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Private Letters of Edward Gibbon (1753-1794) Volume 2 (of 2)
For my own part, my late journey has only confirmed me in the opinion, that No. 7 Bentinck-street is the best house in the World. I find that peace and war alternately, and daily, take their turns of conversation, and this (Friday) is the pacific day. Next week37 we shall probably hear some questions on that head very strongly asked, and very foolishly answered. I embrace, &c. Give me a line by return of post, and possibly I may visit Downing-street on Monday evening; late, however, as I am engaged to dinner and cards. Adieu.*
E. G.456.
To his Stepmother
Feb. 19th, 1783.Dear Madam,
On Monday or rather Tuesday last we gave the first blow to Lord S.'s Government by a majority of sixteen in the House of C. on the Peace, which will be followed by new and decisive attacks.38 The victory was obtained by the union of Lord North with Fox and the Rockingham party. – You would have blamed me for going, or rather being carried, down with flannels and crutches, and sitting all night till past eight in the morning: but I have the pleasure of assuring you that the heat and fatigue have done me no harm, that I have already changed my two crutches into a single stick, which I hope to throw away in three or four days. This fit of the Gout, though severe, has been short, regular, and I think beneficial. Adieu.
I amEver yours,E. Gibbon.457.
To his Stepmother
March 29th, 1783.Dear Madam,
RESIGNATION OF LORD SHELBURNE.
Will you credit and excuse the cause of my delay? I came home late and found your letter on my table: meaning to read it the next morning, I slipt it into my drawer, and till this moment it escaped my memory and my eye. – I would not bribe you to prefer my silence, yet you may always take it as an assured proof that the body Gibbon is in a perfect state of health and spirits, as it is most truly at the present moment, and since the entire retreat of my Gout. The state of public affairs is Anarchy without example and without end,39 and if the King does not decide before Monday, the consequences to the House of Commons will be fatal indeed. Every day produces its own lye, and nothing that is probable is true. Yet I believe that Pitt will not accept, and that the Coalition must succeed.
I am, Dear Madam,Ever yours,E. Gibbon.458.
To his Stepmother
March 31st, 1783.Dear Madam,
THE COALITION MINISTRY.
In my last, written like this in a very great hurry, I used (if I am not mistaken) an expression which at a distance might alarm you too much. The fatal Monday is past without any fatal consequences, yet no Administration is appointed; but as Pitt has formally resigned,40 the K. will probably yield without expecting a second and more serious address on Thursday. – I rejoyce to hear that you have surmounted your complaint, and hope you will feel every day the genial influence of the spring.
I amEver yours,E. G.459.
To his Stepmother
May 5th, 1783.Dear Madam,
My cousin Robert Darrel gave me great pleasure by the information that he thought you perfectly recovered from your late indisposition. I depend on his testimony, which removed all my doubts and suspicions of your giving too favourable an account of yourself. For my own part, after paying my annual tribute to the gout, I find myself in the same even course of health and spirits which I have enjoyed for many years. The business of the house of Commons has been postponed by waiting first for peace and afterwards for Government; the long hot days will be crowded, and we shall wrangle with a strong June sun shining through the windows to reproach our folly.41 I have already made one short visit to my Cottage at Hampton Court; I propose every week to steal away like a Citizen from Saturday till Monday, and persuade myself that I shall be revived by such excursions. You express a kind indignation against the persons for whose sake I acted the devil upon two sticks. Notwithstanding their apparent neglect I have reason to think them well inclined towards me, and have even received some assurances, but as every thing that depends on ministers is precarious and uncertain, I would not raise too much either your hopes or my own. If any situation42 permanent and proper could be obtained, incompatible with a seat in parliament, I should retire from that Assembly without the least reluctance.
I am, Dear Madam,Ever yours,E. G.460.
