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L'Épice
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L'Épice

Язык: Французский
Год издания: 2020
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Les villageois terrifiés écoutaient, abasourdis par cette jeunesse endoctrinée. Dara se balançait en essayant de rester debout devant lui. De temps en temps, le garçon tirait sur sa corde et cela réveillait son attention.

Une fois que le commandant eut fini, il concentra son attention sur Dara et dit aux villageois.

« Cette femme nous a menés à vous. Elle est faible et nous n’acceptons pas les faibles ». Il resserra le nœud autour du cou de Dara et la traîna à lui. Se saisissant du nœud, il releva son menton pour étendre sa gorge et l’ouvrit avec un couteau tranchant. Dara était trop faible pour tenter de résister. Tandis que sa salive, le sang et l’air gargouillaient de sa gorge, elle devint toute molle. Le commandant jeta son corps sur le sol, se pencha, essuya son couteau sur ses vêtements avant de le replacer dans sa gaine. Il cria des ordres à ses soldats, désigna le cadavre de Dara et envoya un sombre avertissement aux villageois :

« Obéissez à Angka ou vous mourrez ! ».

Les villageois fixèrent avec horreur les autres Khmers rouges qui leur criaient d’aller chercher leurs affaires et de se retrouver ici.

Les villageois quittèrent la cabane communale et se rendirent dans leurs résidences respectives pour faire leurs bagages, pendant que les Khmers rouges tournaient autour des familles terrifiées, en les pressant.

Rotha, Tu, Ravuth et Oun rentrèrent dans leur cabane. Tu se concerta avec Rotha, qui, bien que secouée par les événements, fut d’accord. Avec des tremblements dans la voix, Tu ordonna aux enfants :

« Vous deux, vous allez vous échapper et vous cacher dans la jungle. Lorsque nous serons partis, revenez et restez ici. Lorsque nous découvrirons ce qui se passe et si la sécurité revient, nous serons de retour ».

Les garçons, bien qu’effrayés, furent d’accord, en espérant que cela ne durerait pas.

Rotha regarda au dehors, vit un Khmer rouge qui s’éloignait de leur cabane pour surveiller une autre famille, et elle n’en voyait pas d’autre à proximité.

« Vite, Ravuth ! Tu sors en premier », murmura-t-elle.

Ravuth descendit prudemment les marches et parcourut la courte distance qui les séparait de la jungle, se cacha derrière le premier bosquet d’arbres, attendant son frère.

Il vit Oun en bas des marches, mais un Khmer rouge marcha vers lui, s’arrêtant à la hauteur du garçon. Le jeune soldat agita son fusil vers Rotha et Tu, leur ordonnant de descendre immédiatement. Le cœur de Ravuth se mit à battre à tout rompre et il se cacha derrière le tronc épais de l’arbre.

Les cris du Khmer rouge diminuèrent et Ravuth jeta un coup d’œil. Il vit sa mère, son père et son frère emmenés avec les autres vers la hutte communale. Réalisant que personne n’avait remarqué sa fuite, Ravuth se déplaça en cercle autour des habitations, profitant des arbres et des feuillages de la jungle, pour observer ce qui se passait dans le village.

Les villageois restèrent dans la grande cabane pendant une heure avant d’en ressortir et d’être canalisés hors de la cabane.

Les Khmers rouges se dirigèrent vers la foule et traînèrent quatre villageois plus âgés. Ravuth espérait qu’ils les laisseraient dans le village. Il s’imagina qu’ils pourraient s’occuper de lui jusqu’à ce que ses parents et Oun reviennent.

Le commandant afficha un rictus pendant que ses soldats poussaient les quatre vieillards sur le sol et les tuaient d’une balle dans la tête.

Tout le monde se mit à crier lorsque les Khmers rouges pointèrent leurs fusils vers la foule frappée de panique. « Silence, ou vous êtes morts ! ».

« Restez tranquilles ! », cria le commandant en s’adressant à la foule, attendant d’avoir leur attention. « Ceux-là sont si vieux qu’ils ne peuvent rien produire pour Angka. Leurs vies ne valent rien pour Angka et leur mort n’est pas une perte ».

Tremblants et effrayés, les villageois avaient l’air d’un groupe de réfugiés abattus et brisés. Ils se traînèrent le long de la piste qui menait à Koh Kong pour rejoindre l’exode des populations rassemblées pour travailler dans les camps.

