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Masques De Cristal
Masques De Cristal

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Masques De Cristal

Язык: Французский
Год издания: 2020
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Elle était immédiatement tombée amoureuse de ce sport et était devenue une excellente patineuse. Elle avait même gagné quelques concours locaux mais l’université l’avait obligée à espacer les entraînements et, suite à l’accident, elle avait dû en finir avec l'esprit de compétition. Recommencer à patiner n’avait pas été facile, parce que la peur de tomber durement à nouveau la bloquait et il avait fallu des mois avant qu’elle arrive à retourner sur la glace.

Mais elle avait gagné cette bataille.

Après avoir enfilé une combinaison ajustée, en tissu noir élastique et hydrofuge, Loreley commença à entrelacer et fixer les lacets de ses bottines autour des attaches. Elle n’avait pas encore terminé cette ennuyeuse mais nécessaire opération quand son téléphone professionnel sonna.

L’envie de ne pas répondre était telle que, avant de le sortir de son sac à dos, elle demeura plusieurs secondes à écouter la «Danse du sabreʺ de Khatchatourian. Elle aurait dû laisser sonner jusqu’à ce qu’il s’arrête mais la nouvelle affaire exigeait qu’elle soit joignable toute la journée.

Elle regarda l’écran: c’était un numéro inconnu.

«Salut, Loreley. Je te dérange? Tu travailles?

–Non, non… Elle tenta de comprendre à qui appartenait cette voix masculine: elle ne voulait pas risquer de passer pour une imbécile, mais elle n’arrivait à la relier à aucune de ses connaissances.

–Si tu as une petite heure de libre, je souhaiterais te parler. Ce n’était pas possible la dernière fois qu’on s’est vus.

–Je suis vraiment occupée et… Elle s’arrêta. Sonny?

Elle prononça ce nom en expirant tout l’air resté dans ses poumons.

–Excuse-moi, j’ai tenu pour acquis que tu m’avais reconnu.

–On ne s’est jamais parlés au téléphone, ta voix semble un peu différente.

Il y eut un bref silence embarrassé, puis il reprit:

–J'ai peut-être fait une erreur en t’appelant.

–Non! Mais tu m’as prise au dépourvu. Je suis à la patinoire à Chelsea Piers. Elle ne lui avait jamais donné son numéro. Non, mais il l’avait appelée sur le professionnel, que l’on pouvait trouver sur internet.

–Tu es avec quelqu’un?

–Non, seule, lui répondit-elle en s’en repentant immédiatement. Si elle voulait éviter cet homme, elle aurait dû lui dire tout autre chose.

–Je peux te rejoindre alors, si ça te va. Je ne suis pas très loin de Chelsea: je pourrais être là en vingt minutes.

Loreley fit une courte pause de réflexion. Ce serait arrivé tôt ou tard: mieux valait se débarrasser de ce poids au plus vite et en finir avec cette nuit, et elle pourrait reprendre sa vie de toujours.

–Tu devras louer des patins, parce que j'entre sur la piste.

S’il ne savait pas patiner, le voir souffrir un peu l’amuserait.

–J'avais déjà compris. J’arrive tout de suite.»

Les cheveux noués en une queue de cheval et la protection de plastique sur les lames, Loreley sortit du vestiaire et se dirigea vers la piste.

Elle sourit, satisfaite de voir qu’elle venait d’être polie, mais elle espérait qu’il y aurait moins de monde, moins d’enfants surtout, pour susciter son inquiétude. C’était justement pour éviter d’en heurter un qu’elle était tombée. Le trauma crânien et la blessure aux vertèbres cervicales consécutifs avaient diminué son sens de l’orientation et bien qu’elle fut guérie depuis longtemps, ses douleurs à la nuque se faisaient encore sentir.

Elle enleva les protège-lames et glissa légèrement sur le manteau immaculé durant quelques minutes, se laissant entraîner par la musique. Le froid qu’elle sentait sous ses pieds remontait et enveloppait son corps, mais c’était une étreinte agréable pour elle, parfois électrisante et parfois rafraîchissante.

Elle effectua quelques exercices d’échauffement et s’amusa avec des pas croisés et des figures simples. Ce ne fut que lorsqu’elle se sentit plus en confiance qu’elle s’essaya à quelques sauts: du saut droit à des piqués comme le flip et le lutz, jusqu’à tenter un double axel qu’elle ne réussit que de manière incertaine et renonça à retenter. Elle termina par quelques pirouettes debout et assises de difficulté moyenne. Elle n’alla pas plus loin pour ne pas risquer de se blesser.

