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Introduction à la vie dévote
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Introduction à la vie dévote

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CHAPITRE III.

Que la dévotion convient à toutes sortes de vocations et de professions

Dieu, en créant le monde, commanda aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son espèce. Ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, de produire des fruits de dévotion, chacun selon sa qualité et son état. La dévotion doit être différemment pratiquée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la femme mariée; et non-seulement cela, mais il faut encore accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous le demande, Philothée, seroit-il convenable que l'évêque voulût être solitaire comme les chartreux? et si les gens mariés ne vouloient pas plus amasser que les capucins, et si l'artisan étoit tout le jour à l'église comme le religieux, et le religieux exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'évêque; cette dévotion ne seroit-elle pas ridicule, déréglée et insupportable? Cette faute cependant arrive très-souvent; et le monde, qui ne distingue pas, ou qui ne veut pas distinguer entre la dévotion et l'indiscrétion de ceux qui se croient dévots, murmure et crie contre la dévotion, qui n'est pour rien dans ces désordres.

Non, Philothée, la dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ou plutôt il n'est rien qu'elle ne perfectionne; et si elle nuit à la vocation légitime de quelqu'un, c'est une preuve qu'elle est fausse. L'abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs, sans les endommager aucunement, les laissant fraîches et entières comme elle les a trouvées. Mais la vraie dévotion fait encore mieux, car non-seulement elle ne gâte en rien les vocations et les affaires, où l'on se trouve, mais au contraire elle les orne et les embellit. Toutes sortes de pierreries, étant jetées dans le miel, en deviennent plus éclatantes, chacune selon sa couleur: de même aussi chacun devient plus agréable dans sa vocation, quand il y joint la dévotion: le soin de la famille en est plus paisible, l'amour des époux plus sincère, le service du prince plus fidèle, et toutes sortes d'occupations plus douces et plus aimables.

C'est une erreur, et même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, est impraticable en ces sortes de vacations; mais aussi, outre ces trois dévotions, il y en a plusieurs autres, très-propres à perfectionner ceux qui vivent dans le monde. Abraham, Isaac, Jacob, David, Job, Tobie, Sara, Rébecca et Judith en sont la preuve dans l'Ancien Testament: et quant au Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crépin furent sûrement très-dévots dans leurs boutiques: sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscille très-dévotes en leur ménage; Cornélius, saint Sébastien, saint Maurice très-dévots parmi les armes; Constantin, Hélène, saint Louis, le bienheureux Amé, saint Edouard très-dévots sur leurs trônes. Il est même arrivé que plusieurs ont perdu la perfection dans la solitude, qui est cependant si favorable à la vie parfaite, et l'ont conservée dans le monde, qui semble y être si contraire. Loth, dit saint Grégoire, qui fut si chaste dans la ville, se souilla dans la solitude. Ainsi, quelque état que nous ayons, nous pouvons et nous devons aspirer à la vie parfaite.

CHAPITRE IV.

De la nécessité d'un directeur pour entrer et pour avancer dans la dévotion

Le jeune Tobie, se disposant à partir pour Ragez: «Je ne sais nullement le chemin, dit-il à son père. Va donc, répliqua le vieillard, et cherche quelque homme qui te conduise.» Je vous en dis autant, chère Philothée: voulez-vous sincèrement vous acheminer vers la dévotion? cherchez quelque homme de bien qui vous guide et vous conduise. C'est ici l'avertissement des avertissemens: quoi que vous fassiez, dit le dévot Avila, vous ne trouverez jamais si sûrement la volonté de Dieu qu'en prenant le chemin de cette humble obéissance que les saints ont toujours tant recommandée et pratiquée. La bienheureuse Thérèse, voyant que Catherine de Carderec faisoit de grandes austérités, désira d'en faire autant, contre l'avis de son confesseur qui le lui défendoit, et auquel elle fut tentée de désobéir en ce point; mais ayant enfin choisi le parti de l'obéissance, Dieu lui dit: «Ma fille, tu marches par une voie bonne et sûre: tu estimois beaucoup cette pénitence, et moi j'estime davantage ton obéissance.» Depuis lors elle aima tant cette vertu, qu'outre l'obéissance qu'elle devoit à ses supérieurs, elle s'engagea par un vœu particulier à suivre la conduite et les avis de son directeur; ce qui fut pour elle la source de très-grandes consolations, ainsi que l'ont éprouvé plusieurs autres bonnes ames, qui pour mieux s'assujettir à Dieu, ont soumis leur volonté à celle de ses serviteurs. Sainte Catherine de Sienne loue extrêmement cette pratique dans ses dialogues: la dévote princesse sainte Elisabeth se soumit avec une parfaite obéissance à la conduite du savant Conrard: et voici le conseil que le grand saint Louis donna à son fils avant de mourir: «Confessez-vous souvent, et choisissez un confesseur qui ait assez de science et de sagesse pour vous aider de ses lumières dans les choses nécessaires au bien de votre ame.»

