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Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2
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Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2

Язык: Французский
Год издания: 2017
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On ne trouve nulle part, ai-je besoin de le dire, une image authentique de Jeanne. Ce qui, dans l'art du XVe siècle, avait trait à elle, se réduisait à peu de chose: il ne nous en reste presque rien, une petite tapisserie à bestions, une figurine tracée à la plume sur un registre, quelques enluminures peintes dans des manuscrits sous les règnes de Charles VII, de Louis XI, de Charles VIII, et c'est tout. Il m'a fallu contribuer à l'iconographie si pauvre de Jeanne d'Arc, non que j'eusse quelque chose à y ajouter, mais au contraire pour en retrancher ce que les faussaires y ont introduit de ce temps. On trouvera dans l'appendice IV, à la fin de cet ouvrage[126] la courte notice où je signale des fraudes déjà anciennes, pour la plupart, et qui n'avaient pas encore été dénoncées. J'ai limité mes recherches au XVe siècle, laissant à d'autres le soin d'étudier ces peintures de la Renaissance dans lesquelles la Pucelle apparaît équipée à l'allemande, avec le chapeau à plumes et le pourpoint à crevées des reîtres saxons et des suisses mercenaires[127]? Je ne saurais dire quel est le prototype de ces portraits, mais ils ressemblent beaucoup à la femme qui accompagne les soudoyers dans la Danse des morts que Nicolas Manuel peignit de 1515 à 1521 à Berne, sur le mur du couvent des dominicains[128]. Au grand siècle, Jeanne d'Arc devient Clorinde, Minerve, Bellone en costume de ballet[129].

J'ai cru qu'un récit continu vaudrait mieux que toutes les controverses et que toutes les discussions pour faire sentir la vie et connaître la vérité. Il est certain que les textes relatifs à la Pucelle ne se prêtent pas très bien à ce genre d'histoire: comme je viens de le montrer, ils sont presque tous suspects à divers égards et soulèvent à chaque instant des objections; mais je pense qu'en faisant de ces textes un usage prudent et judicieux, on en peut tirer encore des données suffisantes pour constituer une histoire positive de quelque étendue. D'ailleurs, j'ai toujours indiqué mes sources; chacun sera juge de l'autorité des garants que j'invoque.

Dans mon récit, j'ai rapporté un assez grand nombre de circonstances qui, sans avoir directement trait à Jeanne, révèlent l'esprit, les mœurs et les croyances du temps; ces circonstances sont pour la plupart d'ordre religieux. C'est que l'histoire de Jeanne, je ne puis assez le dire, est une histoire religieuse, une histoire de sainte, tout comme celle de Colette de Corbie ou de Catherine de Sienne.

J'ai beaucoup accordé, j'ai peut-être trop accordé au désir de faire vivre le lecteur au milieu des choses et parmi les hommes du XVe siècle. Pour ne pas le distraire trop brusquement, j'ai évité de lui présenter tout rapprochement avec d'autres époques, bien qu'il m'en vînt un grand nombre à l'esprit.

J'ai nourri mon texte de la forme et de la substance des textes anciens, mais je n'y ai, autant dire, jamais introduit de citations littérales: je crois que, sans une certaine unité de langage, un livre est illisible, et j'ai voulu être lu.

Ce n'est pas par affectation de style ni par goût artiste que j'ai gardé le plus que j'ai pu le ton de l'époque et préféré les formes archaïques de la langue toutes les fois que j'ai cru qu'elles seraient intelligibles; c'est parce qu'on change les idées en changeant les mots et qu'on ne peut substituer aux termes anciens des termes modernes sans altérer les sentiments ou les caractères.

J'ai tâché de garder un ton simple et familier. On écrit trop souvent l'histoire d'un ton noble qui la rend ennuyeuse et fausse. S'imagine-t-on que les faits historiques sortent du train ordinaire des choses et de la mesure commune de l'humanité?

Une tentation terrible pour l'historien d'une telle histoire, c'est de se jeter dans la bataille. Il n'y a guère de moderne récit de ces vieux assauts où l'on ne voie l'auteur, ecclésiastique ou professeur, s'élancer, la plume à l'oreille, sous les flèches anglaises, au côté de la Pucelle. Je crois qu'au risque de ne point montrer toute la beauté de son cœur, il vaut mieux ne pas paraître dans les affaires qu'on raconte.