A M. Deyverdun, à Lausanne
A Londres, ce 20 Mai, 1783.*Que j'admire la douce et parfaite confiance de nos sentimens réciproques! Nous nous aimons dans l'éloignement et le silence, et il nous suffit à l'un et à l'autre, de savoir de tems en tems des nouvelles de la santé et du bonheur de son ami. Aujourd'hui j'ai besoin de vous écrire; je commence sans excuses et sans reproches, comme si nous allions reprendre la conversation familière du jour précédent. Si je proposois de faire un compte rendu de mes études, de mes occupations, de mes plaisirs, de mes nouvelles liaisons, de ma politique toujours muette, mais un peu plus rapprochée des grands événemens, je multiplierois mes in quarto, et je ne sais pas encore votre avis sur ceux que je vous ai déjà envoyés. Dans cette histoire moderne, il seroit toujours question de la décadence des empires; et autant que j'en puis juger sur mes réminiscences et sur le rapport de l'ami Bugnon, vous aimez aussi peu la puissance de l'Angleterre que celle des Romains. Notre chute, cependant, a été plus douce. Après une guerre sans succès, et une paix assez peu glorieuse, il nous reste de quoi vivre contens et heureux; et lorsque je me suis dépouillé du rôle de Membre du Parlement, pour redevenir homme, philosophe, et historien, nous pourrions bien nous trouver d'accord sur la plupart des scènes étonnantes qui viennent de se passer devant nos yeux, et qui fourniront une riche matière aux plus habiles de mes successeurs.
Bornons nous à cette heure à un objet moins illustre sans doute, mais plus intéressant pour tous les deux, et c'est beaucoup que le même objet puisse intéresser deux mortels qui ne se sont pas vûs, qui à peine se sont écrit depuis – oui, ma foi – depuis huit ans. Ma plume, très paresseuse au commencement, ou plutôt avant le commencement, marche assez vîte, lorsqu'elle s'est une fois mise en train; mais une raison qui m'empêcheroit de lui donner carrière, c'est l'espérance de pouvoir bientôt me servir avec vous d'un instrument encore plus commode, la langue. Que l'homme, l'homme anglois, l'homme Gibbon, est un sot animal! Je l'espère, je le désire, je le puis, mais je ne sais pas si [je] le veux, encore moins si j'exécuterai cette volonté.
Voici mon histoire, autant qu'elle pourra vous éclairer, qu'elle pourra m'éclairer moi-même, sur mes véritables intentions, qui me paroissent très obscures, et très équivoques; et vous aurez la bonté de m'apprendre quelle sera ma conduite future. Il vous souvient, Seigneur, que mon grandpère a fait sa fortune, que mon père l'a mangée avec un peu trop d'appétit, et que je jouis actuellement du fruit, ou plutôt du reste, de leurs travaux. Vous n'avez pas oublié que je suis entré au Parlement sans patriotisme, sans ambition, et que toutes mes vues se bornoient à la place commode et honnête d'un Lord of Trade. Cette place, je l'ai obtenue enfin; je l'ai possédée trois ans, depuis 1779 jusqu' à 1782, et le produit net, qui se montoit à sept cens cinquante livres sterling, augmentoit mon revenu au niveau de mes besoins et de mes désirs. Mais au printems de l'année précédente, l'orage a grondé sur nos têtes: Milord North a été renversé, votre serviteur chassé, et le Board même, dont j'étois membre, aboli et cassé pour toujours par la réformation de M. Burke, avec beaucoup d'autres places de l'Etat, et de la maison du Roi.
HIS VIEW OF ENGLISH POLITICS.
