
Полная версия
Histoire des salons de Paris. Tome 5
– «Mon Dieu! disait Joséphine, que faire? donnez-moi du courage!»
Et elle pleurait.
– «Madame, lui disait madame de Rémusat, que votre majesté se rappelle que le duc d'Otrante lui a répété souvent que l'Empereur n'aimait pas les scènes ni les pleurs!»
Alors Joséphine n'osait plus provoquer une explication entre elle et l'Empereur. Un mur de glace, qui devait devenir d'airain, commençait déjà à s'élever entre eux. Fouché a été peut-être la cause la plus immédiate du divorce de Napoléon, en amenant entre les deux époux ce qui n'avait jamais existé: une froideur et un manque de confiance dont mutuellement chacun se trouva blessé. L'Empereur avait beaucoup aimé Joséphine. L'amour n'existait plus; mais après l'amour, quel est le cœur qui ne renferme pas un sentiment profond d'amitié pour la femme qui nous fut chère?.. Et Napoléon était fortement dominé par le sentiment qui l'avait autrefois attaché à sa femme… Qui sait ce qui pouvait résulter d'une explication où elle lui aurait plutôt proposé l'adoption d'un de ses enfants naturels, tous deux des garçons, et son propre sang, enfin34!
Mais il ne fut rien de tout cela… L'Impératrice garda le silence. Madame de Rémusat ne laissa rien transpirer de tout ce qui se préparait, et la chose marchait vers sa fin sans aucune opposition.
Fouché revit souvent l'Impératrice et madame de Rémusat. Il fallait suivre une marche pour laquelle des conseils étaient nécessaires. Madame de Rémusat, convaincue que tout se faisait par ordre de l'Empereur, suivait les avis de Fouché; et la pauvre Joséphine, au désespoir, ne savait comment il se pouvait que Napoléon fût devenu tout à coup si peu confiant pour elle…
Le duc d'Otrante avait conseillé, comme le moyen le plus digne, d'écrire une lettre au Sénat, dans laquelle l'Impératrice reconnaissant que l'Empereur se devait avant tout à la nation qu'il gouvernait, et devant assurer sa tranquillité à venir par une succession qui devait lui donner l'assurance de n'être pas troublée dans les temps futurs, déclarerait qu'il fallait que pour cet effet l'Empereur eût des fils à présenter à la France, et que, n'étant pas assez heureuse pour pouvoir lui en donner, elle descendait d'un trône qu'elle ne pouvait occuper, pour laisser la place à une plus heureuse.
Tel était le texte de la lettre que l'Impératrice devait écrire au Sénat avant de partir pour la Malmaison. Elle ne devait pas dire un mot qui pût faire présumer son dessein, et laisser une lettre d'adieu à l'Empereur.
Le matin même du jour où le brouillon de cette lettre, ou plutôt du message au Sénat, eut été donné par Fouché à Joséphine, madame de Rémusat fut témoin d'une scène si cruelle; elle vit un tel désespoir dans cette femme résignée à se donner elle-même le coup de couteau qui l'égorgerait, que des réflexions très-sérieuses vinrent se mêler à son chagrin… Pour la première fois il lui parut étrange que l'Empereur, qui lui témoignait constamment de l'estime et de l'intérêt, ne lui eût jamais parlé de toute cette affaire, où il savait qu'elle prenait une grande part, s'il savait quelque chose.
Une fois que le doute apparaît dans une affaire quelle qu'elle soit, il devient presque aussitôt une certitude, si jamais il ne s'est offert à vous. Madame de Rémusat devint inquiète sans oser le témoigner à Joséphine, mais se promettant bien qu'elle ne ferait rien sans un plus ample informé. Elle s'attendait à une démarche de l'Empereur dans cette même journée, puisque c'était le lendemain matin, à neuf heures, que le message de l'Impératrice devait être porté au Sénat par M. d'Harville ou M. de Beaumont; mais la journée s'écoula, et pas un mot, pas une action même la plus indifférente, ne parut indiquer que l'Empereur sût la moindre chose du grand acte de dévouement de l'Impératrice… Ce silence éclaira madame de Rémusat, et lui fit voir que Joséphine était la victime de quelque machination infernale… La soirée se passa comme le jour entier; et lorsque Joséphine rentra dans son appartement intérieur, elle avait reçu de l'Empereur le même bonsoir que chaque jour.
– «Ah! dit-elle à madame de Rémusat, je ne pourrai jamais écrire cette lettre!..»