Les notes de la musique se firent suaves, lentes, comme pour la cajoler. Elle prit son élan, plia le buste en avant, tendit une jambe en arrière, jusqu’à lever le pied un peu plus haut que la tête, écarta les bras à hauteur des épaules, faisant la figure de l'ange. Elle leva le visage et laissa son corps glisser le long de la piste, à la fois ferme et délicat.

L’air frais lui frôla la peau du visage, soulevant sa longue queue blonde. Elle ferma les paupières et ressentit une spirale d’émotions qui semblaient la diriger vers le vide, vers une paix infinie.

Elle prit soudain conscience des gens autour d’elle, qu’elle aurait pu heurter et ouvrit grand les yeux. Elle sentit une main effleurer la sienne, encore tendue pour fouetter l’air alentour. Elle se tourna, se redressa et posa le pied encore levé au sol.

«Oh… tu es arrivé!

–Je ne voulais pas t’interrompre, lui dit Sonny apparu à côté d’elle comme par magie. Il portait un lourd manteau, une écharpe et un chapeau de laine, et patinait en tentant de conserver la même vitesse qu’elle.

Loreley ralentit.

–Ne t’excuse pas. C’est moi qui ne devrais pas faire certaines choses sur une piste avec autant de gens. Elle allait en général patiner à des horaires auxquels elle savait qu’il y aurait peu de patineurs, mais cet après-midi-là, elle n’avait pas réussi à respecter cette précaution logique.

Un jeune garçon fila à toute vitesse à côté d’elle, presque à la toucher, et elle pivota vers Sonny qui lui posa une main sur l’épaule comme pour la protéger.

–Ne nous arrêtons pas ici ou ils vont nous renverser, lui dit-il en regardant autour de lui.

–Je préfèrerais qu’on ne s’arrête pas du tout…» En prononçant ces mots, Loreley accéléra jusqu’à laisser l'homme derrière elle et se porta vers le côté opposé de la patinoire, où les grandes baies vitrées offraient une belle vue rapprochée sur l'Hudson River et la jetée où se trouvait le centre sportif.


Sonny la regarda effectuer un slalom pour dépasser les patineurs qu’elle croisait sur son parcours. Il aurait très bien pu la rejoindre en quelques secondes mais préféra ne pas la suivre. Il était évident qu’elle cherchait à retarder le moment où ils devraient mettre les choses au clair entre eux, et il ne voulait pas lui mettre trop de pression.

Que dirait-il à Loreley? Qu’il était désolé d’avoir couché avec elle? Il n’y croyait pas lui-même. Bien qu’il ne se souvienne pas exactement de ce qu’il s’était passé, il savait qu’il ne s’abandonnerait jamais autant à ses bas instincts que cette nuit-là; peut-être parce qu’il n’était pas sobre, mais cela n’avait que peu d’importance. Ce qui le tracassait bien davantage était tout autre.

Parmi toutes les femmes présentes à la cérémonie, il avait fallu qu’il couche avec la sœur de Hans!

Il avait bu, mais pas au point de ne pas comprendre qui était la femme qu’il entraînait dans sa chambre. Pourquoi justement elle dans ce cas? Si Hans l’apprenait, il ne croirait pas à une coïncidence: non, il l’accuserait de l’avoir fait exprès.

Il haussa les épaules. On s’en fout!

Loreley était adulte. Elle était consentante, ivre mais consentante et participante aussi. Personne ne pourrait le condamner et il faisait fausse route en se créant des problèmes, d’autant plus qu’elle avait quitté la chambre d’hôtel en douce sans même attendre son réveil, sans lui dire un mot.

Il avait eu du mal à reconstituer l’évènement ce matin-là; il avait d’abord éprouvé du soulagement que la jeune femme se soit volatilisée, évitant ainsi de devoir donner et recevoir des explications, mais il s’était ensuite dit qu’il resterait toujours quelque chose en suspens, jusqu’à ce qu’ils discutent.

Il s’appuya au bord de la piste et attendit qu’elle s’approche pour dégainer un beau sourire.

«Tu patines depuis combien d’années? lui demanda-t-il.