Pour mon malheur, je suis toujours resté Membre de la Chambre basse: à la fin du dernier Parlement (en 1780) M. Eliot à retiré sa nomination; mais la faveur de Milord North a facilité ma rentrée, et la reconnoissance m'imposoit le devoir de faire valoir, pour son service, les droits que je tenois en partie de lui. Cet hyver nous avons combattu sous les étendards réunis (vous savez notre histoire) de Milord North et de M. Fox; nous avons triomphé de Milord Shelburne et de la paix,* et mon ami (je n'aime pas à profaner ce nom) a remonté sur sa bête en qualité de secretaire d'Etat. C'est à présent qu'il peut bien me dire ç'etoit beaucoup pour moi, ce n'etoit rien pour nous, et malgré les assurances les plus fortes, j'ai trop de raison pour avoir de la foi. *Avec beaucoup d'esprit, et des qualités très respectables, notre homme* a la demarche lente et le cœur froid. Il *n'a plus ni le titre, ni le crédit de premier ministre; des collègues plus actifs lui enlèvent les morceaux les plus friands, qui sont aussitôt dévorés par la voracité de leurs créatures; nos malheurs et nos réformes ont diminué le nombre des graces; par orgueil ou par paresse, je solicite assez mal, et si je parviens enfin, ce sera peut-être à la veille d'une nouvelle révolution, qui me fera perdre dans un instant, ce qui m'aura coûté tant de soins et de recherches.
Si je ne consultois que mon cœur et ma raison, je romprois sur le champ cette indigne chaine de la dépendance; je quitterois le Parlement, Londres, l'Angleterre; je chercherois sous un ciel plus doux, dans un pays plus tranquille, le repos, la liberté, l'aisance, et une société éclairée, et aimable. En attendant la mort de ma belle-mere et de ma tante je coulerois quelques années de ma vie sans espérance, et sans crainte, j'acheverais mon histoire, et je ne rentrerois dans ma patrie qu'en homme libre, riche, et respectable par sa position, aussi bien que par son caractère. Mes amis, et surtout Milord Sheffield, (M. Holroyd) ne veulent pas me permettre d'être heureux suivant mon goût et mes lumières. Leur prudence exige que je fasse tous mes efforts, pour obtenir un emploi très sûr à la vérité, qui me donneroit mille guinées de rente, mais qui m'enleveroit cinq jours par semaine. Je me prête à leur zèle, et je leur ai promis de ne partir qu'en automne, après avoir consacré l'été à cette dernière tentative. Le succès, cependant, est très incertain, et je ne sais si je le désire de bonne foi.
Si je parviens à me voir exilé, mon choix ne sera pas douteux. Lausanne a eu mes prémices; elle me sera toujours chère par le doux souvenir de ma jeunesse. Au bout de trente ans, je me rappelle les polissons qui sont aujourd'hui juges, les petites filles de la société du Printems, qui sont devenues grand-mères. Votre pays est charmant, et, malgré le dégoût de Jean Jacques, les mœurs, et l'esprit de ses habitans, me paroissent très assortis aux bords du lac Léman. Mais un trésor que je ne trouverois qu'à Lausanne, c'est un ami qui me convient également par les sentimens et les idées, avec qui je n'ai jamais connu un instant d'ennui, de sécheresse, ou de réserve. Autrefois dans nos libres épanchemens, nous avons cent fois fait le projet de vivre ensemble, et cent fois nous avons épluché tous les détails du Roman, avec une chaleur qui nous étonnoit nous mêmes. A présent il demeure, ou plutôt vous demeurez, (car je me lasse de ce ton étudié,) dans une maison charmante et commode; je vois d'ici mon appartement, nos salles communes, notre table, et nos promenades; mais ce marriage ne vaut rien, s'il ne convient pas également aux deux époux, et je sens combien des circonstances locales, des goûts nouveaux, de nouvelles liaisons, peuvent s'opposer aux desseins, qui nous ont paru les plus agréables dans le lointain. Pour fixer mes idées, et pour nous épargner des regrets, il faut me dévoiler avec la franchise dont je vous ai donné l'exemple, le tableau extérieur et intérieur de George Deyverdun. Mon amour est trop délicat, pour supporter l'indifférence et les égards, et je rougirois d'un bonheur dont je serois redevable, non à l'inclination, mais à la fidélité de mon ami.