Un ami fidèle, dit l'Ecriture-Sainte, est une forte protection: celui qui l'a trouvé a trouvé un trésor. Un ami fidèle est un remède qui donne la vie et l'immortalité: ceux qui craignent Dieu le trouvent. Ces divines paroles, comme vous voyez, regardent principalement l'immortalité, pour laquelle il faut avant tout avoir cet ami fidèle, qui guide nos actions par ses avis et ses conseils, et qui nous garantisse des piéges et des tromperies du démon. Un tel ami nous sera comme un trésor de patience dans nos afflictions et dans nos chutes; il nous sera un baume salutaire dans nos tristesses de cœur et autres maladies spirituelles; il nous gardera du mal, et rendra notre bien meilleur; et quand il nous arrivera quelque infirmité, il empêchera qu'elle ne soit mortelle à force de soins et de bons secours.

Mais qui trouvera cet ami? le Sage répond: ceux qui craignent Dieu; c'est-à-dire les humbles, qui désirent ardemment leur avancement spirituel. Puisqu'il est donc si important, Philothée, d'entreprendre avec un bon guide ce saint voyage de dévotion, priez Dieu très-instamment qu'il vous en envoie un selon son cœur, et ne doutez pas qu'il ne le fasse; car quand il devroit vous donner un ange du Ciel, comme il fit pour le jeune Tobie, il vous le donneroit plutôt que de vous laisser manquer d'un conducteur fidèle.

Or, quand vous l'aurez trouvé, pensez effectivement que c'est un ange pour vous. Ne le considérez pas comme un simple homme, et ne mettez pas votre confiance en lui à cause de son grand savoir, mais bien à cause de Dieu, qui vous secourra et vous parlera par son entremise, mettant dans son cœur et sur ses lèvres tout ce dont vous aurez besoin: en sorte que vous devez l'écouter comme un ange qui descend du Ciel pour vous y mener. Traitez avec lui à cœur ouvert, en toute simplicité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans aucune espèce de déguisement ni de détour. Par ce moyen, le bien sera plus sûr, et le mal plus promptement réparé. Votre ame en sera aussi plus forte dans ses peines, et plus modérée dans ses consolations. Ayez en lui une extrême confiance, mêlée d'un saint respect; de telle sorte que le respect ne diminue pas la confiance, et que la confiance n'empêche pas le respect. Confiez-vous en lui avec le respect d'une fille pour son père, et respectez-le avec la confiance d'un fils pour sa mère. En un mot, que cette amitié soit forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute divine, toute spirituelle.

Pour cela choisissez-en un entre mille, dit Avila; et moi, je dis entre dix mille; car il s'en trouve moins qu'on ne pense qui soient capables de ce ministère. Il faut qu'un directeur soit plein de charité, de science et de prudence: que si l'une de ces trois qualités lui manque, il y a du danger. Mais, je vous le répète, demandez-le à Dieu, et quand vous l'aurez obtenu, bénissez-en la divine Majesté. Tenez-vous ferme à votre choix, n'en cherchez point d'autres; allez simplement, humblement, et en toute confiance; je réponds que vous ferez un très-heureux voyage.

CHAPITRE V.