–J'ai commencé le patinage artistique à cinq ans, mais j’ai abandonné durant ma première année à l’université. Je viens ici de temps en temps pour me changer les idées et bouger un peu. Ce n’est pas bon pour la santé de rester assis des heures dans un bureau ou un tribunal. Et puis, j’aime trop patiner. Et toi?

–Je jouais au hockey quand j'étais à peine plus qu’un petit garçon. Mais ça fait longtemps que j’ai arrêté pour me consacrer à la musique.

–On ne le croirait pas à te voir.

–Je pense que c’est comme le vélo: tu recommences après des années et on dirait que tu es monté dessus quelques jours avant. Ce serait mieux qu’on aille parler ailleurs maintenant: on peut prendre un verre ici, au bar.»

4

Sac à dos à l’épaule, Loreley se dirigea vers la sortie du centre sportif, où elle savait que Sonny l’attendait. Elle s’était rafraîchie en vitesse et avait lâché ses cheveux.

Elle parcourut le couloir, rendit les clés du casier à la réception et se retrouva dans le vaste lobby aux couleurs dominantes jaune, bleu et rouge. Et là, elle s’arrêta.

Sonny était occupé avec deux jeunes qui lui demandaient un autographe sur leurs patins. Une jeune femme voulut faire un selfie avec lui. Quelqu’un l’avait reconnu même sans sa queue basse dans la nuque, avec son chapeau en laine et une écharpe qui cachait son bouc. En l’invitant à la rejoindre à la patinoire, elle n’avait pas pris en considération que, depuis les récents événements, le visage de Sonny avait été publié dans plusieurs revues et quotidiens.

On n’avait vraiment pas besoin de ça!

Si elle sortait de là avec lui, elle courrait le risque qu’un fan curieux les immortalise ensemble et elle se retrouverait sur les réseaux sociaux le jour suivant, avec de nombreuses allusions à une éventuelle liaison. Peut-être que Johnny y croirait; c’était la dernière chose qu’elle voulait.

Elle réfléchit quelques secondes; puis, poussée par le désir de fuir, elle se joignit à un petit groupe de personnes qui prenaient la sortie. Avant de refermer la porte en verre qui donnait sur l'extérieur, elle se tourna vers Sonny, qui la regardait maintenant d’un air perdu, avec dans la main le feutre qu’il avait utilisé pour les autographes.

La petite brune à côté de lui réclama son attention en lui montrant la surface du patin où il devait apposer sa signature, mais il l’ignora: il continuait à fixer Loreley.

Elle hocha très légèrement la tête.

Désolée, Sonny! lui dit-elle en remuant à peine les lèvres et en écartant les bras. On se verra une autre fois. Elle sortit ensuite d’un pas rapide et ne ralentit que lorsqu’elle fut à bonne distance du bâtiment bleu et rouge.

Elle marcha le long de la jetée et s’arrêta dans le petit parc jouxtant le centre sportif, l'Hudson River Park, bien que la journée ne se prête pas vraiment à une promenade: de gros nuages couvraient le ciel, annonçant une averse. Elle sentait déjà l’humidité dans l’air, mais elle se fichait d’être mouillée.

Elle était encore déboussolée par sa rencontre avec Sonny. Et continuait à se répéter qu’elle devait oublier ce qu’il s’était passé et poursuivre sa vie comme avant, mais elle n’y arrivait pas.

Dans tous les cas, elle tenait trop à Johnny pour risquer de le perdre à cause d’une stupide frasque de poivrote: elle devait y remédier avant qu’il ne soit trop tard. Mais que pouvait-elle faire?

Elle s’assit sur un banc pour reposer ses jambes. Elle sourit en secouant la tête: après son comportement, Sonny allait probablement se tenir à l'écart. Elle avait mis de la bonne volonté à éclaircir la situation, mais le destin avait décidé que ce n’était pas encore le bon moment.

Loreley franchit le seuil de la maison à six heures et le silence absolu l'accueillit. Sur le canapé d’angle, où elle trouvait généralement Johnny étendu le soir, les coussins étaient à leur place. Elle l’appela à voix haute. Ne recevant aucune réponse, elle alla contrôler qu’il ne travaillait pas dans son bureau: chaque fois qu’il s’enfermait là, il s’isolait du reste du monde. Elle alluma, mais tout était comme il l’avait laissé le matin, jusqu’au sweat-shirt jeté sur le bras du fauteuil. Elle trouva la chambre à coucher vide également.

