris, mademoiselle? Elle ne me connaît pas. On m'a peut-être calomnié près d'elle? Qu'elle se renseigne. Je n'ai pas à craindre. Mais ne dites pas des mots comme celui-là.
» – Oh! non, cela ne vous concerne pas.
» – Alors, comment une chose que vous ne saviez pas, et qui vous concernait, mademoiselle, pouvait-elle avoir tant d'importance? Vous l'ignoriez? Qu'est-ce que c'est! Vous ai-je dit que les questions de dot n'entraient pas dans mes préoccupations? Vous seriez sans mobilier et sans trousseau que je ne changerais pas d'avis. N'est-ce que cela?
» – Non, hélas!
» – Mais parlez donc!
» – Je ne peux pas…
» – Vous le devez! Je ne vous quitterai pas sans savoir pourquoi vous rompez. J'ai droit à une explication.
» – Et si je vous demande, monsieur, de ne pas vous en donner?
» – Je refuse… Vous voyez que je souffre cruellement… Je croirai que j'ai été repoussé pour des raisons d'ambition, qu'on vous a fait partager.
» – Non, par exemple! N'injuriez pas la petite, monsieur! Elle avait le droit de choisir, en effet; mais elle avait choisi, et elle n'est pas femme à se reprendre par ambition!
»C'était madame Gimel qui sortait à son tour de ma chambre, animée, rouge, susceptible pour moi, qui n'étais que malheureuse. J'ai étendu la main, pour arrêter la plaidoirie de cette chère offensée. J'ai dit:
» – Vous avez raison, monsieur, il vaut mieux que vous sachiez la vérité.
» – Quoi, Evelyne, tu vas lui dire?..
» – Tout. Monsieur Morand va voir, par là, combien je l'estime. Il verra aussi que je ne puis pas être sa femme… Je suis une enfant abandonnée, monsieur, une pupille de l'Assistance publique, adoptée par madame Gimel… Comprenez-vous, maintenant? Cette femme, qui m'a élevée, n'avait qu'à me laisser avec les autres: j'aurais grandi dans une ferme de la Nièvre ou de la Normandie. Je suis sans père ni mère… Vous voyez vous-même que je ne suis pas de celles qu'on peut présenter à des femmes d'officiers. Dites le contraire!
»Il me regarda, et il m'aimait encore. Mais il ne répondit rien. Il voyait que je ne mentais pas, que j'avais tout ignoré, que je ne voulais pas pleurer, que je ne voulais pas qu'il restât… Et il a voulu, lui aussi, être courageux; il ne m'a même pas demandé de lui tendre la main; il a salué maman, le pauvre garçon, perdu d'esprit et toujours correct; il l'a saluée, et puis il n'a plus eu la force de me dire adieu. Je crois qu'il a essayé de commencer: «Pardonnez-moi», mais il n'a pas eu la force de finir, il a senti que tout s'écroulait et il a quitté le salon… Je suis presque sûre qu'il s'est arrêté pour me regarder, sur le palier. Je n'ai pas couru. La pupille de l'Assistance publique n'avait aucune parole d'espérance à lui donner, aucune illusion. Le bruit sec de la serrure, qui reprenait son rôle de gardienne, nous a séparés.
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