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Histoire des salons de Paris. Tome 5
Histoire des salons de Paris. Tome 5

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Histoire des salons de Paris. Tome 5

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Je connaissais et la toilette, et les trésors, et la beauté; cependant, je l'avoue, je fus moi-même surprise par l'effet que produisit la princesse à son entrée dans le salon. Quant à son mari, il fut là ce qu'il fut toujours depuis, le premier chambellan de sa femme…

Joséphine, après le premier moment d'étonnement causé par cette profusion de pierreries qui ruisselaient sur les vêtements de sa belle-sœur, se remit, et la conversation devint générale. On servit des glaces, et alors il y eut un mouvement.

– «Eh bien! me dit la Princesse, comment me trouvez-vous?

– Ravissante! et jamais on ne fut si jolie avec autant de magnificence.

LA PRINCESSE

En vérité!

MADAME JUNOT

C'est très-vrai.

LA PRINCESSE

Vous m'aimez, et vous me gâtez…

MADAME JUNOT

Vous êtes enfant!.. Mais, dites-moi pourquoi vous êtes venue si tard?

LA PRINCESSE

Vraiment, je l'ai fait exprès!.. je ne voulais pas vous trouver à table. Il m'est bien égal de n'avoir pas vu mon frère!.. C'était elle, que je voulais trouver et désespérer… Laurette, Laurette! Regardez donc comme elle est bouleversée!.. oh! que je suis contente!

MADAME JUNOT

Prenez garde, on peut vous entendre.

LA PRINCESSE

Que m'importe! je ne l'aime pas!.. Tout à l'heure elle a cru me faire une chose désagréable en me faisant traverser le salon; eh bien! elle m'a charmée.

MADAME JUNOT

Et pourquoi donc?

LA PRINCESSE

Parce que la queue de ma robe ne se serait pas déployée, si elle était venue au-devant de moi, tandis qu'elle a été admirée en son entier.

Je ne pus retenir un éclat de rire; mais la Princesse n'en fut pas blessée. Ce soir-là on aurait pu tout lui dire, excepté qu'elle était laide…

LA PRINCESSE, regardant sa belle-sœur

Elle est bien mise, après tout!.. Ce blanc et or fait admirablement sur ce velours bleu…

Tout à coup la Princesse s'arrête… une pensée semble la saisir; elle jette les yeux alternativement sur sa robe et sur celle de madame Bonaparte.

LA PRINCESSE, soupirant profondément

Ah, mon Dieu! mon Dieu!

MADAME JUNOT

Qu'est-ce donc?

LA PRINCESSE

Comment n'ai-je pas songé à la couleur du meuble de salon!.. Et vous, vous, Laurette… vous, qui êtes mon amie, que j'aime comme ma sœur (ce qui ne disait pas beaucoup), comment ne me prévenez-vous pas?

MADAME JUNOT

Eh! de quoi donc, encore une fois! que le meuble du salon de Saint-Cloud est bleu? Mais vous le saviez aussi bien que moi.

LA PRINCESSE

Sans doute; mais dans un pareil moment on est troublée, on ne sait plus ce qu'on savait; et voilà ce qui m'arrive… J'ai mis une robe verte pour venir m'asseoir dans un fauteuil bleu!

Non, les années s'écouleront et amèneront l'oubli, que je ne perdrai jamais de vue la physionomie de la Princesse en prononçant ces paroles… Et puis l'accent, l'accent désolé, contrit… C'était admirable!

LA PRINCESSE

Je suis sûre que je dois être hideuse! Ce vert et ce bleu… Comment appelle-t-on ce ruban27? Préjugé vaincu!.. Je dois être bien laide, n'est-ce pas?

MADAME JUNOT

Vous êtes charmante! Quelle idée allez-vous vous mettre en tête!

LA PRINCESSE

Non, non, je dois être horrible! le reflet de ces deux couleurs doit me tuer. Voulez-vous revenir avec moi à Paris, Laurette?

MADAME JUNOT

Merci! j'ai ma voiture. Et vous, votre mari…

LA PRINCESSE

C'est-à-dire que je suis toute seule.

MADAME JUNOT

Comment? et votre lune de miel ne fait que commencer.

LA PRINCESSE, haussant les épaules

Quelles sottises me dites-vous là, chère amie! Une lune de miel avec cet IMBÉCILE-LA!.. Mais vous voulez rire probablement?

