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L'Espion
Parfois, lorsque je reçois le journal sur mon porche, je me demande si tout ce que je lis sera la vérité. Il y a des nouvelles qui semblent absolument fausses, comme si c’était la faute au gouvernement. Même s’il fait quelque temps que je pris ma retraite, j’en suis sûr que le gouvernement aura continué à travailler au bénéfice de la patrie, ou comme mon supérieur de l’académie aimait nous dire: «La liberté n’est pas un cadeau qu’on reçoit de plein droit, il faut la prendre par la force».
Au moment de ma retraite, je découpais les nouvelles les plus bêtes des journaux (une plateforme pétrolière qui avait coulé à cause d’un tsunami, une explosion de gaz dans une région de l’Alaska…), tous ces informations sans rapports évidents, qui ne faisaient pas de sens, et j’essayais de deviner la vérité des événements. Lorsque je travaillait, je ne devais pas jouer au devinettes parce que je connaissais les faits, qui avait fait telle ou telle chose, combien de morts il y avait et comment nous allions tout justifier. Bien que les informations publiées aient été complètement absurdes, personne ne se posait de questions, même pas les familles des victimes, qui respiraient tranquilles avec les versions officielles, sans plus y réfléchir.
Quelques mois après, j’avais déjà une telle quantité de coupures et une idée si lointaine de ce qui se passait en réalité, que je décidai d’abandonner le travail. Il était impossible d’apprendre la vérité et de savoir si ces nouvelles étaient reliées en quelque sorte. En échange, quand je lis maintenant les journaux et je me croise avec l’une des nouvelles absurdes, je souris et je pense: Qu’est-ce qu’ils auront fait cette fois-ci?
Je dois admettre que je trouvai quelques aspects un peu bizarre dans toute cette histoire des espions… Je comprends qu’il était nécessaire d’avoir nos ennemis sous notre contrôle, mais je pense que parfois les menaces n’étaient pas tout à fait réelles et, de fait, c’était notre gouvernement qui essayait de «faire monter la température» pour avoir une réaction de la part des ennemis.
Je ne vois pas trop le sens de perdre la paix et la stabilité d’une période de calme, mais apparemment quelqu’un dans la haute hiérarchie devait s’ennuyer et profitait du moment pour embêter les ennemis et leur faire réagir. Il y a plein d’histoires et beaucoup d’entre elles ne portent pas sur un heureux dénouement, voilà pourquoi je me pose des questions sur les vrais propos qui se cachent derrière. C’est clair que les commerçants d’armes sont toujours très intéressés aux guerres du gouvernement et à qu’il soit toujours vigilant, qu’elles soient peu importantes ou très graves. Néanmoins, de l’autre côté nous avions aussi tous les militaires, dont l’existence n’aurait pas de sens dans un pays pacifique, et tous les politiciens qui construisent leurs discours sur la base du patriotisme et sur la lutte contre les ennemis. Qu’est-ce qu’ils feraient sans guerres? Comment pourraient-ils justifier toutes leurs dépenses?
Tous avaient le même objectif: maintenir un haut niveau d’action et d’intervention contre les ennemis, même si les ennemis changent au cours des années. Les nations alliées devenaient des cibles stratégiques, d’autres ennemis apparaissaient et, paradoxalement, les ennemis typiques de toute une vie devenaient des alliés essentiels dans une région spécifique.
En dépit d’avoir toutes les informations, je n’arrivais pas à résoudre toute l’équation ni ne comprenais les mouvements impliqués. Beaucoup de détails m’échappaient même si j’avais plus d’informations que certains généraux du gouvernement.
Toutefois, si l’on regardait toute la situation comme un échiquier, mon rôle avait évolué d’un simple pion à devenir une tour qui protégeait les secrets du gouvernement loin des pièces centrales, celles qui prennent en réalité toutes les décisions. Ah! Maintenant que nous parlons des échecs, je ne sais pas comment je peux continuer à jouer tous les jours avec mon problème de mémoire.
Je fus obligé à apprendre à jouer. Au début il me semblait un peu particulier, mais il m’aidait beaucoup à maintenir l’agilité mentale et à travailler avec les mathématiques. Cependant, peu après je n’avais plus d’adversaires parce que le reste perdait tout le temps et ils ne voulaient plus jouer avec moi, alors je dus apprendre à jouer tout seul. Je me trouvais face à un échiquier complètement pour moi et cela posait le problème de connaître les stratégies de l’autre couleur quand je changeait de position et m’obligeait à chercher des nouvelles stratégies pour repousser mes propres attaques. Enfin, les parties pourraient être interminables et je pouvais passer des jour à essayer de gagner.
Désolé, allons aux faits. Il était davantage difficile de suivre les parties d’échecs avec mon problème de mémoire parce que, à chaque fois que je me levais pour faire un truc, j’oubliais la couleur avec laquelle j’étais en train de jouer. C’est pourquoi je commençai à écrire des notes du genre «C’est le tour des blanches» avant de me lever, mais après j’oubliais même d’écrire ces notes et quand je regardais l’échiquier pour deviner ce qu’il fallait faire après, il me semblait aussi très difficile de penser aux mouvements.