Et elle lui montrait le brouillon de sa lettre au Sénat!..
– «Madame veut-elle me permettre de lui demander une faveur? Veut-elle me promettre de ne point envoyer, de ne pas écrire même cette lettre, avant que je me sois rendue près d'elle?»
Joséphine le lui promit avec d'autant plus de plaisir que, pour elle, c'était un répit de quelques heures; et madame de Rémusat prit congé d'elle en l'engageant à se calmer.
«Non, se dit-elle en traversant les salons de l'appartement de Joséphine, non, cela est impossible!.. L'Empereur ne peut être assez dur pour ne donner aucun réconfort à cette infortunée, au moment où il lui enlève une couronne et son amour. Non, cela ne se peut!.. l'Empereur ne sait rien.»
Et sans aller joindre sa voiture, elle monta l'escalier du pavillon de Flore, et s'en fut au salon de service. C'était, je crois, Lemarrois qui était de service. Je laisse à penser quel fut son étonnement en voyant madame de Rémusat au milieu de leur bivouac.
– «Ce n'est pas pour vous que je viens, leur dit-elle… Il faut que je voie l'Empereur. Allez lui demander cinq minutes d'audience.
– Mais il est couché.
– C'est égal. Il faut que je le voie, il le faut absolument.»
Lemarrois fut frapper à la porte de l'Empereur, et lui dit le message de madame de Rémusat.
– «Madame de Rémusat! à cette heure! Que peut-elle vouloir?.. Mais j'ai envie de dormir; dites-lui, Lemarrois, de revenir demain matin, à sept heures, ou à huit au plus tard.»
Lemarrois rapporta cette réponse à madame de Rémusat, qui dit à son tour: «Je ne puis m'en aller. C'est la gloire, le salut de l'Empereur… Allez lui dire, mon cher général, que ce n'est pas pour moi que je le veux voir… que c'est pour lui-même.»
Le général Lemarrois revint avec l'ordre d'introduire madame de Rémusat. Elle trouva Napoléon coiffé d'un madras tourné autour de la tête et couché dans un petit lit qu'il affectionnait particulièrement… Il fit signe à madame de Rémusat de s'asseoir sur une chaise qui était auprès de lui… Elle était émue, et ce fut avec un violent battement de cœur qu'elle raconta brièvement à l'Empereur ce qui devait se passer le lendemain… À mesure qu'elle parlait, l'Empereur prenait, quoique couché, une de ces attitudes qui n'étaient qu'à lui et en lui, comme il avait un sourire unique, un regard unique.
– «Mais quel peut être son but? s'écria-t-il enfin…
– Évidemment il en a un, Sire: celui de vous plaire peut-être en allant au-devant de votre volonté… Car il ne peut avoir que celui-là…
– Mais, interrompit Napoléon, si vous avez pu m'accuser un moment, vous ne le croyez plus maintenant, madame, j'espère, dit-il d'une voix plus sévère!.. je n'aime pas les détours… et je suis l'homme de la vérité, parce que je suis fort avant tout.»
Madame Rémusat expliqua à l'Empereur comment elle était venue à lui.
– «C'est parce que j'ai vu que Votre Majesté l'ignorait, lui dit-elle…
– Cette pauvre Joséphine! dit Napoléon, comme elle a dû souffrir!..
– Ah, Sire!.. vous ne pourrez jamais avoir la mesure des peines qui ont torturé son âme pendant ces jours qui viennent de s'écouler… et peut-être votre majesté appréciera-t-elle le silence que l'Impératrice a gardé.»
Pour qui connaissait Joséphine comme l'Empereur, c'était un compliment cherché par celle qui était son guide et son conseil. Aussi Napoléon, qui ne voulait pas mettre encore ses projets au jour, eut-il soin de reporter à madame de Rémusat l'obligation presque entière du silence de l'Impératrice…
– «Et comment l'avez-vous laissée? lui demanda-t-il.
– Au désespoir et prête à se mettre au lit; j'ai recommandé à ses femmes de ne la point quitter dans la crainte d'un accident, mais elle s'est obstinée à vouloir demeurer seule… Elle va passer une triste et cruelle nuit.
– Allez vous reposer, madame de Rémusat: vous devez en avoir besoin… Bonsoir, demain nous nous reverrons; croyez que je n'oublierai jamais le service que vous m'avez rendu ce soir.»
