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Histoire des salons de Paris. Tome 2
L'abbé Delille n'avait nullement la figure et la tournure de ce qu'on pourrait penser de lui en lisant, par exemple, son poëme de l'Imagination et quelques passages des différentes traductions qu'il a faites; il avait une physionomie fine et railleuse, et qui s'accordait mal avec des traits assez forts pour n'avoir rien de gracieux; il était même laid. Son nez était gros; ses sourcils avançaient sur ses yeux, dont le globe était fort couvert par la paupière. Son sourire avait presque toujours de la malice, et dans sa conversation on retrouvait cette disposition. Avant son émigration, lorsqu'il était à Brienne, par exemple, il était alors Jacques Delille, l'un de ces abbés musqués dont Rivarol fit un si plaisant portrait, lorsque l'abbé Delille, par un oubli impardonnable, s'avisa d'omettre le jardin potager dans les Jardins. Rivarol fit alors une satire intitulée: le Chou et le Navet, qui est dans tous les recueils de pièces détachées, et que, pour cette raison, je ne transcris pas ici. L'abbé Delille, enfant trouvé à la porte de l'hospice de la Pitié à Clermont en Auvergne, fut traité sans merci par Rivarol dans cette pièce de vers; mais il avait, dit-on, cherché cette correction par l'air dégagé avec lequel il accueillait les moindres avis.
«Ingrat! lui disait le chou, tu m'oublies!.. et pourtant
«Ma feuille t'a nourri, mon ombre t'a vu naître!..Le Ciel fit les navets d'un naturel plus doux…Dit le navet au chou… et puis console-toi…Car… ses vers passeront, les navets resteront.»Il y a dans toute cette pièce un esprit charmant contre lequel aurait échoué tout le talent poétique de l'abbé Delille, s'il avait voulu y répondre… Il y a une autre pièce dans le même genre, excepté qu'elle ne s'adresse pas à un individu, mais à l'époque. C'est la satire de Berchoux, parlant aux Grecs et aux Romains. Il y a là dedans un véritable sel attique; ce peut n'être plus de mode, comme on le dit assez bêtement (j'en demande pardon à ceux qui parlent ainsi), mais j'avoue que je trouve du plaisir à lire ce qui est spirituel, de quelque époque et dans quelque époque que cela arrive et soit écrit. Le Dante, l'Arioste, Pétrarque, Homère, pour remonter plus haut, tous ces hommes-là m'amusent, ou m'intéressent même, et les siècles disparaissent devant l'intérêt de la pensée, lorsque le poëte sait l'éveiller.
L'abbé Delille avait, comme je l'ai dit, beaucoup de malice dans sa conversation et dans sa physionomie. Je ne l'ai connu qu'aveugle, et escorté de sa femme, ce qui en faisait l'être le plus désagréable à supporter. J'en reparlerai plus tard, à l'époque de son entrée en France. L'abbé Delille et le cardinal Maury, tous deux dans un genre opposé, sont deux hommes remarquables dans leur changement de carrière littéraire et politique en tout ce qu'elle tient au monde.
L'abbé Maury, comme on l'appelait avant la Révolution et pendant ses premières années, est un nom sur lequel l'attention se porte aussitôt qu'on le prononce. Il avait tout ce qui exclut de la bonne compagnie; et pourtant il allait dans les maisons, non-seulement les plus distinguées comme rang et comme pouvoir, mais chez les femmes les plus à la mode, comme madame de Beauvau, madame de Simiane, madame de Coigny et plusieurs autres, dont la jeunesse, l'élégance et l'agréable esprit attiraient encore plus de monde chez elles que leur grand état de maison.
L'abbé Maury était parti de son village, auprès d'Avignon, avec deux chemises dans un sac, son bréviaire, et quelques mouchoirs. Son gousset était léger et tout-à-fait en harmonie avec son bagage; mais il avait vingt ans, une santé robuste, un esprit ayant la conscience de ce qu'il pouvait, et devant lui une époque qui accueillait tout ce qui la comprenait; avec d'aussi grands avantages, on est bien puissant contre le sort, me disait le cardinal lui-même. Il se mit donc en route gaîment pour Paris, mais à pied, car il n'avait pas de quoi faire le voyage en voiture… Parmi toutes ses facultés agissantes, celle de manger toujours était la plus prononcée. Il cheminait donc en songeant, en composant son premier sermon… en rêvant enfin, lorsqu'il fut joint par un jeune homme aussi mince et délicat que l'abbé Maury était robuste et carré. Le jeune homme pâle et maigre avait aussi un petit paquet au bout d'un bâton… il était pauvre comme l'abbé Maury, allait à Paris comme lui, avait des illusions comme lui, et comme lui enfin croyait trouver à Paris un monde de merveilles dans lequel ils allaient être admis sur leur première demande.