MADAME JUNOT

Point du tout, je le croyais; c'était une erreur seulement, mais pas une sottise… Et puisque je ne dérangerai pas un tête-à-tête, j'accepte, pour être avec vous d'abord, et puis pour juger si, en effet tout espoir de lune de miel est perdu.

La Princesse se leva alors majestueusement, et fut droit à madame Bonaparte pour prendre congé d'elle; les deux belles-sœurs s'embrassèrent en souriant!.. Judas n'avait jamais été si bien représenté.

Mais ce fut en regagnant sa voiture que la princesse fut vraiment un type particulier à étudier… Elle ralentit sa marche lorsqu'elle fut arrivée sur le premier palier du grand escalier, et traversa la longue haie formée par tous les domestiques et même les valets de pied du château avec une gravité royale toute comique; mais ce qu'on ne peut rendre, c'est le balancement du corps, les mouvements de la tête, le clignement des yeux, toute l'attitude de la personne. Elle marchait seule en avant; son mari suivait, ayant la grotesque tournure que nous lui avons connue, malgré sa jolie figure. Il avait un habit de je ne sais quelle couleur et quelle forme, qu'il portait à la Cour du Pape; et, comme l'épée n'était pas un meuble fort en usage à la Cour papale, il s'embarrassait dans la sienne, et finit par tomber sur le nez en montant en voiture. Le retour fut rempli par de continuelles doléances de la Princesse sur son chagrin d'avoir mis une robe verte dans un salon bleu.

Le lendemain nous nous trouvâmes chez ma mère, qui voulait avoir des détails sur la présentation, et avec qui Paulette n'osait pas encore faire la princesse.

– «Ainsi donc, dit-elle à la Princesse, tu étais bien charmante!»

Et elle la baisait au front avec ces caresses de mère qu'on ne donne qu'à une fille chérie.

– «Oh! maman Panoria28, demandez à Laurette.»

Je certifiai de la vérité de la chose… Ma mère sourit avec autant de joie que pour mon triomphe.

– «Mais, dit ma mère, il faut maintenant faire la princesse avec dignité et surtout convenance, Paulette; et quand je dis convenance, j'entends politesse. Tu es enfant gâtée, nous savons cela. Ainsi, par exemple, chère enfant, vous ne rendez pas de visite; cela n'est pas bien. Je ne me plains pas, moi, puisque vous êtes tous les jours chez moi, mais d'autres s'en plaignent.»

La Princesse prit un air boudeur. Ma mère n'eut pas l'air de s'en apercevoir, et continua son sermon jusqu'au moment où madame de Bouillé et madame de Caseaux entrèrent dans le salon. On leur soumit la question, et la réponse fut conforme aux conclusions de ma mère.

– «Vous voilà une grande dame, lui dirent-elles, par votre alliance avec le prince Borghèse. Il faut donc être ce qu'étaient les grandes dames de la Cour de France. Ce qui les distinguait était surtout une extrême politesse. Ainsi donc, rendre les visites qu'on vous fait, reconduire avec des degrés d'égards pour le rang de celles qui vous viennent voir; ne jamais passer la première lorsque vous vous trouvez à la porte d'un salon avec une femme, votre égale ou votre supérieure, ou plus âgée que vous; ne jamais monter dans votre voiture avant la femme qui est avec vous, à moins que ce ne soit une dame de compagnie; ne pas oublier de placer chacun selon son rang dans votre salon et à votre table; offrir aux femmes qui sont auprès du Prince, deux ou trois fois, des choses à votre portée pendant le dîner; être prévenante avec dignité; enfin, voilà votre code de politesse à suivre, si vous voulez vous placer dans le monde.»

Au moment où ces dames parlèrent de ne pas monter la première dans la voiture, je souris; ma mère, qui vit ce sourire, dit à Paulette:

– «Est-ce que, lorsque tu conduis Laurette dans ta voiture, tu montes avant elle?»

La Princesse rougit.

– «Est-ce que hier, poursuivit ma mère plus vivement, cela serait surtout arrivé?»

La Princesse me regarda d'un air suppliant; elle craignait beaucoup ma mère, tout en l'aimant.

– «Non, non, m'empressai-je de dire; la princesse m'a fait la politesse de m'offrir de monter avant elle.

– C'est que, voyez-vous, dit ma mère, ce serait beaucoup plus sérieux hier qu'un autre jour. Ma fille et vous, Paulette, vous avez été, comme vous l'êtes encore, presque égales dans mon cœur, comme vous l'êtes dans le cœur de l'excellente madame Lætitia. Vous êtes donc sœurs, pour ainsi dire, et sœurs par affection. Je ne puis donc supporter la pensée qu'un jour Paulette oubliera cette affection, parce qu'on l'appelle Princesse et qu'elle a de beaux diamants et tout le luxe d'une nouvelle existence. Mais cela n'a pas été… tout est donc au mieux.