Et la congédiant d'une main, il tira de l'autre sa sonnette avec violence…
«Ma robe de chambre, dit-il d'une voix brève à Constant qui était accouru…»
Il se donna à peine le temps de l'attacher: il prit un bougeoir et commença à descendre les marches d'un très-petit escalier qui conduisait aux appartements inférieurs et qui donnait dans son cabinet. Ce cabinet avait été jadis l'oratoire de Marie de Médicis.
À mesure que Napoléon descendait cet escalier, il éprouvait une émotion dont il était en général peu susceptible; mais la conduite de Joséphine l'avait touché profondément. Cette résignation dans une femme couronnée par lui, et qui devait s'attendre à mourir sur le trône où lui-même l'avait placée, lui parut digne d'une haute récompense… Un moment, une pensée lui traversa l'esprit, mais elle eut la durée d'un éclair… et avant que sa main eût touché le bouton de la porte, il n'apportait plus que des consolations.
Comme il approchait de la chambre à coucher, il entendit des plaintes et des sanglots; c'était la voix de Joséphine. Cette voix avait un charme particulier, et l'Empereur en avait souvent éprouvé les effets. Cette voix lui causait une telle impression, qu'un jour, étant premier Consul, après la parade passée dans la cour des Tuileries, en entendant les acclamations non-seulement du peuple dont la foule immense remplissait la cour et la place, mais de toute la garde, il dit à Bourrienne:
«Ah! qu'on est heureux d'être aimé ainsi d'un grand peuple! ces cris me sont presque aussi doux que la voix de Joséphine.»
Comme il l'aimait alors!
Mais dans ce temps-là cette voix harmonieuse n'avait à moduler que des paroles heureuses, et maintenant elle s'éteignait dans la plainte et la douleur… Son charme eût été bien plus puissant si elle n'avait pas rappelé qu'elle prouvait un tort; quel est l'homme, quelque grand qu'il soit, qui veuille qu'on lui prouve QU'IL A TORT?..
Napoléon souffrit cependant d'une vive angoisse au cœur en entendant cette plainte douloureuse; il ouvrit doucement la porte et se trouva dans la chambre de Joséphine qui sanglotait dans son lit, ne se doutant pas de la venue de celui qui s'approchait d'elle.
– «Pourquoi pleures-tu, Joséphine?» lui dit-il en prenant sa main.
Elle poussa un cri.
– «Pourquoi cette surprise? ne m'attendais-tu pas? ne devais-je pas venir aussitôt que j'ai su que tu souffrais? Tu sais que je t'aime, mon amie, et qu'une douleur n'est jamais infligée volontairement par moi à ton âme.»
Joséphine, à la voix de Napoléon, s'était levée sur son séant, et croyait à peine ce qu'elle entendait et voyait à la lueur incertaine de la lampe d'albâtre qui était près de son lit… L'Empereur la tenait dans ses bras encore toute tremblante de sa surprise et de son émotion en écoutant ces paroles d'amour qui, depuis si longtemps, n'avaient frappé son oreille… Accablée sous le poids de tant de vives impressions, elle retomba sur l'épaule de Napoléon et pleura de nouveau avec sanglots, oubliant sans doute que l'Empereur n'aimait pas ces sortes de scènes prolongées.
– «Mais pourquoi pleures-tu toujours, ma Joséphine? lui dit-il cependant avec douceur. Je viens à toi pour t'apporter une consolation, et tu continues à te désespérer comme si je te donnais une nouvelle douleur. Pourquoi donc ne pas m'entendre?
– Ah! c'est que j'ai au cœur un sentiment qui m'avertit que le bonheur ne me revient que passagèrement… et que… tôt ou tard!..
– Écoute! dit Napoléon en la rapprochant de lui et la serrant contre son cœur, écoute-moi, Joséphine! tu m'es infiniment chère; mais la France est ma femme, ma maîtresse chérie aussi… Je dois donc écouter sa voix lorsqu'elle me demande une garantie; et qu'elle veut un fils de celui à qui elle s'est si loyalement donnée… Je ne puis donc répondre d'aucun événement, ajouta-t-il en soupirant profondément; mais, quoiqu'il arrive, Joséphine, tu me seras toujours chère, et tu peux y compter! Ainsi donc plus de larmes, mon amie, plus de ce désespoir concentré qui m'afflige et te tue. Sois la compagne d'un homme sur lequel l'Europe a les yeux en ce moment; sois la compagne de sa gloire, comme tu es celle de son cœur… et surtout fie-toi à moi!»
Cette explication, franchement donnée par l'Empereur, devait suffire à Joséphine; peut-être la paix se serait-elle rétablie entre eux: mais, pour elle, c'eût été trop de modération… Et huit jours n'étaient pas écoulés que les mêmes bouderies et les mêmes tracasseries avaient recommencé.