– Je ne désire qu'une chose… je suis modeste, dit le jeune homme pâle… je ne demande qu'à faire l'autopsie du premier prince ou de la première princesse de la famille royale qui mourra.
– Ah! monsieur est donc médecin… chirurgien?
– Je suis docteur, monsieur…
Le futur cardinal se découvrit devant la science voyageant à pied.
– Quant à moi, dit-il, mon ambition ne s'élève pas beaucoup plus haut que la vôtre… Je voudrais faire l'oraison funèbre du prince ou de la princesse dont vous scalpelleriez le corps.
– Ah! monsieur est ecclésiastique?
Et le jeune homme pâle se découvrit en s'inclinant très-bas devant le jeune abbé, qu'il aurait soupçonné, à sa taille robuste, sa mine fleurie, être plutôt un futur colonel qu'un futur archevêque.
La connaissance fut bientôt faite; les deux jeunes gens se confièrent leurs projets, leurs espérances… hélas! elles étaient nulles, car elles ne reposaient que sur leur volonté profondément déterminée… Ils s'unirent enfin de cette confiance que les malheureux ont l'un pour l'autre, et qui n'existe pas parmi les gens heureux. Ils firent leur route pédestrement et gaîment, arrivèrent à Paris, furent tous deux se loger dans une chambre, au cinquième étage, puis furent remettre le peu de lettres de recommandation qu'ils avaient, et attendirent les événements…
Ils n'attendirent pas longtemps. Il mourut une jeune princesse, fille du Dauphin et de la Dauphine… Le jeune abbé, aidé de ses protecteurs qu'il ne cessait de voir chaque jour, fit son oraison funèbre. Le médecin l'embauma. – Savez-vous le nom de ces deux jeunes gens? – L'un est, comme je vous l'ai dit, l'abbé Maury; l'autre était M. Portal, qui est mort premier médecin du Roi, laissant cent mille livres de rentes à ses enfants32… La seule chose qu'il avait conservée de sa figure de grande route, c'était sa pâleur et sa maigreur. – Elles étaient au point de faire demander si le malade n'avait pas eu besoin de prendre l'air, et si, étant mort tandis qu'il était levé, on n'avait pas oublié de le recoucher. – Il joignait à cela une voix tellement éteinte, que l'illusion eût été entière s'il avait eu la fantaisie de jouer le mort.
– Mais cela porte malheur, me disait-il un jour, après avoir lui-même plaisanté sur cette apparence mortuaire, qui l'enveloppait comme un vrai linceul!..
Il était aimable, Portal; il savait une foule d'anecdotes, qu'il racontait à merveille quand on savait jouer de lui, comme le disait ma mère. Sa perruque, cette petite figure toute grippée plutôt que ridée, cette pâleur de mort sur ce visage qui souriait avec une voix cassée et des yeux atones: tous ces détails formaient un ensemble qui avait à lui seul assez d'originalité pour plaire lorsqu'il accompagnait le récit amusant de quelque drôle d'histoire dont les personnages pouvaient être annoncés ou sortaient de chez nous. – Portal était médecin de tout ce qui était à la mode avant la Révolution. Lui, Tronchin, le docteur Petit et le docteur Thouvenel… étaient les seuls brevetés pour envoyer les gens dans l'autre monde ou les retenir dans celui-ci.
Thouvenel avait beaucoup de crédit auprès des femmes à vapeur; il était non-seulement partisan du magnétisme33, mais l'un des sectaires les plus dévoués à la faction du baquet, et même un peu à celle de Cagliostro… Cette époque fut bien remarquable par les suites de la crédulité de plusieurs individus dont l'influence était fort importante… Thouvenel était un homme fort spirituel, un esprit mordant et avec de la réplique. Il racontait aussi de bonnes histoires du château de Brienne.