Il n’était pas encore rentré.

Elle ramassa une paire de chaussettes noires de Johnny sur le sol et les jeta dans le panier de linge sale: il ne perdrait jamais sa mauvaise habitude de les laisser traîner partout dans la pièce.

Après avoir enfilé un tablier, elle alla à la cuisine pour tenter de préparer un dîner qu’il pourrait considérer comme tel. Elle sortit du poisson du frigo et enleva les écailles sous l’eau courante afin qu’elles ne se répandent pas partout, comme le lui avait appris Mira, sa domestique, qui était chez ses parents ce week-end. Loreley voulait profiter de son absence pour passer une soirée seule avec son compagnon, comme au début de leur relation. Elle pela quelques pommes de terre, les coupa en cubes et les mit dans un plat avec le poisson, espérant ne pas en faire de la purée ou du charbon de bois.

Après avoir tout enfourné, elle prit une douche rapide, mit de la lingerie en dentelle et des bas auto-fixants, et revêtit une courte robe bleue, à la coupe diagonale. Elle coiffa ses cheveux vers l’arrière, sur la nuque, et les coinça dans une barrette ouvragée. Elle termina par une légère touche de maquillage.

Elle dressa soigneusement la table, plaçant un vase en verre et une bougie allumée au centre.

Le temps passait, mais pas l'ombre d’un Johnny. Elle l'attendit patiemment. Le dîner refroidissait et la bougie avait fondu de moitié.

Un message arriva sur son téléphone à huit heures:

Ne m’attends pas, je mange dehors avec Ethan.

Elle soupira: d’habitude, il sortait avec Ethan après le dîner, une fois par semaine pour ne pas “perdre leur amitié”, comme il disait pour justifier ses soirées avec lui. Elle espéra que cette exception ne deviendrait pas une constante. Il n’avait même pas perdu son temps à lui téléphoner avant qu’elle ne se mette aux fourneaux, chose qui lui pesait comme il le savait. Elle devait se résigner à se mettre à table seule. Elle se sentit déçue: pour une fois qu’elle avait l'impression d’avoir préparé un plat correct, Johnny n’était pas là pour l’apprécier.

Loreley ne perdit pas de temps à débarrasser: elle mit le poisson et les pommes de terre dans un récipient, qu’elle rangea dans le frigo, et alla se coucher. Elle était vraiment fatiguée et devait encore récupérer le sommeil perdu la nuit précédente pour étudier l’affaire Wallace.

Le matin qui suivit, elle vit Johnny à côté d’elle, qui dormait en ronflant: cela lui arrivait quand il buvait trop. Étrange qu’elle ne l’ait pas entendu rentrer.

Qui sait à quelle heure il était revenu!

Elle regarda le réveil: neuf heures et demie. Elle repoussa les couvertures et entendit Johnny marmonner un juron avant de se tourner de l’autre côté: il ne travaillait pas le samedi et s’il voulait dormir, il était libre de le faire.

Loreley enfila sa robe de chambre bleue en épais satin et, après s’être rafraîchie le visage, alla à la cuisine. Elle se sentait ralentie dans ses mouvements ce matin, comme si elle était encore sous l’effet du sommeil. Elle avait pourtant beaucoup dormi cette nuit. Elle avait besoin d’une bonne dose de café pour se réveiller complètement.

Elle allait le verser dans la tasse quand elle sentit une présence derrière elle. Elle se retourna et vit Johnny; ses cheveux courts étaient dressés sur l’avant de son crâne et le blanc de ses yeux était rougi, entourés de cernes bien visibles qui révélaient une insomnie.

«Tu m’en verses un peu aussi? lui demanda-t-il en se grattant une joue à la barbe naissante.

–Je ne pensais pas que tu te lèverais maintenant.»

Elle l’entendit murmurer quelque chose d’incompréhensible mais évita de lui faire répéter. Il se réveillait parfois de mauvaise humeur et ce devait être le cas ce matin, parce qu’au-delà de son expression sérieuse, il ne lui avait même pas donné le bref et coutumier bisou de bonjour.

Johnny but son café debout et posa brutalement la tasse sur la table.

«Qu’est-ce que tu veux manger? lui demanda-t-elle en le regardant, perplexe.

–Je n’ai pas faim.

–Tu peux me dire ce que tu as ce matin? lui demanda-t-elle en croisant les bras et en se plantant devant lui.