Un jour j'étais de service auprès de Madame-Mère; on était en automne35… J'attendais que Madame descendît de chez elle… Elle occupait en ce moment les salons du rez-de-chaussée, parce qu'on réparait quelque chose dans l'appartement du premier. J'étais assise à côté de la fenêtre, et je lisais; tout à coup j'entends frapper un coup très-fort au carreau de la porte vitrée donnant sur le jardin. Je regarde, et je vois l'Empereur, enveloppé dans une redingote verte fourrée, comme si l'on eût été au mois de décembre: il était entré par la porte donnant sur la rue de l'Université… Duroc était avec lui.
Je me levai aussitôt et fus ouvrir moi-même la porte.
– «Comment, c'est vous qui me rendez ce service? dit l'Empereur. Où sont donc vos chambellans… vos écuyers?..»
Je répondis que Madame avait permis à M. le comte de Beaumont de s'absenter pour deux jours, et que M. de Brissac, étant malade, ne devait venir qu'à deux heures.
– «Alors M. de Laville doit prendre le service… Vous êtes exacte, vous, madame la Gouverneuse36… C'est bien… Je ne le croyais pas… On me disait que vous étiez toujours malade… Puis-je voir Madame?»
Je lui dis que j'allais l'avertir de l'arrivée de Sa Majesté.
– «Non, non, restez ici avec Duroc, je m'annoncerai moi-même.»
Et il monta chez sa mère, où il demeura plus d'une heure. Tandis qu'ils causaient ensemble, Duroc et moi nous parlions aussi de cette visite, on peut le dire, extraordinaire, car l'Empereur allait peu chez sa mère et ses sœurs, si ce n'est pourtant la princesse Pauline.
– «Il y a de l'orage dans l'air, me dit Duroc; la question du divorce s'agite plus vivement que jamais. L'Impératrice, qui jamais au reste n'a compris sa véritable position, n'a pas même cette seconde vue qui vient aux mourants à leur dernière heure… Aucune lueur ne lui montre le péril de la route où elle s'engage. Chaque jour elle redouble d'importunités auprès de l'Empereur, comme si un cœur se rattachait par conviction de paroles! C'est absurde!
– Vous avez une vieille rancune, mon ami! lui dis-je en riant.
– Ah! je vous jure que je ne suis pas coupable de ce crime-là bien positivement! Jamais l'Impératrice n'aura à me reprocher d'avoir aidé à sa chute… mais… je ne l'empêcherai pas.»
Ce mot m'étonna; Duroc était si bon, si parfait pour ceux qu'il aimait, que j'ignorais, moi, jusqu'à quel point le ressentiment pouvait acquérir de force dans son âme. Je le regardai, et, lui serrant la main, je lui demandai où en étaient les affaires positivement; car, me rappelant la cause de l'inimitié qui existait entre Duroc et Joséphine, j'en savais assez pour le comprendre.
– «Tout est à peu près terminé, me dit-il; la résolution de l'Empereur a cependant fléchi ces jours derniers; mais la maladresse de l'Impératrice a tout détruit… D'abord, des plaintes sans nombre d'une foule de marchands, qui sont parvenues à l'Empereur, l'ont fortement aigri… et puis, il y a eu hier une histoire qui est vraiment étonnante, et dans laquelle je crois que Madame-Mère se trouve mêlée… L'Empereur a voulu s'en éclaircir, et il est venu lui-même chez Madame, au lieu de lui écrire…» Et voici ce que Duroc me raconta:
Une femme, une revendeuse à la toilette, espèce de personne assez douteuse, avait été bannie du château, parce que, disait l'Empereur, il ne convient pas à l'Impératrice d'acheter un bijou qui ait été porté par une autre, ou même fait pour une autre. À cela on avait répondu que cette femme ne venait que pour les femmes de chambre!
«Que les femmes de chambre aillent hors du château faire leurs affaires, avait dit l'Empereur; je ne veux pas que des revendeuses à la toilette mettent le pied chez moi…»
Depuis cet ordre, exprimé et donné avec un accent qui ne permettait aucune réplique, les femmes de cette sorte ne revenaient plus aux Tuileries. L'Empereur s'en occupait beaucoup… Il demandait souvent si on avait pris quelqu'une de ces friponnes, et alors, si elles avaient été chassées comme elles le méritaient.