Qu'il faut commencer par purifier l'ame

Les fleurs, dit l'époux sacré, apparoissent en notre terre; le temps d'émonder et de tailler est venu. Quelles sont les fleurs de nos cœurs, ô Philothée! sinon les bons désirs? Or, sitôt qu'ils paroissent, il faut mettre la main à la serpe pour retrancher de notre conscience toutes les œuvres mortes et superflues. Sous la loi de Moïse, une fille étrangère qui vouloit épouser un Israélite, devoit quitter la robe de sa captivité, se couper les ongles et se raser les cheveux: de même l'ame qui aspire à l'honneur d'être l'épouse du Fils de Dieu doit se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau, en quittant le péché; puis elle doit retrancher de sa vie toutes les superfluités qui la détournent de l'amour de Dieu: c'est le commencement de la santé de notre ame que d'être délivrée des humeurs du péché. Dans saint Paul, cela se fit en un instant et d'une manière parfaite; de même aussi dans sainte Catherine de Gênes, sainte Magdeleine, sainte Pélagie, et quelques autres; mais cette sorte de guérison est une cure miraculeuse et extraordinaire dans l'ordre de la grâce, comme la résurrection des morts dans l'ordre de la nature, en sorte que nous ne devons pas y prétendre. La guérison ordinaire, soit des corps, soit des esprits, ne se fait que petit à petit, par degrés, avec peine et patience. Les anges ont des ailes sur l'échelle de Jacob, et cependant ils ne volent pas; mais ils montent et descendent avec ordre, d'échelon en échelon. Ainsi va notre ame du péché à la dévotion; elle s'élève peu à peu, semblable à l'aube du jour qui ne chasse pas tout d'un coup les ténèbres, mais lentement et par degrés. Cette marche est au reste la plus sûre, car, comme dit l'aphorisme, la guérison qui se fait doucement est toujours plus certaine. Que s'il est vrai, chère Philothée, que le mal arrive à cheval et en poste, et s'en retourne à pied et au petit pas, il faut donc bien s'armer de force et de patience dans l'entreprise de la vie dévote. Hélas! quelle pitié de voir des ames engagées depuis peu dans la dévotion, s'inquiéter à cause de leurs fautes, se troubler, se décourager, presque jusqu'à vouloir tout quitter et retourner en arrière! Et d'un autre côté, quelle dangereuse tentation pour une ame de se croire guérie de ses moindres imperfections dès le premier jour de sa conversion, se regardant comme parfaite presqu'avant d'être faite, et se mettant à voler sans ailes! O Philothée, que la rechute est à craindre, quand on veut ainsi se tirer trop tôt des mains du médecin! Ne vous levez pas avant la lumière, dit le Prophète; levez-vous après être demeuré assis; et lui-même, pratiquant ce qu'il enseigne, ayant été lavé et purifié de ses fautes, demande de l'être encore davantage. L'exercice qui consiste à purifier notre ame de plus en plus, ne peut et ne doit se terminer qu'avec notre vie; ne nous troublons donc point dans nos imperfections; car notre perfection consiste à les combattre, et nous ne saurions les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer; et notre victoire ne consiste pas à ne les pas sentir, mais bien à n'y pas consentir.

Ce n'est pas y consentir que d'en être incommodé. Il faut bien que, pour l'exercice de notre humilité, nous soyons quelquefois blessés dans ce combat spirituel. Mais nous ne sommes jamais vaincus, que quand nous venons à perdre ou la vie, ou le courage; or, les imperfections et les péchés véniels ne sauroient nous ôter la vie spirituelle, puisqu'elle ne se perd que par le péché mortel; il reste donc seulement qu'elles ne nous fassent point perdre le courage. Délivrez-moi, Seigneur, disoit David, du découragement et de la lâcheté; disons de même, et regardons-nous comme très-heureux dans cette guerre, de n'avoir d'autre condition à remplir pour être toujours vainqueurs, que de vouloir toujours combattre.

CHAPITRE VI.

Du premier retranchement, qui est celui des péchés mortels

Le premier retranchement à faire est celui du péché. Pour cela, il faut avoir recours au sacrement de pénitence. Cherchez le plus digne confesseur que vous pourrez; ayez un de ces petits livres qui ont été faits pour aider les consciences à se bien confesser, comme Grenade, Bruno, Arias, Auger et autres: lisez-les bien, et remarquez de point en point en quoi vous avez offensé Dieu, depuis que vous avez atteint l'âge de la raison jusqu'à présent; que si vous vous défiez de votre mémoire, mettez par écrit ce que vous aurez remarqué.