– Mais, reprit doucement Paulette en se penchant sur ma mère et s'appuyant sur son épaule, je suis sœur du premier Consul!.. je suis…

– Quoi! qu'est-ce que sœur du premier Consul?.. Qu'est-ce que la sœur de Barras était pour nous?

– Mais ce n'est pas la même chose, maman Panoria!

– Absolument de même pour ce qui concerne l'étiquette. Ton frère a une dignité temporaire; elle lui est personnelle; et même, pour le dire en passant, elle ne devrait pas lui donner le droit de prendre la licence de ne rendre aucune visite. Il est venu au bal que j'ai donné pour le mariage de ma fille, et il ne s'est pas fait écrire chez moi

J'ai mis avec détail cette conversation pour faire juger de l'état où était la société en France, à cette époque: d'un côté, elle montrait et observait toujours cette extrême politesse, cette observance exacte des moindres devoirs; de l'autre, un oubli entier de ces mêmes détails dont se forme l'existence du monde, et la volonté de les connaître et de les mettre en pratique. On voit que ma mère, malgré toutes les secousses révolutionnaires par lesquelles la société avait été ébranlée, s'étonne que le général Bonaparte, même après les victoires d'Italie, d'Égypte et de Marengo, sa haute position politique, ne se fût pas fait écrire chez elle, après y avoir passé la soirée.

– «Mais il est bien grand, lui disait Albert, pour la calmer là-dessus.

– Eh bien! qu'importe? Le maréchal de Saxe était bien grand aussi… et il faisait des visites29.»

La société de Paris, au moment de la transition de l'état révolutionnaire, c'est-à-dire de la République à l'Empire, était donc divisée, comme on le voit, et sans qu'aucune des diverses parties prît le chemin de se rejoindre à l'autre. Ce qui contribuait à maintenir cet état était le défaut de maisons où l'on reçût habituellement. On le voyait, mais peu, dans la Cour consulaire; toutes les femmes étaient jeunes, et beaucoup hors d'état d'être maîtresses de maison autrement que pour en diriger le matériel. On allait à Tivoli voir le feu d'artifice et se promener dans ses jolis jardins; on allait beaucoup au spectacle; on se donnait de grands dîners, pour copier la Cour consulaire, où les invitations allaient par trois cents les quintidis; on allait au pavillon d'Hanovre, à Frascati, prendre des glaces en sortant de l'Opéra, tout cela avec un grand luxe de toilette et sans que l'on y prît garde encore; on allait à des concerts où chantait Garat, qui alors faisait fureur, et la vie habituelle se passait ainsi. Mais la société ne fut pas longtemps dans cet état de suspension. 1804 vit arriver l'Empire; et, du moment où il fut déclaré, un nouveau jour brilla sur toute la France; tout y fut grand et beau; rien ne fut hors de sa place, et l'ordonnance de chaque chose fut toujours ce qu'elle devait être.

DEUXIÈME PARTIE

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE

C'était le 2 décembre 1809; l'anniversaire du couronnement et de la bataille d'Austerlitz devait être célébré magnifiquement à l'Hôtel-de-Ville. L'Empereur avait accepté le banquet d'usage, et la liste soumise à sa sanction par le maréchal Duroc, à qui je la remettais après l'avoir reçue de Frochot, avait été arrêtée; et tous les ordres donnés pour la fête, qui fut, ce qu'elle avait toujours été et ce qu'elle est encore à l'Hôtel-de-Ville, digne de la grande cité qui l'offre à son souverain.

Quelques jours avant, l'archi-chancelier, qui ne faisait guère de visites, me fit l'honneur de me venir voir. J'étais alors fort souffrante d'un mal de poitrine qui n'eut heureusement aucune suite, mais qui alors me rendait fort malade. Je crachais beaucoup de sang, et j'avais peur de ne pouvoir aller à l'Hôtel-de-Ville pour remplir mon devoir. L'archi-chancelier était soucieux. Je lui parlai des bruits de divorce… Le Prince me répondit d'abord avec ambiguïté, et puis finit par me dire qu'il le croyait sûr.