PROPOSES TO SETTLE ABROAD.
Pour m'armer contre les malheurs possibles, hélas! peut-être trop vraisemblables, j'ai essayé de me détacher de la pensée de ce projet favori, et de me représenter à Lausanne votre bon voisin, sans être précisément votre commensal. Si j'y étois réduit, je ne voudrois pas tenir maison, autant par raison d'économie, que pour éviter l'ennui de manger seul. D'un autre côté, une pension ouverte, fut-elle montée sur l'ancien pied de celle de Mesery, ne conviendroit plus à mon age, ni à mon caractère. Passerois-je ma vie au milieu d'une foule de jeunes Anglois échappés du collège, moi qui aimerois Lausanne cent fois davantage, si j'y pouvois être le seul de ma nation? Il me faudroit donc une maison commode et riante, un état au dessus de la bourgeoisie, un mari instruit, une femme qui ne ressembleroit pas à Madame Pavilliard, et l'assurance d'y être reçu comme le fils unique, ou plutôt comme le frère de la famille. Pour nous arranger sans gêne, je meublerai très volontiers un joli appartement sous le même toit, ou dans le voisinage, et puisque le ménage le plus foible laisse encore de l'étoffe pour une forte pension, je ne serois pas obligé de chicaner sur les conditions pécuniaires. Si je me vois déchu de cette dernière espérance, je renoncerois en soupirant à ma seconde patrie, pour chercher un nouvel asyle, non pas à Genève, triste séjour du travail et de la discorde, mais aux bords du lac de Neufchatel, parmi les bons Savoyards de Chamberry, ou sous le beau climat des Provinces Méridionales de la France. Je finis brusquement, parceque j'ai mille choses à vous dire. Je pense que nous nous ressemblons pour la correspondance. Pour le bavardage savant ou même amical, je suis de tous les hommes le plus paresseux, mais dès qu'il s'agit d'un objet réel, d'un service essentiel, le premier courier emporte toujours ma réponse. A la fin d'un mois, je commencerai à compter les semaines, les jours, les heures. Ne me les faites pas compter trop long tems. Vale.*
461.
M. Deyverdun à M. Gibbon
Strasbourg, le 10 Juin, 1783.*Je ne saurois vous exprimer, Monsieur et cher ami, la variété, et la vivacité, des sensations que m'a fait éprouver votre lettre. Tout cela a fini par un fond de plaisir et d'espérance qui resteront dans mon cœur, jusqu'à ce que vous les en chassiez.
Un rapport singulier de circonstances contribue à me faire espérer que nous sommes destinés à vivre quelque tems agréablement ensemble. Je ne suis pas dégoûté d'une ambition que je ne connus jamais; mais par d'autres circonstances, je me trouve dans la même situation d'embarras et d'incertitude où vous êtes aussi à cette époque. Il y a un an que votre lettre, mon cher ami, m'auroit fait plaisir sans doute, mais en ce moment, elle m'en fait bien davantage; elle vient en quelque façon à mon secours.
Depuis mon retour d'Italie, ne pouvant me déterminer à vendre ma maison, m'ennuyant d'y être seul (car je suis comme vous, Monsieur, et je déteste de manger sans compagnie) ne voulant pas louer à des étrangers, j'ai pris le parti de m'arranger assez joliment au premier étage, et de donner le second à une famille de mes amis, qui me nourrit, et que je loge. Cet arrangement a paru pendant longtems contribuer au bonheur des deux parties. Mais tout est transitoire sur cette terre. Ma maison sera vuide, selon toute apparence, sur la fin de l'été, et je me vois d'avance tout aussi embarrassé et incertain, que je l'étois il y a quelques années, ne sachant quelle nouvelle société choisir, et assez disposé à vendre enfin cette possession qui m'a causé bien des plaisirs et bien des peines. Ma maison43 est donc à votre disposition pour cet automne, et vous y arriveriez comme un Dieu dans une machine qui finit l'embroglio. Voilà, quant à moi; parlons de vous maintenant avec la même sincérité.