J'ai écrit cette histoire avec un zèle ardent et tranquille; j'ai cherché la vérité sans mollesse, je l'ai rencontrée sans peur. Alors même qu'elle prenait un visage étrange, je ne me suis pas détourné d'elle. On me reprochera mon audace jusqu'à ce qu'on me reproche ma timidité.

(p. LXXXII) Je suis heureux d'exprimer ma gratitude à mes illustres confrères, MM. Paul Meyer et Ernest Lavisse, dont les conseils m'ont été précieux. Je dois beaucoup à M. Petit-Dutaillis, qui a bien voulu me présenter des observations dont j'ai tenu compte. J'ai grandement à me louer de l'aide que m'ont prêté M. Henri Jadart, secrétaire de l'Académie de Reims, M. E. Langlois, professeur à la Faculté des lettres de Lille, M. Camille Bloch, l'ancien archiviste du Loiret, M. Noël Charavay, expert en autographes, et M. Raoul Bonnet.M. Pierre Champion, qui, très jeune encore, s'est fait connaître par de beaux travaux historiques, a mis à ma disposition le résultat de ses recherches avec un désintéressement que je ne saurais assez reconnaître et il a bien voulu relire attentivement tout mon travail. M. Jean Brousson m'a fait profiter des ressources de sa perspicacité qui passent de beaucoup ce qu'on est en droit d'attendre d'un secrétaire.Au siècle que j'ai essayé de faire revivre en cet ouvrage, un démon nommé Titivillus mettait chaque soir dans son sac toutes les lettres omises ou changées par les copistes durant la journée et les portait en enfer, pour que Saint-Michel, alors qu'il pèserait les âmes de ces scribes négligents, mît la part de chacun dans le plateau des iniquités. Je crois que ce diable, justement vétilleux, s'il a survécu à la découverte de (p. LXXXIII) l'imprimerie, assume aujourd'hui la lourde tâche de relever les coquilles semées dans les livres qui prétendent à l'exactitude; car il serait bien naïf de s'occuper des autres. Je pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, à la charge du prote ou de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance à mes éditeurs et amis MM. Calmann-Lévy et à leurs excellents collaborateurs d'avoir, par leurs soins et leur expérience, allégé de beaucoup le sac dont Titivillus me chargera au jour du jugement. l'imprimerie, assume aujourd'hui la lourde tâche de relever les coquilles semées dans les livres qui prétendent à l'exactitude; car il serait bien naïf de s'occuper des autres. Je pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, à la charge du prote ou de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance à mes éditeurs et amis MM. Calmann-Lévy et à leurs excellents collaborateurs d'avoir, par leurs soins et leur expérience, allégé de beaucoup le sac dont Titivillus me chargera au jour du jugement. Je suis heureux d'exprimer ma gratitude à mes illustres confrères, MM. Paul Meyer et Ernest Lavisse, dont les conseils m'ont été précieux. Je dois beaucoup à M. Petit-Dutaillis, qui a bien voulu me présenter des observations dont j'ai tenu compte. J'ai grandement à me louer de l'aide que m'ont prêté M. Henri Jadart, secrétaire de l'Académie de Reims, M. E. Langlois, professeur à la Faculté des lettres de Lille, M. Camille Bloch, l'ancien archiviste du Loiret, M. Noël Charavay, expert en autographes, et M. Raoul Bonnet.

M. Pierre Champion, qui, très jeune encore, s'est fait connaître par de beaux travaux historiques, a mis à ma disposition le résultat de ses recherches avec un désintéressement que je ne saurais assez reconnaître et il a bien voulu relire attentivement tout mon travail. M. Jean Brousson m'a fait profiter des ressources de sa perspicacité qui passent de beaucoup ce qu'on est en droit d'attendre d'un secrétaire.

Au siècle que j'ai essayé de faire revivre en cet ouvrage, un démon nommé Titivillus mettait chaque soir dans son sac toutes les lettres omises ou changées par les copistes durant la journée et les portait en enfer, pour que Saint-Michel, alors qu'il pèserait les âmes de ces scribes négligents, mît la part de chacun dans le plateau des iniquités. Je crois que ce diable, justement vétilleux, s'il a survécu à la découverte de (p. LXXXIII) l'imprimerie, assume aujourd'hui la lourde tâche de relever les coquilles semées dans les livres qui prétendent à l'exactitude; car il serait bien naïf de s'occuper des autres. Je pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, à la charge du prote ou de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance à mes éditeurs et amis MM. Calmann-Lévy et à leurs excellents collaborateurs d'avoir, par leurs soins et leur expérience, allégé de beaucoup le sac dont Titivillus me chargera au jour du jugement. l'imprimerie, assume aujourd'hui la lourde tâche de relever les coquilles semées dans les livres qui prétendent à l'exactitude; car il serait bien naïf de s'occuper des autres. Je pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, à la charge du prote ou de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance à mes éditeurs et amis MM. Calmann-Lévy et à leurs excellents collaborateurs d'avoir, par leurs soins et leur expérience, allégé de beaucoup le sac dont Titivillus me chargera au jour du jugement.