– «Ah, mon Dieu! m'écriai-je, et quelle époque fixez-vous à cette catastrophe? car je regarde la chose comme un malheur, surtout si l'Empereur épouse une princesse étrangère…

– C'est ce que je lui ai dit.

– Vous avez eu ce courage, monseigneur?..

– Oui, certes; je regarde le bonheur de la France comme intéressé dans cette grande question.

– Et l'Impératrice, comment a-t-elle reçu cette nouvelle?..

– Elle ne fait encore que la pressentir; mais il y a quelqu'un qui prendra soin qu'elle soit instruite…»

Je regardai l'archi-chancelier comme pour lui demander un nom; mais avec sa circonspection ordinaire, et déjà presque fâché d'avoir été si loin, il porta son regard ailleurs que sur les miens, et changea d'entretien. Ce ne fut que longtemps après que j'acquis la connaissance de ce qui avait motivé ses paroles en ce moment de crise où chacun craignait pour soi la colère terrible de l'Empereur.

Soit qu'il fût excité par les femmes de la famille impériale, qui ne savaient pas ce qu'elles faisaient lorsqu'elles voulaient changer de belle-sœur; soit qu'il voulût malgré l'Empereur pénétrer dans son secret, se rendre nécessaire, et forcer sa confiance, il est certain que Fouché avait pénétré jusqu'à l'Impératrice, et lui avait apporté de ces consolations perfides, qui font plus de mal qu'elles ne laissent de douceur après elles. Mais le genre d'émotion convenait à Joséphine; elle était femme et créole! deux motifs pour aimer les pleurs et les évanouissements. Malheureusement pour elle et son bonheur, Napoléon était un homme, et un grand homme… deux natures qui font repousser les larmes et les plaintes: Joséphine souffrait, et Joséphine se plaignait; il est vrai que cette plainte était bien douce, mais elle était quotidienne et même continuelle, et l'Empereur commençait à ne pouvoir soutenir un aussi lourd fardeau.

À chaque marque nouvelle d'indifférence, l'Impératrice pleurait encore plus amèrement. Le lendemain, sa plainte était plus amère, et Napoléon, chaque jour plus aigri, en vint à ne plus vouloir supporter une scène qu'il ne cherchait pas, mais qu'on venait lui apporter.

Un jour l'Impératrice, après avoir écouté les rapports de madame de L… de madame de Th… de madame de L… de madame Sa… et d'une foule de femmes en sous-ordre, avec lesquelles surtout elle aimait malheureusement à s'entretenir de ses affaires, l'impératrice reçut la visite de Fouché. Fouché, en apparence tout dévoué aux femmes de la famille impériale, leur faisait des rapports plus ou moins vrais, mais qu'il savait flatter leurs passions ou leurs intérêts. Joséphine était une proie facile à mettre sous la serre du vautour: aussi n'eut-il qu'à parler deux fois à l'Impératrice, et il eut sur elle un pouvoir presque égal à celui de ses amis, lui qui n'arrivait là qu'en ennemi.

Il y venait envoyé par les belles-sœurs surtout, qui, poussées par un mauvais génie, voulaient remplacer celle qui, après tout, était bonne pour elles, leur donnait journellement à toutes ce qui pouvait leur plaire, et tâchait de conjurer une haine dont les marques étaient plus visibles chaque jour. Fouché, qui joignait à son esprit naturel et acquis dans les affaires une finesse exquise pour reconnaître ce qui pouvait lui servir, en avait découvert une mine abondante dans les intrigues du divorce. Être un des personnages actifs de ce grand drame lui parut une des parties les plus importantes de sa vie politique. Faible et facile à circonvenir, il comprit que Joséphine était celle qui lui serait le plus favorable: aussi dirigea-t-il ses batteries sur elle.

Il commença par lui demander si elle connaissait les bruits de Paris… Joséphine, déjà fort alarmée par le changement marqué des manières de l'Empereur avec elle, frémit à cette question et ne répondit qu'en tremblant qu'elle se doutait bien d'un malheur, mais qu'elle n'était sûre de rien.

Fouché lui dit alors que tous les salons de Paris, comme les cafés des faubourgs, ne retentissaient que d'une nouvelle: c'était que l'Empereur voulait se séparer d'elle.

– «Je vous afflige, madame, lui dit Fouché; mais je ne puis vous céler la vérité; Votre Majesté me l'a demandée: la voilà sans déguisement et telle qu'elle me parvient.»

Joséphine pleura. – «Que dois-je faire? dit-elle.