Chamfort était encore un habitué de cette société où les idées nouvelles étaient toutes bien accueillies. Fils naturel et frappé de cet anathème que la société de l'époque précédente lançait sur chaque enfant fruit d'une de ces unions réprouvées par le monde, Chamfort sentit ce malheur plus vivement peut-être qu'aucun autre enfant dans cette même position; sans appui, sans protection, ignorant même jusqu'au nom de son père, il prit ce nom de Chamfort, bien décidé à l'illustrer par lui-même comme s'il en eût reçu l'obligation de cent aïeux: il essaya tout ce qu'un homme peut tenter en ce monde par l'industrie sans intrigue; partout il échoua. Enfin un riche Liégeois, qui croyait aimer les lettres, prit Chamfort comme secrétaire. Celui-ci partit avec son nouveau protecteur, et peu de temps après il revint à Paris abreuvé de malheurs et de tout ce qui fait l'amertume d'une situation dépendante rendue plus horrible par la dureté du protecteur… Chamfort rapporta de Spa et de Cologne, où il avait résidé, une amertume triste et souffrante, une âme abattue et découragée!.. Le Journal encyclopédique se formait alors, il y écrivit; et pendant deux ans l'infortuné vécut ainsi du fruit de son labeur, voyant chacune de ses lignes trempée de larmes et de la sueur brûlante de l'excès du travail… C'est ainsi que chacun de ses repas, le repos de ses nuits, étaient empoisonnés et troublés par la crainte de n'avoir pas de lendemain!.. Il fit ensuite la Jeune Indienne, puis le Marchand de Smyrne, jolie petite pièce, qui se joue encore à la Comédie Française; plusieurs Éloges couronnés à l'Académie34; une tragédie, mauvaise selon La Harpe, et passable selon quelques autres: la Reine en accepta l'hommage, et accorda sa faveur à l'auteur. Enfin le prince de Condé le nomma son secrétaire des commandements!.. Il avait donc une existence morale!.. La société ne le repoussait plus!.. Il disait en pleurant à un ami qui le félicitait de sa nomination:
– Ah! c'est que j'étais bien malheureux, voyez-vous, car le jour qui se levait pour moi me menaçait de n'avoir pas de lendemain!..
L'année suivante, il fut reçu à l'Académie… Il écrivait en général avec une manière à lui, dans laquelle on trouve un néologisme peu favorable à la diction de Chamfort lui-même, qui aimait à traduire ordinairement sa pensée. Son talent dramatique était peu remarquable; il était paradoxal, défaut immense pour un auteur dramatique, comme obstacle au dialogue et à la marche de la pièce. Mais dans la conversation il était parfaitement aimable; il avait de l'âme et du mouvement sans tristesse, quoiqu'il en eût beaucoup dans son organisation naturelle… Dans cette lutte incessante qu'il soutenait contre la société, comme individu que son code proscrivait, Chamfort avait puisé des idées qui le portèrent à l'instant au niveau de 1789, lorsque la dernière pierre de la Bastille vint à tomber! Aucune influence préservatrice n'avait entouré son cœur, qui reçut de vives et profondes blessures, dont la cicatrice fut toujours douloureuse. Aussi fut-il un des premiers à crier: Vive la liberté! et surtout l'égalité!… Toutefois cette cause, qu'il embrassa avec ardeur, lui devint fatale… il perdit le peu qui lui avait été donné, ses pensions et sa place à l'Académie… Mais il n'en demeura pas moins attaché aux principes de la cause républicaine; et quand la tempête politique gronda plus forte et plus dangereuse, sa voix s'éleva au-dessus de celle des orages pour rappeler la nation à l'ordre et au devoir.
La fraternité des hommes de sang de la Révolution, disait-il, est celle de Caïn… sois mon frère ou je te tue!..
Il fut arrêté et jeté dans un cachot… ses amis, et ils étaient nombreux, parvinrent à le faire mettre en liberté… Il retourna chez lui. Mais cette nouvelle persécution du sort le trouva sans force et sans courage!.. Être frappé par la main d'un frère lui parut une injustice plus impossible à supporter qu'aucune de celles qui lui avaient été infligées jusque-là!.. la prison surtout! oh! la prison!..
– Jamais je ne repasserai sous les voûtes d'un cachot! répétait-il en frémissant.
Il tint parole.