Les Khmers rouges laissèrent les villageois emporter leurs maigres possessions, qu’ils leur confisqueraient à la fin de leur voyage.

Deux soldats khmers rouges restèrent. Ravuth les regarda traîner le corps de Dara hors de la cabane communale et le décharger avec les quatre autres. Prenant un bidon d’essence dans l’abri du générateur, ils arrosèrent plusieurs baraques et les cadavres. Ils ricanèrent en mettant le feu. Ces assassins étaient des adolescents qui ne montraient pas la moindre trace d’émotion ou de remords. Un soldat, qui s’amusait à frapper les têtes des cadavres en feu avec un bâton, leva les yeux et vit un mouvement dans la jungle. Il cria vers son camarade, qui attrapa son fusil et courut vers la cachette de Ravuth et s’arrêta.

« Tu as cru voir quelque chose. Il n’y a rien ici », dit le jeune homme.

« Je suis sûr que j’ai vu quelqu’un », dit l’autre, contrarié.

« Tu veux pénétrer dans la jungle plus avant ?

- Pas vraiment. Je ne sais pas ce qu’on va trouver là-dedans, peut-être une bête sauvage. Viens, rattrapons les autres ».

- Très bien. Puisque tu as peur, partons », se moqua le premier soldat. Ils tournèrent les talons et coururent à travers le village pour rejoindre la piste.

Ravuth tremblait. Il recula davantage dans l’épais feuillage. Le Khmer rouge s’était approché à 30 cm de son visage.

Bien trop effrayé pour se déplacer dans la chaleur éclatante de la journée, Ravuth retourna au village à la tombée de la nuit, étourdi, assoiffé et les idées embrouillées. Il traversa le village déserté, enjambant les corps incandescents, puis rejoignit sa maison. Les Khmers rouges avaient brûlé certaines cabanes et la cabane communale, mais ils avaient laissé sa maison relativement indemne. Il constata que tout avait été emporté, soit par ses parents, soit par pillage. Ravuth s’accroupit et pleura. Il resta là pendant toute la nuit, se demandant ce qui s’était passé et que faire. L’aube vint et, avec les premiers rayons de lumière, il vit une boîte en feuilles de banane qui dépassait du plancher dans un coin de la pièce. Il comprit que ses parents avaient sûrement essayé de la dissimuler aux Khmers rouges. Il prit la boîte et l’ouvrit. L’étrange plante était à l’intérieur avec quelques bijoux sous les photographies de sa famille. Il prit les photos et, des larmes dans les yeux, il frappa les images individuelles, se demandant ce qui leur était arrivé.

Ravuth se sentait seul, effrayé et perplexe. Il replaça les photographies dans la boîte, quitta la cabane et erra dans le village à la recherche de nourriture, d’eau ou d’objets utiles abandonnés. Traversant les vestiges macabres, il alla de cabane en cabane, fouillant et ramassant tout ce qui pouvait servir. Il trouva une machette, il mangea et but un peu d’eau. Il enveloppa la nourriture dans une feuille de banane, puis il remplit des gourdes en puisant dans les réservoirs d’eau de pluie. Sa connaissance des plantes comestibles et des sources de liquides lui permettrait de survivre dans la jungle. Prenant la boîte, la machette et d’autres objets qu’il avait trouvés, Ravuth traversa le village et emprunta la piste qui menait à la route de Koh Kong.

* * *

Cela faisait deux heures que Ravuth marchait le long de la piste au milieu de la jungle. Il avait parcouru ce trajet plusieurs fois avec son frère et son père, mais une fois que Tu était arrivé à la route avec les autres villageois et s’éloignait en pédalant, les deux frères revenaient au village. Il quitta la jungle, emprunta la route inconnue et marcha le long des bas-côtés au cas où il rencontrerait des patrouilles de Khmers rouges. Sa longue marche jusqu’aux abords de la ville se fit sans incident, sans rencontrer de trafic ni d’habitants. Il vit que plusieurs maisons en bois le long de la route avaient été détruites et pillées.

Progressant dans les faubourgs de la ville de Koh Kong, Ravuth traversa le centre-ville qui semblait mystérieusement dépourvu d’habitants. Il continua pendant quelques kilomètres jusqu’à ce qu’il atteigne le poste-frontière. Il se cacha derrière la cabane dès qu’il vit un Khmer rouge assis contre un grillage nouvellement construit le long de la frontière avec la Thaïlande.