CHAPITRE PREMIER

L'ENFANCE

De Neufchâteau à Vaucouleurs la Meuse coule libre et pure entre les trochées de saules et d'aulnes et les peupliers qu'elle arrose, se joue tantôt en brusques détours, tantôt en longs circuits, et divise et réunit sans cesse les glauques filets de ses eaux, qui parfois se perdent tout à coup sous terre. L'été, ce n'est qu'un ruisseau paresseux qui courbe en passant les roseaux du lit qu'il n'a presque pas creusé; et, si l'on approche du bord, on voit la rivière, ralentie par des îlots de joncs, couvrir à peine de ses moires un peu de sable et de mousse. Mais dans la saison des pluies, grossie de torrents soudains, plus lourde et plus rapide, elle laisse, en fuyant, une rosée souterraine qui remonte çà et là, en flaques claires, à fleur d'herbe, dans la vallée.

Cette vallée s'étend, toute unie, large d'une lieue à une lieue et demie, entre des collines arrondies et basses, couronnées de chênes, d'érables et de bouleaux. Bien que fleurie au printemps, elle est d'un aspect austère et grave et prend parfois un caractère de tristesse. L'herbe la revêt avec une monotonie égale à celle des eaux dormantes. On y sent, même dans les beaux jours, la menace d'un climat rude et froid. Le ciel y semble plus doux que la terre. Il l'enveloppe de son sourire humide; il est le mouvement, la grâce et la volupté de ce paysage tranquille et chaste. Puis, quand vient l'hiver, il se mêle à la terre dans une apparence de chaos. Les brouillards y deviennent épais et tenaces. Aux vapeurs blanches et légères qui flottaient, par les matins tièdes, sur le fond de la vallée, succèdent des nuages opaques et de sombres montagnes mouvantes, qu'un soleil rouge et froid dissipe lentement. Et, le long des sentiers du haut pays, le passant matinal a cru, comme les mystiques dans leurs ravissements, marcher sur les nuées.

C'est ainsi qu'après avoir laissé à sa gauche le plateau boisé du haut duquel le château de Bourlémont domine le val de la Saônelle et à sa droite Coussey avec sa vieille église, la rivière flexible passe entre le Bois Chesnu au couchant et la côte de Julien au levant, rencontre, sur sa rive occidentale, les villages de Domremy et de Greux, qui se touchent, sépare Greux de Maxey-sur-Meuse, atteint, entre autres hameaux blottis au creux des collines ou dressés sur les hautes terres, Burey-la-Côte, Maxey-sur-Vaise et Burey-en-Vaux, et va baigner les belles prairies de Vaucouleurs133.

Dans ce petit village de Domremy, situé à moins de trois lieues en aval de Neufchâteau et à cinq lieues en amont de Vaucouleurs, une fille naquit vers l'an 1410 ou 1412134, destinée à l'existence la plus singulière. Elle naissait pauvre. Jacques ou Jacquot d'Arc, son père135, originaire du village de Ceffonds en Champagne136, vivait d'un gagnage ou petite ferme, et menait les chevaux au labour. Ses voisins et voisines le tenaient pour bon chrétien et vaillant à l'ouvrage137. Sa femme était originaire de Vouthon, village situé à une lieue et demie au nord-ouest de Domremy, par delà les bois de Greux. Ayant nom Isabelle ou Zabillet, elle reçut, à une époque qu'on ne saurait indiquer, le surnom de Romée138. On appelait ainsi ceux qui étaient allés à Rome ou avaient fait quelque grand pèlerinage139, et l'on peut croire qu'Isabelle gagna son nom de Romée en prenant les coquilles et le bourdon140. Un de ses frères était curé, un autre, couvreur; un de ses neveux charpentier141. Elle avait déjà donné à son mari trois enfants: Jacques ou Jacquemin, Catherine et Jean142.