Dénoncé une seconde fois au comité de salut public, il vit arriver chez lui les soldats et les officiers civils chargés de l'arrêter. Il les reçut avec calme, les pria seulement de vouloir bien attendre qu'il changeât de vêtements, et demanda la permission de passer dans un cabinet qui n'avait pas d'issue. À peine y fut-il entré que, saisissant un pistolet chargé qu'il tenait toujours prêt, il le tire à bout portant en visant au front; mais il se manque, et le coup fracasse le haut du nez et enfonce l'œil droit!.. Résolu à mourir, il prend un rasoir, se donne plusieurs coups dans la gorge, se frappe au cœur… et enfin vaincu par la douleur, il pousse un cri, et tombe baigné dans son sang! Cependant on travaillait à enfoncer la porte, car le coup de pistolet avait donné l'alarme; mais la porte était forte et résista longtemps; enfin on parvint à la briser; on entre… on trouve le malheureux vivant encore… palpitant au milieu d'une mer de sang!.. et voulant dicter ses dernières volontés… Les médecins voulurent lui mettre un appareil…
– Laissez-moi, leur dit-il, et que l'un de vous écrive plutôt ce que je vais dire:
Et il dicte:
«Moi, Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, déclare avoir voulu mourir plutôt en homme libre qu'en esclave, ne voulant pas être reconduit dans une prison et perdre ainsi ma noble dignité d'homme; et je déclare que, si l'on voulait m'y traîner en l'état où je suis, il me reste encore assez de force pour achever ce que j'ai commencé… Je suis un homme libre, et ne rentrerai jamais vivant dans une prison…»
Il souffrit plusieurs heures les plus atroces douleurs!.. enfin il expira le 13 avril 1794.
Il a fait beaucoup de travaux importants pour Mirabeau, qui, malgré son beau talent, employait assez souvent celui des autres lorsqu'il leur en reconnaissait, et dans son opinion Chamfort était placé très-haut.
Les autres habitués du salon de Brienne étaient, comme je l'ai dit, Condorcet, Marmontel, l'abbé Morellet, l'abbé Delille et plusieurs autres littérateurs dont les talents comme écrivains peuvent n'être pas du premier ordre, mais qui étaient fort aimables, comme fournissant à la conversation; M. le chevalier de Boufflers, si spirituel… car alors l'auteur d'Aline était dans toute sa fraîcheur; il faisait des lectures de son joli conte, qui étaient fort recherchées, et qui, en vérité, donnaient un grand plaisir à ceux assez heureux pour les entendre… Marmontel mit à la mode pendant une saison un genre de distraction tout-à-fait agréable en ce qu'il flattait l'amour-propre sans faire souffrir celui des autres…
On faisait le portrait écrit d'une femme de la société, et chacun lisait le soir ce qu'il avait composé dans la journée. Madame de Damas, jeune et jolie femme, eut le plaisir d'entendre d'elle un des plus jolis éloges qu'une femme puisse recevoir, car elle fut louée par une autre femme: madame de Brienne, alors jeune et fort spirituelle, fit un portrait écrit de madame de Damas, dont j'ai entendu quelque partie, et qui était vraiment charmant. Il y avait une sorte d'émulation toute spéciale et toute flatteuse dans cette occupation directe d'une femme ou d'un homme par un ami. Madame Necker avait aussi ce talent à un degré remarquable. Le portrait de madame la duchesse de Lauzun est une des jolies choses en ce genre qui nous restent de cette époque. Thomas fut celui qui remit à la mode ce genre d'amusement littéraire fort en usage sous Louis XIV, mais oublié depuis.