Ayant ainsi préparé et réuni tout ce qui charge votre conscience, rejetez-le par une contrition aussi vive et aussi parfaite que votre cœur pourra la concevoir, considérant ces quatre choses: que par le péché vous avez perdu la grâce de Dieu, abandonné votre part de paradis, mérité les peines éternelles de l'enfer, et renoncé à l'amour éternel de Dieu.

Vous voyez bien, Philothée, que je parle d'une confession générale de toute la vie; une telle confession, je l'avoue, n'est pas toujours absolument nécessaire, mais elle est cependant extrêmement bonne et utile dans ces commencemens; aussi je vous conseille fort d'y recourir. Souvent les confessions ordinaires de ceux qui vivent d'une vie tiède et commune, sont remplies de grands défauts: on ne se prépare point, ou fort peu: on n'a point la contrition requise: on va se confesser avec la volonté tacite de retourner au péché: on ne veut pas éviter les occasions dangereuses, ni prendre les moyens nécessaires pour réformer sa vie; en tous ces cas, la confession générale est indispensable pour assurer le salut. Mais de plus, la confession générale nous appelle à la connoissance de nous-mêmes, nous provoque à une salutaire confusion pour notre vie passée, nous fait admirer la miséricorde de Dieu, qui nous a attendus si patiemment; elle apaise nos cœurs, délasse nos esprits, excite en nous de bonnes résolutions, donne sujet à notre père spirituel de nous dire les choses convenables à notre position, et enfin nous ouvre le cœur pour confesser nos péchés à l'avenir avec plus de confiance et de sincérité.

Ainsi, puisqu'il s'agit d'un renouvellement général de notre cœur, et d'une conversion universelle de notre ame à Dieu, c'est avec raison, ce me semble, Philothée, que je vous conseille cette confession générale.

CHAPITRE VII.

Du second retranchement, qui est celui des affections au péché

Tous les Israélites sortirent de la terre d'Egypte; mais tous n'en sortirent pas de cœur et d'affection. Aussi, quand ils furent dans le désert, plusieurs regrettèrent les ognons et les viandes d'Egypte. Ainsi il y a des pécheurs qui sortent effectivement du péché et qui n'en perdent pas pourtant l'affection. Ils se proposent bien de ne plus pécher, mais c'est avec une certaine répugnance à se priver des plaisirs du péché; leur cœur y renonce et s'en éloigne, mais il ne laisse pas néanmoins de se retourner souvent de ce côté-là, comme la femme de Loth se retournoit vers Sodome. Ils s'abstiennent du péché comme les malades s'abstiennent du melon: ils n'en mangent pas, parce que le médecin les menace de mort s'ils en mangent; mais ils se tourmentent de cette privation: ils en parlent, ils hésitent sur ce qu'il faut faire, ils veulent au moins le sentir, et estiment fort heureux ceux qui peuvent en manger. De même ces foibles et lâches pénitens s'abstiennent pour quelque temps du péché, mais c'est à regret: ils voudroient bien pouvoir pécher sans être damnés, ils parlent du péché avec goût, et estiment heureux ceux qui s'y livrent. Un homme résolu de se venger changera de volonté en se confessant; mais bientôt après, on le trouvera au milieu de ses amis, prenant plaisir à parler de sa querelle, disant que, sans la crainte de Dieu, il eût fait ceci et cela; que la loi divine est bien gênante; que le pardon des injures est bien difficile; que plût à Dieu qu'il fût permis de se venger! Ah! qui ne voit que, bien que ce pauvre homme soit hors du péché, il est néanmoins tout embarrassé de l'affection du péché, et qu'étant hors d'Egypte par l'effet, il y est encore par le désir, ne laissant pas d'aimer toujours et de regretter les ognons qu'il y mangeoit? Comme fait aussi cette femme qui, après avoir détesté son inconduite, se plaît encore néanmoins à être flattée et recherchée. Hélas! que de telles gens sont en danger de se perdre!