Les traits sans expression de l’enfant-soldat déclenchèrent une peur renouvelée chez Ravuth. Il s’éloigna en rampant du poste-frontière et retourna vers le centre-ville déserté. Ravuth pénétra dans un petit café abandonné et se ravitailla en nourriture et en eau grâce au peu de restes qu’il trouva. Il s’assit et réfléchit à sa situation.

La nuit tomba et Ravuth n’avait pas encore décidé quel parti prendre. C’est alors qu’il entendit le bruit d’un véhicule qui s’approchait. Terrifié, il se cacha sous une table au moment où un vieux camion s’arrêtait devant le café. Six Khmers rouges entrèrent et s’assirent à une table.

Tremblant de peur, Ravuth restait immobile tandis que les jeunes soldats démarraient un petit générateur pour illuminer la salle et s’asseyaient. Ravuth tremblait, blotti sous une table dans un coin sombre du café.

Un soldat amena plusieurs bouteilles de whisky du Mékong et ils burent.

Ravuth écouta le jeune Khmer rouge fanfaronner sur leurs atrocités quotidiennes, racontant qui ils avaient massacré et des détails sordides sur comment ils l’avaient fait. Ils parlèrent de leurs butins de guerre et des objets qu’ils avaient volés. L’un d’entre eux mentionna quelque chose qui intéressait Ravuth.

« Mon groupe s’est rendu directement à *Choeung Ek, mais nous avons sélectionné ceux qui feront de bons citoyens Khmer rouge et de bons camarades de combat », expliqua-t-il.

« Nous avons rassemblé quatre groupes aujourd’hui, ils sont partis dans la commune de la province de Koh Kong pour renforcer nos rangs », dit un autre.

« La plupart des autres étaient de vieilles gens indésirables, aussi nous les avons éliminés », a dit un troisième, ajoutant : « Mais nous nous sommes amusés à les éduquer ». Il eut un rictus et montra aux autres sa machette tachée de sang.

Les garçons échangèrent ces horribles détails pendant un moment ; Ravuth entendit ensuite des jurons et des ricanements puérils à mesure que le whisky faisait son effet sur les gamins.

Trente minutes plus tard, les Khmers rouges sortirent en titubant du café, remontèrent dans leur véhicule, qui s’éloigna dans un crissement.

Ravuth sortit de dessous la table. Le café était éclairé, aussi il chercha dans le café redevenu silencieux toute information sur les communes de Koh Kong et Choeung Ek. Il ne connaissait rien ni sur l’une ni sur l’autre. Ne sachant pas lire, il trouva des prospectus avec des images, qu’il plaça dans sa boîte.

Après une nuit passée dans le café, tôt le matin, Ravuth sortit à pied de Koh Kong-ville et se dirigea vers son village dans la jungle pour attendre sa famille. Il ne s’était pas aperçu qu’il était suivi, quand il entendit une voix hurler derrière lui alors qu’il longeait une route à l’extérieur de Koh Kong : « Toi… Arrête-toi ! ».

Il se retourna et vit une jeune fille khmère rouge qui pointait un pistolet automatique sur lui, tout en essayant de garder son équilibre sur la barre horizontale de sa bicyclette. « Viens ici ! », fusa-t-elle.

Ravuth s’approcha de la fille au visage noirci qui le fixait. Bien qu’elle ait l’air plus jeune et plus petite que Ravuth, il ressentit un frisson glacial le long de la colonne vertébrale lorsqu’il croisa son regard.

« Pourquoi n’es-tu pas avec les autres ? Où est ton village ? », cria-t-elle.

Ravuth trembla et, les mains jointes, il plaida : « Je m’excuse, ils m’ont laissé derrière quand je me suis arrêté pour me reposer ».

La fille lança un regard furieux à Ravuth. « Suis-moi », cria-t-elle, puis elle descendit de sa bicyclette et la retourna.