–Problèmes de boulot.

–Je peux savoir?

–Je sais que tu ne me laisseras pas tranquille tant que je ne te l'aurai pas dit. Il se gratta la nuque. Je dois travailler sur un projet, mais pour le faire au mieux, je dois voir l’endroit en personne.

–Et où est le problème?

Il émit un bruit qui ressemblait à un rire sarcastique.

–Où est le problème…, répéta-t-il irrité. Le problème est que cet endroit se trouve à Paris.

Loreley le regarda, alarmée.

–Paris? Ne me dis pas que tu dois de nouveau partir!

–Ce n’est pas certain, mais il y a beaucoup de probabilités que je doive y aller. Et ça ne me va pas du tout de refaire un voyage aussi rapidement après la dernière fois.

–Quand le sauras-tu pour de bon?

–D’ici mercredi. Si ça se passe comme je le pense, je devrai partir le week-end prochain.

–Tu es rentré de Californie depuis quand? Même pas trois semaines… Et tu t’en vas de nouveau!

–Los Angeles n’a rien à voir avec le boulot, tu le sais. Je suis déjà agacé, n’en remets pas une couche!

Loreley tenta de garder son calme.

–Je mets un survêtement et je vais courir: j'ai besoin de me défouler, lui annonça-t-il avec un pied déjà hors de la cuisine.

–Je prépare quelque chose entretemps: j'ai faim, et tu l'auras peut-être aussi en rentrant de ta course.»

Johnny se dirigea vers la chambre et Loreley se concentra sur le petit-déjeuner. Comment faisait-on des pancakes? Ah oui: œufs, farine, sucre… Et quelque chose d’autre. Bon sang, elle ne se rappelait plus très bien! Elle prit son téléphone, fit une recherche sur internet et trouva la recette une minute plus tard. Elle la lut rapidement et se mit immédiatement au travail.

Alors qu’elle grillait le pain, elle entendit la sonnerie de son téléphone privé. Elle éteignit le grille-pain et courut répondre. Elle bondit de joie en reconnaissant la voix de son interlocuteur.

«Salut ma belle. Je t'ai manqué?

–Hans, comment tu vas? Tu es où? Elle s’assit sur un tabouret, à côté du comptoir de la cuisine.

–Je vais bien, ne t'inquiète pas. Ester et moi sommes rentrés à la maison.

–Vraiment? Il était temps!

Elle imagina qu’il souriait.

–Ne sois pas jalouse…

–Je ne le suis pas. Et Ester, où est-elle?

–Près de moi, elle te salue.

–Moi aussi. Je suis contente que vous soyez de nouveau en ville.

–Nous un peu moins, mais c’est comme ça. Je t’ai appelée pour te dire que maman voudrait qu’on aille manger chez elle, demain. Ça lui ferait plaisir de nous revoir tous ensemble.

–Si ça va pour toi, aucun problème pour moi: je le dis à Johnny et je tiens au courant.

–J'espère te voir demain.

–J'espère aussi. Salut!»

Le téléphone encore à la main, Loreley commença à réfléchir à comment parler de l'invitation à Johnny. Le samedi, il aimait aller se balader en moto, et regarder des matchs de football le dimanche. En deux ans de cohabitation, les fois où ses parents l’avaient vu se comptaient sur les doigts de la main, bien qu’ils vivent tout près: leurs maisons n’étaient séparées que par Central Park, de son côté le plus court. Le convaincre d’accepter l’invitation allait être tout sauf facile.

Comme elle l’avait bien imaginé, toute sa nature diplomatique et sa stratégie d’avocate furent nécessaires pour convaincre Johnny de l’accompagner. Elle fit pression sur le fait qu’Ester et Hans avaient été déçus de son absence à leur mariage, et que le minimum qu’il puisse faire pour remédier à ce manquement serait d’être présent au repas que ses parents organisaient pour le retour à la maison des jeunes mariés.

«Tu veux me faire culpabiliser pour quelque chose qui ne dépendait pas de moi?

–Je te suggère juste comment agir pour ne pas heurter les sentiments de ma famille.

Elle le vit soupirer et se lever de table.

–D’accord! Mais je le fais pour toi, lui dit-il en la pointant du doigt. Tu as de la chance que les Giants ne jouent pas cette semaine…

Loreley s’approcha de lui et l'enlaça avec enthousiasme, puis leva la main derrière ses épaules et forma un “v” de son index et de son majeur: Victoire!