La maison de Jacques d'Arc touchait au pourpris de l'église paroissiale, dédiée à saint Remi, apôtre des Gaules143. On n'eut que le cimetière à traverser pour porter l'enfant sur les fonts. Les formules d'exorcismes, que le prêtre récite à la cérémonie du baptême, étaient, à cette époque, dans ces contrées, beaucoup plus longues, dit-on, pour les filles que pour les garçons144. Sans savoir si messire Jean Minet145, curé de la paroisse, les prononça dans leur teneur exacte sur la tête de l'enfant, nous rappelons cet usage comme un des nombreux indices de l'invincible défiance qu'inspira toujours à l'Église la nature féminine.

Selon la coutume d'alors, cette enfant eut plusieurs parrains et marraines146. Les compères furent Jean Morel, de Greux, laboureur; Jean Barrey, de Neufchâteau; Jean Le Langart ou Lingui et Jean Rainguesson; les commères, Jeannette, femme de Thevenin le Royer, dit Roze, de Domremy; Béatrix, femme d'Estellin, laboureur au même lieu; Edite, femme de Jean Barrey, Jeanne, femme d'Aubrit, dit Jannet, qu'on appela le maire Aubrit, quand il fut nommé officier de plume au service des seigneurs de Bourlémont147; Jeannette, femme de Thiesselin de Vittel, clerc à Neufchâteau, de toutes la plus savante, car elle avait entendu lire des histoires dans des livres. On désigne encore, parmi les commères, la femme de Nicolas d'Arc frère de Jacques, ainsi que deux obscures chrétiennes nommées l'une Agnès, l'autre Sibylle148. Il se rencontrait là nombre de Jean, de Jeanne et de Jeannette, comme en toute assemblée de bons catholiques. Saint Jean-Baptiste jouissait d'une très haute renommée; sa fête, célébrée le 24 juin, était une grande date de l'année religieuse et civile; elle servait de terme usuel pour baux, locations et contrats de toutes sortes. Saint Jean l'Évangéliste, qui avait reposé la tête contre la poitrine du Seigneur et qui devait revenir sur la terre à la consommation des siècles, passait aux yeux de certains religieux, aux yeux surtout des mendiants, pour le plus grand des saints du Paradis149. C'est pourquoi, en l'honneur du Précurseur ou de l'apôtre bien-aimé, on imposait très souvent, de préférence à tout autre nom, les noms de Jean et de Jeanne aux nouveau-nés. Et, pour mieux approprier ces saints noms à la petitesse de l'enfance et à l'infimité promise à la plupart des destinées humaines, on les diminuait en Jeannot et Jeannette. Les paysans des bords de la Meuse avaient un goût particulier pour ces petits noms à la fois humbles et caressants, Jacquot, Pierrollot, Zabillet, Mengette, Guillemette150. L'enfant reçut, de la femme du clerc Thiesselin, le nom de Jeannette. Au village, elle ne porta que celui-là. Plus tard, en France, on l'appela Jeanne151.

Elle fut nourrie dans la maison paternelle. Pauvre demeure de Jacques152! La façade était percée d'une ou deux fenêtres chiches de lumière. Le toit de pierres plates, incliné sur un demi-pignon, descendait presque à terre du côté du jardin. Sur le seuil, à la coutume du pays, s'amassaient le fumier, les souches et les instruments de labour, recouverts de rouille et de boue. Mais l'humble jardin, à la fois verger et potager, était, au printemps, tout fleuri de blanc et de rose153.

Ces bons chrétiens eurent encore un enfant, le dernier, Pierre qu'on nommait Pierrelot154.

Jeanne grandit sur une terre avare, parmi des gens rudes et sobres, nourris de vin rose et de pain bis, endurcis par une dure vie. Elle grandit libre. Les enfants, chez les paysans laborieux, vivent le plus souvent entre eux, hors du regard des parents. La fille d'Isabelle semble s'être très bien accordée avec les enfants du village. Une petite voisine, Hauviette, de trois ou quatre ans plus jeune qu'elle, était sa compagne de tous les jours. Elles avaient plaisir à coucher dans le même lit155. Mengette, dont les parents habitaient tout contre, venait filer dans la maison de Jacques d'Arc. Elle s'y acquittait avec Jeanne des soins du ménage156. Souvent aussi Jeanne, emportant sa quenouille, allait faire la veillée chez un laboureur, Jacquier, de Saint-Amance, qui avait une fille toute jeune157. Les garçons, comme de raison, croissaient avec les filles. Jeanne et le fils de Simonin Musnier, étant voisine et voisin, furent élevés ensemble. En son enfance, le fils Musnier tomba malade; Jeanne l'alla soigner158.