– Ah! dit l'hypocrite, il y aurait un rôle admirable dans ce drame, si madame avait le courage de le prendre: son attitude serait bien grande et bien belle aux yeux de toute l'Europe, dont en ce moment elle est le point de mire.

– Conseillez-moi, dit Joséphine avec anxiété…

– Mais il est difficile… Il faut beaucoup de courage.

– Ah! croyez que j'en ai eu beaucoup depuis deux ans!.. Il m'en a fallu davantage pour supporter le changement de l'Empereur que je n'en aurai peut-être besoin pour sa perte.

– Eh bien! madame, il faut le prévenir, il faut écrire au Sénat… Il faut vous-même demander la dissolution de ces mêmes liens que l'Empereur va briser à regret sans doute; mais la politique le lui ordonne… Soyez grande en allant au-devant30; le beau côté de l'action vous demeure, parce que le monde voit toujours ainsi le dévouement.»

Étourdie par une aussi étrange proposition, Joséphine fut d'abord tellement étonnée qu'elle ne put répondre au duc d'Otrante; sa nature était trop faible; elle n'avait pas une élévation suffisante dans l'âme pour comprendre une obligation d'elle-même dans ce sacrifice. Aussi fondit-elle en larmes et ne répondit que par des gémissements étouffés à la proposition de Fouché.

Celui-ci, désespéré de cette tempête qu'aucune parole raisonnable ne pouvait apaiser, essaya enfin de la calmer en lui parlant de son empire sur l'Empereur, de son ancien amour pour elle, amour et empire à lui bien connus, mais autrefois; et en faisant cette observation à l'Impératrice le personnage était bien aise de savoir à quoi s'en tenir sur l'état présent des choses… Mais Joséphine pleurait et ne répondait rien. C'était un enfant gâté pleurant sur un jouet brisé, plutôt qu'une souveraine devant un sceptre et une couronne perdus. Cependant Fouché n'abandonnait pas facilement la partie commencée, et il revint de nouveau en parlant à Joséphine de l'amour de l'Empereur pour elle.

– «Il ne m'aime plus, dit la pauvre affligée… Il ne m'aime plus!.. Maintenant quand il est à l'armée, il ne m'écrit plus des lettres brûlantes de passion comme les lettres d'Italie et d'Austerlitz. Ah! monsieur le duc, les temps sont bien changés!.. Tenez: vous allez en juger.»

Elle se leva, fut à un meuble en bois des Indes précieusement monté et formant un secrétaire tout à la fois et un lieu sûr pour y placer des objets précieux. Elle y prit plusieurs lettres qui ne contenaient que quelques lignes à peine lisibles. Le duc d'Otrante s'en empara aussitôt et y jetant les yeux avant que l'Impératrice les lui eût traduites en lui expliquant les signes hiéroglyfiques plutôt que les lettres qui voulaient passer pour de l'écriture, il vit qu'en effet l'Empereur était bien changé pour l'Impératrice. Ces lettres ne contenaient qu'une même phrase insignifiante par elle-même; il y en avait de Bayonne, d'Espagne, d'Allemagne lors de la campagne de Wagram… Ces dernières lettres étaient toutes récentes… J'ai vu, depuis, ces preuves du changement de l'Empereur, et elles me frappèrent avec une vive peine comme tout ce qui détruit. Je ne crois pas que Fouché en ait été affecté comme moi; mais il l'était d'une autre manière: il regardait ces lettres et relisait la même phrase plusieurs fois. Cet examen lui présentait, je crois, l'Empereur sous un nouveau jour dont, je pense, il n'avait été jamais éclairé: c'était l'Empereur se contraignant à faire une chose qui visiblement lui déplaisait, et on n'en pouvait douter en lisant ces lettres…

«À L'IMPÉRATRICE, À BORDEAUX»Marac, le 21 avril 1808.

»Je reçois ta lettre du 19 avril. J'ai eu hier le prince des Asturies et sa Cour à dîner. Cela m'a donné bien des embarras31. J'attends Charles IV et la reine.

»Ma santé est bonne. Je suis bien établi actuellement à la campagne.

»Adieu, mon amie, je reçois toujours avec plaisir de tes nouvelles.

»Napoléon.»«À L'IMPÉRATRICE, À PARIS32»Burgos, le 14 novembre 1808.

»Les affaires marchent ici avec une grande activité. Le temps est fort beau. Nous avons des succès. Ma santé est fort bonne.

»Napoléon.»«À L'IMPÉRATRICE, À STRASBOURG»Saint-Polten, le 9 mai 1809.