Ravuth fut terrifié en voyant quatre autres Khmers rouges qui s’approchaient à vélo. Il paniqua, prit sa machette de sa ceinture et donna un coup violent sur le bras de la jeune Khmère de toutes ses forces. La fille, occupée avec le guidon, fut incapable de se réagir pour se protéger, Elle émit un cri de douleur quand la lame entailla profondément sa chair jusqu’à l’os. Elle lâcha le pistolet et Ravuth la fit tomber de son vélo, replaça sa machette dans sa ceinture, enfourcha le vélo et pédala à travers à travers les champs de riz. Se dirigeant vers les Montagnes des Cardamomes et la sécurité de la jungle, les balles sifflèrent à ses oreilles comme il pédalait pour sauver sa vie.

Pédalant pendant ce qui lui sembla une éternité, et n’entendant plus de coups de feu, Ravuth s’arrêta à l’orée de la jungle, poussa la bicyclette dans les feuillages et se cacha derrière un bouquet d’arbres. Il jeta un coup d’œil pour voir s’il pouvait voir ses poursuivants. Ravuth aperçut quatre petits points noirs lointains qui se dirigeaient dans sa direction. Il avait réussi son début de fuite, mais savait qu’il devait se mettre en sécurité à l’abri du feuillage dense. Ravuth courut à travers la végétation épaisse, suivant des pistes étroites jusqu’à entrer dans un terrain épais, accidenté et impénétrable.

« Ils ne pourront plus me trouver maintenant », pensa-t-il, et il se mit à courir dans le sous-bois dense.

Épuisé, Ravuth avait couru à travers cette section non familière de la jungle pendant plus de trois heures. Arrivant dans une clairière recouverte d’un toit végétal épais, qui laissait cependant passer un peu de lumière, il se cacha là. Se sachant en sécurité et en position de repérer tout poursuivant, il s’assit au pied d’un arbre diptérocarpe géant, sur le qui-vive.

Ravuth resta là pendant deux jours, se nourrissant de la végétation abondante qui l’entourait. Réalisant qu’il avait semé ses poursuivants, il se mit en quête de rejoindre son village.

Ravuth se sentait en sécurité dans la jungle et marcha toute la nuit, profitant de la clarté de la lune. Il se reposait pendant les journées torrides, piégeant et cueillant en fin d’après-midi jusqu’au crépuscule.

Sans direction précise à suivre, à la différence des environs du village, où il connaissait la plupart des pistes et la végétation familière, il était perdu. À l’aube du dixième jour, il déboucha sur un sol dégagé. Un remblai laissait place à une étroite vallée où il vit un grand corral, entouré d’une clôture métallique en grillage.

Ravuth pouvait distinguer plusieurs rangées de bivouacs en toile, ainsi que quelques tentes militaires de plusieurs tailles. Il voyait des gens qui déambulaient derrière le grillage. Certains groupes cuisinaient sur des feux de bois ouverts. Ravuth pouvait sentir les arômes de la nourriture cambodgienne, ce qui lui donna l’eau à la bouche. « Ceci doit être l’un des lieux dont avait parlé le Khmer rouge. Je me demande si ma famille est ici », pensa-t-il. Rampant autour du grillage, il observait les habitants du camp jusqu’à ce qu’il atteigne une porte. Ravuth se sentait exposé à découvert, aussi il se cacha dans un coin sombre et observa.

Ravuth vit des véhicules militaires et des soldats aller et venir toute la journée. Il remarqua que le personnel militaire n’était pas composé de Khmers rouges. Ils étaient plus âgés et habillés en uniformes de camouflage. Il se déplaça le long de la clôture, surveillant les activités à l’intérieur du camp. De temps en temps, il regrimpait sur le remblai pour obtenir une meilleure vue depuis la jungle, mais il ne pouvait reconnaître aucun des membres de sa famille ou du village. La nuit tomba, aussi il longea la clôture, trouva un coin dégagé, et à l’aide de ses mains, il creusa une petite tranchée en dessous du grillage métallique. Il traversa en se glissant et rampa vers la tente la plus proche. Ravuth s’accroupit, regarda devant, souleva un coin et…

« Qui es-tu ? », dit une voix masculine derrière lui dans une langue inconnue, « Lève-toi et tourne-toi ».

Ravuth, enveloppé par une forte lumière dans son dos et effrayé parce qu’il ne pouvait comprendre les instructions de l’homme, se leva instinctivement et se retourna, aveuglé par la lumière.