Il n'était pas sans exemple en ce temps-là que des villageoises connussent leurs lettres. Maître Jean Gerson, peu d'années auparavant, conseillait à ses sœurs, paysannes champenoises, d'apprendre à lire, promettant, si elles y réussissaient, de leur donner des livres d'édification159. Bien que nièce de curé, Jeanne n'étudia pas sa Croix-de-Dieu, semblable en cela à plusieurs enfants de son village, non pourtant à tous, car il y avait à Maxey une école où allaient les garçons de Domremy160.

Elle apprit de sa mère Notre Père, Je vous salue, Marie, et Je crois en Dieu161. Elle entendit conter quelques belles histoires de saints et de saintes. Ce fut tout l'enseignement qu'elle reçut. Aux jours fériés, dans la nef de l'église, elle se tenait sous la chaire, assise sur les talons, à la manière des paysannes, tandis que les hommes demeuraient debout contre le mur, et elle entendait le sermon du curé162.

Dès qu'elle en eut l'âge, elle travailla aux champs, sarclant, bêchant et, comme font encore aujourd'hui les filles du pays lorrain, accomplissant des tâches d'homme.

Les prairies, don du fleuve, étaient la principale richesse des riverains de la Meuse. Quand la récolte des foins était faite, tous les habitants de Domremy avaient droit de pâture dans les prairies du village, et ils y pouvaient mettre des têtes de bétail en nombre proportionnel à celui des fauchées de pré qu'ils possédaient en propre. Chaque famille prenait à son tour la garde des troupeaux ainsi rassemblés. Jacques d'Arc, qui avait un peu d'herbage, mettait ses bœufs et ses chevaux avec les autres. Lorsque venait son tour de garde, il s'en déchargeait sur sa fille Jeanne, qui allait au pré, sa quenouille à la main163.

Mais elle aimait mieux vaquer aux soins du ménage, coudre et filer. Elle était pieuse. Elle ne jurait ni Dieu ni les saints et, pour affirmer qu'une chose était vraie, elle se contentait de dire: «Sans faute»164. Quand les cloches sonnaient l'Angelus, elle se signait et s'agenouillait165. Le samedi, jour de la Sainte Vierge, gravissant le coteau d'herbes, de vignes et de vergers au pied duquel s'appuie le village de Greux, elle gagnait le plateau boisé d'où l'on découvre, à l'est, la verte vallée et les collines bleuissantes. Sur la hauteur, à une petite lieue du village, dans un ravin plein d'ombre et de murmures, la fontaine de Saint-Thiébault, dont l'eau très pure guérit de la fièvre et cicatrise les plaies, jaillit sous les hêtres, les frênes et les chênes. Au-dessus de la fontaine, s'élève la chapelle de Notre-Dame de Bermont. Dans la belle saison, elle est toute parfumée de l'odeur des prés et des bois. Et l'hiver enveloppe ce haut lieu de tristesse et de silence. En ce temps-là, vêtue du manteau royal et la couronne au front, dans ses bras son divin enfant, Notre-Dame de Bermont recevait les prières et les offrandes des jeunes garçons et des jeunes filles. Elle faisait des miracles. Jeanne l'allait visiter en compagnie de sa sœur Catherine, de quelques filles ou garçons du pays ou toute seule. Et le plus souvent qu'elle pouvait, elle brûlait un cierge en l'honneur de cette céleste dame166.

À une demi-lieue à l'est de Domremy, s'élevait une colline couverte d'un bois épais où l'on ne s'aventurait guère de peur des sangliers et des loups. Les loups étaient la terreur du pays. Les maires des villages payaient des primes pour chaque tête de loup ou de louveteau qu'on leur apportait167. Ce bois, que Jeanne voyait du seuil de sa porte, c'était le Bois Chesnu, le bois de chênes, ce qu'on pouvait entendre au sens de bois chenu, vieille forêt168. Nous verrons plus tard comment à ce Bois Chesnu fut appliquée, en France, une prophétie de Merlin l'Enchanteur.