Philothée, puisque vous voulez entreprendre la vie dévote, il ne faut pas seulement vous contenter de quitter le péché, mais il faut encore délivrer tout-à-fait votre cœur des actions qui dépendent du péché. Car, outre le danger de la rechute, ces misérables affections amolliroient perpétuellement votre esprit, et l'appesantiroient de telle sorte qu'il ne pourroit plus faire de bonnes œuvres avec cette promptitude, cette persévérance et ce zèle, qui sont de l'essence de la vraie dévotion. Les ames qui, après avoir quitté le péché, ont encore ces affections et ces langueurs, ressemblent, à mon avis, aux personnes qui ont les pâles couleurs: elles ne sont pas absolument malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goût, dorment sans repos, rient sans joie, et se traînent plutôt qu'elles ne marchent. De même ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, que leurs bonnes œuvres, déjà fort petites en nombre et en effet, cessent d'avoir la moindre grâce.

CHAPITRE VIII.

Du moyen de faire ce second retranchement

Il faut pour cela se former une vive et forte idée de tout le mal que le péché nous apporte, et entrer ainsi dans de profonds sentimens de contrition. Car si la contrition, toute foible qu'elle est, pourvu qu'elle soit vraie, suffit pour nous purifier du péché, surtout quand elle est jointe à la vertu des sacremens: quand elle est grande et véhémente, elle va jusqu'à délivrer le cœur de toutes les affections qui dépendent du péché. Remarquez ceci: une simple antipathie nous donne de l'aversion pour la personne qui nous déplaît, et nous fait fuir sa compagnie; mais si c'est une haine mortelle et violente, non-seulement nous fuyons et détestons celui qui en est l'objet, mais encore nous ne pouvons souffrir ni ses parens ni ses amis, ni la vue de son portrait, ni rien qui lui appartienne. De même quand le pénitent ne hait le péché que d'une contrition foible et légère, quoique véritable, il se résout seulement à ne plus pécher; au lieu que, s'il ressent une contrition forte et profonde, il déteste et le péché, et tout ce qui en dépend, et tout ce qui y conduit. Il faut donc, Philothée, agrandir tant qu'il nous sera possible notre contrition, afin qu'elle s'étende jusqu'aux moindres circonstances du péché. C'est ainsi que Magdeleine convertie perdit tellement le goût de ses péchés, que jamais elle n'y pensa; c'est ainsi que David protestoit, non-seulement qu'il haïssoit le péché, mais encore qu'il haïssoit les voies et les sentiers qui y mènent, et voilà précisément en quoi consiste ce rajeunissement de l'ame, qui est comparé par le même prophète au renouvellement de l'aigle.

Or, pour parvenir à cette vive contrition, il faut que vous vous exerciez soigneusement aux méditations suivantes, très-propres à déraciner de votre cœur, moyennant la grâce de Dieu, le péché, et les principales affections du péché; aussi les ai-je composées exprès pour cela; vous les ferez l'une après l'autre, dans l'ordre que j'ai marqué, n'en prenant qu'une pour chaque jour, et vous y employant le matin, autant que possible, parce que c'est le temps le plus favorable aux fonctions de l'esprit. Après cela, vous en repasserez ce que vous pourrez en vous-même dans le courant de la journée; que si votre esprit n'est pas encore fait à la méditation, voyez ce qui est dit à ce sujet dans la seconde partie de cet ouvrage.

CHAPITRE IX.

Première méditation. – De la création

PRÉPARATION

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Suppliez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS

1. Considérez qu'il n'y a que tant d'années que vous n'étiez pas au monde, et que votre être étoit un vrai rien. Où étions-nous, ô mon ame, en ce temps? Le monde avoit déjà bien duré, et de nous, il n'étoit nulle nouvelle.

2. Dieu vous a tirée de ce rien, pour vous faire ce que vous êtes; et cela, sans qu'il eût besoin de vous, mais par un pur effet de sa bonté.

3. Considérez avec respect l'être que Dieu vous a donné; vous êtes le premier et le plus parfait de tous les êtres de ce monde visible, capable de vivre éternellement, et de vous unir parfaitement à la divine Majesté.

Affections et résolutions

1. Humiliez-vous profondément devant Dieu, lui disant de tout votre cœur avec le Psalmiste: O Seigneur, je suis devant vous comme un vrai néant; d'où vient que vous avez pensé à moi pour me créer? Hélas! mon ame, tu étois perdue dans cet ancien abîme, et tu y serois encore si Dieu ne t'en eût tirée; qu'y ferois-tu maintenant sans cette bonté de ton Dieu?