»Mon amie, je t'écris de Saint-Polten33. Demain je serai devant Vienne: ce sera juste un mois après le même jour où les Autrichiens ont passé l'Inn et violé la paix.

»Ma santé est bonne, le temps est superbe et les soldats sont gais: il y a ici du vin.

»Porte-toi bien.

»Tout à toi:

»Napoléon.»

En parcourant ces lettres, dont la suite était semblable à ce que je viens de citer, le duc d'Otrante sourit en son âme; car sa besogne lui paraissait maintenant bien faite. Il lui était démontré que l'Empereur voulait le divorce, et que tous les obstacles que lui-même paraissait y apporter n'étaient qu'une feinte à laquelle il serait adroit de ne pas ajouter foi par sa conduite, si on paraissait le faire en apparence. Joséphine suivait son regard à mesure qu'il parcourait ces lettres sur lesquelles elle avait elle-même souvent pleuré. Fouché les lui rendit en silence.

– «Eh bien? lui dit-elle…

– Eh bien! madame, ce que je viens de voir me donne la conviction entière de ce dont j'étais déjà presque sûr.»

Joséphine sanglota avec un déchirement de cœur qui aurait attendri un autre homme que Fouché.

– «Vous ne voulez pas en croire mon attachement pour vous, madame; et pourtant Dieu sait qu'il est réel. Eh bien! voulez-vous prendre conseil d'une personne qui vous est non-seulement attachée, mais qui peut être pour vous un excellent guide dans cette très-importante situation? Je l'ai vue dans le salon de service: c'est madame de Rémusat.

– Oui! oui!.. s'écria Joséphine.»

Et madame de Rémusat fut appelée.

C'était une femme d'un esprit et d'une âme supérieurs que madame de Rémusat. Lorsque Joséphine ne se conduisait que d'après ses conseils, tout allait bien; mais quand elle en demandait à la première personne venue de son service, les choses devenaient tout autres. Madame de Rémusat joignait ensuite à son esprit et à sa grande connaissance du monde un attachement réel pour l'Impératrice.

En écoutant le duc d'Otrante elle pâlit, car, tout habile qu'elle était, elle-même fut prise par la finesse de l'homme de tous les temps. Elle ne put croire qu'une telle démarche fût possible de la part d'un ministre de l'Empereur, si l'Empereur lui-même ne l'y avait autorisé. Cette réflexion s'offrit à elle d'abord, et lui donna de vives craintes pour l'Impératrice. Fouché la comprit; et cet effet, qu'il ne s'était pas proposé, lui parut devoir être exploité à l'avantage de ce qu'il tramait.

– «Ce que vous demandez à sa majesté est grave, monsieur le duc… Je ne puis ni lui conseiller une démarche aussi importante, ni l'en détourner, car je vois…»

Elle n'osa pas achever sa phrase, car ce qu'elle voyait était assez imposant pour arrêter sa parole.

– «J'ai fait mon devoir de fidèle serviteur de sa majesté, dit le duc d'Otrante. Je la supplie de réfléchir à ce que j'ai eu l'honneur de lui dire: c'est à l'avantage de sa vie à venir.»

Et il prit congé de l'Impératrice, en la laissant au désespoir. Madame de Rémusat resta longtemps auprès d'elle, tentant vainement de la consoler; car elle-même était convaincue que l'Empereur lui-même dirigeait toute cette affaire. Dès que Joséphine fut plus calme, elle lui demanda la permission de la quitter, pour aller, lui dit-elle, travailler dans son intérêt.

C'était chez le duc d'Otrante qu'elle voulait se rendre.

«Cet homme est bien fin, ou plutôt bien rusé, se dit-elle; mais une femme ayant de bonnes intentions le sera pour le moins autant que lui…»

Mais elle acquit la preuve qu'avec un homme comme Fouché il n'y avait aucune prévision possible… Et elle sortit de chez lui aussi embarrassée qu'en y arrivant.

Cependant la position était critique; il devenait d'une grande importance de suivre les conseils de Fouché, si ces conseils étaient des ordres de l'Empereur. Madame de Rémusat le croyait fermement, et toutefois n'osait le dire à Joséphine. Celle-ci le sentait instinctivement, mais n'osait s'élever entre la dame du palais, alors son amie, et elle-même, dans ces moments de confiance expansive, qui étaient moins fréquents cependant depuis cette visite du duc d'Otrante. Car il semblait à ces deux femmes que de parler d'une aussi immense catastrophe, c'était admettre sa réalité immédiate.

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