Au pied de la colline, du côté du village, était une fontaine169 que les groseilliers épineux, en recourbant leurs branches, bordaient de leurs buissons grisâtres. On la nommait la Fontaine-aux-Groseilliers, la Fontaine-aux-Nerpruns170. Si, comme le croyait un maître de l'Université de Paris171, Jeanne appelait cette fontaine la Fontaine-aux-Bonnes-Fées-Notre-Seigneur, c'était assurément parce que les gens du village la désignaient de même manière. Et il semblerait que ces âmes rustiques eussent voulu, par ce nom, rendre chrétiennes ces dames des bois et des eaux qui ne l'étaient guère, et en qui certains docteurs reconnaissaient des démons autrefois adorés des païens comme déesses172.

Et c'était la vérité. Déesses vénérées et redoutées à l'égal des Parques, elles s'étaient nommées les Fatales173 et on leur avait attribué un pouvoir sur les destinées des hommes. Mais, depuis longtemps déchues de leur puissance et de leurs honneurs, ces fées de village se faisaient aussi simples que les gens près desquels elles vivaient. On les invitait aux baptêmes et l'on mettait leur couvert dans la chambre attenante à celle de l'accouchée. À ces festins, elles mangeaient seules, entraient, sortaient sans qu'on le sût; il ne fallait pas trop les épier, de peur de leur déplaire. C'est l'usage des personnes divines d'aller et de venir mystérieusement. Elles faisaient des dons aux nouveau-nés. Il y en avait de très bonnes; mais, pour la plupart, sans être méchantes, elles se montraient irritables, capricieuses, jalouses, et, si on les offensait, même par mégarde, elles jetaient des sorts. Elles laissaient voir parfois, à d'inexplicables préférences, qu'elles étaient femmes. Plus d'une prenait pour ami un chevalier ou un rustre; le plus souvent ces belles amours finissaient mal. Enfin, terribles ou douces, elles étaient encore les Fatales, elles étaient toujours les destinées174.

Tout proche, à l'orée du bois, au-dessus du grand chemin de Neufchâteau, s'élevait un hêtre très vieux qui répandait une belle et grande ombre175. Il était vénéré presque à l'égal de ces arbres tenus pour sacrés avant que les hommes apostoliques eussent évangélisé les Gaules176. Ses branches, qu'aucune main n'osait toucher, descendaient jusqu'à terre. «Les lis, disait un laboureur, ne sont pas plus beaux177.» Comme la fontaine, l'arbre avait plusieurs noms. On l'appelait l'Arbre-des-Dames, l'Arbre-aux-Loges-les-Dames, l'Arbre-des-Fées, l'Arbre-Charmine-Fée-de-Bourlémont, le Beau-Mai178.

Qu'il fût des fées et qu'on en eût vu sous l'Arbre-aux-Loges-les-Dames, tout le monde à Domremy le savait. Dans les anciens jours, au temps où Berthe filait, un seigneur de Bourlémont, nommé Pierre Granier179, devenu le bel ami d'une fée, l'allait trouver le soir sous le hêtre. Un roman traitait de leurs amours. Et l'une des marraines de Jeanne, dont le mari était clerc à Neufchâteau, avait entendu lire cette histoire qui ressemblait sans doute à celle de Mélusine, tant connue en Lorraine180. Seulement on doutait si les fées venaient encore sous le hêtre. Les uns croyaient que non, les autres croyaient qu'oui. Béatrix, marraine aussi de Jeanne, disait: «J'ai ouï conter que les fées venaient sous l'arbre dans l'ancien temps. Mais, pour leurs péchés, elles n'y viennent plus181.»

La simple créature entendait par là que ces dames fées étaient les ennemies de Dieu, et que le curé les avait mises en fuite. Jean Morel, parrain de Jeanne, pensait de même182.

En effet, la veille de l'Ascension, aux Rogations ou Petites Litanies, les croix étaient portées par les champs et le curé allait sous l'Arbre-des-Fées chanter l'évangile de saint Jean. Il le chantait encore à la Fontaine-aux-Groseilliers et aux autres fontaines de la paroisse183. Et pour chasser les mauvais esprits, on ne connaissait rien qui valût l'évangile de saint Jean184.

Le seigneur Aubert d'Ourches estimait que les fées avaient disparu de Domremy depuis vingt ou trente ans. Au rebours, plusieurs dans le village croyaient savoir que les chrétiens allaient encore se promener avec elles, et que le jeudi était le jour des rendez-vous185.

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