Un mot de préambule. Quelque intéressé que je sois à votre résolution, convaincu qu'il faut aimer ses amis pour eux-mêmes, sentant d'ailleurs combien il seroit affreux pour moi de vous voir des regrets, je vous donne ici ma parole d'honneur, que mon intérêt n'influe en rien sur ce que je vais écrire, et que je ne dirai pas un mot que je ne vous disse, si l'hermite de la grotte étoit un autre que moi. Vos amis anglais vous aiment pour eux-mêmes; je ne veux moi que votre bonheur. Rappellez-vous, mon cher ami, que je vis avec peine votre entrée dans le Parlement, et je crois n'avoir été que trop bon prophète; je suis sûr que cette carrière vous a fait éprouver plus de privations que de jouissances, beaucoup plus de peines que de plaisirs; j'ai cru toujours, depuis que je vous ai connu, que vous étiez destiné à vivre heureux par les plaisirs du cabinet et de la société, que tout autre marché étoit un écart de la route du bonheur, et que ce n'étoit que les qualités réunies d'homme de lettres, et d'homme aimable de société, qui pouvoient vous procurer gloire, honneur, plaisirs, et une suite continuelle de jouissances. Au bout de quelques tours dans votre salle, vous sentirez parfaitement que j'avois bien vu, et que l'événement a justifié mes idées.
DEYVERDUN'S OFFER OF HIS HOUSE.
Lorsque j'ai appris que vous étiez Lord of Trade, j'en ai été faché; quand j'ai su que vous aviez perdu cette place, je m'en suis réjouis pour vous; quand on m'a annoncé que Milord North étoit remonté sur sa bête, j'ai cru vous voir très mal à votre aise, en croupe derrière lui, et je m'en suis affligé pour vous. Je suis donc charmé, mon cher ami, de vous savoir à pied, et je vous conseille très sincèrement de rester dans cette position, et bien loin de solliciter la place en question, de la refuser, si elle vous étoit offerte. Mille guinées vous dédommageront-elles de cinq jours pris de la semaine? Je suppose, ce que cependant j'ai peine à croire, que vous me disiez que oui: et la variété et l'inconstance continuelle de votre ministère, vous promettent-elles d'en jouir long tems constamment, et n'est-il pas plus désagréable, mon cher Monsieur, de n'avoir plus 1000 livres sterl. de rente, qu'il n'a été agréable d'en jouir? D'ailleurs ne pourrez-vous pas toujours rentrer dans la carrière, si l'ambition, ou l'envie de servir la patrie, vous reprennent; ne rentrerez-vous pas avec plus d'honneur, lorsque vos rentes étant augmentées naturellement, vous serez libre et indépendant?
En faisant cette retraite en Suisse, outre la beauté du pays, et les agrémens de la société, vous acquererez deux biens que vous avez perdus, la liberté et la richesse. Vous ne serez d'ailleurs point inutile; vos ouvrages continueront à nous éclairer, et indépendamment de vos talens, l'honnête homme, le galant homme, n'est jamais inutile.