Marmontel faisait aussi beaucoup de portraits. Neveu de l'abbé Morellet par son mariage avec sa nièce, il était parfaitement accueilli à Brienne, et le cardinal lui témoignait une estime particulière; mais il était peu propre au genre léger et tout entier d'agrément; et lorsque Marmontel voulait sortir de sa manière romanesque, il montrait aussitôt l'auteur des Contes moraux, et parlait de la marquise de Duras, de madame d'Egmont, comme il faisait parler Annette et Lubin. Il n'avait pas de trait dans l'esprit, pour me servir d'une expression de ce temps-là, qui chez nous peint d'un seul mot… C'est ainsi que cette réunion d'hommes et de femmes aimables faisait de Brienne un lieu de délices. Il se joignait à cet agrément, qui fournissait aux plaisirs de chaque jour, un sujet de bonheur et de paix qui ne pouvait qu'augmenter le charme de ce beau lieu; c'était la bonté inépuisable du comte et de la comtesse de Brienne. On citait de cette bonté des traits vraiment touchants… Un jour le comte apprend que les lapins d'une garenne à laquelle il tenait beaucoup commettaient de grands dégâts; il donne aussitôt l'ordre d'entourer la garenne d'un mur élevé à ses frais. Un malheureux ne s'adressait jamais à lui sans en être écouté et soulagé. Un hospice pour les malades, des écoles pour les enfants, une école militaire, tous ces bienfaits étaient l'ouvrage de l'archevêque et de son frère. Pour le comte de Brienne, il avait peu d'esprit, mais un sens droit, une manière toujours indulgente de voir les choses et de les juger. Il avait été ministre malgré lui, et n'avait accepté que pour ne pas faire de peine à son frère l'archevêque, lorsque celui-ci était parvenu au premier ministère… Il quitta donc la place sans regret, et retourna dans sa paisible retraite, espérant y retrouver le repos. Mais le malheur avait frappé un premier coup, et il ne devait plus s'arrêter… Qui aurait prévu cependant, lorsque les plus belles fêtes faisaient retentir les salons et les jardins de Brienne des accents d'une joie heureuse, que quelques années plus tard cette belle demeure entendrait les cris du désespoir!..
Lorsque le comte de Brienne fut arrêté et conduit à Paris, plus de trente villages environnants réclamèrent pour lui… mais telle était la rage stupide des bourreaux de cette époque, qu'on ne voulut voir dans cette démarche qu'un acte insurrectionnel!.. Le malheureux périt sur l'échafaud!..
L'archevêque avait été jeté dans une prison de Sens, puis ensuite, à la fin du mois de février 1794, il avait été transféré chez lui avec des gardes qui ne le perdaient de vue sous aucun prétexte… Un jour, il dormait; des gardes, accompagnés d'un commissaire du gouvernement, viennent de nouveau l'arrêter… le malheureux vit qu'il était perdu!.. et son parti fut pris… Son frère devait venir le voir le lendemain de Brienne. L'archevêque demande à l'attendre… Indignement traité par les exécuteurs de l'ordre, il reçoit une funeste impression de cette sévérité et de l'horreur de sa position. Autour de lui était la belle madame de Canisy, sa mère, mère de la belle duchesse de Vicence, et les trois jeunes Loménie, ses neveux… sa tête se perdit, et le lendemain matin, son frère le comte de Loménie, partant pour voir mettre les scellés à Brienne, entra dans la chambre de l'archevêque, et le trouva mort dans son lit; il s'était empoisonné avec le poison composé par Cabanis lui-même: du stramonium combiné avec de l'opium.
L'archevêque de Brienne a fait de grandes fautes dans son ministère. Je suis fâchée d'ajouter un mot de blâme à cette fin si désastreuse, mais la vérité est là pour l'histoire, et elle est sévère pour l'innocent comme pour le coupable… Et l'on ne peut se dissimuler que l'archevêque de Sens n'ait commis des fautes graves, surtout depuis la Révolution, dans le premier ministère à la tête duquel il était.
J'ai entendu raconter à l'empereur une histoire assez extraordinaire qui aurait eu lieu au château de Brienne, alors qu'il était le rendez-vous de toutes les joies. L'empereur n'y était pas admis alors, il le fut depuis, et on le comblait même de bontés; mais il savait beaucoup de choses par le retour de quelques-uns de ses camarades que leurs relations de famille faisaient admettre au château lors des vacances.
Un jeune homme de la société de madame de Brienne avait un caractère tellement désagréable qu'on ne pouvait vivre avec lui en bonne harmonie. Il avait surtout beaucoup de prétentions, et entre autres celle de n'avoir jamais peur. Un soir, la discussion s'échauffe; quatre personnes de la société font le pari avec ce jeune homme qu'avant six mois il aura été effrayé: il accepte; les conditions sont arrêtées; cent louis de pari seront payés par le jeune homme s'il perd, cent louis seront payés par les attaquants si le jeune homme sort vainqueur de la lutte…
Pendant les premiers temps, les choses furent assez bien. Quelque bourrue que fût l'humeur de cet homme, elle ne tenait pas, elle cédait même parfois aux bouffonnes inspirations de ses amis. Le premier mois s'écoula sans qu'il eût cédé une seule fois à de la peur. On avait arrêté de ne continuer la chose qu'à Brienne.