C’était si étrange! Je me vantais avant de pouvoir visualiser toute la partie avant de la commencer, j’étais même capable de pronostiquer le mouvement avec lequel j’allais gagner la partie et maintenant, par contre, je n’arrivais pas à me concentrer pour savoir quoi faire. Il est justement de cette manière que le jeu des échecs est devenu une autre des bricoles que j’ai à la maison et qui après être utiles pendant des années, maintenant elles ne servent qu’à décorer la maison. Plein de ses objets sont cachés dans des tiroirs pour déblayer le terrain, mais je ne sais plus qu’est-ce qu’il y a dedans. Parfois je passe mon temps à ouvrir les tiroirs pour voir ce que je peux trouver et c’est surprenant! J’ai l’impression de voir certains objets pour la première fois, mais il est impossible parce que s’ils sont là, c’est que je les ai mis dedans. De toute façon je n’arrive jamais à me souvenir du moment ou de l’endroit où je les ai achetés. Est-ce qu’ils étaient à moiou ils étaient à quelqu’un d’autre qui me les avait prêtés? Et à quoi sert ce truc-là?
Même les plantes dont ma femme s’occupait avec tout sa tendresse sont tombées dans l’oubli. Bien qu’elle m’ait répété à chaque fois «Arrose-les un peu avant la sieste et elles resteront toujours avec toi», je fus incapable de me souvenir de cette petite instruction et à la fin elles se desséchèrent. Parfois la femme de ménage m’apporte une petite nouvelle plante pour égayer la maison, selon elle, et souvent elle m’indique à quelle fréquence je dois les arroser, mais les pauvres ne survivent jamais.
Je pense que je suivis déjà assez d’ordres dans ma vie et que j’ai largement accompli mon devoir patriotique, pour ainsi dire. Heureusement, je n’eus jamais besoin d’utiliser les armes, mais je ne suis naïf non plus, je sais que toutes ces informations sauvèrent la vie de beaucoup de monde, mais qu’elles menèrent d’autres personnes (surtout des espions du camp opposé) à la mort.
Heureusement pour tout le monde, les mathématiques sont limités et bien que nous manquions pas de fantaisie, il y aura toujours au moins un élément qui pourra être utilisé pour déchiffrer nos message. Il faut seulement consacrer du temps et faire un effort.
En agissant de cette manière, nous étions toujours au courant des avancées des ennemis, même si dans beaucoup d’occasions c’était mieux de ne pas intervenir pour ne pas montrer que nous pouvions lire leurs messages. Plus tard tout devint plus compliqué.
Après la Seconde Guerre Mondiale, notre pays obtint un rôle essentiel, puisque nous ne protégions plus seulement nos frontières, mais la paix du monde, alors tout notre travail devint plus difficile et je fus envoyé en Europe, où nous avions tous nos intérêts politiques à ce moment-là.
La menace des Nazis avait mis en échec tous les systèmes d’intelligence européens, et notamment le notre en dépit d’être si loin, quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre. A ce moment-là, personne ne croyait à ce que ce mouvement populaire entraînerait un véritable danger, ni ne pouvait imaginer tout ce qui viendrait après, une catastrophe qui ne doit plus se reproduire. C’est pourquoi je fus envoyé là-bas, pour apprendre tout genre de détails dans l’évolution des européens en matière de décryptage et, à ma grande surprise, dans les dernières années ils avaient fait pas mal d’avancées. Je pus aussi me rendre compte des importantes avancées technologiques qui ont lieu en temps de guerre, et je ne parle pas seulement du développement de l’armement.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une question de survivance ou s’il y aura d’autres facteurs impliqués, mais c’est évident qu’on fait des vrais progrès quand on trouve des menaces imminentes, et l’Europe est la preuve vivante. Il y eut toujours des menaces, d’un côté ou de l’autre, et il est clair qu’ils ont beaucoup avancé et qu’ils ont dépassé tous ces adversaires pour devenir des références mondiales dans des domaines multiples, même si ils durent se reconstruire depuis leurs fondations après la Seconde Guerre Mondiale.
Alors, j’en viens au fait! Je fus envoyé en Europe en tant que diplomate ou en tant qu’attaché culturel avec une mission: apprendre tout ce que je pouvais avec nos alliées (comme on leur appelait à l’époque) et, en échange, notre gouvernement leur offrait de l’assistance tactique pour aider à reconstruire leurs villes et leurs villages.
Au début tout se passait à merveille… c’est bon, pas tout! Après l’incident en Espagne j’appris à ne pas tenir les choses pour acquis et à assurer mes arrières. Quelqu’un avait essayé de me rayer de la carte et je ne m’étais pas rendu compte. Ces fausses instructions que je n’avais jamais vues m’avaient mis derrière les barreaux en attente d’un procès militaire.
Heureusement, à l’époque il restait encore quelques personnes qui ne me considéraient pas un traitre et qui tirèrent les ficelles pour m’aider à sortir du pays. Si je rentrais jamais en Espagne, je serais jugé sous peine de mort.
Je pensai vraiment que l’exile était beaucoup mieux que la mort, mais ils me laissèrent aux frontières avec la France, sans savoir quoi faire. Je n’étais pas encore à l’abri, je devais chercher une ambassade ou une base militaire pour essayer de contacter mon commandement, leur dire que je vivais et demander mes ordres.
Après tous genre de souffrances et de difficultés, je me débrouillai pour arriver en Angleterre, où je me sentis comme chez-moi. Je leur montrai mes documents à la frontière et, ensuite, ils m’envoyèrent à la base militaire la plus proche pour vérifier mon histoire. Quand ils furent sûrs que je disais la vérité, tout devint beaucoup plus simple.
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