Il me reste à vous présenter le tableau que vous trouveriez. Vous aimiez ma maison et mon jardin; c'est bien autre chose à présent. Au premier étage qui donne sur la descente d'Ouchy, je me suis arrangé un appartement qui me suffit, j'ai une chambre de domestique, deux sallons, et deux cabinets. J'ai au plein pied de la terrasse, deux autres sallons dont l'un sert en été de salle à manger, et l'autre de sallon de compagnie. J'ai fait un nouvel appartement de trois pièces dans le vuide entre la maison et la remise, en sorte que j'ai à vous offrir tout le grand appartement, qui consiste actuellement en onze pièces, tant grandes que petites, tournées au Levant et au Midi, meublées sans magnificence déplacée, mais avec une sorte d'élégance dont j'espère que vous seriez satisfait. La terrasse a peu changé; mais elle est terminée par un grand cabinet mieux proportionné que le précédent, garnie tout du long, de caisses d'orangers, &c. La treille, qui ne vous est pas indifférente, a embelli, prospéré, et règne presqu'entièrement jusqu'au bout; parvenu à ce bout, vous trouverez un petit chemin qui vous conduira à une chaumière placée dans un coin; et de ce coin, en suivant le long d'une autre route à l'anglaise, le mur d'un manège. Vous trouverez au bout, un châlet avec écurie, vacherie, petite porte, petit cabinet, petite bibliothèque, et une galerie de bois doré, d'où l'on voit tout ce qui sort et entre en ville par la porte du Chêne, et tout ce qui se passe dans ce Faubourg. J'ai acquis la vigne au-dessous du jardin; j'en ai arraché tout ce qui étoit devant la maison; j'en ai fait un tapis vert arrosé par l'eau du jet d'eau; et j'ai fait tout autour de ce petit parc, une promenade très variée par les différens points de vue et les objets même intérieurs, tantôt jardin potager, tantôt parterre, tantôt vigne, tantôt prés, puis châlet, chaumière, petite montagne; bref, les étrangers viennent le voir et l'admirent, et malgré la description pompeuse que je vous en fais, vous en serez content.
N. B. J'ai planté une quantité d'excellens arbres fruitiers.
Venons à moi; vous comprenez bien que j'ai vieilli, excepté pour la sensibilité; je suis à la mode, mes nerfs sont attaqués; je suis plus mélancolique, mais je n'ai pas plus d'humeur; vous ne souffrirez de mes maux que tout au plus négativement. Ensemble, et séparés par nos logemens, nous jouirons, vis-à-vis l'un de l'autre, de la plus grande liberté. Nous prendrons une gouvernante douce et entendue, plutôt par commodité que par nécessité; car je me chargerois sans crainte de la surintendance. J'ai fait un ménage de quatre, pendant quelque tems; j'ai fait le mien, et j'ai remarqué que cela marchoit tout seul, quand c'étoit une fois en train. Les petites gens qui n'ont que ce mérite, font grand bruit pour rien. Mon jardin nous fournira avec abondance de bons fruits et d'excellens légumes. Pour le reste de la table et de la dépense domestique, je ne demanderois pas mieux que de vous recevoir chez moi, comme vous m'avez reçu chez vous; mais nos situations sont différentes à cet égard; cependant si vous étiez plus ruiné, je vous l'offrirois sans doute, et je devrois le faire; mais avec les rentes que vous aviez, quand j'étois chez vous, en les supposant même diminuées, vous vivrez très agréablement à Lausanne. Enfin à cet égard nous nous arrangerons, comme il vous sera le plus agréable, et en proportion de nos revenus. Toujours serez vous ainsi, à ce que j'espère, plus décemment et plus comfortablement, que vous ne seriez par tout ailleurs au même prix.
SOCIETY AT LAUSANNE.