Un jour, les quatre amis réunis se dirent qu'il y avait une sorte de honte à n'avoir pas encore réussi. L'un d'eux fit une proposition qui fut adoptée et mise à exécution le soir même.
J'ai déjà dit qu'il y avait à Brienne, dans les premières années de la construction du château neuf, quelques restes d'un vieux pavillon de l'ancienne construction, où les rats mangeaient les souliers de l'abbé Morellet; ce pavillon servait à loger des jeunes gens lorsque le château avait plus de monde qu'il n'en pouvait contenir. L'on se trouvait précisément dans cette circonstance, et le jeune homme poursuivi y logeait, ainsi que quelques-uns de ses amis.
Le temps avait été orageux tout le jour… Le soir la tempête s'était apaisée, mais sans avoir éclaté, et lorsqu'on se retira, le temps avait cette pesanteur qui accable et rend malade.
– Voilà une nuit pour une apparition! dirent les jeunes fous à leur ami…
– Vraiment, leur répondit-il, je lui conseille de venir, elle sera bien venue.
Et les saluant d'un air ironique, il rentra dans son appartement.
L'air était lourd, l'atmosphère accablante; le jeune homme se laissa aller sur un fauteuil, dont les pieds vermoulus le soutenaient à peine, et là il eut d'étranges visions. Bientôt ses idées s'embrouillèrent, et il tomba dans un sommeil étrange. Son domestique le réveilla de cette sorte de torpeur… il se coucha presque malade et succombant à une impression toute nerveuse qui ne pouvait être naturelle, même par l'effet de la tempête…
La chambre où il se trouvait était éloignée de toute la partie occupée même de ce pavillon déjà assez désert… elle était vaste et sombre… Un lit à colonnes torses, garni de rideaux en point de Hongrie, était la pièce la plus remarquable de l'ameublement. Le jeune homme l'avait longtemps considéré avant de se coucher.
– Mon Dieu!.. avait-il dit, c'est comme un tombeau!..
La chaleur accablante qu'il faisait et le temps orageux l'eurent bientôt endormi profondément, et il était enseveli dans son premier sommeil, lorsqu'un son plaintif le réveilla en sursaut. Ce bruit est près de lui… il est contre son oreille!.. il se lève sur son séant… et croit continuer un rêve interrompu. Les quatre parties de rideaux sont relevées autour des colonnes; contre chacune d'elles est appuyée une panoplie complète35, c'est-à-dire un chevalier revêtu de son armure, mais immobile, silencieux, et sans aucune apparence de vie!..
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1
Elle avait du talent et du courage, mais elle était insensée, et sa conduite extraordinaire lui a fait assigner une place certes bien éloignée de celle de madame Roland. Je parlerai d'elle plus tard.
2
Ce sont ses propres expressions.
3
Elle voulut mourir, dit-elle. La nature faillit l'exaucer; elle fut malade et en danger de mort en effet pendant vingt-deux jours.
4
On a tenté de faire son portrait sans pouvoir réussir, et cela n'est pas étonnant. Ce genre de physionomie est si difficile à faire! l'âme ne se peint que par reflet; elle peut se rendre dans un regard, mais non par celui d'un autre. Le regard est la plus puissante des séductions.
5
Même d'une mère ordinaire, car, à moins qu'on ne rencontre en sa route de ces monstres que la nature jette sur la terre en reculant d'horreur elle-même, on ne trouve pas de mauvaises mères. Le même anathème doit peser sur les enfants qui sont mauvais fils. La postérité elle-même est sévère pour ce crime. Quoique bien des siècles se soient écoulés depuis Sophocle, le souvenir de ses fils, maudits par l'opinion de leur patrie, repoussés par les lois, est encore aussi actif que le jour où, accusant la vieillesse de leur père, ce père leur répondit en montrant Œdipe à Colonne!.. L'infortuné!.. comme il avait dû souffrir pour arriver à choisir un pareil sujet!.. Et telle était la profondeur de la blessure que ce fut son chef-d'œuvre que produisit le vieillard à la fin de sa carrière pour peindre des fils ingrats… Et ce n'était qu'un père!.. Qu'aurait donc fait une mère?.. Rien. Il y a une sorte de rapport mystérieux entre les enfants et la mère, qui donne à tous deux une tendresse que rien ne peut détruire et que tout contribue à augmenter.