–Merci! Demande-moi tout ce que tu veux et je te satisferai.»

***

À neuf heures pile le jour suivant, Loreley était accrochée à Johnny, assise derrière lui sur une moto de grosse cylindrée, pour une balade dans les rues de New York: il y avait peu de trafic un dimanche à cette heure, loin de Manhattan.

“Demande-moi tout ce que tu veux et je te satisferai” lui avait-elle dit la veille: elle aurait dû imaginer que la proposition serait un tour en moto, sa deuxième passion après le football. En outre, il savait combien elle détestait les deux-roues et elle soupçonnait que cette manoeuvre était destinée à l'obliger à retourner la faveur.

Elle détestait le casque intégral qui lui collait les cheveux sur la tête, gâchant sa coiffure. Elle avait parfois l'impression de ne pas pouvoir respirer normalement et cela la rendait nerveuse au point de faire osciller la moto. Bien que Johnny lui ait recommandé d'accompagner le mouvement du véhicule de son corps dans les tournants au lieu de s'y opposer, ce n'était pas chose facile pour elle.

Presque trois heures s'écoulèrent avant que cette torture ne s'achève. Quand Loreley remit enfin pied à terre, elle avait l'impression de léviter.

Il était midi moins dix. Elle fila à la maison pour prendre une douche rapide, renonçant à se pomponner: elle enfila une paire d'épais jeans, un chandail bleu clair et une paire de bottines en daim.

John monta à la maison alors qu'elle était déjà prête. Il ne prit pas de douche: ils étaient déjà en retard. Il ôta juste son blouson pour en mettre un autre un peu plus élégant, et changea de chaussures.

Ils coupèrent par le parc dans la voiture de Loreley et arrivèrent du côté opposé, dans l'East Side de Manhattan.

Ce fut Hans qui leur ouvrit la porte.

Loreley l'embrassa. «Salut, grand frère!

–Eh, je ne suis pas parti de la maison si longtemps que ça, dit-il en se laissant enlacer.

–C'est quoi toutes ces sensibleries? grommela Albert, le père. Vous êtes en retard et j'ai faim. Tu sais que je ne supporte pas d'attendre pour manger.

–C'est ma faute. Je l'ai emmenée faire un tour en moto et on a pris du retard, intervint John.

–Quoi? Albert semblait furieux. Comment as-tu pu emmener ma petite sur cet engin infernal?» lâcha-t-il encore. Son imposante stature domina le jeune homme, le faisant passer pour une brindille à côté de lui.

Loreley leva les yeux au ciel. «Johnny, mon père déteste les motos encore plus que moi.

–Tu dois bien avoir pris ça de quelqu'un, lui murmura-t-il avec une grimace de déception. J'ai été très prudent et j'ai pris mon temps» se défendit-il.

Ellen Lehmann s'approcha de son mari. «Tu es toujours le même râleur, lui reprocha-t-elle d'un ton qui semblait à peine contenir son irritation. Venez manger, allez, tout est prêt» ajouta-t-elle en souriant à ses invités.

«Loreley, comme je suis contente de te revoir, lui dit sa belle-soeur en l'embrassant. Viens t'asseoir à côté de moi.»

Une fois la mauvaise humeur initiale passée, les conversations entre les jeunes furent joyeuses, tandis que celle entre leurs hôtes semblait réduite à quelques phrases de politesse.

De temps à autre, Loreley regardait tour à tour sa mère et son père, et la sensation de tension qu'elle percevait entre eux lui coupait l'appétit. Johnny, au contraire, mangeait sans se perdre en compliments, comme il le faisait à la maison. Elle essayait toujours de suivre son rythme et se retrouvait avec un poids sur l'estomac; cette fois cependant, elle grignota et refusa le dessert.

Mais son estomac la dérangeait. Elle avait même eu une sensation de nausée quelques heures auparavant. Peut-être la balade en moto.

Le repas terminé, ils levèrent leur verre pour trinquer au retour des époux. Au tintement des verres, succéda un baiser du couple célébré.

«Je suis tellement contente pour toi, dit Loreley à sa belle-soeur en sortant sur la terrasse clôturée de grandes fenêtres: tout autour, un ornement de plantes à feuilles persistantes arrivait jusqu'au plafond. Les hommes avaient pris place sur le canapé du séjour pour se ravitailler en alcools forts.

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