La veille de ce même jour, l'Empereur avait été chasser à Fontainebleau. Vers midi la chasse tourna mal, le temps devint mauvais, et l'Empereur, ne voulant pas continuer, donna l'ordre de préparer ses voitures, et revint à Paris. Mais, par un soin qu'une pensée intérieure éveilla sûrement, et qui probablement avait rapport à l'Impératrice, il descendit de voiture à l'entrée de la cour, défendit qu'on battît aux champs, et entra dans le château sans qu'on eût avis de son arrivée. Comme le jour commençait à tomber, on ne le vit pas entrer, et il pénétra chez l'Impératrice comme un Espagnol du temps d'Isabelle, au moment où certes elle s'y attendait le moins.
On connaît le goût ou plutôt la passion insensée de Joséphine pour les tireuses de cartes et toutes les affaires de nécromancie. Napoléon s'en était d'abord amusé, puis moqué; et enfin il avait compris que rien n'était plus en opposition avec la majesté souveraine que ces petitesses d'esprit et de jugement qui vous asservissent à des êtres si bas et si vils, que vous rougissez de les admettre dans votre salon, même pour n'y faire que leur métier. Mais Joséphine, tout en promettant de ne plus faire venir mademoiselle Lenormand, l'admettait toujours chez elle dans son intimité, la comblait de présents et faisait également venir tous les hommes et toutes les femmes qui savaient tenir une carte de Taro. Il y avait alors à Paris un homme dans le genre de mademoiselle Lenormand. Cet homme s'appelait Hermann; il était Allemand, et logeait dans une maison presque en ruines au faubourg Saint-Martin, dans une rue appelée la rue des Marais. Cet homme avait une étrange apparence. Il était jeune, il était beau, et montrait un désintéressement extraordinaire dans la profession qu'il paraissait exercer: Joséphine parla un jour de cet homme devant l'Empereur, et vanta son talent, qui lui avait été révélé par deux femmes qui en racontaient des merveilles. L'Empereur ne dit rien; mais, deux jours après, il dit à l'Impératrice: «Je vous défends de faire venir cet Hermann au château. J'ai fait prendre des informations sur cet homme, et il y a des soupçons contre lui.»
Joséphine promit; mais la défense stimula son désir de voir M. Hermann, et elle le fit venir précisément ce même jour où l'Empereur était à Fontainebleau. Il était donc établi chez Joséphine au moment où Napoléon y pénétra!.. et quelle était la troisième personne?.. la revendeuse à la toilette!..
La colère de l'Empereur fut terrible!.. Il faillit tuer cet homme… Et, allant comme la foudre à l'Impératrice, il lui dit en criant et en levant la main sur elle:
– Comment pouvez-vous ainsi violer mes ordres!.. et comment vous trouvez-vous avec de pareilles gens?..»
L'Impératrice avait une crainte de l'Empereur qu'on ne peut apprécier, à moins d'en avoir été témoin… Pétrifiée de sa venue, tremblante des suites de cette scène, elle ne put que balbutier: «C'est madame Lætitia qui me l'a adressée…»
Et, de sa main, elle indiquait la femme qui s'était blottie dans les rideaux de la fenêtre, et semblait moins grosse que le ballot de châles qui n'était pas encore ouvert, tant la peur la faisait se replier sur elle-même.
– «Comment cet homme se trouve-t-il en ce lieu? poursuivit Napoléon continuant son enquête, et sans s'arrêter à ce qu'avait dit Joséphine sur Madame-Mère.
Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.
1
Les Barras étaient une de ces douze grandes familles de la Provence, qui avaient, avec juste raison, de hautes prétentions à une noblesse que peu de familles pouvaient leur disputer en France. L'ancienneté des Barras était passée en proverbe: Noble comme un Barras, disait-on en Provence; les Barras sont aussi anciens que nos rochers, disaient les paysans.
2
Étant un jour avec lui dans son cabinet170, il me dit, en me parlant de quelques amis intimes que j'avais dans le faubourg Saint-Germain, et qu'il n'aimait pas alors: – Je ne crains pas votre faubourg Saint-Germain… pas plus que votre hôtel de Luynes… je ne les crains pas plus que je ne les aime… et que je ne les aimais lorsque je croyais que l'impératrice (Joséphine alors) était elle-même un gros bonnet parmi tout ce monde-là.