*En annexe

2

Le phénomène de la pâtisserie

Le maître de cérémonie s’éclaircit la gorge et annonça : « Le trophée du Pâtissier de l’année est décerné à.. », faisant une pause pour ménager son effet alors qu’il jetait un coup d’œil au nom écrit au dos d’une carte de couleur or. « Pour la troisième année d’affilée », il fit face au public en souriant. « Le pâtissier représentant l’Hôtel Avalon », nouvelle pause avant d’annoncer : « M. Ben Bakewell ! ». Il se mit à applaudir, invitant la salle à faire de même dans cette suite de conférence cossue de Park Lane Hilton. Des acclamations et des murmures fusèrent tandis qu’un homme portant un costume mal ajusté s’avança d’un pas traînant vers la scène.

« Bien joué Cake », dit le Maître de cérémonie tandis que le boulanger atteignait la plateforme et lui serrait la main.

Bien que Cake ait déjà remporté cette distinction trois ans de suite, il se sentait encore mal à l’aise en tenant la petite effigie. Son discours d’acceptation fit écho aux années précédentes. « Merci », marmonna-t-il dans le micro, rougissant. Il soupira, quitta la scène et se précipita vers la table pour rejoindre ses collègues.

La cérémonie des récompenses touchait à sa fin, au grand soulagement de Cake. Plusieurs critiques étaient sur la scène, en pleine discussion sur les différents plats qui avaient remporté des prix. Cake exécrait ce genre de manifestations et jugeait les critiques de la restauration aussi utiles que des pets dans une passoire, incapables de faire bouillir un œuf et étrangers à cette activité. Malgré cela, il recevait toujours des critiques élogieuses. L’un avait décrit son *Œuf dans un nid Avalon comme une explosion parfaite d’arômes créant un orgasme buccal et avait dit que chaque plat créé par Cake avait un goût parfait. Cependant, Cake avait toujours eu l’impression qu’ils étaient moyens et considéraient que ses plats manquaient de quelque chose sans pouvoir trouver ce que c’était.

Cake arriva chez lui à environ 23 heures, après un long trajet dans la capitale. Jade était déjà revenue de son escapade de cinq jours à Lincoln. Cake, enthousiaste, voulait savoir comment leur pâtisserie progressait. Il se laissa tomber dans une chaise de la salle de séjour tandis que Jade lui apportait un verre de vin, et ils se mirent à l’aise. Il lui montra le chèque de récompense pour la compétition, elle sourit et lui montra des images vidéo du travail en cours.

* * *

Benjamin Bakewell, surnommé Cake aussi longtemps qu’il pouvait se souvenir, avait une réputation impeccable dans le monde de la cuisine. Chaque grand chef et établissement de restauration haut de gamme connaissait Cake. Il occupait la position de chef pâtissier à Avalon depuis trois ans. Ses gâteaux et pâtisseries signés faisaient envie à tout chef pâtissier en raison de la préparation unique de Cake, que beaucoup échouaient à répliquer.

Cake était né dans la banlieue de Louth dans le Lincolnshire, une petite ville rurale, à quarante kilomètres de la ville de Lincoln. Sa famille possédait une ferme de cent hectares cultivables à la périphérie de la ville et cultivait du blé, de l’orge et du houblon. Son surnom, Cake, provenait de son nom de famille et de son amour de la pâtisserie. Il avait suivi sa scolarité à l’école primaire, mais tandis que les autres s’adonnaient au sport et au divertissement pendant leur récréation, lui se trouvait dans la cantine de l’école et aidait les cuisiniers.

Les parents de Cake avaient toujours su qu’il avait flair inhabituel. Il pouvait détecter tous les ingrédients d’un plat quelconque et ajoutait des composants lorsqu’il jugeait que cela pourrait relever son goût jusqu’à ce que son palais parfait le trouve acceptable. Cake ne mangeait pas ni ne manipulait la viande, car celle-ci ne dégageait pas d’arômes parfumés, sa texture procurait une sensation granuleuse et dure, et son goût le faisait vomir. Il tolérait certains aliments marins, mais seulement s’ils étaient frais et modérément parfumés, tels que la lotte ou les pétoncles, auxquels il pouvait ajouter des herbes et des épices pour masquer l’odeur et le goût du poisson. Personne ne pouvait comprendre le don inhabituel de ce garçon, et il fallut de nombreuses années avant que quiconque ne découvre la raison de son sens élevé du goût et de l’odorat. Seul Cake pouvait percevoir l’odeur et le goût du monde en détectant les senteurs et les parfums flottant dans l’air. Pendant ses jeunes années à l’école, il utilisa son talent unique pour gagner des bonbons et autres friandises de ses camarades d’école en devinant ce qu’ils avaient mangé au petit déjeuner ce matin-là en humant leurs pets. Ceci devint également un tour facile pour les fêtes et réunions à mesure qu’il grandissait.