2. Rendez grâces à Dieu. O mon grand et bon Créateur, combien vous suis-je redevable, puisque vous avez été me prendre dans mon néant pour me rendre par votre miséricorde ce que je suis? Que ferois-je jamais pour bénir dignement votre saint nom et remercier votre immense bonté?

3. Confondez-vous. Mais hélas! mon Créateur, au lieu de m'unir à vous par mon amour et par mes services, je me suis rendue rebelle par les déréglemens de mon cœur, je me suis séparée de vous, pour me joindre au péché, je vous ai fui, j'ai méconnu votre bonté, comme si vous n'étiez pas mon Créateur.

4. Abaissez-vous devant Dieu. O mon ame, souviens-toi que le Seigneur est ton Dieu, c'est lui qui t'a faite, et tu ne t'es pas faite toi-même: ô Dieu! je suis l'ouvrage de vos mains.

Je ne veux donc plus me complaire en moi-même, puisque de moi-même je ne suis rien. De quoi te glorifies-tu, ô cendre et poussière? pourquoi t'élèves-tu, ô néant? Oui, désormais je veux pour m'humilier faire telle et telle chose, supporter tel et tel mépris: je veux changer de vie, et suivre fidèlement mon créateur: je m'honorerai de la condition de créature, à laquelle il m'a appelée; j'immolerai entièrement toutes mes volontés aux siennes; et pour cela j'aurai recours aux moyens qui me seront indiqués, et dont je me ferai bien instruire par mon père spirituel.

CONCLUSION

1. Remerciez Dieu. O mon ame, bénis le Seigneur, et que tout ce qui est en toi exalte son saint nom; car sa bonté t'a tirée du néant, et sa miséricorde t'a créée.

2. Offrez. O mon Dieu, je vous offre l'être que vous m'avez donné, avec tout mon cœur. Je vous le consacre entièrement.

3. Priez. O Dieu, fortifiez en moi ces affections et ces résolutions. O sainte Vierge, recommandez-les à la miséricorde de votre Fils, avec toutes les personnes pour qui je dois prier, etc. Pater noster, Ave, Maria.

Après l'oraison, faites-vous comme un bouquet spirituel des considérations qui vous ont le plus touchée, afin d'en respirer de temps en temps la bonne odeur dans le courant de la journée.

CHAPITRE X

Deuxième méditation. – De la fin pour laquelle nous sommes créés

PRÉPARATION

1. Mettez-vous devant Dieu.

2. Priez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS

1. Si Dieu vous a mise dans ce monde, ce n'est pas qu'il eût besoin de vous; car vous lui êtes complètement inutile. Mais il a voulu seulement exercer sur vous sa bonté en vous faisant part de sa grâce et de sa gloire. Pour cela, il vous a donné l'entendement pour le connoître, la mémoire pour vous souvenir de lui, la volonté pour l'aimer, l'imagination pour vous représenter ses bienfaits, les yeux pour voir les merveilles de ses ouvrages, la langue pour le louer, et ainsi des autres facultés.

2. Etant créée et mise au monde à cette intention, vous devez éviter et rejeter soigneusement toute action qui y seroit contraire; et pour celles qui ne peuvent pas vous servir, il faut les mépriser comme vaines et superflues.

3. Considérez le malheur du monde, qui ne pense point à cela, et qui vit comme s'il croyoit n'être né que pour bâtir des maisons, planter des arbres, amasser des richesses et s'occuper de frivoles amusemens.

Affections et résolutions

1. Confondez-vous, en reprochant à votre ame la misère où elle a vécu jusqu'à présent; misère si grande, qu'elle n'a que peu ou point pensé à tout ceci. Hélas! devez-vous dire, à quoi pensois-je, ô mon Dieu, quand je ne pensois pas à vous? De quoi me ressouvenois-je, lorsque je vous oubliois? qu'aimois-je, lorsque je ne vous aimois pas? Hélas! je devois me nourrir de vérité, et je me remplissois de vanité; je servois le monde, et le monde n'est fait que pour me servir.

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