Quant à la société, quoique infiniment agréable, je commence ce chapitre par vous dire que j'éviterois de vous y inviter, si vous étiez entièrement désœuvré; les jours sont longs alors, et laissent bien du vuide; mais homme de lettres, comme vous êtes, je ne connois point de société qui vous convienne mieux. Nous aurons autour de nous un cercle, comme il seroit impossible d'en trouver ailleurs dans un aussi petit espace. Madame de Corcelles, Mademoiselle Sulens, et M. de Montolieu, (Madame est morte,) Messrs. Polier et leurs femmes, Madame de Severy, et M. et Madame de Nassau, Mademoiselle de Chandieu, Madame de St. Cierge, et M. avec leurs deux filles jolies et aimables, Mesdames de Crousaz, Polier, de Charrières, &c. font un fonds de bonne compagnie dont on ne se lasse point, et dont M. de Servan est si content qu'il regrette toujours d'être obligé de retourner dans ses terres, et ne respire que pour s'établir tout à fait à Lausanne. Il passa tout l'hyver de 1782 avec nous, et il fut, on ne peut plus, agréable. Vous trouverez les mœurs changées en bien, et plus conformes à nos ages, et à nos caractères; peu de grandes assemblées, de grands repas, mais beaucoup de petits soupers, de petites assemblées, où l'on fait ce qu'on veut, où l'on cause, lit, &c. et dont on écarte avec soin les facheux de toute espèce. Il y a le Dimanche une société, où tout ce qu'il y a d'un peu distingué en étrangères et étrangers, est invité. Cela fait des assemblées de 40 à 50 personnes, où l'on voit ce qu'on ne voit guères le reste de la semaine, et ces espèces de rout font quelquefois plaisir. Nous sommes fort dégoûtés des étrangers, surtout des jeunes gens, et nous les écartons avec soin de nos petits comités, à moins qu'ils n'ayent du mérite, ou quelques talens. A cet égard un de nos petits travers, c'est l'engouement; mais vous en profiterez, mon cher Monsieur, comme Edward Gibbon, et comme mon ami; vous serez d'abord l'homme à la mode, et je vois d'ici que vous soutiendrez fort bien ce rôle, sans vous en fâcher, dût on un peu vous surfaire. Je sens que tu me flattes, mais tu me fais plaisir, est peut-être le meilleur vers de Destouches.
Voilà donc l'hyver; l'étude le matin, quelques conversations, quand vous serez fatigué, avec quelque homme de lettres, ou amateur, ou du moins qui aura vu quelque chose; à l'heure qu'il vous plaira un dîner, point de fermier général, mais l'honnête épicurien, avec un ou deux amis quand vous voudrez: puis quelques visites, une soirée, souvent un souper. Quant à l'été, vu votre manière d'aimer la campagne, on diroit que ma remise a été faite pour vous; pendant que vous vous y promènerez en sénateur, je serai souvent en bon paysan Suisse, devant mon châlet, ou dans ma chaumière; puis nous nous rencontrerons tout à coup, et tâcherons de nous remettre au niveau l'un de l'autre. Nous fermerons nos portes à l'ordinaire, excepté aux étrangers qui passent leur chemin; mais quand nous voudrons, nous y aurons tous ceux que nous aimerons à y voir; car on ne demande pas mieux que d'y venir se réjouir. J'ai eu, un beau jour d'Avril ce printems, un déjeûner, qui m'a coûté quelques Louis, où il y avoit plus de 40 personnes, je ne sais combien de petites tables, une bonne musique au milieu du verger, et une quantité de jeunes et jolies personnes dansant des branles, et formant des chiffres en cadence; j'ai vu bien des fêtes, j'en ai peu vu de plus jolies. Quand mon parc vous ennuyera, nous aurons, ou nous louerons ensemble (et ce sera ainsi un plaisir peu cher) un cabriolet léger, avec deux chevaux gentils, et nous irons visiter nos amis dispersés dans les campagnes, qui nous recevront à bras ouverts. Vous en serez content de nos campagnes; toujours en proportion vous comprenez, et vous trouverez en général un heureux changement pour les agrémens de la société, et une sorte de recherche simple, mais élégante. Les bergères du Printems, excepté Madame de Vanberg, ne sont sans doute plus présentables, mais il y en a d'autres assez gentilles, et quoiqu'elles ne soyent pas en bien grand nombre, il y en aura toujours assez pour vous, mon cher Monsieur. Peu à peu mon imagination m'a emporte, et mon style s'égaye, comme cela nous arrivoit quelquefois dans nos châteaux en Espagne. Il est bien tems de finir cet article, résumons nous plus sérieusement.