Cake passa une enfance heureuse, avec de nombreux amis, quoique les filles l’évitaient à cause de sa propension à renifler l’air environnant, ce qui était rebutant. Ses camarades trouvaient cela très amusant, mais il arrêta de le faire quand sa mère lui dit que ce n’était pas un comportement poli et qu’un jour, s’il voulait fréquenter une fille, renifler son derrière n’était pas la meilleure manière de l’attirer. Cake aidait dans la ferme pour les moissons. Son moment favori de l’année était le printemps, quand la flore et la faune pollinisaient et fleurissaient, et que les odeurs faisaient exploser son univers dans un hypermonde extatique. Il aidait également sa mère et sa grand-mère à faire cuire du pain, des gâteaux, des tartes et des pâtes pour sa famille et les agriculteurs de la ferme. Cake concentrait son don sur la pâtisserie, car les arômes et goûts savoureux et sucré flattaient ses sens. Le jeune Cake se trouvait toujours dans la cuisine et gloussait de plaisir chaque fois qu’il retirait un plateau de sa nouvelle création du four. Les odeurs délicieuses sortant du four flottaient dans la cuisine de la ferme tandis que sa grand-mère arrêtait de papillonner et venait voir quelle délicieuse friandise Cake avait inventé.

Sa grand-mère voyait un éclair dans ses yeux quand il disait : « Mamy, un jour je serai le pâtissier le plus célèbre d’Angleterre… et peut-être du monde ».

Sa grand-mère soupirait et répondait avec un sourire narquois. « Oui, Cake, je sais ».

Il avait accumulé les livres et magazines de cuisine au fil des années et reproduisait toutes les recettes de gâteau trouvées, en ajoutant des herbes et des épices qu’il mélangeait pour rehausser les arômes, en les rendant uniques. Bien que Cake trouve toujours que quelque chose manquait, sa grand-mère, Pearl, l’assurait qu’un jour, il découvrirait SON épice parfaite.

À peine adolescent, Cake s’était mis au kickboxing. Il était grand et mince et les arts martiaux avaient rendu son corps plus musclé, mais ses jambes et ses bras restaient maigres, quelle que soit son ardeur à l’entraînement.

Cake était un garçon au physique agréable avec son visage fin, ses yeux noisette et ses cheveux châtain foncé. Il ressemblait à Kevin Costner jeune, bien que sa silhouette dégingandée et étrange lui donne une apparence de clown et, dans son adolescence, les filles commencèrent à le remarquer, maintenant qu’il avait arrêté de les renifler.

Sa famille supposait qu’en quittant l’école, Cake rejoindrait l’activité familiale et deviendrait un fermier. Cependant, ses rêves et ambitions étaient à mille lieues des leurs, car il voulait suivre une école culinaire. Ses parents lui interdirent et offrirent un compromis. Avec sa mère et sa grand-mère, il pourrait ouvrir une entreprise de pâtisserie et tous les trois mettraient la main à la pâte, tandis que ses sœurs vendraient leurs produits à des entreprises dans Louth et alentour. Cake avait accepté le compromis, sachant très bien que cela demanderait de travailler pendant de longues heures et de renoncer à son entraînement de kickboxing, mais la pâtisserie était sa passion. Son grand-père les laissa utiliser une vieille grange et acheta deux fours à gaz d’occasion, avec la grande cuisinière en fonte AGA dans la cuisine principale. La famille acheta une pétrisseuse et d’autres appareils de pâtisserie, y compris des étagères, des réfrigérateurs et des meubles de rangement, selon les instructions de Cake, le tout formant une fabrique de pâtisserie rurale pittoresque. Son père avait mis à leur disposition l’une des Land Rovers de la ferme, ce qui lui permettait de parcourir les environs de la petite ville afin de trouver des usines et des boutiques susceptibles de vendre leurs produits. Cake s’en était tenu à un fonctionnement simple. Bien qu’il adore expérimenter, la famille avait limité la production aux pains, petits pains, baguettes, gâteaux et tartes.

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