3
Ce nom de madame Leclerc me rappelle un livre qui m'est tombé sous la main l'autre jour, et qui s'intitule: Mémoires d'une Femme de qualité, dont l'auteur est, dit-on, madame du C… les documents en sont tellement fautifs, que je parle ici de cet ouvrage pour engager à le lire comme un livre spirituel et parfaitement écrit, mais d'une telle inexactitude, que je recommande aussi de ne pas s'y fier pour les renseignements qui concernent le Consulat et l'Empire. C'est ainsi qu'on y voit toute une histoire, ou plutôt un roman sur madame Leclerc (princesse Pauline), sur laquelle, en vérité, il y a bien assez de choses vraies à dire. L'auteur lui fait épouser le général Leclerc, la première année du Consulat, tandis qu'elle l'a épousé à Milan, en 1796, cinq ans auparavant!.. Ils partirent tous deux pour Saint-Domingue, où le général Leclerc mourut, en 1802 (au commencement); elle revint en Europe, et, en 1803, elle épousa le prince Borghèse. Mais ce n'est pas tout: on fait du général Leclerc un charmant et beau cavalier… lui qui était petit, chétif et de la plus insignifiante figure; si ce n'est pourtant qu'il avait toujours l'air de méchante humeur, ce qui lui faisait une expression comme une autre. Quant à être amoureuse du général Leclerc, sa femme n'y a jamais songé: ce fut un mariage de convenance, arrangé par Bonaparte, et accepté par l'ambition de Leclerc. Tout ce qui a rapport à Madame-Mère est aussi peu vrai. J'ai déjà réfuté tout ce qui frappait sur elle pour le reproche d'avarice, et crois l'avoir fait de manière à convaincre. Je continuerai ici pour son esprit. Jamais madame Lætitia (comme on l'appelait pour la distinguer de sa belle-fille), n'a dit une parole inconvenante; et, certes, tous les dialogues où elle entre en scène sont inconcevables de bêtise, pour dire le mot. Quel est, ensuite, ce titre d'Impératrice-Mère, qu'elle n'eut jamais? Si c'est une dérision, je ne la comprends pas; si c'est une erreur, elle est trop forte. Mais ce n'est pas seulement pour la famille Bonaparte que l'auteur s'est mépris; il paraît qu'il n'aimait pas à suivre la publication des bans: il fait marier le général Moreau avant le 18 brumaire et même le retour d'Égypte, tandis qu'il s'est marié depuis. Il en est de même de M. de Turenne (Lostanges); l'auteur des Mémoires d'une Femme de qualité le fait conduire sa femme chez madame Bonaparte, un mois après le 18 brumaire. M. de Turenne n'était pas marié à cette époque; ou, s'il l'était, sa femme n'allait pas aux Tuileries, et n'était pas même à Paris. Quant à M. de Turenne, ce fut beaucoup plus tard qu'il fut lui-même admis aux Tuileries.
Il en est de même d'une foule de détails sur lesquels le livre repose en entier, et qui ne sont pas plus vrais. Aucun des personnages n'est même ressemblant physiquement, quand il lui arrive de parler de leur figure. C'est ainsi que madame Lætitia a, selon lui, la physionomie PÉTULANTE, tandis que jamais visage ne fut plus calme et plus reposé: ce fut même toujours son expression habituelle. L'auteur n'est pas mieux instruit du reste. Il fait causer Hortense et Joséphine avec madame de Nansouty, qui n'était pas mariée non plus alors, et qui, d'ailleurs, n'a jamais articulé que de spirituelles et convenables paroles: c'est une charmante personne, aussi aimable que bonne, toute gracieuse et surtout n'ayant jamais rempli le rôle de flatteuse, que lui donne si bénévolement l'auteur des Mémoires. Je lui fais aussi le reproche d'être tout aussi mal instruit des choses frivoles qui nous concernent. Je lui ferai donc observer que Leroy ne faisait que des chapeaux et des modes à l'époque du Consulat. C'étaient madame Germont et madame Raimbaud qui étaient les Camille et les Palmyre de cette époque. Mesdames Bonaparte et Hortense se servaient de préférence de madame Germont. Madame Raimbaud était la couturière de madame Récamier, de madame Hainguerlot, de la société financière élégante et rivale de celle des Tuileries. On n'a jamais dit non plus madame Despaux, – toujours mademoiselle Despaux. – Son mari s'appelait M. Hyxe, et était marchand de chevaux et non pas chef de division à la guerre. Tout cela serait de peu d'importance, sans doute, si le livre ne se composait d'autres choses; mais ces faits liés ensemble par des conversations tenues par des personnages nommés plus haut forment les quatre cents pages de ce volume, et il n'y a même pas l'illusion.